Arrivé à Saarbrücken …
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Arrivé à Saarbrücken …
William Pellier Arrivé à Saarbrücken … … le tant (le jeudi 22 novembre à 14h56). En traversant des campagnes par le train. C’est un homme (son nom : Holger Schröder) qui l’accueille à la Bahnhof. Il l’attend dans le hall avec un programme du festival Primeurs à la main. Il y a un auteur canadien avec un bonnet (rouge dans son souvenir) (son nom : Martin Bellemare). En France, comme si c’était de la famille éloignée, on dit facilement nos cousins canadiens ; les Allemands sont seulement nos voisins ; on ne dit jamais nos cousins allemands ; ni nos voisins canadiens ; ni nos cousins suisses ;on dit peu nos voisins anglais. Toutes ces histoires de famille et de voisinage l’occupent un instant. Puis l’homme (Holger Schröder), veut le conduire à l’hôtel en voiture. Ah non ! Ce n’est pas cequ’il avait dit ! Il avait dit qu’il avait un excellent sens de l’orientation et qu’il se débrouillerait seul. Il avait encore dit : « N’envoyez personne. » Et voilà que maintenant, l’homme (Holger Schröder) veut le faire monter dans sa voiture pour l’amener à l’hôtel Leidinger. Il refuse. Il déclare qu’il veut traverser la ville à pied. L’auteur canadien (Martin Bellemare) veut d’abord faire comme lui, puis il se ravise. Finalement il veut monter dans la voiture (celle de Holger Schröder).La voiture s’éloigne. Bon, il va pouvoir traverser la ville, de la Bahnhof à l’hôtel Leidinger, à pied. C’est son vieux fantasme du voyage à l’ancienne, du temps des diligences, des chariots à chevaux, des carrioles tirées par des boeufs. On approchait la ville, on traversait les faubourgs, on voyait des trognes, on sentait des odeurs, terribles, on pénétrait dans l’enceinte fortifiée, on était reçu par l’évêché, que dis-je, le prince. On percevait l’organisation de la ville. Le hic, il faut le dire, c’est que Saarbrücken, comme beaucoup de villes allemandes est une ville neuve, moderne, rebâtie, réorganisée, succession de boutiques, de centres commerciaux brillants, d’escalators qui vous transportent vers le haut ou vers le bas. C’est malgré tout un auteur en goguette qui arpente la ville. Il se laisse amadouer par quelques spécialités à rapatrier. Le pain de Noël fourré de fruits sec set confits qui alourdira sa valise, il en découvre plusieurs espèces, chaque ville ayant sécrété la sienne. Le Dresdner Stollen, le Kölner Christstollen. Il trouve de gros câpres, Kapern, en bocal qu’il ne trouve pas chez lui. Il adore les câpres qu’il coupe en rondelles pour les faire tremper dans de la sauce tomate, et aussi en salade avec du parmesan, sur des pizzas, etc. Du thé vert, Grüner Tee, qu’il boira et qui lui rappellera à chaque gorgée Saarbrücken. L’auteur en goguette n’affiche pas une ambition démesurée. Il est sauvé du néant par son cousin (canadien) qui, ayant derrière lui un vol transatlantique, alors que lui n’a que quatre heures de TGV, affiche de grandes ambitions. Ce n’est pas tous les jours que l’on traverse l’Atlantique, autant en profiter pour arpenter le Völklinger Hütte, inscrit au Patrimoine, mondial, de l’UNESCO. Tandis qu’il escalade les hauts fourneaux avec son cousin, il songe : penser à embarquer quelques bretzels avant de repartir. L’hôtel Leidinger est de première grandeur. Il constate que, s’il laisse ouverte la fenêtre de sa chambre, le chauffage se coupe. Il mène plusieurs fois l’expérience. Puis comme la porte de sa chambre ne ferme pas, on le change de chambre. Il a gagné un étage. Il a caché du pain, une sorte de saucisson et un genre de morceau de fromage sur le rebord de la fenêtre, à l’abri du regard des femmes de ménages, mais les pigeons tentent d’attaquer son pique-nique. Il faut réagir. Ils instruit devant une émission de la TSR (Télévision Suisse Romande) sur le calibre des tomates et des concombres dans la grande distribution. Le samedi, à vingt heures trente, c’est l’heure, se dit-il. L’heure de quelque chose. Il se souvient de quelque chose. Il se rappelle qu’il est à Saarbrücken pour quelque chose. Il se souvient brutalement pourquoi il est là. Il vérifie sa tenue, se coiffe vaguement puis, il part écouter son texte lu en allemand, n’y comprend rien, se suspend à quelques mots pour savoir où en sont les comédiens. Meine Frau, einen Pudel, die Sozialarbeiterin, Gott ist das. Plus tard, il enverra une lettre : Je suis très heureux d’avoir reçu le prix du public du festival Primeurs. La mise en espace de Katharina Schmidt a beaucoup contribué à révéler les aspects comiques et tragiques du texte. Et c’est toujours bien quand l’auteur découvre des choses qu’il n’avait encore jamais vues dans son propre texte. En particulier la part d’enfance des personnages, qui ont été magnifiquement interprétés par Gabriela Krestan et Hans-Georg Körbel, que malheureusement je n’ai pas pu croiser pour les féliciter. Le philosophe Denis Guénoun, dans son essai « Le Théâtre est-il nécessaire ? », avançait que le théâtre était désormais incapable de passionner le public. Celui-ci n’y trouverait plus matière à s’identifier aux personnages. Ce serait à présent au cinéma, dont la puissance d’évocation est supérieure, que serait dévolu le rôle de faire rire ou pleurer le spectateur. On viendrait aujourd’hui au théâtre non plus pour s’émouvoir, mais pour voir comment font les comédiens pour jouer, comment ils se débrouillent pour parler une langue, un plaisir donc purement intellectuel. C’est une théorie qui a contribué à alimenter ma réflexion ces dernières années. « Grammaire des mammifères », que j’ai écrit en 2007, est ainsi écrit pour un nombre indéterminé de comédiens, amenés à se débrouiller avec un catalogue de jeux et de répliques non distribuées. Pourtant samedi, la jeune spectatrice assise à côté de moi pleurait silencieusement, et un spectateur m’a confié« avoir versé une larme ». Moi-même qui connaît pourtant bien le texte, et même si je ne comprends pas l’allemand, la fin de la lecture m’a laissé stupéfait.