Sylvie TROSA - Gestion et Finances Publiques

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Sylvie TROSA - Gestion et Finances Publiques
organisation administrative
Sylvie TROSA
Chargée de mission à l’Institut de la gestion publique et du développement économique
Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique
Comment auditer un ministère des Finances ?
Cet article a été rédigé au début de l’automne 2008, ce qui ne permet donc pas d’intégrer les éventuelles conséquences de la
crise financière économique contemporaine.
ette synthèse de l’audit du ministère des Finances britannique (réalisé en décembre 2007)
emporte des enseignements utiles sur la façon de mener un audit, et ce dans des délais rapides,
ainsi que sur la possibilité de donner un avis non complaisant mais non déstabilisant sur l’action
d’un ministère des Finances. Ce ministère comprend celui des Finances au sens strict
(1 200 agents et 163 millions d’euros) et deux agences, celle des appels d’offres, de la sous-traitance et
des PPP (300 agents, 32 millions d’euros) et celle de management de la dette (80 agents, 14 millions
d’euros). Un seul ministre est responsable de ce ministère et de ses agences. Le ministère est « gouverné »
par un conseil d’administration comprenant le directeur général du ministère, ceux des deux agences
et trois personnalités qualifiées.
C
LA MÉTHODE : UN AUDIT PARTICIPATIF
Un audit de compétences du ministère des Finances britannique
a été effectué par cinq personnes : le directeur d’un cabinet de
conseil international, un patron d’entreprise privée, le chef d’une
agence relevant de l’Etat, la présidente du conseil d’administration d’une autre agence d’Etat et le directeur général d’un
comté, donc d’une collectivité territoriale. L’équipe d’audit a été
appuyée en force de travail par deux personnes de l’équipe permanente des « RGPP » des ministères britanniques, qui se trouve
auprès des services du Premier ministre.
Cet audit a été mené en trois mois et publié en 2008. Sa méthodologie a consisté en la vérification de la grille des critères de
bonne performance (1), mise au point pour tous les ministères
par l’équivalent de notre équipe RGPP et vérifiée à travers des
questionnaires auprès de l’ensemble des personnels et cadres,
des groupes d’analyse interhiérarchiques, des entretiens bilatéraux avec tous les membres de l’équipe de direction. Des travaux sur pièce et place examinant l’ensemble des documents
retraçant l’activité du ministère ont également été menés. La
différence avec un audit « traditionnel » est donc l’accord avec
les audités sur la définition des critères de jugement, la pratique
de questionnaires à large échelle, l’existence de groupes
témoins avec les personnels et les principaux partenaires
externes.
L’équipe d’audit a pris pour référence les objectifs du ministère
fixés dans son plan pluriannuel d’objectifs décidés par le Gouvernement (Public Service Agreement, ou accord de service public,
allant de début 2004 à fin 2008), qui sont tous des objectifs
d’impact sur la société et l’économie :
– faire la preuve d’ici 2008 d’une augmentation de la tendance
à la croissance selon les projections faites en 2004 ;
- No 1 - Janvier 2009
– contenir l’inflation (avec un maximum de 2 % par an selon
l’indice des prix à la consommation) ;
– durant cette période, maintenir la dette publique en dessous
de 40 % du PIB et maintenir un budget en excédent ;
– démontrer la capacité d’augmenter la productivité globale du
pays, notamment par des efforts de simplification administrative ;
– contribuer à la diminution du taux de chômage ;
– aider au développement des régions et à la réduction des
écarts de richesse entre elles ;
– diminuer de moitié le nombre d’enfants vivant dans la pauvreté
(horizon 2011) ;
– travailler à la prospérité internationale dans le but d’atteindre
les objectifs de Lisbonne fin 2000.
LES CONCLUSIONS DE L’AUDIT :
DES OMBRES ET DES LUMIÈRES
En termes de résultat, l’audit considère que le ministère a atteint
sept objectifs sur dix et a progressé sur les trois autres. Les objectifs
dont l’atteinte est insatisfaisante sont la réduction de la pauvreté
chez les enfants, l’aide au développement et l’aide aux régions.
