1 Double imposition, évasion fiscale internationale, conventions sur

Transcription

1 Double imposition, évasion fiscale internationale, conventions sur
Double imposition, évasion fiscale internationale, conventions sur la double
imposition
L’évolution de l’économie, marquée notamment par l’internationalisation croissante
des activités et le renforcement de l’importance stratégique des actifs immatériels
(brevets, marques, etc.), a multiplié les possibilités d’optimisation fiscale pour les
entreprises.
Pour les administrations fiscales l’enjeu est de lutter contre cette évasion fiscale en
veillant à ne pas créer de cas de double imposition défavorable au développement
des échanges internationaux, mais aussi en éradiquant les cas de double
exonération.
En réponse, lors du sommet du 18 et 19 juin 2012 à Los Cabos, les chefs d’Etat et
de gouvernement du G20, à l’initiative de la France et des Etats-Unis, ont demandé à
l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) de
proposer un plan d’action contre l’érosion des bases en matière de fiscalité des
entreprises et les transferts de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting – BEPS).
L’OCDE a présenté aux Ministres des finances, à Moscou les 14 et 15 février dernier,
un document de problématique. Elle présentera en juin 2013 une feuille de route sur
les options possibles.
Les travaux, organisés par l’OCDE, sont réalisés au sein de trois groupes.
Le premier expertise plus particulièrement les sujets relatifs aux mesures anti-abus,
aux montages reposant sur des divergences de qualification entre Etats (hybrides),
aux abus des conventions, à la déductibilité des paiements et aux régimes
préférentiels. Le second groupe mène des réflexions sur les règles de territorialité et
plus précisément sur la notion d’établissement stable, les retenues à la source, le
concept de résidence, les régimes de sociétés étrangères contrôlées. Enfin, le
troisième groupe concentre ses travaux sur les prix de transfert.
I. Les pistes de travail du Focus Group n°1 pour les dispositifs anti-abus
Dans l’optique de limiter l’érosion des bases, le premier groupe de travail se penche
sur le renforcement des mesures qui, dans les conventions fiscales et les droits
nationaux, permettent de lutter contre les schémas abusifs et de prévenir la sortie, en
franchise de taxe, des profits en direction d’États où ils seront peu ou pas taxés.
Il traite également des régimes mis en place à des fins de concurrence fiscale
agressive.
La France est impliquée sur ce thème au sein de l’OCDE à travers la présidence du
Forum sur les pratiques fiscales dommageables.
Dans le cadre du projet BEPS, elle souhaite promouvoir un renforcement des actions
conduites, en particulier par l’extension de la démarche aux Etats tiers, qui semble
recueillir un consensus au sein du groupe de travail.
1
Le premier point examiné concerne la fiscalité dommageable. L’enjeu consiste à
sortir d’une analyse purement juridique des régimes préférentiels, afin de s’intéresser
à leurs effets économiques et à leur utilisation, notamment en proposant des critères
plus larges (véhicules de minimisation fiscale, régimes encourageant des opérations
à but fiscal).
La France défend une meilleure prise en compte des effets économiques réels des
dispositifs fiscaux pour apprécier leur caractère dommageable en dépassant leurs
seules caractéristiques juridiques.
Le deuxième axe de travail commun porte sur l’analyse et la recherche de solutions
coordonnées face aux stratégies reposant sur des asymétries de qualifications entre
les différentes législations nationales ou les dispositions conventionnelles. Celles-ci
permettent en effet la constitution de structures hybrides (prêts participatifs, sociétés
transparentes, établissements stables, etc.) ayant pour but de conduire à des
situations de double exonération, voire de double déduction.
Le troisième sujet consiste à passer en revue les législations nationales en matière
d’abus, de façon à recommander leur renforcement. Sur ce point, les solutions
paraissent passer par un engagement des Etats à améliorer leurs dispositifs. Par
ailleurs, les Etats membre de l’Union Européenne devront en plus s’inscrire dans les
limites de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Enfin, la démarche BEPS peut et doit s’accompagner d’une action au niveau de l’UE.
