Mademoiselle Jeanne

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Mademoiselle Jeanne
Jonas
-Mademoiselle Jeanne ?
Publié sur Scribay le 22/03/2016
-Mademoiselle Jeanne ?
À propos de l'auteur
L'écriture de "Dryades" est terminée. Enfin, le deuxième jet !
Place maintenant à la réécriture de quelques chapitres sur la fin.
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-Mademoiselle Jeanne ?
-Mademoiselle Jeanne ?
—Mademoiselle Jeanne, merci de faire entrer le prochain patient.
Je relâchai le bouton de l’interphone et consultai le planning : Héloïse Mordu,
premier rendez-vous.
La porte s’ouvrit sur une femme d’une quarantaine d’années, élancée et coquette. Je
me levai pour l’accueillir. La paume de sa main droite était moite et une sueur légère
humidifiait ses tempes.
—Docteur, fit-elle d’un ton où perçaient l’enthousiasme et une certaine inquiétude,
Manon Mercadier vous a chaudement recommandé.
—Vous savez, ma spécialité n’est pas encore reconnue. Je préfèrerais Lionel ou
Monsieur Juin, au final ce que vous choisirez, cela a peu d’importance.
—Comment se passe la séance ?
—Vous êtes seule maître à bord. Si vous le souhaitez, je m’assieds dans ce fauteuil, je
reste debout, choisissez.
—Debout, ce sera parfait. Oh, fit-elle en rougissant, je suis émue, c’est la première
fois quand même.
—Rassurez-vous, tout ira pour le mieux. Vous avez des exigences particulières ?
—Oui. Si vous pouviez à intervalle régulier lever les yeux au ciel ou hausser les
épaules, ce serait parfait.
—Pas de problème. Posez votre sac sur le bureau, votre manteau sur le portant. Très
bien. Nous commençons ?
Elle approcha son visage à quelques centimètres du mien. Nous avions presque la
même taille.
—Espèce de raclure, dit-elle d’une voix froide, tu vois ce que tu es devenu ? L’ombre
de la sous-merde que j’ai eu le malheur d’épouser -Je haussai les épaules- Non mais
regarde-toi ! s’emporta-t-elle, qui voudrait d’une loque pareille ? Quinze kilos de
trop, une bite d’asticot, tu me dégoûtes ! -Elle hurlait à présent- Et que le café n’est
pas assez chaud ! Et que le linge n’est pas repassé ! Et que l’omelette ne bave pas
assez ! Mais je t’emmerde, moi ! Je t’emmerde ! -Je levai les yeux en l’air- Tu veux
que je te dise, jamais tu ne m’as fait jouir ! Jamais ! Et ta mère ! Je l’emmerde ta
mère ! Je lui écrabouille sa face de fouine à coup de balai dans la gueule à ta mère !
–Elle prit une voix chevrotante que j’imaginai ressembler à celle de la dite bellemère- « Tiens donc, une toile d’araignée ! Tiens donc, ça manque de sel ! Tiens donc,
ce chat sent un peu ! » Salope ! Salope, salope, salope !
Héloïse Mordu s’adossa au mur, sous une lithographie d’Egon Schiele que je trouvais
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-Mademoiselle Jeanne ?
singulièrement laide
Elle me sourit.
—Incroyable, ça fait un bien fou, je n’en reviens pas.
—Étonnant, non ? lui dis-je. Si vous le souhaitez, nous avons encore un peu de temps.
Elle se redressa. Je haussai les épaules. La réplique fut immédiate.
—Assume ! cria-t-elle, réponds quand je te parle ! Mais qu’est-ce qui m’a pris de me
marier avec un tel abruti ? Dodo, boulot, télé, dodo, boulot… Mais bouge-toi le cul !
Offre-moi des fleurs, enlève ton survêtement, récite un poème, achète du
Champagne, emmène-moi au restaurant, fais-moi grimper au rideau ! Bou-ge-toi-lecul ! -Je levai les yeux- Ah ! Je vais le tuer, le massacrer, le réduire en bouillie, le
pulvériser, l’atomiser cet enfoiré !
…
—Alors ? dis-je tandis qu’elle reprenait sa respiration.
—Pfiou ! La vache ! Pardonnez mon langage mais putain quel pied !
—Ça nous fera trente-cinq euros. La semaine prochaine, même jour, même horaire ?
—Et comment !
Elle déposa le chèque sur mon bureau. Je lui tendis ma carte : Lionel Juin,
Engueulologue. Elle quitta la pièce avec un large sourire.
J’appuyai sur l’interphone.
—Mademoiselle Jeanne, prochain patient ?
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