a l`ecole - Réseau éducation populaire 93
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A L’ECOLE 80 % AU BAC… ET APRES ? LES ENFANTS DE LA DEMOCRATISATION SCOLAIRE (2002) Les auteurs insistent déjà dans leur premier ouvrage sur le fait qu’on ne puisse pas parler travail sans parler aussi école. C’est sur fond de dévalorisation du monde ouvrier, insiste Stéphane Beaud, que l’école a été investie comme la dernière planche de salut par les « enfants de la démocratisation scolaire » qui y ont vu la possibilité d’une promotion sociale qui s’est révélée par la suite largement illusoire (« génération bernée », « jeu de dupe »). Dans 80 % au bac, Stéphane Beaud analyse les effets sociaux et psychologiques négatifs de la « démocratisation » scolaire des années 80-90, qualifiée aussi de deuxième explosion scolaire. A travers l’expérience concrète de jeunes qu’il a suivis dans leur parcours vers le désenchantement, Stéphane Beaud donne à voir les effets pervers d’un allongement des scolarités sans réelle réussite scolaire et donc les ratés de la démocratisation scolaire. Selon-lui, la politique des « 80 % d’une EXTRAITS DE : 80% AU BAC génération au bac » est un leurre « La désorganisation temporelle vécue lors de l’entrée à la faculté traduit puisqu’on a fait croire aux enfants principalement, chez les enquêtés, l’intériorisation d’un rapport dominé à la d’ouvriers (immigrés) qu’avec le bac, ils culture légitime » (p.186). rapprocheraient leurs chances « Pour comprendre ses échecs au concours du CAPET, il faut revenir sur le professionnelles de celles des enfants rapport qu’il entretient à la culture (…) Il semble qu’il n’ait pas totalement opéré de cadre, alors que les inégalités ont été sa mue culturelle. Quelque chose résiste en lui. Tout se passe comme s’il restait simplement différées : « petit bac » et durablement marqué par les traces de son passé scolaire, notamment tout ce qui échec dans le supérieur. a trait à l’écrit. » (p.244) Le cocktail explosif de l’échec universitaire a été très bien décrit par Stéphane Beaud dans son article de 1997 (« Un temps élastique. Etudiants "de cité" et examens universitaires », Terrain, n°29) et dans son ouvrage de 2002 (80% au bac). Il montre que ce qui nuit aux étudiants de cité, c’est l’absence de discipline scolaire (gestion du temps, organisation du travail, disposition à l’ascèse scolaire), un rapport dominé au savoir et une distance trop grande à la culture savante du fait d’une acculturation scolaire inachevée ; enfin la force de rappel du quartier qui les distrait sans cesse de leurs études. Le temps libre devient un piège pour ceux qui n’ont pas parfaitement intériorisé les contraintes temporelles de l’ordre scolaire, clef du succès. « En fait, le passage par le système scolaire a en quelque sorte fragilisé des enfants d’ouvriers non qualifiés comme Sébastien. On a le sentiment qu’ils y ont perdu une espèce d’assurance de classe, même s’ils y ont gagné autre chose : une ouverture au monde, une curiosité, une sensibilité qui tend à les éloigner de leur culture familiale d’origine. » « Ce que Ferhat [un jeune de la cité de Granvelle] fait particulièrement bien comprendre dans cet entretien, c’est la manière dont une série de mécanismes sociaux, sur lesquels il n’avait pas prise, l’ont en quelque sorte anesthésié en le maintenant dans un état de douce euphorie sociale auquel il n’a pas su résister. » (p.242) « D’aucuns concluront que l’école a fabriqué des illusions pour ces enfants qui ne peuvent s’en sortir que par les études, mais d’autres mettront au contraire l’accent sur la possibilité que Nassim a eue, grâce à son niveau bac +1, de décrocher un emploi-jeune et de ne pas retomber ouvrier comme son père. C’est, en condensé, toute l’ambivalence de la poursuite d’études de cette génération dite des « 80% au bac » : mirage ou réelle promotion ? » « Lors de cette reprise de contact (huit mois plus tard, en 1994, avec un groupe d’étudiants ayant échoué aux examens), je suis surpris par leur « bon moral » par rapport à l’an dernier. Je comprends ces jours-ci qu’ils disposent de « ressources locales » que leur procure leur proximité au milieu associatif (…) Le quartier de Granvelle offre à chacun d’entre eux des ressources, une forme d’estime de soi collective et individuelle, et constitue un lieu où peuvent se manifester des formes de solidarité et de « protection rapprochée » (p. 211). Cette « démocratisation » a donc été un mirage pour ces enfants de milieu modeste. D’une part ils ont été relégués massivement vers les filières les moins prestigieuses du système scolaire et ont été au final évincés de la compétition scolaire. D’autre part les diplômes ainsi obtenus ont été systématiquement dévalués par l’inflation scolaire, redoublée du marquage sociospatial de la banlieue, dans un contexte économique de raréfaction des débouchés. Dès lors, ces jeunes « demi-acculturés » comme les appelle S. Beaud (entre échec et réussite) se sont trouvés contraints, amers, d’accepter les emplois subalternes (des emplois d’ouvriers) auxquels ils pensaient échapper grâce à leur bagage scolaire. Ce décalage entre les espoirs générés par la prolongation scolaire et les chances objectives de les voir se réaliser, qu’on pourrait appeler « déclassement subjectif » se traduit, dans le registre psychologique, en mal-être et en dépression. Et Stéphane Beaud décrit avec précision et éloquence tous les symptômes de cette perte d’estime de soi socialement produite : souffrance morale et auto-dévalorisation, conduites d’échec et découragement. Ces jeunes n’ont pas d’autre marge de manœuvre que la fuite (dans les études longues, des cours d’amphi, des révisions, des rendez-vous avec le chercheur) et, pour sauver la face malgré l’échec, la mauvaise foi et le mensonge à soi-même (le « faire-semblant »). Finalement, faute de moyens éducatifs réels mis à leurs dispositions, les stratégies de promotion sociale que peuvent envisager les jeunes de milieu défavorisé n’ont que peu d’emprise sur leur avenir professionnel, et leur capacité d’action est limitée. Une école qui trompe en promettant l’égalité des chances dans un monde que tous constatent foncièrement inégal, et c’est toute l’action de l’Etat qui est discréditée, avec tout ce que cela engendre comme conflictualité entre les groupes sociaux. Après avoir été un lieu d’espoir, l’école est devenue le lieu de crispation des attentes déçues et du ressentiment social.