En effet, le fonctionnement actuel du marché intérieur européen amplifie, en
favorisant l’élimination de la double imposition et les libertés économiques, les
stratégies d’optimisation constatées dans le cadre du diagnostic BEPS, tout en
privant les États membres de marges pour contrer isolément ce phénomène.
Cette situation a notamment permis l'émergence au sein de l'UE « d'États tunnels »
servant à permettre la sortie des profits vers des paradis fiscaux en franchise d'impôt
en tirant avantage du droit européen, des différentes législations et des stipulations
de certains conventions fiscales particulièrement favorables (phénomène dit du
treaty shopping, notamment aux Pays-Bas).
Dès lors, l’enjeu consiste à dépasser la simple coordination pour aboutir à un paquet
législatif :
-
un projet de directive spécifique au secteur du numérique, distinct du débat sur la
directive relative à l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, et
proposant la création d’un établissement stable virtuel européen, de façon à
répartir les bénéfices de ce secteur entre les États membres où les entreprises
opèrent, qu’elles y soient physiquement présentes ou non ;
-
un renforcement de l’actuelle directive 2003/43 CE, relative aux paiements
d’intérêts et de redevances de manière à conditionner l’exonération de retenue à
la source à une imposition effective minimale dans l’État membre du bénéficiaire ;
-
la définition par le législateur d’une clause anti-abus européenne qui aille au-delà
de ce que la CJUE permet actuellement aux États membres dans leur droit
interne ;
2
-
une initiative législative pour résoudre les problèmes d’hybridation quand ceux-ci
ne peuvent pas l’être par voie de coordination ;
-
la définition d’une règle assurant l’imposition effective des profits sortants de l’UE
et permettant aux États de la source de recouvrer leur droit d’imposer lorsqu’un
profit, à la faveur du droit dérivé et conventionnel, circule en franchise d’impôt au
sein de l’UE et quitte le marché intérieur sans être effectivement imposé ;
-
l’adoption d’une clause de sauvegarde permettant de limiter les effets de liberté
de circulation des capitaux, actuellement accordée aux États tiers sans
contrepartie.
II. Les travaux du Focus Group 2 sur la territorialité
Les travaux sur les règles de territorialité de l'IS comportent une réflexion sur la
notion d'établissement stable, qui permet de taxer l’activité d’une entreprise dans un
Etat où elle n’a pas son siège.
Actuellement, la caractérisation de l’existence d’un établissement stable repose sur
la présence de moyens matériels, techniques et humains et sur la capacité de ces
moyens à engager une entreprise d’un État vis-à-vis de ses clients sur le territoire
d’un autre État. Or, se développent aujourd’hui des activités, particulièrement
lucratives, qui peuvent être réalisées par le truchement des moyens modernes de
communication sans disposer sur un territoire de moyens matériels et humains.
L’évolution des règles ne s’avère nécessaire que dans le cas d’activités volatiles,
difficilement rattachables à un territoire.
Il en est ainsi des activités des entreprises du numérique. La réflexion sur les règles
prévues par les conventions fiscales pour répartir le droit d’imposer certaines de ces
opérations immatérielles, et le détachement de celles-ci des notions traditionnelles
de résidence et d’établissement stable, apparaît donc aujourd’hui nécessaire.
Toutefois, les entreprises comme une partie des Etats ne souhaitent pas se retrouver
face à des approches forfaitaires, déconnectées des concepts fiscaux bien établis.
S’agissant des retenues à la source, le modèle OCDE recommande une exonération
pour limiter les cas de double imposition. Ainsi, la grande majorité des conventions
fiscales conclues par la France prévoit soit une exonération, soit une limitation du
taux de retenue à la source applicable à 5 % ou, plus rarement, 10 %.
La France est favorable à une approche au cas par cas du niveau des impositions à
la source s’agissant des États non membres de l’UE en fonction du niveau local de
taxation et souhaite une évolution des règles permettant de lutter contre les
situations de double exonération au sein de l’UE.
