Les automutilations à l`adolescence : Approche psychopathologique

Transcription

Les automutilations à l`adolescence : Approche psychopathologique
UNIVERSITÉ PARIS VAL-DE-MARNE
FACULTÉ DE MÉDECINE DE CRÉTEIL
****************
ANNÉE 2007
N°
THÈSE
POUR LE DIPLÔME D’ÉTAT
DE
DOCTEUR EN MÉDECINE
Discipline : Psychiatrie
---------Présentée et soutenue publiquement le 24 octobre 2007
à la Faculté de Médecine Paris Descartes (PARIS V)
---------Par Julien VARET
Né le 4 juillet 1978 à Aubervilliers (93)
----------
TITRE : Les automutilations à l’adolescence :
Approche psychopathologique individuelle et lien social
PRÉSIDENT DE THÈSE :
Monsieur le Professeur Bernard GOLSE
LE CONSERVATEUR DE LA
BIBLIOTHÈQUE UNIVERSITAIRE
DIRECTEUR DE THÈSE :
Monsieur le Professeur Maurice
CORCOS
Signature du
Président de thèse
Cachet de la bibliothèque
universitaire
2
JURY
Président de jury : Monsieur le Professeur Bernard GOLSE
Directeur de thèse : Monsieur le Professeur Maurice CORCOS
Madame le Professeur Catherine JOUSSELME-GRAINDORGE
Madame le Docteur Rita THOMAS
Monsieur le Docteur Richard RECHTMAN
3
Je souhaite adresser mes chaleureux remerciements
À monsieur le Professeur Bernard Golse,
de me faire l’honneur de présider mon jury.
À madame le Professeur Catherine Jousselme,
pour votre préoccupation à transmettre votre expérience
clinique et l’accueil que vous avez réservé à mes questions.
À madame le Docteur Rita Thomas,
pour ta disponibilité, ton écoute au long de cette dernière
année.
À monsieur le Docteur Richard Rechtman,
pour l’ouverture que vous m’avez transmise au cours de mon
internat.
À monsieur Alain Ehrenberg,
pour vos conseils et vos encouragements.
À monsieur le Docteur Bernard Richard,
pour tes précieuses remarques à propos de ce travail et
ton attention bienveillante à l’unité d’urgence.
À monsieur le Professeur Maurice Corcos,
pour vos indications avisées et votre patience tout au long de
l’élaboration de ce travail, veuillez trouver ici le témoignage
de ma profonde reconnaissance.
4
Je remercie
le Docteur Samuel Card, Olivier Poindron, le Docteur Ludovic
Giquel, Clément Fromentin, Lionel Le Corre et Sandrine Bonneton
pour leur lecture attentive et critique du manuscrit.
5
Pour moi, l’objet de la psychiatrie n’est
que ce qu’il devient, et ce que nous le
faisons. L’originalité de la psychiatrie
n’est autre que la conscience que nous
avons de notre rôle.
Lucien Bonnafé
Le personnage du psychiatre
Désaliéner? Folie(s) et société(s)
6
Table des matières
Introduction…………………………………………………………………………….
12
Première partie :
Questions préliminaires…………………………………..
17
I Symptôme et syndrome…………………………………………………...................
18
1. Définitions……………………………………………………………….....................
18
2. Épidémiologie………………………………………………………………………...
19
3. Un symptôme transnosographique……………………………………………………
20
4. Trois types d’automutilations : majeures, stéréotypiques et modérées ou
superficielles………………………………………….…………….....................
22
4.1 Les automutilations majeures…………….…...…………………..................
22
4.2 Les automutilations stéréotypiques………………………………………….
22
4.3 Les automutilations modérées ou superficielles……………………………..
23
4.4 Limites de la classification………………………………………..................
23
5. Autres classifications………………………………………………………................
24
6. Symptôme ou syndrome ?………………………………………………………….....
25
6.1 Le « Deliberate Self-Harm Syndrome »……………………………………..
26
6.2 Le « Repetitive Self-Mutilation Syndrome »…………………...……………
26
II Normal et pathologique…………………………….……………………………….
28
1. La psychopathologie et la science………………………………………………….…
28
2. Normal et pathologique : une relation………………………………………………..
29
7
III Intentionnalité et létalité à l’adolescence………………………………………….
