L`éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis
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L`éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis
Education et Sociétés Plurilingues n°8-juin 2000 L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis: enjeux et perspectives Abdeljalil AKKARI Le informazioni sul cambiamento demografico ci indicano come molti educatori statunitensi debbano oggigiorno affrontare la realtà della varietà culturale e linguistica negli USA. L’uso di lingue diverse dall’inglese nell’insegnamento scolastico rappresenta un argomento molto controverso in questa nazione, mettendo a confronto gli assimilazionisti, a favore dell’imposizione della sola lingua inglese, con i pluralisti, a sostegno di una didattica plurilingue. In seguito all’adozione della proposta di legge n° 227 in California, la campagna a favore dello smantellamento dei programmi bilingui sta guadagnando terreno in altri stati, nonostante i risultati delle ricerche a supporto dell’istruzione bilingue. Gli altri contesti bilingui possono trarre profitto dall’osservazione della situazione degli Stati Uniti, in particolare per ciò che concerne la necessità di promuovere programmi didattici bilingui basati sul concetto di programma d’immersione a doppio senso, che coinvolgano le due lingue su base paritaria, proponendo il bilinguismo allo stesso modo tra studenti della minoranza e della maggioranza linguistica. Sembra che questo modello abbia un forte fondamento pedagogico. Il cambiamento degli atteggiamenti comuni e un continuo supporto alla comunità e alle famiglie dovrebbero fare parte di ogni strategia per il successo della promozione dell’istruzione bilingue, sia all’interno che all’esterno delle scuole. Given changing demographics, most American educators face the reality of cultural and linguistic diversity in today's classrooms. The use of languages other than English in schooling is a subject of great controversy in the United-States, pitting those who hold assimilationist views and favor an English-only policy against those who hold culturally pluralistic views and support bilingual education. Since the adoption of proposition 227 in California, the campaign to dismantle bilingual programs is gaining ground in other states in spite of consistent research findings that support bilingual education. Other multilingual contexts can benefit from observing the American situation, in particular the need to promote programs based on the concept of a dual (two-way) immersion program involving two languages on an equal footing and bilingualism for all (minority and majority pupils alike). This model seems to have a strong pedagogical rationale. Changing public attitudes and mobilizing community and family support must be part of any successful strategy to promote bilingual education inside and outside schools. Los cambios demográficos empujan al educador norteamericano frente a una realidad diversa sobre al plano lingüístico e cultural. Este articulo trata de analizar los problemas de la educación bilingüe in los Estados Unidos. El uso de otros idiomas en el sistema educativo americano siempre fue un tema de controversia, en donde los que tiene una visión asimilasionista a través al uso exclusivo del ingles se oponen a aquellos que desarrollan una concepción pluralista a favor de la educación bilingüe. Después de la adopción de la propuesta 227 en California, la campaña contra la educación bilingüe se extiende a otros estados americanos. Parece que la situación americana es ejemplar para convencer los responsables de los sistemas educativos en otros contextos multiculturales afín de promover programas bilingües basados sobre al concepto de la inmersión. En particular, la educación bilingüe dual tienen un base pedagógica sólida. Cambiar las percepciones de la población general y movilizar los recursos comunitarios deben hacer parte de toda estrategia futura para promover la educación bilingüe. A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis Dans Education et Sociétés Plurilingues n° 6 (1999), P. Dorenlot a montré pourquoi une majorité de Californiens (et parmi eux, bon nombre d'immigrés hispanophones) s'étaient prononcés contre le maintien de programmes bilingues dans les écoles: pour beaucoup d'enfants hispanophones, les programmes d'éducation bilingue sont devenus des ghettos plutôt que des tremplins. Une note positive se détachait néanmoins de ce tableau d'ensemble: les classes dites d'immersion, permettant aux enfants hispanophones d'acuérir plus rapidement l'anglais. Une conjugaison de facteurs institutionnels, politiques et éducatifs a provoqué l'échec de l'éducation bilingue en Californie, illustré par l'acceptation de la proposition 227, qui asphyxie la plupart des programmes californiens. Nous retracerons le développement de l'éducation bilingue aux Etats-Unis, en décrivant les perspectives non seulement en Californie mais dans l'ensemble du pays. Après cette évocation historique de l'importance de l'éducation bilingue dans le contexte éducatif américain, nous proposerons une typologie des différents programmes d'éducation bilingue, suivie par les perspectives qui s'ouvrent actuellement à ce type d'enseignement. Ce sont de nouveau les programmes d'immersion qui paraissent les plus porteurs. Enjeux historiques et démographiques Le début de l'éducation bilingue aux Etats-Unis est habituellement situé dans les années 60-70, marquées par l'instauration de la législation fédérale sur l'éducation bilingue (Bilingual Education Act) en 1968 et le jugement de l'affaire Lau-Nichols en 1970. Mais ces deux événements importants ne constituent pas à proprement parler le début de l'éducation bilingue dans ce pays car au début du 19ème siècle, les enfants américains étaient scolarisés dans trois langues en plus de l'anglais. L'allemand, le français et l'espagnol étaient largement utilisés dans l'instruction (Canales & Ruiz-Escalante, 1992). De ces trois langues, l'allemand était le plus massivement employé jusqu'à la première guerre mondiale. En 1900, il y avait au moins 600 000 enfants recevant tout ou partie de leur instruction en allemand, ce qui correspond à près de 4 % des effectifs globaux de l'école primaire (Kloss, 1977). Mais le nationalisme et l'isolationnisme qui ont marqué la première guerre mondiale ont donné un coup d'arrêt brutal à ce pluralisme linguistique. Progressivement, des lois ont été promulguées pour scolariser les enfants germanophones uniquement en anglais. La première guerre mondiale a ainsi interrompu l'usage des 65 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis langues minoritaires à l'école. Près d'un demi-siècle d'instruction publique exclusivement anglophone a suivi. Deux points sont à souligner à propos de cette longue période d'usage exclusif de l'anglais. En premier lieu, il semble réducteur de considérer que l'école ait le monopole de l'éducation bilingue. En fait, même durant les cinquante ans d'éclipse légale d’une scolarisation bilingue, une éducation bilingue informelle avait bien lieu, puisque de nombreux enfants étaient exposés dans leur milieu familial et communautaire à des langues minoritaires. Les "Chicanos" (Mexicains établis aux Etats-Unis) du SudOuest ont ainsi pu sauvegarder l'espagnol comme langue vernaculaire malgré une scolarisation et une administration publique exclusivement en anglais. En second lieu, il faut souligner que le débat sur le bilinguisme est intimement lié au processus de construction de l’Etat-Nation et au degré de diversité culturelle que le groupe dominant considère comme supportable pour la cohésion nationale. Le débat linguistique n'est donc jamais seulement linguistique. Il a forcément des résonances politiques, culturelles et éducatives. Après une absence institutionnelle d'un demi-siècle, le bilinguisme est donc revenu sur la scène publique, grâce à la conjonction de trois phénomènes principaux. Tout d'abord, le mouvement des droits civiques, initié principalement par la communauté noire américaine pour l'égalité des droits, a abouti à plusieurs avancées: déségrégation progressive des écoles publiques, bannissement du racisme institutionnel et participation accrue des minorités à la gestion de l'école. Les hispanophones ont profité de cette brèche ouverte dans la domination anglo-saxonne pour revendiquer un droit d'usage de leur langue maternelle à l'école. Ensuite, l'arrivée massive de travailleurs en provenance du Mexique et de Porto Rico, mais également de réfugiés en provenance de Cuba, a mis le système scolaire devant la tâche difficile de scolariser rapidement des milliers d'enfants hispanophones. Enfin, la conjoncture politique et économique a favorisé le vote de lois permettant l'affectation de fonds publics à l'éducation bilingue. La combinaison de ces trois phénomènes a permis l'instauration du Bilingual Education Act (BEA) en 1968 et l'application de la