Enfin, la France ne peut que souscrire aux propositions de réflexions sur l’évolution
de certains concepts (tels que la résidence) aux fins de restreindre dans certains cas
l’accès aux avantages prévus par les conventions, notamment les réductions ou
exonérations conventionnelles de retenue à la source (entreprises de façade, sans
consistance économique, taxation forfaitaire symbolique…). Elles rejoignent
pleinement nos préoccupations d’ores et déjà inscrites dans nombre de nos
conventions.
3
III. Les sujets de prix de transfert relevant du Focus Group 3
L’internationalisation croissante des activités et la restructuration des groupes, ainsi
que le développement de l’importance stratégique des actifs immatériels (brevets,
marques, etc.) ont multiplié les possibilités d’optimisation fiscale des entreprises.
Les prix de transfert constituent un enjeu et un outil de répartition de la matière
imposable entre États. Afin de veiller à éviter les doubles impositions pour les
entreprises, les législations domestiques adoptées par les États sont aujourd’hui
encadrées par le standard de l’OCDE fondé sur le principe de pleine concurrence.
Le premier débat porte sur la pertinence du principe de pleine concurrence lui-même.
Les options alternatives à ce principe consistent à instaurer un mode forfaitaire de
répartition des profits entre les Etats. Celui-ci repose soit sur une détermination
unilatérale par chaque Etat du niveau de profits qu’il estime devoir lui être attribué,
soit sur l’application aux profits mondiaux d’un groupe d’une clef de répartition
reposant sur des critères objectifs (actifs localisés dans chaque Etat, chiffre d’affaires
qui y est réalisé, montant des salaires qui y sont versés…).
Toutefois, la première alternative serait susceptible d’engendrer des doubles
impositions allant à rebours des objectifs de développement du commerce
international.
De son côté, l’établissement de clefs de répartition se traduirait par un chantier d’une
ampleur matérielle et technique sans précédent. En outre, les critères objectifs
pourront, davantage que le principe de pleine concurrence, être susceptibles de ne
pas correspondre à la réalité du profit réalisé sur un territoire : un groupe peut opérer
sur un territoire tout en localisant l’essentiel de sa masse salariale et ses actifs
incorporels dans des Etats à basse pression fiscale. Le critère du chiffre d’affaires
peut aussi favoriser certains marchés.
Cela étant, force est de constater que, dans certaines situations, l’application du
principe de pleine concurrence qui repose sur la méthode des comparables
comporte de tels obstacles pratiques qu’elle entrave le contrôle et la lutte contre
l’évasion fiscale. Il convient alors de rechercher des solutions spécifiques pour
répondre à ces difficultés particulières.
Le second débat concerne les actifs incorporels. Par principe, la France est attachée
à l’aboutissement des travaux sur les incorporels, mais dans le respect du principe
de pleine concurrence.
Le secrétariat de l’OCDE, dans les documents préparatoires, évoque un
élargissement de la définition et une évolution du traitement des revenus générés par
les actifs incorporels au regard des prix de transfert (partage de la propriété
économique au sein du groupe).
La France est favorable à une évolution limitée du standard qui soit robuste au plan
technique, de manière à éviter toute approche étatique unilatérale arbitraire. La
reconnaissance de l’existence d’un actif incorporel pourrait être fondée sur une
analyse juridique de la notion d’actif susceptible de bénéficier d’une forme de
protection légale (droit de la propriété intellectuelle, droit commercial ou de la
concurrence). Les revenus ainsi générés devraient être taxés dans l’Etat de la
propriété juridique, sauf situation abusive.
4
Les problèmes liés à la fiscalisation de l'économie numérique
La France mène actuellement des réflexions sur la fiscalité de l'économie numérique.
A cet effet, le Ministre de l’économie et des Finances, Pierre Moscovici, a commandé
un rapport en juillet 2012 à M. Pierre Collin, Conseiller d’Etat, et Nicolas Colin,
inspecteur des finances. Ce rapport offre une vision minutieuse de l’essor de
l’économie numérique et appelle à de nouvelles réglementations fiscales, notamment
pour des considérations budgétaires.
