Chatard Beaud 80% au bac

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Chatard Beaud 80% au bac
Fiche : Margot Chatard. HK3 Stéphane Beaud – 80% au bac et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire Ed : La découverte, Coll : « Textes à l’appui / série enquêtes de terrain » 2002.  Introduction •
1985 : objectif politique en France, atteindre 80% de réussite au bac, dans un contexte de fort chômage. But = permettre à toutes les classes sociales d’accéder à la scolarisation. •
Dans ce contexte naît une aspiration des classes ouvrières à un « emploi typique », un emploi qualifié pour leurs enfants, cette promesse politique donne de l’espoir à ces classes sociales, alors que les conditions de travail et les salaires des parents se détériorent. •
Enseignement professionnel = victime de cette politique, préférence du théorique à la pratique. Ce qui mène à la surpopulation des lycées généraux. •
S. Beaud propose une étude sociologique sur les « enfants de la démocratisation scolaire », ces jeunes bacheliers qui se sont lancés avec un « petit bac » dans les études secondaires, qui croyaient à l’ascenseur social et ont vite déchantés, il fait également une étude basée sur l’interaction entre l’appartenance au milieu social et la scolarisation. •
Le terrain et l’enquête : entre 1990 et 2000, sur le terrain de Sochaux-­‐ Montbéliard (dans ≠ lieux : usine, lycée, quartier, famille, mission locale jeunes …), avec ≠ méthodes (entretiens approfondis, questionnaires, observations ethnographiques…). Cette recherche permet étendue dans le temps permet d’apporter une cohérence globale des trajectoires des étudiants suivis. S. Beaud a également vécu deux mois dans le quartier de Granvelle (quartier HLM construit dans les années 60, situé à Gercourt, près de Montbéliard), qui se caractérise par l’importance des populations immigrées et ouvrières.  Les Lycéens de « cité » •
Point de départ : itinéraire des lycéens de Granvelle (du collège de ZEP au lycée de centre-­‐
ville).La plus part de ces lycéens considèrent l’école comme un moyen de s’en sortir, d’échapper à la condition ouvrière, tout en étant sollicités par le quartier, une ambiance qui ne favorise pas le travail. •
Le collège : installé au cœur du quartier, il ne permet pas aux élèves de dépasser l’homogénéité sociale dans laquelle ils vivent. De plus, il a une réputation d’établissement « à problèmes », caractérisé par un fort « turn over » des enseignants, souvent jeunes qui font face à des classes difficiles. •
L’année charnière de la troisième : un choix d’orientation est nécessaire, les filières techniques et courtes sont dénigrées, au profit de la seconde générale, les élèves forcent le passage malgré des résultats justes. L’abaissement du niveau demandé pour l’entrée au lycée général concours à cette préférence, mais aussi le fait que l’orientation vers les lycées professionnels soit vécu comme une relégation. Les parcours des élèves ne sont pas très suivis, mais s’établissent « au jour le jour ». •
L’arrivée au lycée : une ségrégation est présente, les lycées plus élitistes comme le Lycée Diderot ne favorise pas la mixité sociale en renforçant la sélection des élèves par la mise en place de classes spéciales (latin, allemand première langue…). Face à la démocratisation des élèves accédant à l’établissement, ce lycée « bourgeois » n’a fait aucun effort d’adaptation. A tel point que les étudiants des quartiers populaires redoutent d’être placés dans de tels lycées, de peur d’une séparation culturelle trop grande, et d’être mal perçus du fait de leur quartier d’origine. Le cas de Zahia (une jeune fille de Granvelle arrivée malgré elle à Diderot, qui vit très mal la nouveauté et qui compense par un travail très scolaire) soulève également la place des jeunes filles d’origine maghrébine dans leur famille, qui jouissent de moins de libertés de leurs frères, et sont d’avantage soumises aux tâches domestiques, mais font preuve de beaucoup plus de sérieux à l’école, afin de s’émanciper, mais aussi de d’élever le rang de leur famille. •
