Isabelle-feue-la-lettre-a-Elise

Transcription

Isabelle-feue-la-lettre-a-Elise
Feue la lettre à Elise
Chère, très chère Elise,
je ne t'écrirai pas une sonate
pas même un vrai poème
je n'en suis pas capable
(tu es bien placée pour savoir que je ne suis pas capable de grand chose : tu me l'as assez
répété)
je compte seulement sur l'écriture et son message différé pour trouver le courage de
t'informer de cette importante nouvelle - que dis-je : cette sidérante nouvelle : je te
quitte !
Voilà, c'est fait : je l'ai sorti je l'ai arraché de mes tripes, Ô quel bien ça fait !...
hum...
La relation que tu as mise en place à mon égard confine à la torture
Toi la chatte, moi la souris
A tes côtés, je me sens de moins en moins Homme
Ta façon de gérer tout pour deux est castratrice, t'en rends-tu seulement compte ?
Tu m'humilies
Tu m'étouffes
Je souffre Je souffre de ne pas trouver le courage de te rembarrer vertement quand tu es odieuse
avec moi (surtout devant nos enfants – les pauvres petits, il faut les protéger)
Je souffre de ne pas avoir l'audace de te moquer, quand ta conversation en société n'est en
réalité qu'une longue litanie de poncifs (nos amis ne comprendraient pas)
Je souffre de me taire perpétuellement : ça finit par former un oursin dans ma gorge
alors, tu vois, ce soir, j'ai trouvé la solution je te l'écris...
Mais j'y pense ...
J'ai lu souvent que les paroles trahissent la pensée, mais il me semble que les paroles
écrites la trahissent encore davantage : une lettre, même la plus longue, force à
simplifier ce qui n'aurait pas dû l'être.
Mouais... le raisonnement vaut ce qu'il vaut...
Bon, c'est décidé, je ne la lui enverrai pas.
Demain matin, comme tous les autres depuis 23 ans, je commencerai ma journée
l'affront mal lavé, la conscience jaune encore de sommeil dans le coin de mon œil,
l'honneur chiffonné et les scrupules en deuil.

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