La révolution numérique remet totalement en cause notre conception de la création
de valeur. L'économie numérique repose certes sur des activités traditionnelles de
production de biens et services. Mais de plus en plus, des start-up en amorçage ou
des entreprises globales servant des centaines de millions d'utilisateurs bouleversent
les règles du jeu et transforment radicalement tous les secteurs de l'économie.
Alors même que l'économie numérique concerne désormais des milliards d'individus
sa valeur ajoutée nous échappe. La façon dont elle s'organise, la puissance de ses
effets de réseaux et l'ampleur des externalités induites par ses modèles d'affaires
déjouent les règles de la valeur ajoutée. Le nombre de terminaux et objets connectés
augmente de façon exponentielle, le temps passé à les utiliser connaît une
croissance soutenue, le divertissement, les achats et la production, ont désormais
lieu dans une économie numérique qui investit le quotidien de chacun d’entre nous.
Pourtant une part significative de la valeur créée est captée par des sociétés
bénéficiant de régimes fiscaux privilégiés. Les grandes entreprises de l'économie
numérique ne paient quasiment plus d'impôts.
1 - L'économie numérique présente des caractéristiques et obéit à des
logiques radicalement différentes de celles des activités matures
Tout d'abord l'économie numérique accélère le rythme de l'innovation et de la
diffusion de nouveaux biens et services. Ainsi, une application telle que Facebook a
acquis 1 milliard d'utilisateurs en moins de huit ans.
L'économie numérique mobilise des investissements massifs financés par des
entreprises de capital-risque qui exigent des entreprises qui réussissent des
rendements couvrant les échecs des autres.
L'économie numérique conduit fréquemment à l'acquisition de position dominante
englobant différents marchés connexes.
L'économie numérique est bâtie sur un modèle de reinvestissement de l'essentiel
des bénéfices, plutôt que de distribution de dividendes, les actionnaires se
rémunérant par d'éventuels gains en capital.
L'économie numérique est en perpétuelle mutation de sorte qu'il est difficile d'y
identifier des points de stabilité pour asseoir un impôt.
L'économie numérique découple de façon systématique le lieu d'établissement du
lieu de la consommation. Il est de plus en plus difficile de localiser la valeur créée et
d'y appliquer les règles d’un droit fiscal désormais inadapté.
2 - Les grandes entreprises de l'économie numérique réalisent des profits
grâce à l'exploitation des données issues d'un suivi régulier systématique de
l'activité des utilisateurs
Les données, notamment les données personnelles sont la ressource essentielle de
l'économie numérique. Elles permettent aux entreprises qui les collectent de mesurer
et d'améliorer les performances d'une application, de personnaliser le service rendu,
de recommander des achats à leur clientèle, de soutenir les efforts d'innovation
donnant naissance à d'autres applications, de prendre des décisions stratégiques.
Elles peuvent également être valorisées auprès de tiers concessionnaires de leur
utilisation. Bref, elles sont le levier qui permet aux grandes entreprises du numérique
d'atteindre de grandes échelles et un niveau élevé de profitabilité.
Or, la collecte des données se fonde sur le travail gratuit fourni par les utilisateurs.
Grâce au suivi régulier et systématique de leur activité en ligne, les données des
utilisateurs d'applications peuvent être collectées sans aucune contrepartie. Cette
absence de rémunération explique en partie les gains de productivité spectaculaires
dans cette économie. Est-il normal que les entreprises établies dans un territoire ne
contribuent pas aux recettes fiscales de l'État où leurs utilisateurs résident et ont
contribué à générer des profits ?
Attirés par la qualité des interfaces et les effets de réseau, les utilisateurs deviennent,
à travers ces données, des auxiliaires de la production et créent une valeur générant
des bénéfices sur les différentes faces des modèles d'affaires de l'économie
numérique. Or, l'activité des utilisateurs d'applications est permise et décuplée par
les dépenses publiques notamment dans l'éducation, la protection sociale et le
déploiement des réseaux sur l'ensemble du territoire d'un État.