32
1. Automutilation et suicide : un lien statistique………………………………………...
32
2. Après-coup de l’autoagression……..…….…………………………………………...
33
3. Fugue et abus de substance…...………………………………………………………
33
4. Adolescence………………………………………...…………………………….......
34
Deuxième partie :
Réflexions à partir de trois modèles……………………...
36
I L’automutilation autopréservatrice…………………………………………………
37
1. L’homme contre lui-même……………………………………………………………
37
1.1 A partir de la pulsion de mort………………..………………………………
37
1.2 Le suicide focal……………………………………………………………...
39
1.3 Limites du développement de Menninger…………………………………...
39
2. L’argument d’autopréservation…………………………………………...…………..
41
2.1 La pulsion de mort et l’autopréservation…………………………………….
41
2.2 Rempart devant le suicide…………………………………………………...
42
II L’automutilation, moment évolutif………………………………………………...
43
1. Les automutilations et le développement normal et pathologique……………………
43
1.1 La destructivité dans la construction objectale……………………………...
44
1.2 L’observation………………………………………………………………..
44
1.3 Mouvement de relation, d’exploration et de structuration conflictuelle…….
45
1.4 Automutilation transitoire et persistante…………………………………….
47
2. Un non-sens……………………………………………………………...……………
47
3. De l’enfant à l’adolescent ?…………………………………..……………………….
48
8
III Les automutilations et la suspicion………………………………………………..
51
1. La « simulation » dans l’armée………………...……………………………………..
51
1.1 Loi de 1832 et les lois du code de justice militaire………………………….
51
1.2 Charles Blondel et l’automutilation « consentie »…………………………..
52
2. Et dans l’asile ?…………………………………...…………………………………..
54
2.1 Les formes majeures et le silence……………………………………………
54
2.2 Simulation et déviance………………………………………………………
55
3. De la simulation au trouble factice…………………...………………………………
57
3.1 Un spectre nosographique…………………………………………………...
57
3.2 Contexte de l’automutilation dans l’armée………………………………….
59
IV Economie psychique et modulation relationnelle………………………………...
60
1. Simulation de quoi ?…………………………………...……………………………..
60
1.1 La tentative de suicide……………………………………………………….
60
1.2 L’automutilation pour elle-même……………………………………………
62
2. Bénéfices primaires et bénéfice secondaire…………...……………………………...
62
3. Economie du symptôme……………………………...……………………………….
65
Troisième Partie :
Modes de socialisation de l’automutilation………………
67
I Une conduite désapprouvée………………………………………………………….
68
1. Entraînement, épidémie………………………………………………………………
68
2. Des pratiques encouragées ou imposées ?…..………………………………………..
69
2.1 Terminologie………………………………………………………………...
69
2.2 Les scarifications…………………………………………………………….
70
3. La désapprobation sociale…………………..…………...……………………………
72
9
II Le symptôme sur la scène sociale…………………………………………………..
73
1. Le mouvement des Survivors……………………………...………………………….
73
2. Les « Modern primitives », nouvelle religiosité ?…..………..………………………
76
3. Les Gothiques…………………………………………………...……………………
77
4. Forums et blogs sur Internet…………………………………………………………..
79
III L’autoagression un enjeu nosographique……….……………………………......
81
1. Nosographie et tendances contradictoires....…………………...……………………..
81
2. Discussion à propos de l’item personnalité masochique dans le DSM………..……..
82
IV L’automutilation dans le transfert………………………………………………...
85
1. Des réactions négatives au transfert.…………………………………………...……..
85
2. Transfert individuel et collectif…………………………………………………...…..
86
2.1 Moment de déstabilisation…………………………………………………..
86
2.2 Une angoisse contagieuse ?………………………………………………….
87
3. Un symptôme transférentiel………………………...………………………………...
88
3.1 Une nosographie à partir du contre-transfert………………………………...
88
3.2 Une tolérance est elle possible ?…………………………………………….
89
V L’automutilation et le lien social, quatre axes……………………………………..