décision de la Cour suprême obligeant les autorités scolaires à supprimer tous les obstacles empêchant les enfants minoritaires d'avoir des opportunités éducatives équivalentes à celles des enfants anglophones. Contrairement à la période précédant la première guerre mondiale, où la diversité linguistique était uniquement tolérée à l'école, le droit d'utiliser leur langue a été constitutionnellement concédé aux non-anglophones en 1968. Des programmes d'éducation bilingue ont été rapidement mis en place. Le BEA 66 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis a attribué des fonds publics à diverses activités: aux programmes d'éducation bilingue, de sensibilisation des élèves à la connaissance de l'histoire et de la culture associées à leur langue maternelle, d'éducation préscolaire, d'éducation des adultes. Initialement, les enfants hispanophones étaient les principaux bénéficiaires de ces programmes; toutefois, durant les vingt dernières années, les programmes d'éducation bilingue ont été étendus à d'autres enfants parlant prés de 145 langues différentes. Les fonds publics pour l'éducation bilingue ont connu une croissance continue. Entre 1969 et 1992, le Gouvernement fédéral a dépensé près de 2,7 milliards de dollars pour l'éducation bilingue. Les fonds annuels alloués sont passés de 20 millions de dollars au début des années 70 à près de 200 millions de dollars (Canales & Ruiz-Escalante, 1992). Même si nous tenons compte de l'inflation, ces chiffres montrent une croissance indéniable des dépenses publiques pour l'éducation bilingue. Ainsi, depuis une trentaine d'années, le droit à l'éducation bilingue s'est ancré dans la législation américaine. Contrairement à d'autres pays industriels, européens notamment, toutes les langues minoritaires sont traitées de la même manière par la loi. Aucune différence n'est faite entre les langues d'immigration ancienne et les langues d'immigration récente, entre les langues européennes et les autres langues, entre des langues internationales et des langues moins répandues. Mais, comme tout droit acquis après une rude lutte politique, le droit à l'éducation bilingue n'est jamais gagné une fois pour toutes. Sous l'influence politique grandissante des conservateurs et de leur porte-parole linguistique (le mouvement "English Only"), les programmes d'éducation bilingue, comme d'ailleurs ceux d’accès à l’égalité des chances (Affirmative Action) sont menacés. En 1998, la proposition 227 concernant la réduction drastique des programmes d'éducation bilingue a été votée en Californie. Elle oblige la plupart des districts scolaires à mettre fin aux programmes d'éducation bilingue. L'échec californien en matière d'éducation bilingue a eu un retentissement dans la plupart des autres Etats américains, qui tentent d'évaluer et de réformer la scolarisation des enfants issus de l'immigration. Sur le plan démographique, la diversité linguistique s'est fortement développée durant les dernières décennies, comme en témoigne le nombre de langues parlées dans le pays, de locuteurs non-anglophones et d’élèves non-anglophones. Les chiffres du recensement de 1990 montrent que près d'un résident sur sept parle une langue autre que l'anglais à domicile, ce qui fait un total de près de 32 millions (16% des foyers américains). Parmi ces locuteurs non-anglophones, 44% ont déclaré parler l'anglais moins que "très bien" (Census Bureau, 1993). 67 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis Au niveau scolaire, la diversité linguistique se traduit par la présence de 6,3 millions de jeunes de 5-17 ans qui utilisent des langues minoritaires chez eux. Leur nombre a augmenté de 38% durant la dernière décennie, alors que le nombre total d'élèves scolarisés dans le pays a régressé de 4,5%. Si l'on se réfère à une définition plus large de "minorité linguistique" (personnes habitant dans un foyer ou une langue autre que l'anglais est parlée), 22% des élèves sont dans ce cas (Anstrom, 1996). Bruder (1992) souligne qu'en 2010, la Californie, la Floride, le Texas et l'Etat de New York abriteront un tiers de tous les jeunes vivants aux U.S.A. Au Texas et en Californie, 57% des jeunes seront issus des minorités culturelles et à New York et en Floride, cette proportion sera de 53%. Parmi les langues minoritaires, l'espagnol jouit d'un statut particulier. Au niveau démographique, l'espagnol est de loin la langue minoritaire la plus répandue. Ensuite, c'est une langue historique