L`article en version originale

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R e n c o n t r e
Rene Heuzey
rene heuzey
ou les coulisses
du film
oceans
par Ludovic SAVARIELLO
Interview de René Heuzey,
un des directeurs
photos sous-marin du film
« Océans » de Jacques
Perrin (producteur de
« Microcosmos, le peuple
de l’herbe » et réalisateur
du « peuplemigrateur »)
et de Jacques Cluzaud.
Sortie en salles prévue
le 27 janvier 2010.
Ludovic Savariello : René, quel a été
l’objectif du tournage du film « Océans » ?
René Heuzey : Jacques Perrin est
un homme passionné par la mer et
extrêmement sensible à la menace
des océans causée par la pêche et la
pollution. De ce fait, il a voulu réaliser un
film naturaliste engagé sur la protection
de cet environnement. Le film « Océans »
a donc eu comme objectif de montrer à
la fois les merveilles et la fragilité de cet
univers menacé.
LS : Combien de temps a duré cette
aventure ?
RH : Le tournage a duré 4 ans avec 2
ans de préparation. Nous avons couvert
environ 20 mers et océans différents. Il y
avait 4 équipes de tournage sous-marin
ainsi que 4 équipes pour l’extérieur. Au
total, le tournage a fait travailler près de
150 personnes.
LS : Quelle a été la principale difficulté
technique à surmonter pour un obtenir
un film avec des images naturalistes
saisissantes ?
RH : Jacques Perrin étant un homme
de cinéma, ce dernier voulait tourner ce
film en 35 mm. La problématique de la
prise de vue sous-marine en 35 mm est
celle de la longueur de la bande. En effet,
pour pouvoir être là au bon moment, il
a fallu rester des heures et des heures
en plongée. Contrairement aux deux
30 w w w . f u n - a n d - f l y . c o m
précédents films de Jacques Perrin, les
scènes ont été tournées en situation réelle
et la caméra a dû s’adapter aux animaux.
La capacité de stockage d’une caméra en
35 mm n’était donc pas adaptée à un tel
objectif. Nous avons utilisé des caméras
HD (Haute Définition) mais en obtenant
un rendu cinéma et non documentaire
comme ce que l’on est habitué à voir
sur des émissions animalières. Par
ailleurs, Jaques Perrin a voulu créer
une dynamique nouvelle dans ce film
avec des prises de vues inédites. Par
exemple, nous avons fixé des caméras
sur des torpilles, ou nous avons utilisé un
système remorqué par un bateau avec
une caméra intégrée. Ce système nous a
permis d’avoir des plans de dauphins de
face et de côté comme si nous nagions
avec eux.
LS : Comment avez-vous surmonté le
problème du tournage en HD ?
RH : Dans la mesure où les images
terrestres ont été tournées en 35 mm, nous
étions obligés d’avoir la même sensibilité
d’images en sous-marin qu’en terrestre.
Tout cela avec un rendu « cinéma » et non
« télévision ». Pour cela, nous avons du
gérer les problèmes techniques liés à la
fois à la prise de vue sous-marine mais
aussi à la HD comme par exemple le
tournage avec une faible lumière. Nous y
sommes arrivés grâce à une préparation
qui a duré une semaine sur Marseille
avant le tournage en compagnie de
l’expert européen de la HD. Cela nous a
permis de disposer de caméras ayant 50
minutes de film avec une autonomie en
énergie de 3 heures. Grâce aux plongées
réalisées en recycleurs, nous avons donc
pu tourner sur des scènes pendant plus
de 4 heures. Grâce à tout cela, nous
avons pu être présents pour capter des
séquences sous-marines exceptionnelles.
donné les lieux et les dates correspondant
à la présence des animaux que nous
voulions filmer.
LS : Pour conclure cette interview, quelle
est ta rencontre la plus émouvante lors du
tournage ?
LS : Le fait d’avoir parcouru une vingtaine
de mers et d’océans doit contribuer
à constater in situ la disparition ou
la raréfaction de certaines espèces
menacées.
LS : Quel a été le rôle du directeur photos
sous-marin sur le tournage ?
RH : Effectivement. Il me vient à l’esprit
deux exemples flagrants.
Tout d’abord, celui du thon rouge de
Méditerranée. Cette espèce est fortement
menacée. Il y a quelques années, les
pêcheurs prenaient le thon rouge
uniquement lorsque ce dernier rentrait
en Méditerranée par le golfe de Gibraltar,
c’est-à-dire aux environs du mois de mai.
Aujourd’hui, avec l’augmentation des
moyens techniques de pêche (bateaux à
plus grande capacité de stockage, moyens
aériens pour le repérage… ), les quantités
pêchées chaque année augmentent
considérablement. La demande japonaise
étant constante tout au long de l’année,
l’offre s’est adaptée. Les thons sont
capturés lors de leur arrivée annuelle en
méditerranée et sont ensuite parqués
vivants dans des fermes, comme par
exemple, à Malte. Grâce à cela, le thon est
embarqué tous les deux à trois mois sur
des bateaux japonais.
Dans le même ordre d’idée, la menace qui
pèse sur la survie des requins est elle aussi
flagrante. Le « fining » ou pêche des ailerons
en est en grande partie responsable.
RH : J’ai deux souvenirs magiques sur ce
tournage.
Tout d’abord, celui d’un petit pseudorque*
avec lequel j’ai pu jouer pendant plus de
dix minutes en Nouvelle Zélande. En fait,
il m’a imité pendant toute cette rencontre.
Lorsque je montais, il montait lui aussi,
lorsque je disais oui avec la tête, il faisait
le même mouvement, lorsque je lâchais
des bulles, il en lâchait également ! Pour
moi ce fut vraiment un instant magique.
C’était la première fois que je rencontrais
un pseudorque, et il n’avait sûrement
jamais croisé de plongeur du fait de
l’éloignement du site choisi pour les
besoins du tournage. Ma deuxième grande
émotion, je l’ai eu à côté de Melbourne en
Australie, en filmant la migration annuelle
des crabes. Il faut imaginer pour cela une
superficie équivalente à un terrain de foot
recouverte de crabes sur une hauteur
d’un mètre ! C’était vraiment exceptionnel.
Lors du montage du film, des scientifiques
ayant visionné cette scène m’ont avoué
qu’ils n’avaient jamais vu une telle
concentration !
RH : Pour ce tournage spécifiquement,
le directeur photos sous-marin avait
délégation des réalisateurs pour le
tournage des séquences. En effet, dans
la mesure où il y avait 4 équipes de
tournage sous-marin, les réalisateurs ne
pouvaient pas être présents sur les 4
lieux de tournage différents, séparés par
des milliers de kilomètres. Nous avions
donc loué une borne satellite qui nous a
permis d’envoyer, chaque soir, nos images
sur Paris et d’avoir le retour instantané
des réalisateurs. Enfin, grâce à cette
délégation, nous avons pu proposer de
nouvelles séquences en fonction des
opportunités de rencontres du tournage.
LS : Comment avez-vous choisi les lieux
pour le tournage de ce film ?
RH : Le film a été tourné avec une
équipe d’une vingtaine de scientifiques
tels que François Sarano (anciennement
responsable scientifique de l’équipe
Cousteau). Tous ces spécialistes nous ont
*pseudorque : Le genre Pseudorca ne comprend
qu’une seule espèce Pseudorca crassidens appelée
communément fausse orque, pseudorque, ou faux
épaulard. Comme l’orque, c’est une redoutable
prédatrice. Ses proies préférées sont la bonite et le
thon, mais elle n’hésite pas à s’attaquer à des dauphins,
et parfois des requins ou de jeunes baleines.

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