92
1. L’estime de soi…………………………………………………...…………………...
92
2. Renouer le contact………………………………………………...…………………..
93
3. L’automutilation lieu du lien social………………………………...………………...
94
4. L’acte solitaire caché……………………………………………...………………….
96
5. Le moment psychologique de l’automutilation……………………...……………….
97
6. Une articulation possible ?……………………………………………...……….........
97
10
Quatrième partie :
Et la victime et le bourreau, psychopathologie…………...
101
I Perception et douleur………………………………….……………………………..
102
1. La douleur pour elle-même ?…………………………………………………………
102
2. Dysesthésie, trouble de la sensorialité ?………….….………………………………..
102
3. Le « refus » de la douleur…………………………….…………………..…………...
104
4. Dépersonnalisation………………………………….……………………..………….
104
4.1 Analgésie et dépersonnalisation……………………………………………..
105
4.2 De la dépersonnalisation à l’angoisse dépersonnalisante et les états
modifiés de conscience………………….……………………………….
105
II Attaque du corps propre……………………………………………………………
107
1. Désaide………………………………………………………………...……………...
107
2. La séparation et la perte……………………………………………...……………….
108
3. Deuil in corpore……………………………………………………...……………….
109
4. Implications structurales……………………………………………...………………
111
III Métapsychologie : Masochisme ? Sadisme ?……………………..……………….
113
1. Première topique………………………………………………………...……………
114
2. Seconde topique…………………………………………………………...………….
114
3. Trois masochismes, un sadisme et la culture……………………………...………….
115
4. L’excitation………………………...…………………………………………………
116
IV Possession et dépossession………………...………………………………………..
117
1. Le corps aire transitionnelle ?………..……………………………………………….
117
11
1.1 Aire neutre………………………………….………………………………..
117
1.2 Not me possession…………………………………………………………...
118
1.3 Séparation……………………………………………………………………
119
2. Le corps abusé……………………………………….………………………………..
120
3. Phénomènes transitionnels et adolescence ?…………….……………………………
123
Conclusion………………………………………………………………………………
124
Bibliographie……………………………………………………………………….......
127
12
Introduction
La diffusion supposée croissante des automutilations à l’adolescence suscite
l’éclosion d’un faisceau d’interrogations à l’intersection des champs de la psychiatrie, de
l’anthropologie et de la sociologie. La multiplication des publications dans ces champs
disciplinaires nécessite des précautions épistémologiques et ouvre aussi la possibilité
d’approcher les manifestations contemporaines d’expression du symptôme.
Nous prendrons comme point de départ la définition proposée par Bernard
Richard, l’automutilation consiste en « l’altération intentionnelle, consciente et directe
des tissus de l’organisme, sans volonté de mourir »1.
La « souffrance » individuelle agie relève-t-elle d’un spleen existentiel ou d’un
désarroi plus profond ? Les études statistiques objectivent la surmortalité par suicide des
automutilateurs sur le long terme. La perspective diachronique nous invite donc à prendre
en compte ces données, même si l’intentionnalité suicidaire n’est pas présente
initialement.
Prendre comme objet d’étude un comportement expose à des difficultés pratiques.
Les automutilations dans une approche phénoménologique sont distinguées en fonction
de leur létalité ou de leur gravité (majeures, stéréotypiques, modérées ou superficielles).
Ce raisonnement ne peut se confondre avec les motifs individuels de leur survenue. Les
comportements ne relèvent pas d’un fonctionnement psychique spécifique ni de
motivations identiques pour les sujets. La clinique du comportement sous-tend cet hiatus,
1
RICHARD, B. Les comportements de scarification chez l’adolescent. Neuropsychiatrie de l’enfance et de
l’adolescence, 2005 : 53(3) : p. 134.
13
que ce soit à propos des automutilations, de l’abus de substance, des troubles du
comportement alimentaire. La comorbidité des automutilations avec d’autres conduites
impulsives indique la faible spécificité du comportement par rapport aux problématiques
individuelles.
Peut-on parler de toutes les automutilations en même temps ?