et régionale de toute la région frontalière avec le Mexique. La signature des accords de libre échange en Amérique du Nord et les accords économiques en préparation avec l'Amérique du Sud marquent le poids grandissant de l'espagnol comme future langue de l'économie, de la culture et de la politique. Soulignons tout de même que les langues minoritaires ne résistent pas totalement à l'assimilation linguistique anglo-saxonne. Prés de trois migrants hispaniques sur quatre parlent quotidiennement l’anglais après 15 ans de résidence aux Etats-Unis. 70% de leurs enfants deviendront monolingues (anglais), perdant souvent leurs compétences en espagnol (Veltman, 1988). Les langues indiennes sont encore plus menacées, dans la mesure où elles ne peuvent pas compter sur l'apport migratoire. Nous assistons à un processus d'extinction puisque seulement 11% des langues indiennes encore utilisées continuent à être apprises par les jeunes générations (Cantoni, 1996). La minorité afro-américaine est également concernée par le débat sur l'éducation bilingue. La décision de la ville de Auckland en Californie de former les enseignants à l'usage de l'Ebonics (variante dialectale de l'anglais, parlée par les jeunes générations) a provoqué un vif débat national. Certains observateurs ont estimé que cette mesure risque de marginaliser encore plus des jeunes afro-américains. D'autres au contraire l'ont jugé comme une action appropriée pour répondre aux besoins biculturels et faciliter la communication entre enseignants et élèves. Le débat sur la diversité linguistique concerne toutes les minorités car les écoles fréquentées par les jeunes minoritaires sont à la fois le lieu d'une grande diversité linguistique et comportent les taux les plus élevés d'échec scolaire, d'abandon précoce des études et de risque de violence. Loin d'être 68 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis le résultat de la scolarisation bilingue d'une petite minorité des jeunes, les difficultés scolaires des enfants des minorités sont à relier à la ségrégation qu'ils vivent dans les écoles des centres urbains (inner-city). Leurs écoles sont souvent situées dans des quartiers pauvres, sous-équipées, comptent beaucoup d'élèves en difficulté et peu d'élèves euro-américains ou appartenant à la classe moyenne. Ainsi, en 1991-92, 73% des enfants hispaniques fréquentaient des écoles dont une majorité d'élèves appartenait à des minorités culturelles (Crawford, 1997). La ségrégation résidentielle et l'orientation des minorités vers des sections dévalorisées ou l'enseignement spécial (tracking) sont des facteurs plus déterminants. Ironiquement, le mouvement des droits civiques, qui a mis fin à la ségrégation scolaire, a accéléré la ségrégation résidentielle, dans la mesure où les familles euroaméricaines ont progressivement abandonné les centres urbains pour s’installer dans les périphéries sub-urbaines. Pour conclure cet aperçu de l'évolution historique de l'éducation bilingue aux Etats-Unis, il faut noter qu'une législation assez favorable, issue des acquis du mouvement pour les droits civiques, n'a pas provoqué de changement notable dans les représentations dominantes de l'éducation bilingue dans l'opinion publique. Elle est encore perçue comme destinée aux élèves non-anglophones et comme un frein possible au développement de la maîtrise de l'anglais. La discussion actuelle sur le bilinguisme s’éloigne du droit des minorités culturelles et se focalise de plus en plus sur l'efficacité pédagogique. Certains programmes d'éducation bilingue mettent explicitement l'accent sur la transition graduelle de l'enfant vers la langue de l'enseignement. Ils offrent une instruction dégressive en langue vernaculaire qui assure la continuité (famille-école) dans le développement cognitif et linguistique des enfants et prépare les fondations de la réussite scolaire. D’autres programmes centrés sur une transition rapide vers la langue de l'enseignement peuvent interrompre ce développement cognitif à un stade crucial et par conséquent avoir des effets néfastes sur la réussite scolaire ultérieure de l'enfant. Envisagé comme un moyen d’égalisation des chances, l'éducation bilingue nécessite un environnement structuré sur le plan affectif et instrumental. Dans un tel environnement favorable, les enfants allophones sont capables d'apprendre plusieurs langues et de réussir sur le plan scolaire. Leur maîtrise de l'écrit peut être facilitée par le bilinguisme. A