L’audit considère que le ministère est avantagé en ce sens qu’il
a toujours attiré, plus facilement que d’autres ministères, des
agents de valeur, dévoués et que son équipe de management
est bien au fait des enjeux futurs et des adaptations nécessaires
à ces enjeux. Le directeur du Budget est en poste depuis 2005, il
est donc arrivé peu de temps après la promulgation du plan
pluriannuel.
(1) L’audit est structuré selon trois critères (déclinés en indicateurs plus précis) : le
leadership, les capacités stratégiques et le degré d’atteinte des résultats.
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Le diagnostic est que la principale ressource de ce ministère est
constituée par ses agents. Néanmoins, le taux de rotation dû à la
charge de travail est très élevé ; il engendre une situation telle
que plus de 50 % des agents ont moins de trois ans d’ancienneté.
La question devient alors : comment les motiver pour rester ?
comment conserver le capital de savoir-faire et d’expertise ? Un
cadre des compétences attendues a été mis en place ; chaque
agent suit des formations au management ; une évaluation à
360 degrés est réalisée annuellement ; chaque agent peut disposer de mesures de formation et de soutien spécifiques.
Les conclusions générales et prioritaires de l’audit sont de
demander au ministère de renforcer sa capacité d’expertise prospective sur les nouveaux enjeux mondiaux (cf. l’émergence de
la Chine, la volatilité des marchés financiers), de passer à une
vitesse supérieure dans sa capacité à apporter une aide aux
ministères pour se moderniser eux-mêmes, sans toutefois empiéter
sur leur champ d’autonomie en matière de management et de
mise en œuvre et de se restructurer lui-même afin d’avoir des
processus plus efficients (mutualisation des moyens, professionnalisation de ses services supports).
En réalité, cet audit doit être lu entre les lignes car, sans mettre
en accusation le ministère, il pose des questions fondamentales.
Quel est le rôle d’un ministère des Finances
dans un contexte de management
par programmes ?
La première interrogation est celle du rôle d’un ministère des
Finances qui, en ce cas, malgré vingt ans de management par
programmes, n’a pas substantiellement fait évoluer son positionnement. Celui-ci, d’après l’audit, devrait être de deux ordres : un rôle
régalien de pilotage (s’assurer de la mise en œuvre) des priorités
gouvernementales et en particulier des priorités interministérielles ;
un rôle d’aide, de soutien et d’influence, en aidant les ministères
à progresser dans leur modernisation sans empiéter sur des décisions qui relèvent de leur responsabilité managériale, par exemple
en les soutenant dans leur programmation triannuelle ou dans leurs
approches qualité, etc. En réalité, cette évolution est délicate, car
la tradition du ministère est de contrôler les moyens (le nombre de
cadres, les coûts) et non d’avoir une vision stratégique d’un ministère dit dépensier et de « son développement durable » (ses décisions sont-elles soutenables sur le moyen terme, qu’il soit financier
ou de développement des savoirs et savoir-faire ?). Ces deux
approches ne supposent pas du tout les mêmes compétences, la
première relève plus du contrôle et la seconde de la planification.
FORCES ET FAIBLESSES DE L’AUDIT :
LA NÉCESSITÉ DE LE COMPLÉTER
D’UNE ÉVALUATION
ET D’UN PROJET DE SERVICE
Enfin, cet audit montre de façon très claire tout à la fois les forces
et les faiblesses d’un audit.
Les forces résident dans la vérification des résultats atteints et la
réalité des discours affichés. Seulement 28 % des agents estiment
que les dirigeants du ministère incarnent les valeurs qu’ils prônent
et seulement 30 % pensent que la carrière est fondée sur des
critères de mérite et un processus équitable. Le ministère ne
semble pas non plus incarner les valeurs qu’il affiche. Les ministères dépensiers pensent tous que le ministère des Finances pourrait être moins cassant et travailler en collaboration plus ouverte
et constructive. Ils estiment que le ministère affiche encore trop
de contrôle sur les détails, fait preuve de trop d’arrogance et de
politique du secret là où cela n’est pas nécessaire. Enfin, l’audit
montre un décalage très fort entre une autosatisfaction du
comité de direction et des agents qui, dans leur très grande majorité, estiment que ce comité ne soutient pas suffisamment les
efforts de modernisation et ne fonctionne pas comme une équipe
soudée.