Nous avons fait le choix méthodologique de ne pas traiter directement des
automutilations majeures (délirantes) ou stéréotypiques (la décharge motrice). Le point
de départ clinique de notre interrogation concerne les automutilations modérées et
superficielles à l’adolescence, qui comprennent surtout les coupures superficielles, les
excoriations et les brûlures, ces dernières étant plus rares. Certains auteurs ne font état
que d’une variation quantitative entre automutilations majeures et superficielles. Nous
aborderons les automutilations majeures ou stéréotypiques uniquement comme frontières
de notre objet, quand les auteurs cités rassemblent les différents plans.
« Un enfant est battu », par lui-même.
La rencontre mobilise le sujet dans son fonctionnement psychique et nécessite de
se rapporter à un modèle psychopathologique. Le modèle sollicite le clinicien dans sa
formation et aussi donne une place singulière au symptôme.
L’idée de pouvoir « comprendre » avec le patient ses aménagements relationnels
et les difficultés propres dans sa vie subjective se heurte à la description d’un
comportement parfois devenu un recours fréquent et relativement uniformisé. La notion
d’uniformisation recouvre l’abrasion d’une singularité des motifs invoqués et la faible
spécificité du comportement dans sa répétition. Si le comportement initial semble être
inscrit dans une économie propre, le recours répété à l’automutilation tend à
décontextualiser les motivations initiales.
Le cadre thérapeutique peut lui-même être attaqué par la menace d’intrusion ou
de rupture. L’inscription du geste dans le transfert est un premier mouvement qui permet
d’engager la relation thérapeutique. La nécessité de pouvoir en dire quelque chose, dans
un moment pour le clinicien souvent déstabilisant, nous invite à tenter de dégager des
pistes pour penser une praxis dans ce contexte.
Le passage du comportement au geste souligne que l’automutilation est dirigée et
implique les représentations psychiques du patient dans son développement individuel.
14
Le geste et la marque laissée n’amènent pas nécessairement une parole. Le courtcircuit opéré conduit à penser un temps du geste, lié à la diminution de la tension
psychique. Cette économie est conjuguée avec l’attente des modulations relationnelles
consécutives. Comment envisager cette double surdétermination du geste ?
Nos observations cliniques nous ont conduit à nous intéresser aux modes de
socialisation de l’automutilation, ses formes d’expression sur la scène sociale par le
regroupement d’automutilateurs ou l’intégration des conduites dans un mouvement
collectif.
Notre propos s’oriente ainsi dans la discussion entre les enjeux intrapsychiques et
les aménagements relationnels avec l’entourage familial et social. L’économie du
symptôme dans cette double surdétermination dépend étroitement d’une réflexion sur le
recours au corps et au corps douloureux. L’attaque du corps, montrée ou cachée, solitaire
ou socialisée place le corps au centre des enjeux à la fois comme mode d’expression mais
surtout comme le lieu d’un investissement narcissique.
Les formes de socialisation du symptôme, au sens d’une organisation du lien
social sont fréquemment rapportées par les patients qui inscrivent leur geste dans la
relation avec leur entourage. De la relation avec les pairs à l’établissement d’un lien
social à partir de l’automutilation, les formes d’inscription sociale du geste indiquent une
variété importante des aménagements trouvés. Quelle influence sur notre regard et notre
évaluation clinique pourraient avoir ces formes de regroupements et de relations dans la
singularité de la rencontre ?
Dans une première partie, nous situons la nécessité pour la psychiatrie de penser
une praxis à propos de l’automutilation à l’adolescence.
Les auteurs cités dans ce travail ont des conceptions différentes de la relation du
normal et du pathologique, nous conduisant à replacer les travaux épistémologiques
fondamentaux sur cette question.
15
L’adolescence est abordée sur le plan d’une psychopathologie spécifique, en
particulier dans les formes de passage entre différents comportements. L’automutilation à
l’adolescence est le plus souvent transitoire, impliquant surtout une structure
psychopathologique en développement et en devenir.
Dans une seconde partie, nous explorons trois modèles fréquemment proposés
comme articulation logique et explicative dans les écrits psychiatriques portant sur
l’automutilation. Nous discutons chacun de ces modèles dans leur logique propre en
tentant de dégager leur histoire et leur usage afin de proposer une hypothèse permettant
de penser une relation entre la psychopathologie individuelle et le lien social.