cet égard, la théorie des transferts de Hakuta (1986) a mis en évidence un meilleur apprentissage de la lecture dans une langue que l'enfant connaît bien et le transfert ultérieur dans l'apprentissage de la lecture dans une deuxième 69 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis langue. Hakuta a par ailleurs (1990) suggéré que la compétence linguistique (linguistic proficiency) n'est pas unitaire, mais consiste plutôt en une série de compétences qui ne sont pas forcément liées. Il faut distinguer les compétences fonctionnelles utilisées en contexte et celles utilisées hors contexte. Le langage contextualisé et décontextualisé survient sous une forme écrite ou orale. Les compétences contextualisées dans des situations de communication (face-à-face) se développent plus rapidement que l'usage décontextualisé de la langue. Les compétences académiques verbales, importantes pour le succès scolaire, sont nécessaires pour la maîtrise du langage décontextualisé. La théorie du transfert linguistique a contribué à une meilleure compréhension des processus métalinguistiques et métacognitifs. Dans un sens pratique, le transfert survient dans le travail d’internalisation. Toutefois, le transfert est probablement différent si on compare l’apprentissage scolaire et l’apprentissage social des langues. Il convient également d’ajouter que le transfert entre les langues éloignées, et/ou utilisant des alphabets différents, reste encore une question ouverte parmi les spécialistes. Typologie des programmes américains d'éducation bilingue L'instruction proposée à un enfant né dans un milieu familial plurilingue varie fortement. A un extrême, nous avons la théorie de la "submersion" (swim or sink): les enfants monolingues dans une langue minoritaire sont instruits dans des classes utilisant exclusivement la langue dominante (anglais, langue de l'enseignement). C'est le modèle historique dominant dans la plupart des sociétés multilingues. Suite à des mesures législatives prises à la fin des années 60 aux U.S.A., différents programmes bilingues ont été mis en place. Le modèle le plus fréquemment utilisé était celui de l’éducation bilingue de transition (TBE, Transitional Bilingual Education). Ce modèle utilise initialement la langue maternelle mais, au bout de trois ans, parfois plus, l'enfant est supposé fréquenter une classe où la langue d'enseignement est l'anglais. Il existe bien entendu divers type d'éducation bilingue de transition selon le nombre d'années qui précèdent l'intégration dans les classes monolingues, mais aussi selon les modalités de l'enseignement de l'anglais comme langue seconde durant la période de transition. Le maintien à long terme de la première langue est laissée à la responsabilité de la famille. A l'autre extrême, nous trouvons les programmes d'immersion qui s'inspirent de l'expérience canadienne d'éducation bilingue. L'exemple canadien classique consiste à instruire des enfants anglophones issus de la classe moyenne en français (cf. Peal & Lambert, 1962). Ces enfants semblent suivre avec succès leur scolarité et acquérir assez rapidement une 70 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis compétence en français, sans pour autant souffrir de retard important dans le développement de leur langue maternelle. Il faut rappeler que l'objectif de ce type de programme est le bilinguisme et non pas de remplacer une langue par une autre. Deux aspects limitent toutefois l'application du modèle canadien au système éducatif américain: le français est la langue majoritaire d'une province importante du Canada (Québec) et l'acquisition du français y facilite la mobilité professionnelle. Déterminer les différentes caractéristiques des programmes d'éducation bilingue permet de comprendre les variations. L'objectif à terme du programme, la pédagogie utilisée et la structure du dispositif en sont les trois principaux caractères distinctifs. De plus, la disponibilité des ressources matérielles et les stratégies utilisées pour atteindre l'objectif sont également des critères de classification. Après l'examen des divers modèles d'éducation bilingue pratiqués actuellement aux U.S.A., nous distinguerons deux principaux types de programmes: ceux basés sur le principe de la séparation de la langue d'origine et ceux ayant une logique d'intégration. L'objectif à terme des programmes basés sur la séparation est l'incorporation (mainstreaming) des enfants minoritaires dans la structure