3 - Le numérique dévore progressivement tous les secteurs de l'économie
Le modèle d'intermédiation qui domine l'économie numérique vide la matière
imposable de sa substance. Ainsi, la publicité en ligne permet de rediriger le
consommateur vers un fournisseur établi dans un autre État. Les transactions entre
particuliers se développent.
Par ailleurs, les entreprises du secteur numérique exercent une pression à la baisse
sur les prix. Le taux de marge des entreprises établies sur un territoire diminue à
mesure que la place des intermédiaires numériques devient incontournable et qu'il
est indispensable pour un fournisseur d'être référencé.
Dans le tourisme, la banque, les télécommunications, l'automobile, la santé, des
entreprises de l'économie numérique sont en train de s'insérer dans les chaînes de
valeur. Elle concentrent leurs efforts sur un maillon stratégique, font travailler leurs
utilisateurs et captent une part croissante de la marge des entreprises locales.
À mesure que le numérique s'étendra à toute l’économie, les marges des différents
secteurs se délocaliseront à l'étranger et disparaîtront du PIB de certains Etats
privant les pouvoirs publics des recettes fiscales nécessaires, notamment en période
de crise ou pour financer le développement.
4 - Un trait commun aux entreprises globales de l'économie numérique est le
faible niveau d'imposition de leurs bénéfices
Même si elles ne sont pas les seules à pratiquer l'optimisation fiscale, les entreprises
de l'économie numérique ont plus de facilités à tirer profit de la concurrence à
laquelle se livrent les Etats.
Les instruments auxquels recourent les groupes multinationaux pour réduire leur
taux effectif d'imposition sont connus.
-
La requalification de certaines activités dans la chaîne de valeur afin de
diminuer le bénéfice et de s'assurer de l'absence d'établissement stable : la
transformation d'une filiale de distribution en simple commissionnaire réduit le
chiffre d'affaires à la seule marge de ces derniers et minimise le risque
entrepreneurial attaché à son activité.
-
La localisation stratégique dans certains états afin de profiter d'avantages
fiscaux législatifs ou conventionnels. Les dispositifs nationaux peuvent
ménager une fiscalité plus favorable pour les holdings, les droits de propriété
intellectuelle ou les activités de recherche et développement. Les asymétries
juridiques en matière de déductibilité des intérêts d'emprunt permettent de
parvenir à des situations de double non-imposition de certains bénéfices.
Enfin certains états dits « états tunnel » ne pratiquent pas de retenue à la
source sur les bénéfices transférés vers les paradis fiscaux.
-
La centralisation des actifs incorporels dans les pays où l'imposition des
bénéfices est la plus avantageuse. Dans l'analyse fonctionnelle d'un groupe
multinational, la détention des actifs incorporels est la principale
caractéristique des fonctions entrepreneuriales. Les fonctions dites routinières
sont rémunérées par un bénéfice stable et minime alors que les fonctions
entrepreneuriales captent le bénéfice résiduel, certes volatil mais
potentiellement plus élevé.
-
L'optimisation des prix de transfert pratiqué entre les différentes entités d'un
groupe est d'autant plus facile qu'en pratiquant des variations parfois minimes
sur une multitude de transactions les groupes peuvent diminuer
considérablement leur taux global d'imposition.
Ainsi, il est facile aux entreprises du numérique de transférer leurs bénéfices dans
des paradis fiscaux en y rémunérant des actifs incorporels dont la valeur est
décuplée par le rendement d'échelle.
Dès lors que ces bénéfices ne donnent pas lieu à un versement de dividendes, ils
peuvent être thésaurisés et réinvestis sans être soumis à l'impôt.
Ces entreprises concentrent l'activité dont elles tirent leurs revenus sur des territoires
où il est plus facile de transférer les bénéfices vers des paradis fiscaux. Le « double
irlandais et sandwich néerlandais » et ses variantes sont apparemment mis en
pratique par la plupart de ces sociétés.
