Le marathon agrégatif

Transcription

Le marathon agrégatif
4e prix ex aequo
Laëtitia Saint-Loubert
Anglais, 2014
L
’agrégation, que j’ai passée en 2014,
fut avant tout une épreuve liminaire.
Je venais d’obtenir une mise en disponibilité pour partir enseigner en école
européenne en Estonie, lorsque j’ai dû envisager
d’autres projets pour mon avenir immédiat en
raison de longueurs administratives qui m’ont
finalement coûté ce poste. Au seuil de ce qui
s’annonçait comme une nouvelle aventure, je
me retrouvai désormais face à une porte close
et décidai de me plonger dans la préparation du
concours. J’ignorais à l’époque que ce marathon
de plusieurs mois se conclurait par une mise en
abîme de mon propre statut liminal – belle ironie
du sort ! – lorsque, pendant l’ultime épreuve à
Paris, je me retrouverais confrontée à une étude
de dossier portant sur la thématique du voyage
et de la traversée… Mais tâchons de ne pas trop
nous éloigner de la trame initiale de ce récit et,
comme Lawrence Sterne, de retracer les différentes étapes de notre voyage sentimental.
Une fois passés les premiers moments d’hésitations et de craintes liés aux contraintes pratiques
dans lesquelles je me retrouvais – recherche de
logement, mise en place de quelques heures de
tutorat et missions de traduction ponctuelles
pour subvenir à mes besoins – me voilà lancée
dans la préparation du concours. Après un rapide tour d’horizon des modalités d’examen et
bien des occurrences de sourcils froncés devant
la confirmation que les œuvres au programme
ne sont pas autorisées lors des épreuves écrites et
qu’il faut par conséquent mémoriser passages et
citations à la virgule près, j’ai chaussé mes bottes
de sept lieues et ai entamé mon chemin.
Parcours semé d’embûches, j’ai préféré suivre ma
voie plutôt que de rester dans les sentiers balisés. En chemin, de nombreux pèlerins me sont
venus en aide en pays poitevin, où j’ai d’ailleurs
fait plus ample connaissance avec le Franklin qui
se dirigeait vers Canterbury… Mais une rencontre vraiment décisive eut lieu sur un autre
continent, en Afrique, sur les terres de Ben Okri,
où la même question revenait sans cesse, me faisant hésiter entre « la captivité de la liberté » et
« la liberté des contraintes ». Ainsi, j’ai décidé de
ne pas reprendre la route pour chercher meilleure fortune ailleurs : j’ai choisi de rester dans
la Vienne où j’effectuerai la première partie de
mon marathon…
Le mois de mars est arrivé et avec lui une terrible
rage de dents la veille des épreuves écrites. Bien
que certifiée, je n’avais jamais fait l’expérience
de telles douleurs la veille d’un concours et dus
composer dans des conditions tout à fait… rageantes ! Mais à présent que je me tiens sur un
autre seuil et Outre-Manche, je repense à ces moments intenses avec attendrissement, car ce que
j’en retiens, au-delà de la douleur et de la fatigue,
c’est la présence d’un compagnon qui a toujours
été là même dans l’absence et m’a permis d’obtenir une ordonnance faxée à la pharmacie la plus
proche. Il faut préciser ici que si vous n’avez pas
de dentiste attitré à Poitiers, il faut attendre le
dimanche matin pour être considéré comme un
cas urgent et bénéficier de soins… Sinon, vous
devez faire contre mauvaise fortune, bon cœur,
agrégation ou pas agrégation.
Après ces premiers vingt kilomètres, mon rythme
a ralenti considérablement pendant une dizaine
de jours puis est progressivement revenu à sa cadence initiale, en particulier lorsque les résultats
d’admissibilité sont tombés. Puis rapidement,
place à la dernière ligne droite pendant laquelle
j’ai bénéficié d’une offre de formation suivie, régulière et somme toute intense… Ligne d’arrivée
enfin en vue : fin juin, convocation aux épreuves
orales.
Mon voyage s’est poursuivi, non pas en « vis-àvis » ou en « désobligeant » comme c’était le cas,
j’allais le découvrir, pour le héros « sentimental »
de Sterne, mais en train, direction Paris. Je me
souviens clairement avoir dû prêter serment lors
de ma première épreuve (« I testify », dans Trilogy
de H.D.), puis avoir dû courir à vive allure le
temps de préparer mon commentaire sur un extrait du roman d’Edith Wharton, The House of
Mirth – mais toujours dans la joie et la bonne
humeur, n’est-ce pas ? – avant de tomber sur
l’inévitable question écossaise en compréhension-restitution, pour finalement me retrouver
nez-à-nez, en vis-à-vis, avec un dossier d’EHP
portant sur le voyage, l’Autre, le voisin et finalement, effet miroir oblige, soi.
Longtemps je me suis interrogée sur ce dossier.
Longtemps, j’ai lu, relu puis décortiqué ces documents… La gravure de Hogarth restait mystérieuse : s’agissait-il d’Anglais ou de Français sur
cet embarcadère ? En fin de compte, la réponse
ne résidait pas dans ce choix cornélien, mais plutôt dans le sentiment que j’avais en observant
cette reproduction. Je me retrouvais de nouveau
sur un seuil, venais de franchir la Manche et allais poser le pied en nouveau territoire, comme
tout observateur de cette gravure. Une première
porte, puis une seconde pour accéder à Calais…
mais finalement, toujours cette quête de soi.
Le jour des résultats est arrivé et ce que je souhaitais par-dessus tout, c’était, l’espace d’un bref
instant, pouvoir non pas choisir une rive ou
une autre – car j’avais entrepris d’autres projets
pendant ce marathon agrégatif dans l’optique
de poursuivre mon chemin vers de nouveaux
horizons – mais rester là, sur un pont, et pouvoir partager le fait d’avoir tenu la distance, tout
simplement, plutôt que de faire l’objet d’un classement. Quelle fut ma joie lorsque je découvris
que finalement, mon expérience liminale avait
été gratifiante, puisque j’étais parvenue à passer
d’un seuil à un autre !... Et qui plus est à trouver MA voie(x) précisément lors de cette ultime
étape mêlant Hogarth, Sterne et Burke…
Désormais installée Outre-Manche où je travaille
sur une thèse portant notamment, mais inévitablement, sur des phénomènes de liminalité,
je porte un regard attendri sur mon expérience
d’agrégative d’abord, puis d’agrégée ensuite…
enfin, sans doute devrais-je dire de « candidate
admise à l’agrégation », puisqu’il semblerait
qu’administrativement tout du moins je ne sois
encore et toujours en phase de transition ! n