scolaire globalement monolingue. La pédagogie utilisée se caractérise par la fragmentation des différentes parties du curriculum. L'enseignement de L1 ou (et) L2 est divisé en séquences traditionnelles (orthographe, grammaire, exercices de répétition). La composition des classes est basée sur le principe de séparation: les élèves non-anglophones sont séparés du reste de la classe pour des cours en L1 et L2. Cette séparation peu être réduite, comme dans le cas des programmes de submersion, ou maximale, comme dans le cas de certains programmes de transition. Certains programmes utilisent les cours d’anglais langue seconde d'une manière ponctuelle, alors que d'autres utilisent l'anglais pour effectuer une transition plus ou moins rapide vers un monolinguisme scolaire (Porter, 1996). Les effets scolaires des programmes basés sur la séparation sont comparables aux effets secondaires d'un médicament. Marquer et identifier quelqu'un comme "linguistiquement limité" (ce que fait l'expression Limited English Proficiency, LEP) produit des effets contraires aux objectifs affichés (incorporation dans la classe). En effet, même si l'on partage l'objectif d'incorporation, les apprentissages séparés provoquent le marquage quasi-permanent des élèves minoritaires. Les programmes basés sur le principe de l’intégration dérivent du concept d'immersion. Contrairement aux premiers, le but final de ces programmes est la promotion et la pratique du bilinguisme par les enfants minoritaires et anglophones par une approche communicative globale et contextualisée 71 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis de la langue. Il y a trois types de programmes à philosophie intégrative: l’immersion de type canadien, l’immersion structurée et l’immersion duale. Dans les programmes d'immersion du type canadien, la langue de l'immersion L2 (aux U.S.A., principalement l'espagnol) a une valeur pratiquement équivalente à celle de L1 (anglais). L'âge d'entrée et le temps d'instruction en L2 sont également des facteurs de différenciation. L'immersion précoce (early immersion) commence vers l'âge de 4-5 ans et l'immersion tardive vers 10-12 ans. Si l'instruction est entièrement en L2, on parle d'immersion totale, si elle est partiellement dispensée en L2, on parle d'immersion partielle. Quatre combinaisons de programmes en fonction de l'âge et de l'intensité d'exposition à L2 sont possibles. L'immersion structurée est une adaptation américaine de l'immersion du type canadien. Centrée sur le curriculum, elle est caractérisée par le fait que: 1) les matières enseignées aux étudiants minoritaires doivent s'effectuer dans un anglais compréhensible (accessible aux enfants minoritaires, de LEP); 2) l'usage de L1 est limité mais utilisé pour expliquer des notions difficiles; 3) l'instruction directe de la grammaire de L2 est proposée. Dans les programmes d'immersion structurée, les ressources linguistiques de départ sont donc monolingues, mais l'élève doit acquérir progressivement des compétences bilingues. L’immersion duale (two-way bilingual education) est un modèle relativement nouveau et bénéficie déjà d'une solide notoriété. Les objectifs visés sont le bilinguisme pour tous les élèves (minoritaires et majoritaires) et le traitement équivalent (symétrie totale) des langues à l'école. Ce modèle prend en considération d'une manière équilibrée l'apport linguistique pluriel de trois sphères: la famille, l'école, les pairs. Les programmes d'immersion duale sont en forte expansion: d'une trentaine de programmes en 1987, à 182 programmes en 1994 dans dix Etats. L'espagnol est de loin la langue la plus utilisée, suivi par le coréen, le français, le navajo, le chinois, l'arabe, le japonais, le russe et le portugais (Christian & Whitcher, 1995). Une difficulté pratique fréquente dans ce type de programme est la composition linguistique des classes: si l'espagnol trouve de plus en plus d'adeptes anglophones en raison de sa valeur potentielle sur le marché linguistique, les langues moins internationales ont de la peine à lancer des programmes d'immersion duale. Les programmes d'éducation bilingue aux U.S.A. ont connu une évolution constante depuis une trentaine d'années. Si l'éducation bilingue de transition a dominé dans les années 70 et 80, une diversification notable a eu lieu dans les années 90 avec l'émergence de programmes basés sur le principe de l'immersion. L'immersion duale en particulier semble promise à 72 