S.Beaud constate que les élèves de Granvelle réussissent généralement mieux au lycée de la ZUP, qui met en place de nombreux processus visant à lutter contre l’échec scolaire, et qui cherche par ailleurs à offrir un nombre croissant de filières valorisées, qu’à Diderot, trop éloigné culturellement de l'esprit du quartier. •
Les collégiens de Granvelle arrivent donc au lycée avec un niveau moyen, et un sentiment d’illégitimité, ce qui se caractérise par exemple par le rejet de certaines pratiques comme la lecture. Cependant, face à l’entrée au lycée, qui peut être vécue comme un traumatisme pour certains, le comportement n’est pas le même pour les filles, plus intimidées par leur dispersion, que les garçons, qui se cachent derrière la force du groupe. •
Il reste en effet une forte tension entre le quartier et une « acculturation » scolaire, alors que la plus part des étudiants interrogés rejettent leur quartier et les stigmates auquel il est lié, ils sont peu nombreux à fréquenter un autre milieu culturel. Certains se plient cependant aux usages du nouveau milieu auquel ils sont confrontés, les changements sont remarquables notamment dans le langage. S.Beaud prend l’exemple de Sofiane, un jeune totalement transformé par le lycée, qui s’est conformé aux exigences scolaires, et s’est nécessairement éloigné de son quartier. Il devient donc un spectateur, qui assiste à l’inertie des autres jeunes du quartier, qu’il aimerait aider, notamment par le sport où il performe. C’est une sorte de converti, qui se fait qualifier de « français » dans son quartier. A l’opposé de ce modèle, Nassim, qui ne fait pas beaucoup d’efforts scolaires, et se refuse à tout contacts sociaux extérieurs à son quartier, tant il est conforté par sa place de « figure » locale. Il fonde sa scolarité sur une bonne écoute en classe, et sa « tchatche », ce qui lui permettra d’avoir son bac au rattrapage. Son parcours scolaire, permet à S.Beaud de dire qu’il y a une véritable corrélation entre l’émancipation du quartier, l’adhésion à de nouvelles valeurs, propres à l’école, et la réussite scolaire. Il y a une sorte de rivalité entre les deux institutions que sont le quartier et l’école.  Quatre copains à la fac •
S.Beaud va suivre, à l’aide d’une observation participante, le parcours post-­‐bac de quatre jeunes de Granvelle : Nassim, Ferhat, Sabri et Djamel, tous titulaires d’un bac obtenu difficilement, et inscrits en DEUG d’AES à la faculté de Belfort, située à 20km de leur quartier. Ils ont également en commun d’avoir un père ouvrier OS et immigré (avec cependant une origine différente, des conditions d’immigration différentes). Son observation se focalisera sur la répartition des temps sociaux, notamment entre le temps qu’il qualifie comme « vide » de la fac et le temps « plein » du quartier. •
Le « choix » de cette filière n’est pas anodine, ils auraient tous préféré une filière plus sélective et courte, comme un BTS, ou un IUT, seulement, leurs notes ne sortaient pas du lot, et ils ne croyaient pas assez en leurs chances pour compenser quelques lacunes scolaires par de bons entretiens, n’étant également pas assez préparés à ce type d’exercice. L’auteur remarque que les élèves ont tendance à privilégier les filières sélectives, l’université étant souvent la « roue de secours ». Nassim a cependant été accepté en BTS « commerce international », ou il n’est resté que trois semaines, s’étant découragé, et faisant face à des problèmes économiques. Il rejoint donc, comme les autres, la fac par défaut. •
