Vie et œuvre d`Homère

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Vie et œuvre d`Homère
Vie et œuvre d’Homère
Par Michel Tichit
Pour les Anciens, Homère, était un poète du
VIII
e
siècle avant notre ère, auteur de l’Iliade, de
l’Odyssée et d’autres poèmes. Ils pensaient qu’il était originaire d’Asie Mineure, peut-être de
Smyrne, et qu’il avait séjourné à Chios.
Nous possédons sept biographies de ce poète qui ne sont que des reconstitutions tardives et il
semble impossible d’avoir plus de précisions sur sa vie ; déjà Hérodote (Histoires, II, 53) ne fait
que supposer la période de son existence :
Ἡσίοδον γὰρ καὶ Ὅμηρον ἡλικίην τετρακοσίοισι
Je pense en effet qu’Homère et Hésiode
ἔτεσι δοκέω μευ πρεσβυτέρους γενέσθαι καὶ οὐ
ne vivaient que quatre cents ans avant
πλέοσι· οὗτοι δὲ εἰσὶ οἱ ποιήσαντες θεογονίην
moi. Or ce sont eux qui les premiers ont
Ἕλλησι καὶ τοῖσι θεοῖσι τὰς ἐπωνυμίας δόντες καὶ
décrit en vers la théogonie, qui ont parlé
τιμάς τε καὶ τέχνας διελόντες καὶ εἴδεα αὐτῶν
des surnoms des dieux, de leur culte, de
σημήναντες. Oἱ δὲ πρότερον ποιηταὶ λεγόμενοι
leurs fonctions, et qui ont tracé leurs
τούτων τῶν ἀνδρῶν γενέσθαι ὕστερον, ἔμοιγε
figures ; les autres poètes, qu’on dit les
δοκέειν, ἐγένοντο.
avoir précédés, ne sont venus, du moins à
mon avis, qu’après eux.
Or Hérodote vécut entre 484/482 et 425 avant notre ère, ce qui permet de situer Homère à
l’époque indiquée.
Plus précisément, Homère était un aède, que nous pouvons penser semblable à ceux que nous
voyons dans l’Odyssée, Phémios et Démodocos : lors des banquets, les aèdes étaient invités à
chanter, en s’accompagnant de la lyre, les aventures et les exploits des dieux et des héros ; ils
étaient capables tantôt de recomposer, tantôt d’interpréter des récits connus, selon leur propre
inspiration ou à la demande des assistants. Ils gardaient dans tous les cas une large liberté
d’improvisation.
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Site Présence de la littérature - Dossier Homère © SCÉRÉN-CNDP, 2009.
L’Iliade et l’Odyssée
Si les Anciens ne doutaient pas de l’existence d’Homère, l’attribution des deux grandes épopées à
un seul et même aède a été mise en doute très tôt. Le texte en effet, élaboré oralement au long de
plusieurs siècles, n’a été recueilli, selon la tradition, qu’à l’époque de Pisistrate ( VIe siècle). Les
divers épisodes sont alors interprétés par des rhapsodes, notamment lors des concours organisés
par les cités. Socrate, à travers les textes de Platon et Xénophon, raille souvent ces interprètes :
Ἀλλὰ μὴ ῥαψῳδός; ἔφη· καὶ γὰρ τὰ Ὁμήρου σέ
Est-ce
φασιν ἔπη πάντα κεκτῆσθαι. - Μὰ Δί΄ οὐκ ἔγωγ΄͵
rhapsode ? car on dit que vous avez
ἔφη· τοὺς γάρ τοι ῥαψῳδοὺς οἶδα τὰ μὲν ἔπη
toutes les œuvres d’Homère. – Point du
ἀκριβοῦντας͵ αὐτοὺς δὲ πάνυ ἠλιθίους ὄντας.
tout. Je sais que les rhapsodes savent
que
vous
voudriez
être
bien des vers par cœur, mais n’en sont
pas moins stupides.
Xénophon, Mémorables, IV, 2, 10 [1]
Le texte ne sera cependant fixé dans une forme proche de celle que nous possédons qu’à l’époque
alexandrine (IIIe siècle), par des savants qui s’emploient alors à rendre le texte plus cohérent en
déplaçant certains vers et en corrigeant un grand nombre de fautes.
C’est au
XVII
e
siècle que l’abbé d’Aubignac, dans les Conjectures académiques, et Wolf, dans les
Prolegomena ad Homerum, remettent nettement en cause l’attribution de ces deux œuvres à un
seul et même auteur. Ils relèvent les contradictions entre certains passages, les différences de
langue de certains chants et, notamment pour l’Odyssée, ils notent que l’on a sans doute affaire à
trois épopées différentes. Face à eux, certains ne cessent de soutenir l’unité de l’œuvre homérique
et de relever tout ce qui fait la solidité de la construction. Les néoanalystes, dont le Grec Kakridis,
ont tenté la synthèse de ces deux opinions : certes, il y a des récits différents, mais c’est parce que
l’aède emprunte à une tradition de plusieurs siècles ; il a pu utiliser des « morceaux » tout faits et
les rattacher à sa composition ; les incohérences viennent de cette « combinaison », mais l’œuvre
finale est bien d’Homère. Pour G. Nagy [2] au contraire, « l’unité structurelle de ces épopées résulte
[…] non pas tant du génie créateur de celui, quel qu’il soit, qui a établi une composition fixe, mais
bien plutôt de la lente évolution qui, d’une myriade de compositions antérieures, a abouti
génération après génération, à une composition finale ».
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Comme il paraît impossible de trancher entre les deux analyses, il paraît sage d’adopter la
conclusion de Mme de Romilly [3] : « On continuera ici d’appeler Homère l’auteur de l’Odyssée
comme celui de l’Iliade, et de définir sous ce nom l’originalité et l’éclat qui lient les deux épopées
entre elles dans leurs traits les plus profonds. »
NOTES
[1] Traduction Buchon (1848).
[2] G. NAGY, Le Meilleur des Achéens. La fabrique du héros dans la poésie grecque archaïque,
Seuil, 1994.
[3] J. de ROMILLY, Homère, « Que sais-je ? » n° 2218, PUF, 1985, p. 20-21.
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