Le premier modèle est l’autopréservation. L’antagonisme pulsionnel de la
seconde topique freudienne est directement utilisé par différents auteurs pour rendre
compte de la possibilité du caractère autodestructeur de l’homme. Les questions
soulevées se rapportent à la notion d’homéostasie psychique. Comment rendre compte de
la
participation
des
mécanismes
d’autopréservation
supposés
en
jeu
dans
l’automutilation ?
Le second modèle part des descriptions d’une fonctionnalité de l’automutilation
dans une dimension développementale. Nous discutons des origines possibles des
arguments invoqués pour justifier de cette fonctionnalité évolutive. En quoi
l’automutilation pourrait participer d’un processus évolutif ?
Le troisième point concerne l’interrogation à propos de lésions provoquées. Nous
explorons la qualification des automutilations par le discours psychiatrique sous l’angle
de la suspicion réservée à l’égard des automutilateurs.
Dans une troisième partie, nous discutons les formes de socialisation à partir du
symptôme. Notre interrogation se porte sur la plus-value éventuelle trouvée par le sujet
dans l’intégration de son symptôme dans l’environnement social. La délimitation
conceptuelle entre un bénéfice primaire et un bénéfice secondaire nous engage dans une
discussion portant à la fois sur la temporalité d’un après-coup du geste et l’implication
dans les mécanismes initiaux de motivations dirigées à l’entourage.
16
Nous sommes amené à étudier le regard de la société sur une conduite
désapprouvée. La mutilation peut être encouragée dans d’autres contextes culturels, nous
discutons les écueils méthodologiques d’une telle référence.
Puis nous abordons quelques formes de regroupement à partir du symptôme,
l’automutilation semblant première suivie d’une éventuelle socialisation du symptôme
voire de la revendication d’un mode de vie.
Nous nous interrogeons enfin sur les conséquences possibles pour le sujet dans
ses « possibilités » sociales. La qualification de l’automutilation et du masochisme à
partir d’une nosographie sous pression est discutée afin de dégager la réflexion sur un
espace possible de rencontre.
Enfin
dans
une
quatrième
partie,
nous
envisageons
les
conditions
psychopathologiques de l’atteinte corporelle. Les développements freudiens à propos de
l’Hilflosigkeit (sentiment de « désaide ») resituent pour nous les enjeux métapsychologiques du recours au corps et à l’excitation.
L’hypothèse d’un sadisme « réfléchi » ou autosadisme permet d’aborder la
répétition et l’engrenage mortifère d’une solution corporelle qui se pérennise, en même
temps qu’elle soutient le sujet devant l’effondrement. Nos questions s’ouvrent sur la
possibilité de penser la relation thérapeutique avec le corps dans sa réalité souffrante.
17
Première partie :
Questions préliminaires
18
I Symptôme et syndrome
1. Définitions
La littérature sur l’automutilation se fait plus dense depuis quelques années et au
croisement de plusieurs disciplines, elle n’est pas un objet purement psychiatrique. Au
sein des écrits portant spécifiquement sur la question psychiatrique, la multiplication des
définitions témoigne d’un débat fourni.
Reprenant l’étymologie, le terme « mutilation » vient du latin mutilare et signifie
mutiler, retrancher, couper, estropier, diminuer, amoindrir (Gaffiot). Il apparaît que la
notion de mutilation conserve en français cette polysémie, au sens où la conséquence
fonctionnelle peut être transitoire ou définitive. Le préfixe « auto » indique que le
comportement est « réfléchi » sur le corps propre (41).
Une définition fréquemment reprise comme référence commune est celle que
donne Lorthiois (115) :
« L’automutilation comprend toutes les pratiques entraînant des lésions des tissus
ou des organes ; on peut la définir comme une atteinte portée à l’intégrité du
corps ; elle peut consister soit en la blessure ou l’ablation totale ou partielle d’un
organe ou d’un membre, du revêtement cutané ou de ses annexes ; soit enfin dans
des manœuvres (combustion, striction, introduction de corps étrangers) pouvant
compromettre sa vitalité et son bon fonctionnement sans que cependant elle ait été
accomplie dans le but de se donner la mort. »2
2
LORTHIOIS, M-M. De l’automutilation et suicides étranges. 260 f. Thèse d’exercice : Médecine. Lille :
1909 : p. 11.