La faiblesse de l’audit est le temps trop court ; si cet audit fait des
recommandations, il ne propose pas de stratégie sur la façon de
les mettre en œuvre. On voit ainsi la différence entre un audit et
une évaluation. Une évaluation, toujours plus longue, permet de
travailler sur le fond avec les cadres et les agents sur le « comment
faire » pour atteindre les progrès à réaliser mais surtout, au préalable, prendre le temps nécessaire avec le ministère pour lui faire
accepter la pertinence des conclusions. Ainsi, la publication d’un
audit qui affirme que les ministères trouvent que celui des
Finances n’a fait que peu de progrès en matière d’ouverture et
de coopération avec les ministères dépensiers n’a pas le même
poids que la mise en place de groupes de travail prenant des
bons et mauvais exemples en la matière et faisant dire aux agents
eux-mêmes comment y remédier.
UN AUDIT, VÉCU COMME POSITIF,
ALLANT VERS L’EFFICIENCE
MAIS AUSSI L’EFFICACITÉ
De plus, des réactions culturelles se sont produites : si le ministère
des Finances abandonne le contrôle des moyens, toutes les
dérives ne sont-elles pas possibles ? Est-ce que soutenir et aider
les ministères est ou non compatible avec le devoir du ministère
de se montrer ferme s’il doit obtenir des économies ou reprendre
plus de contrôle quand le ministère dépensier dérive en matière
financière ? Beaucoup d’agents sont plus à l’aise avec le fait de
demeurer distants et dans une posture d’autorité lorsqu’il s’agit
de prendre des décisions difficiles que dans un engagement dans
des partenariats ouverts et une collaboration franche avec les
ministères. Faute d’avoir géré ces perceptions des agents, l’audit
estime que le ministère n’a évolué qu’en paroles et non en pratique. De surcroît, le taux de rotation très élevé du personnel fragilise les évolutions nécessaires du ministère car sa « mémoire » se
dissipe trop vite. Le ministère sous-estime la construction de son
avenir, en particulier il n’a pas de plan véritablement prévisionnel
des compétences dont il a besoin et n’a pas mis de dispositif en
place capable de capitaliser les savoirs et savoir-faire.
Même s’il comporte une certaine forme de logorrhée que l’on
retrouve dans maints exercices de détermination des objectifs
(telle que « être à la pointe du management financier au niveau
international ») ou un aspect simpliste comme par exemple de
noter le ministère par des couleurs en « bien », « très bien », « assez
bien » et à « améliorer de façon urgente »... on constate néanmoins des conclusions non complaisantes. Il pourrait par
exemple ne pas paraître étonnant qu’un ministère des Finances
soit très bon sur son expertise, peu à même de gérer les relations
avec ses partenaires ministériels mais en mesure, en l’occurrence, de le dire et le montrer par des sondages et des
enquêtes, dans un ministère qui se targuait d’avoir résolu ce
type de problèmes depuis dix ans, n’est pas sans intérêt. Que
les conclusions de l’audit n’aient pas été mal vécues et que l’on
puisse critiquer un ministère des Finances sans qu’il y ait drame
est également intéressant. Les Britanniques seraient-ils plus vertueux que les Français ? Certes, ceci est peu probable. La différence réside plutôt dans la continuité des démarches. En
effet, la modernisation du fonctionnement du ministère a
commencé en 1988 ; le directeur actuel est en fonctions depuis
quatre ans ; le projet de service existe depuis le début des
années 1990. A ce titre, un audit n’est pas vécu comme une
agression mais comme un événement normal dans le cours d’un
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No 1 - Janvier 2009 -
Quelles doivent être les relations
d’un ministère des finances
et des autres ministères ?
organisation administrative
et de dialogue entre la direction, les cadres et les agents mais
non lorsqu’il s’insère dans ce que les Anglo-Saxons appellent
l’amélioration continue.
LEADERSHIP
Leadership
L1
Expliquer les priorités
L2
Donner de la passion,
aider la motivation
L3
Prendre effectivement
la responsabilité
de se moderniser
L4
Développer
les compétences
Bien
A améliorer
Urgent : à redresser
de façon urgente
. La batterie de critères d’évaluation et de jugements est
commune à l’ensemble des ministères, mais surtout connue depuis
2005, ce qui permet à chacun de savoir ce sur quoi il sera jugé.