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis un avenir certain. Cependant, plus de trente ans après le bannissement institutionnel de la ségrégation raciale, la ségrégation résidentielle selon l'origine ethnique et linguistique continue à structurer le système d'éducation américain et les enfants minoritaires sont massivement scolarisés dans les centres urbains défavorisés. L’éducation bilingue: un projet d’avenir? Afin de se diriger vers de nouvelles approches en éducation bilingue, il nous semble nécessaire d'agir dans l'intersection de deux milieux, l'école et la famille, insérées dans un système plus large représenté par le contexte socioculturel global. La principale proposition théorique est que l'éducation bilingue doit avoir de multiples points d'ancrages. Il est primordial d'abandonner l'idée selon laquelle l'éducation efficace est de la seule responsabilité de l'école, en ignorant les voies plus naturelles de transmission. L'apprentissage des langues représente avant tout une communauté de pratiques linguistiques et culturelles plutôt que des exercices de lecture et d'écriture decontexualisés dans des classes cloisonnées (Gohard-Radenkovic, 1999). Les programmes d'éducation bilingue sont habituellement cantonnés à la seule sphère scolaire. Confrontée à la diversité des langues parlées par les élèves minoritaires, l'école oscille, aux Etats-Unis comme ailleurs, entre deux positions extrêmes: la diversité linguistique comme problème à gérer au plus vite et la diversité linguistique comme ressource à long terme. La première position tente de limiter les obstacles que les enfants minoritaires ont à affronter pour accéder à l'ensemble du curriculum, mais les solutions pédagogiques préconisées sont souvent contre-productives. La seconde position n'est pas un simple ajustement linguistique à un curriculum monolingue, mais une remise en question de l'ensemble de la structure scolaire pour la faire évoluer vers une structure plurilingue. Les familles minoritaires hésitent entre la sur-valorisation de la langue maternelle et l'usage exclusif de la langue dominante, accompagné parfois par une dévalorisation de la langue maternelle. Au niveau de la société globale, il y a également une tension entre instrumentalisation linguistique et plurilinguisme. L'instrumentalisation maintient le monolinguisme, même s'il encourage des échanges linguistiques justifiés par l'intérêt économique. Le plurilinguisme exprime la nécessité d'utiliser les langues et les cultures au service de la vie sociale et de l'épanouissement individuel et collectif. Il est donc primordial de travailler dans l'intersection de l'école et de la famille car c'est la seule manière de se faire rencontrer les deux formes de bilinguisme: le bilinguisme familial potentiel et le bilinguisme scolaire embryonnaire. En effet, nous pouvons distinguer deux formes de 73 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis bilinguisme: bilinguisme du foyer (home bilingualism) et bilinguisme scolaire. Le premier renvoie au cas d'élèves qui apprennent deux langues dès la naissance. La recherche sur ce premier type de bilinguisme donne plusieurs résultats intéressants. En général, l'enfant apprend les deux langues (ou plus) de la même manière qu'il s'approprie deux registres socialement définis d'une même langue (Piper, 1993). Occasionnellement, ces enfants mélangent les deux langues, en attribuant par exemple le même nom à un objet. Un autre point intéressant est que l'apprentissage précoce de deux langues n'endommage ni l'une, ni l'autre, quel que soit l'âge auquel l'enfant rencontre ces langues. Cet apprentissage est naturellement pris en charge par l'enfant. Les parents sont plus des facilitateurs que des instructeurs. L'apprentissage des deux langues est enraciné dans le processus de socialisation: "Although they must reach certain bilological stages before they can speak, children don't learn to say words because their biological clocks tell them it's time to do so but because language is the means through which people connect with one another. The language children develop to achieve group membership is social language and differs from the language of school…" (Piper, 1993, p. 14). Quant au bilinguisme scolaire, ce n'est ni l'âge, ni le lieu qui caractérisent l'apprentissage scolaire des langues. C'est la nature et le type de langue apprise (Piper, 1993): à l'école, il s'agit d'une langue décontextualisée, enseignée par la