La domination croissante des modèles d'affaires d'intermédiaires permet aux
entreprises qualifiées d’entrepreneur principal de capter une part croissante de la
marge au détriment des autres acteurs de la chaîne de création de valeur.
De création récente, les entreprises numériques se sont organisées d'emblée en vue
de tirer le meilleur parti des différences de systèmes fiscaux entre Etats, notamment
par le choix de celui où elles établissent leur siège, localisent leurs actifs ou leur
salariés.
5 - Le droit fiscal national et international peine à s'adapter aux effets de la
révolution numérique
En principe, le modèle de convention fiscale bilatérale établi par l'OCDE pour
prévenir les situations de double imposition, attribue le pouvoir d'imposer les
bénéfices à l'Etat dans lequel l'entreprise a son siège.
Il n’est fait exception à cette règle qu'en présence d’un établissement stable sur le
territoire d'un autre État. Or, la notion d'établissement stable renvoie à celle
d'installation fixe d'affaires ou d'agent dépendant qui supposent toutes deux la
présence tangible de locaux ou de personnes. Elle s'avère inadaptée à l'économie
numérique.
Certes depuis 2003, il est admis qu'un serveur, sur lequel une application est
hébergée et par l'intermédiaire duquel elle est accessible, puisse constituer une
installation fixe d'affaires. Mais l'OCDE considère que les données ou code
informatique ne sauraient constituer un établissement stable compte tenu de leur
caractère incorporel.
En Europe, la réflexion sur une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les
sociétés afin d'éliminer la concurrence fiscale n'avance pas et ne tient pas compte
des spécificités de l'économie numérique. Au sein de l'OCDE les réflexions
commencent à peine.
Au niveau national, les premières tentatives de création d'une fiscalité propre à
l’économie numérique ont manqué leur cible.
6- Les Etats devraient pouvoir imposer les bénéfices qui sont réalisés sur leur
territoire par les entreprises de l'économie numérique
La nécessité de retrouver le pouvoir d'imposer des bénéfices des entreprises
numériques doit faire l'objet de stratégies sur plusieurs terrains.
À court terme, les contrôles fiscaux peuvent permettre de :
- mettre en évidence des établissements stables par l'analyse de la réalité de
l'activité exercée sur un territoire, soit par la démonstration de ce que la filiale est une
installation fixe d'affaires à partir de laquelle les opérations de la société étrangère
sont réalisés, soit par la démonstration de ce qu'elle est en réalité un agent
dépendant disposant du pouvoir d'engager la société étrangère pour la réalisation de
ses opérations.
À cet égard, les commentaires de l'article 5-5 du modèle de convention OCDE
indiquent qu'un agent possède le pouvoir effectif de conclure des contrats lorsqu'il
sollicite et reçoit des commandes sans les finaliser de manière formelle et lorsque
l'entreprise étrangère ne fait qu'approuver les transactions de façon routinière.
- En cas de treaty shopping, il est possible appliquer une retenue à la source lorsque
le bénéficiaire effectif des redevances est situé dans un État vis-à-vis duquel elle est
applicable.
À plus long terme la voie conventionnelle peut être utilisée, de manière bilatérale ou
via une convention multilatérale dont les stipulations viendraient se substituer à celle
des conventions bilatérales.
L'impôt sur les bénéfices semble l'outil le plus adapté pour rechercher une
contribution en proportion de la création de valeur localisée sur un territoire.
Cela passe par un concept de territorialité adapté à l'économie numérique.
Mais une réflexion sur les règles de territorialité n'est sans doute pas suffisante, il
importe aussi de réfléchir à la détermination des prix de transfert en fonction des
différents facteurs de production contribuant à la création de valeur dans l'économie
numérique.
En conclusion, l'économie numérique est loin d'être la plus difficile à contrôler par les
administrations fiscales, elle est abondamment commentée et les flux numériques
sont mesurables. Il reste à faire émerger des règles de valorisation reconnues par
tous.