STRATÉGIE
Se polariser
sur les impacts réels
S2
Disposer
d'une expertise solide
S3
Créer un sentiment
d'appartenance
à un projet commun
. Il a été mené en un temps réduit tout en faisant place à un
degré non négligeable de participation des personnels et des
« partenaires » (ministères).
. Il n’a pas produit d’appréciations « personnelles » mais s’est
référé dans toutes ses conclusions aux missions et objectifs précis
assignés au ministère et, partant d’une mesure des résultats, a
cherché à en comprendre les causes et à proposer des éléments
d’amélioration.
A améliorer
Evaluation des capacités stratégiques
S1
. Il est sévère, en particulier concernant un ministère des
Finances, sans être négatif ou démotivant pour les cadres et les
agents.
Bien
Très bien
A améliorer
de façon urgente
MISE EN ŒUVRE
Evaluation de la mise en œuvre des objectifs
D1
Planifier objectifs
et moyens
D2
Développer des systèmes
de management
et de pilotage efficaces
A améliorer
D3
Management
des personnes
A améliorer
Bien
processus de management dont les critiques sont plus une aide
qu’un handicap car elles vont aider l’organisation à justifier et
à donner une base « objective » aux changements souhaités.
L’audit est mal vécu lorsqu’il apparaît comme une opération
coup de poing dans un contexte d’absence de management
- No 1 - Janvier 2009
Les critères et les appréciations de l’audit sont les suivants : les
échelles de valeur sont « très bien » pour une performance hors
normes, « bien » pour une performance au-dessus de la moyenne,
« satisfaisant » pour une performance dans la moyenne des autres
ministères, « à améliorer » pour une performance qui n’est pas à
la hauteur sans pour autant être dramatique et « urgent » pour
les déficits de performance à redresser de façon imminente.
Quand on analyse les objectifs du ministère, l’on se rend compte
qu’il ne s’agit que d’objectifs d’impact, donc ne relevant pas que
de l’action du ministère lui-même tels que le taux d’inflation ou
le taux de croissance. Pourquoi ? Parce que, pour un ministère
des Finances, les services immédiats (par exemple la précision des
prévisions économiques, l’élaboration des grands axes budgétaires suffisamment tôt pour permettre un débat, etc.) sont importants mais réellement insuffisants pour traduire la richesse de
l’action menée par les services. Ce qui est évalué est alors :
« comment le ministère a-t-il contribué à l’atteinte de ses objectifs
d’impact sur la société » ? Or, une telle démarche suppose une
relation de confiance entre l’évaluateur et l’évalué car une
contribution ne se mesure pas à une mécanique du chiffre mais
doit se traduire par un véritable débat autour des conclusions
apportées. Ce point mérite d’être souligné car il montre une évolution très forte des pays anglo-saxons du « tout est chiffre » à une
vision vers « le chiffre plus une analyse partagée », donc une
diversité de méthodes d’évaluation qui ne consiste pas seulement
à produire des données quantitatives mais à élaborer, avec
l’évalué, des diagnostics partagés et des pistes de progrès.
Un suivi de la mise en œuvre des recommandations est effectué
tous les trois mois la première année et tous les six mois les années
suivantes. Malgré cela, les limites d’un audit apparaissent, car
celui-ci a été effectué avant la décision du gouvernement britannique d’augmenter considérablement les dépenses publiques
durant les années 2008-2009 qui constituent dans le budget
pluriannuel de trois ans un record de dépenses depuis vingt ans,
tout en n’ayant pas prévu la crise financière internationale, même
s’il en est un peu question. On peut alors se demander si une
démarche de type audit ne doit pas être replacée dans un cadre
dit d’ « amélioration continue » où la réflexion et les propositions
sur l’ajustement des missions, des priorités et des moyens se font
de façon continue et non par à-coups en fonction de l’évolution
des demandes du politique et des enjeux à gérer. Cet exemple
montre que le bon équilibre entre la stabilité nécessaire au management et l’adaptabilité que suppose une organisation au service du politique et travaillant dans un monde incertain, telle que
l’est toute administration, est loin d’être atteint.
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