manipulation de symboles écrits. Ce n'est plus la langue concrète (meaning-centered) du domicile familial. Pour les enfants, les langues apprises à l'école servent plus à interpréter qu'à rapporter leurs expériences. Ils doivent effectuer des connections logiques et des jugements. Les activités abstraites vont se développer tout au long de la scolarisation de l'enfant. Les programmes d'immersion "duale" permettent d'envisager un changement radical de la structure de l'école et un décloisonnement des bilinguismes familial et scolaire. Comme nous l'avons signalé auparavant, l'objectif ultime des programmes d'immersion duale est la double litératie (bi-literacy). Cet objectif ne peut être atteint que par la valorisation des langues minoritaires, utilisant comme ressource pédagogique les connaissances qu'ont les enfants dans leur langue maternelle. C'est un moyen d'approcher une double litératie à travers une relation symétrique, dans une institution scolaire traditionnellement asymétrique. Pour les enfants minoritaires, lire et écrire dans la première langue aide au développement des compétences en langue seconde et prépare des fondations solides aux apprentissages scolaires. De surcroît, des habitudes de lecture dans la première langue ont de fortes chances de se transférer à la 74 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis seconde langue. Lire contribue au développement de la maîtrise de la première langue car cette approche de la lecture est socioculturellement appropriée et peut être supervisée par la famille. L'éducation bilingue à deux voies concerne également les enfants dits "monolingues" (bien qu'ils maîtrisent en général plusieurs registres linguistiques), dans la mesure où ils peuvent apprendre naturellement une seconde langue. Cela élargit le champ de l'éducation bilingue à l'ensemble de la population scolaire. Traditionnellement aux U.S.A., l'éducation bilingue a été développée pour scolariser les enfants non-anglophones avec l'idée de développer parallèlement leurs compétences dans deux langues. Mais, le champ de l'éducation bilingue s'est élargi au cours de la dernière décennie pour concerner de plus en plus d'élèves anglophones. La recherche indique en effet que pour faciliter l'acquisition d'une langue seconde, les enfants doivent avoir des occasions réelles et naturelles de contact avec les locuteurs de la langue cible (Cummins, 1988, Krashen & Biber, 1988). Cette évolution dans la conception des programmes d'éducation bilingue sous-tend également la promotion du multiculturalisme. Permettre à des élèves de différentes origines culturelles et linguistiques d'acquérir la langue des pairs contribue à la promotion du respect mutuel et à l'établissement de relations saines entres les élèves majoritaires et minoritaires (Griego-Jones, 1994). La majorité des programmes bilingue à deux voies (voix) visent un bilinguisme équilibré; ce processus inclut les attitudes envers les langues minoritaires, les locuteurs minoritaires et leurs statuts respectifs. Quand une société ne valorise pas le bilinguisme de l'enfant migrant, il ne faut pas s'étonner que ce dernier hésite devant son éventuel bilinguisme. Si une langue liée à l'immigration peut mettre en doute sa loyauté par rapport à sa terre d'accueil (et souvent de naissance), le bilinguisme deviendra pour lui quelque chose de suspect et d'ambivalent. L'intérêt des élèves et des parents monolingues pour les programmes d'immersion duale produit l'effet inverse. En effet, si le bilinguisme devient la règle pour tous, l’élève minoritaire fera certainement le pas vers la maîtrise et surtout la pratique de sa langue d’origine. Références bibliographiques Anstrom, K. 1996. Defining the limited-English- proficient student population. Washington, D.C.: National Clearinghouse for Bilingual Education. Bruder, I. 1992. "Multicultural Education: responding to the demographics of change". Electronic Learning, 12: 20-27. 75 A. Akkari, L’éducation bilingue des minorités aux Etats-Unis Canales, J., & Ruiz-Escalante, J. A. 1992. A pedagogical Framework for Bilingual Education Teacher Preparation Programs. Paper presented at the Third National Research Symposium on Limited English Proficient Student Issues: Focus on Middle and High School Issues, Washington DC. Cantoni, G. (Ed.). 1996. Stabilizing Indigenous Languages. Flagstaff: Northern Arizona University. Census Bureau, U. S. 1993. 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