Malgré le caractère non-­‐sélectif de l’université, la sélection se fait d’elle-­‐même, par la nécessité de l’autonomie et le manque de cadre institutionnel contraignant. Le fait qu’ils choisissent une université de proximité ne favorise pas l’implication dans leurs études des quatre jeunes, ils gardent en effet une très forte attache à leur quartier. Ils vivent donc toujours dans le domicile familial, notamment pas manque de moyen, mais aussi par peur de se confronter à l’autonomie. Cet écartement intentionnel de l’université se retrouve également dans leur assiduité, au début de l’année, ils jouent sur le collectif pour se motiver, le fait qu’ils aillent en cours dans la même voiture leur permet d’éviter les pannes de réveil, ils préparent également collectivement leurs TD, mais ces bonnes résolutions de début d’année vont progressivement laisser place au découragement. En effet, progressivement, ils n’assisteront plus aux séances de TD, à certains cours, mettant en avant les difficultés qu’ils éprouvent face à ces enseignements théoriques. Leur manque de culture scolaire les empêche de s’auto-­‐contraindre au travail et de se plier aux directives des enseignants, comme l’achat de manuels, les conseils de lecture… On peut aussi voir qu’ils ne se sentent pas à leur place à l’université par leur volonté de ne pas changer de vie, ils se considèrent toujours comme des lycéens, et se tiennent à l’écart du monde étudiant. •
Tout au long de leurs années à l’université, les quatre jeunes jouent les « faux étudiants », bénéficiant du prestige que leur donne ce « titre » dans leur quartier, tout en sachant qu’ils n’ont aucune chance de réussir leurs partiels, comme le montre leurs séances de révisions qu’ils commencent au dernier moment ; pour de bonnes révisions, se couper du groupe serait nécessaire, ce qu’ils ne sont pas prêts à faire. Après les écrits, ils sont soulagés, n’ayant plus à jouer un rôle, mais laissant un flou autour de leurs notes. •
Finalement, Nassim continue ses études à la fac, tout en ayant un poste de surveillant, Sabri redouble sa première année de fac, mais est toujours autant en difficultés. Djamel, qui n’a pas pu tripler sa première année d’AES travaille à mi-­‐temps à « Mac Do », et prévoit de se marier avec sa copine au Maroc pendant l’été. •
L’expérience universitaire, qui suscitait un grand espoir pour les familles des jeunes de la « démocratisation scolaire » va tourner court, aucun d’eux n’obtenant réellement de diplôme scolaire valorisant.  Les incertitudes de la transmission professionnelle •
Suite à ces « années bizarres de fac », les relations du groupe se sont distendues, et chaque membre entre dans une période de transition professionnelle. Alors que certains connaissent la précarité, d’autres continuent le cursus universitaire, ou s’établissent une situation familiale. •
S. Beaud va alors se centrer sur Fehrat, qui a obtenu sa licence d’AES, et n’a pas continué ses études universitaires, se laissant distraire par son poste de pion à temps plein. Il veut tenter d’obtenir les concours de la fonction publique, notamment celui de CPE. Il se rend cependant vite compte qu’il a des lacunes de culture générale et de rédaction, mais n’ayant pas gardé une chambre à Besançon, il reste soumis à toutes sortes d’obligations domestiques, et ne s’alloue pas le temps suffisant pour réviser. Ce retour au domicile familial peut être expliqué par la place privilégiée qu’il y exerce, jouant le rôle d’aîné intellectuel, notamment du point de vue politique. Il va devoir faire face à de nombreux échecs, notamment au concours de prof de technologie, qu’il justifie par sa trop grand insouciance durant ses années de fac, et de « pionnicat », S. Beaud ajoute à ces facteurs le fait qu’il ne soit pas totalement acculturé scolairement, qu’il manque de méthodes… Malgré sa peur du déclassement, de « finir à l’usine », il va devoir s’inscrire à l’ANPE à 28 ans, avant l’obtention d’un emploi jeune à la DASS qui le motivera une fois de plus à entrer dans la fonction publique. Suite à de nouveaux échecs, il réussit les écrits du concours d’éducateur spécialisé, mais rate l’oral, ce qui ne le décourage pas. •
