Quand la mer est montée, voilà 14 milliers d`années « Rio +20
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Quand la mer est montée, voilà 14 milliers d`années « Rio +20
00_001et016-IRD64_SAS54.qxd 22/05/12 19:58 Page1 n° 64 - avril-mai 2012 bimestriel © CNRS Photothèque / Erwan AMICE É d i t o r i a l @ E. Franceschi La Science au service du développement durable Par Michel Laurent Président de l’IRD Le journal de l'IRD L Quand la mer est montée, voilà 14 milliers d’années Retracer les variations passées du niveau des océans nous éclaire sur ce que pourrait être la montée des mers à l’horizon 2100. Retour sur un épisode marquant de l’histoire récente de la Terre. A quelle vitesse la mer peut-elle monter ? De combien sera la remontée des océans dans un siècle ? Questions cruciales pour un dixième de la population mondiale qui vit à moins de 10 m d’altitude. En envi- sageant le futur à travers l’observation du passé, une équipe du Cerege1 a fait un bon en avant dans les connaissances de ces mécanismes. Elle vient de mettre en évidence la hausse la plus rapide que l’océan ait connue depuis la fin de la dernière ère glaciaire : « il y a précisément 14 650 ans, l’océan est monté en moyenne de 14 m sur l’ensemble du globe en moins de 350 ans », raconte Pierre Deschamps, chercheur à l’IRD et premier auteur de ces travaux publiés dans la revue Nature. Soit une élévation d’au moins 4 cm par an contre quelque 3 mm annuels observés aujourd’hui. « Jusque-là, cette accélération brutale, que nous nommons le ’’Melt water pulse 1A’’, restait par bien des aspects énigmatique, affirme-t-il. Son existence même restait controversée. » L’équipe I n t e r v i e w d e de recherche a reconstitué cet épisode spectaculaire grâce à une cinquantaine de carottes coralliennes extraites en 2005 au large de Tahiti2. Vivant dans une faible profondeur, les coraux sont d’excellents indicateurs du niveau marin et constituent ainsi une archive de ces variations passées3. L’élévation actuelle de l’océan mondial provient de la fonte progressive des calottes de glace et de la dilatation thermique des mers dues au réchauffement de l’atmosphère. « Mais une hausse du niveau de l’eau aussi forte que celle observée pendant le ’’Melt water pulse 1A’’ ne peut être que le fruit d’une débâcle glaciaire4 massive », déduit le spécialiste. Une question demeurait en suspens : « quelle calotte a principalement contribué à cet événement ? », R i c h a r d 1. Centre Européen de Recherche et d’Enseignement en Géosciences de l’Environnement. 2. Dans le cadre du « Integrated Oceanic Drilling Program », co-financé par le consortium européen Ecord. Les travaux du Cerege ont été financés par la Fondation Comer (USA), la Fondation Européenne de la Science (EuroMARC), la Communauté Européenne (Project Past4Future), le Collège de France et l’IRD. 3. Les coraux peuvent être datés avec une très grande précision en s’appuyant sur la désintégration radioactive de l’uranium naturel présent dans leur squelette. Au Cerege, des échantillons vieux de 15 000 ans ont été datés avec une précision de l’ordre de 30 ans ! 4. Dislocation des calottes de glace. Contact [email protected] UMR Cerege (IRD/Aix-Marseille Université/CNRS/Collège de France) E s c a d a f a l Président du Comité scientifique français de la désertification e t d i re c t e u r d e re c h e rc h e à l ’ I R D « Rio +20 : renouer avec l’agenda international » © DR e Sommet de la Terre de Rio en 1992 a initié la réflexion sur les nouveaux modes de développement compatibles avec l’équilibre de la planète qui se dégrade à un rythme plus rapide que sa capacité de régénération. Il a précisé la notion de développement durable et adopté un programme d’actions pour le XXIe siècle, l’agenda 21, aujourd’hui encore la référence. En vingt ans, la communauté scientifique a pleinement joué son rôle d’information et d’alerte en participant activement aux différentes conventions consacrées à la biodiversité et aux forêts, au changement climatique et à la lutte contre la désertification, au protocole de Kyoto et à la désertification dans les zones arides à Fortaleza en 2010. Pour RIO +20 elle s’investira à nouveau en abordant les thématiques de l’économie verte et les principes d’une nouvelle gouvernance mondiale. L’IRD, fort de sa présence et de sa connaissance des pays du Sud les plus exposés aux aléas climatiques, à la rareté de l’eau, à l’appauvrissement des terres, à la perte