L’échec à la fac ne provoque pas les mêmes réactions pour tous les étudiants, après s’être insurgé contre le manque de débouchés de la section qu’il avait choisie, Nassim se précipite dans le mariage, pour enfin entrer dans la « vraie vie » et stabiliser sa position sociale. Il va donc, après ses années de fac, devoir se confronter au marché du travail, et à la menace de l’usine. Il ne s’inscrit pas dans les agences d’intérim, par peur d’un trop grand déclassement, mais il se montre très volontaires dans ses entretiens d’embauche, valorisant sa culture scolaire, tout en se disant prêt à commencer en bas de l’échelle. C’est dans cette période d’incertitudes que nait un retour vers la « patrie imaginaire », expression qu’utilise S.Beaud pour qualifier l’Algérie, qui apparait aux yeux de Nassim comme un idéal, alors qu’il n’est pas conscient des réalités de ce pays. Malgré cela, il reste fortement influencé par les traditions républicaines, ce qui crée une distance avec sa femme, élevée en Algérie, et d’avantage emprunte de la culture traditionnelle qui se sent perdue dans la société française. Cette incompatibilité culturelle est à l’origine de l’échec de leur mariage, ce qui en pâtira sur leur petite fille, pour laquelle les parents se déchirent. •
Nassim connaitra alors la planche de salut que constituent les « emplois jeunes », après quelques contrats d’intérim, il obtient un poste d’ « aide-­‐éducateur ». Ces contrats permettent une véritable stabilisation dans le monde professionnel, avec une durée de cinq ans, mais ne débouchent pas réellement sur d’autres opportunités. Nassim va par exemple se laisser porter par les évènements, sans réelles perspectives futures, comme il avait l’habitude de le faire dans son parcours scolaire. Comme le dit l’auteur, il « subit les évènements », découragé par son écher à la fac, et dans une relative stabilité, il n’envisage pas d’avenir professionnel. Malgré les apports en matière de connaissance du monde du travail, les apports culturels, Nassim demeure fidèle à lui-­‐même, à sa cité, il ne change pas de « personnage », il ne change pas de tenue vestimentaire, il n’en profite pas pour apprendre, ou améliorer son langage… Le réel changement apporté par ce poste est l’éloignement de son quartier, il s’installera en effet dans une banlieue pavillonnaire. •
« Les enfants de la démocratisation scolaire », qui sont allés à la fac subissent donc de plein fouet la précarité, qui les oppose aux jeunes qui ont choisi la voie technique et gagnent alors beaucoup mieux leur vie. C’est là qu’on voit les revers du contrat jeune, qui ne se traduit par un CDI que pour les détenteurs d’une licence, or la plus part se sont arrêtés à un niveau inférieur et gardent de l’expérience de la fac un trop mauvais souvenir pour pouvoir envisager de se replonger dans leurs études.  Conclusion : S.Beaud pointe les échecs de la politique « 80% au bac », en montrant que le niveau bac+1, bac+2 ne protège pas du chômage. Et encore, dans de nombreux cas, les jeunes allant à l’université n’arrivent pas à décrocher de diplôme, et cette expérience les fragilise ils en viennent à regretter de ne pas avoir choisi des études plus courtes. L’auteur met en avant ces « exclus de l’intérieur », qui sont malheureusement trop souvent des jeunes des cités. De plus, comme le résume S.Beaud : « La démocratisation scolaire, plus quantitative que qualitative, s’est donc accompagnée d’un dualisme croissant des filières de l’enseignement supérieur ». On voit en effet une dualité forte entre filières sélectives et non-­‐sélectives.  Postface : S. Beaud a reçu de nombreux mails suite à la publication de son enquête, en particulier de la part de jeunes qui se reconnaissent dans ces parcours scolaires laborieux. Parmi eux, Y. Amrani, un jeune vivant dans la banlieue lyonnaise qui s’est reconnu dans ces portraits et a partagé son expérience avec le sociologue. Cette rencontre a abouti à un second ouvrage, co-­‐signé par le sociologue et Younes Amrani, Pays de malheur : Un jeune de cité écrit à un sociologue, publié en 2005.  Conférence : Pendant la conférence, S. Beaud a fait une référence à cet ouvrage, et il a expliqué la raison de l’homogénéité des personnes témoignant dans son enquête. En effet, ce n’étaient pas les français vivant dans des pavillons qui s’adressaient à lui, mais les jeunes d’origine maghrébine, qui voulaient démentir l’image qu’on a d’eux dans la société.