de la biodiversité, à l’explosion démographique, se mobilise pour que la recherche en partenariat contribue à l’élaboration de solutions durables L’enjeu de RIO +20 est de trouver un modèle de développement compatible avec les besoins économiques des pays du Sud respectueux de leur culture et de leur histoire et de leurs ressources. Ces derniers doivent être en mesure d’en discuter les fondements, de construire leur propre approche à partir de leurs valeurs et de leurs savoirs traditionnels. À Rio, l’IRD, dans sa démarche de co-construction avec les Pays du Sud, s’intéressera notamment au problème de la désertification. Il présentera un programme de recherche tripartite innovant Afrique-Brésil-France « Lutte contre la désertification en Afrique » pour relever ce défi. Dans un contexte de globalisation, les pays, au nord comme au sud, sont confrontés aux mêmes problématiques. C’est ensemble, en unissant nos compétences et en veillant à un meilleur partage des données et des savoirs et en les valorisant que nous parviendrons à apporter des solutions adaptées et durables. ● ajoute-t-il. Contrairement à ce qui est d’ordinaire admis, les glaces de l’Antarctique ont été fortement impliquées. « Nous avons comparé l’enregistrement obtenu grâce aux coraux tahitiens avec un plus ancien à partir de coraux de La Barbade, dans les Caraïbes. Nous avons combiné ces résultats à des simulations géophysiques et ainsi révélé que cette calotte a contribué pour moitié au phénomène », explique Pierre Deschamps. Jusqu’à présent, seule celle appelée Laurentide, qui recouvrait à l’époque une grande partie de l’Amérique du Nord, était supposée y avoir pris part. Avec ces travaux, l’instabilité potentielle des calottes glaciaires bénéficie d’un nouvel éclairage. Peu prise en compte jusqu’ici dans les modèles prédictifs, cette information peut changer la donne. Le dernier rapport du GIEC en date de 2007 indique une remontée du niveau marin à l’horizon 2100 entre 20 et 60 cm – selon les différents scénarios des émissions de gaz à effet de serre considérés. « Ces prévisions seront très probablement dépassées, avance le paléoclimatologue. Les simulations les plus récentes suggèrent plutôt une remontée comprise entre 60 et 180 cm en 2100. » ● Sciences au Sud : Qu’est-ce que la désertification ? Sa définition faitelle consensus ? Richard Escadafal : La désertification est la forme de dégradation des terres spécifique aux régions sèches du globe. Dans ces zones, le volume des précipitations est faible, inférieur aux 2/3 du pouvoir évaporant de l’air. Ce déficit en eau fait obstacle au développement d’un couvert végétal complet, continu dans l’espace ou le temps : il peut être clairsemé, ne tapissant pas toutes les surfaces, ou périodique, disparaissant aux saisons les moins arrosées. Moins protégés, les sols dénudés sont exposés à la dégradation qui peut devenir irréversible et prendre des formes qu’on ne retrouve pas en climat tempéré. Cette définition est retenue dans le cadre des conventions internationales en la matière, comme celles dites « de RIO », La notion de désertification reste débattue par quelques scientifiques, qui n’y voient pas un phénomène propre aux régions sèches. SAS : Quels sont les enjeux sociaux, économiques, environnementaux et politiques en la matière ? R. E. : Ils sont considérables, dans la mesure où 40 % des terres émergées, abritant un tiers de l’humanité, sont des régions sèches, concernées par des pertes éventuelles de la qualité des terres. Sans surprise, leur contour correspond assez nettement à celui des zones les plus déshéritées, notamment celles des pays les plus pauvres d’Afrique. L’activité agricole et l’exploitation des ressources naturelles, dont dépend une large part de la population, y sont difficiles et nécessiteraient des investissements importants qui n’ont pas été faits, particulièrement dans les pays sahéliens. Pendant des décennies, cette agriculture fragile est demeurée marginale, considérée comme sans grand potentiel économique. En réalité, de même que le pastoralisme, elle est indispensable pour nourrir ces pays et pour contenir un exode rural massif ; elle représente ainsi un enjeu social et politique majeur. Il s’agit donc aujourd’hui, pour lutter contre la désertification, de revitaliser l’agriculture paysanne des régions sèches. suite en page 16 Dans ce numéro Recherches La vie dans le sol P. 8-9 Planète Retour sur l’expédition Lengguru P. 13