19
Une formule proche, plus concise est proposée par Bernard Richard : « Altération
intentionnelle, consciente et directe des tissus de l’organisme, sans volonté de mourir »3.
Une définition aussi large recouvre nécessairement des comportements
hétérogènes. Les différents auteurs proposent régulièrement une discussion sémantique.
Lambert et Venisse font une analyse sémantique systématique qui laisse apparaître « les
multiples aspects de ces conduites »4. Loin de clore cette question, nous proposons
qu’elle nous accompagne afin de dégager les concepts qui sous-tendent cette hésitation
terminologique.
2. Épidémiologie
Les données épidémiologiques sont essentiellement anglo-saxonnes, issues de la
recherche psychiatrique mais aussi des programmes de prévention et des études
sociologiques. La difficulté à recenser des actes solitaires et cachés nous incite à la
prudence dans le maniement de ces chiffres. La prévalence en population générale est
estimée entre 1 et 4 % de la population générale américaine et 4,6 à 6,6 % au RoyaumeUni (71). La forte évolution de prévalence sur les dernières décennies conduit à une
interrogation, entre une demande de soins facilitée ou de pratiques croissantes.
La population féminine serait surreprésentée, avec des chiffres variables et
contradictoires.
La prévalence en milieu hospitalier psychiatrique est estimée de 30 à 60 % dans
une population adolescente (71).
Au sein de la population psychiatrique (recrutée à partir d’une consultation
hospitalière), Zlotnick (166) rapporte des corrélations importantes des pratiques
automutilatrices avec d’autres troubles de l’axe I du DSM5, en particulier avec les
troubles bipolaires, le syndrome de stress post-traumatique, le trouble explosif
intermittent et l’abus de substances. Il trouve par ailleurs que 33 % des patients
rapportent un acte automutilant dans les trois mois précédents.
3
RICHARD, B. Les comportements de scarification chez l’adolescent. Op. cit. : p. 134.
LAMBERT, S, DUPUIS, G, GUISSEAU, M, VENISSE, J-L. Automutilations à répétition du sujet
jeune : parler un même langage. Synapse, 2004 nov : 209 : p. 25.
5
DSM : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder.
4
20
Hawton (85) en Grande-Bretagne a étudié la prévalence sur un an chez une
population d’adolescents âgés de 15 à 16 ans. Celle-ci est de 6,9 % selon l’autoévaluation
des sujets. L’usage de la méthodologie américaine indique pour cette même population
un chiffre de 8,6 %6.
Favazza propose un profil type de l’automutilatrice (54). Son étude regroupe 240
femmes recrutées après un show télévisé en 1985, par l’intermédiaire d’un groupe d’aide
pour les automutilateurs, dénommé SAFE pour Self Abuse Finally Ends7, auquel les
téléspectateurs pouvaient écrire après l’émission pour obtenir des informations sur ce
réseau d’aide. Les réponses recueillies à partir d’un échantillonnage atypique, basé sur un
volontariat épistolaire, indiquent un âge moyen de 28 ans, un début des pratiques
automutilatrices vers 14 ans, le pic d’incidence se situant entre 16 et 25 ans, l’usage
diachronique de méthodes distinctes (coupures cutanées, brûlures ou coups auto-infligés),
l’insatisfaction des traitements médicaux ou psychiatriques antérieurs. Favazza souligne
le risque suicidaire et d’abus de drogues.
3. Un symptôme transnosographique
L’automutilation
est
un
signe
transnosographique,
c'est-à-dire
pouvant
correspondre à des entités nosographiques distinctes en fonction des signes associés. Il
est possible de suivre les lignes dominantes des contextes dans lesquels on les retrouve le
plus souvent. Il est utile de mentionner que le trouble de la personnalité limite a une place
prépondérante par le poids statistique que représente l’automutilation. Nous allons
détailler les cadres nosographiques principaux du DSM IV-TR8 (8) qui mentionnent le
symptôme, explorant sa comorbidité.
Les comportements automutilateurs peuvent se retrouver dans des contextes
diagnostiques variés liés à la psychose, la schizophrénie en particulier, l’autisme, les
mouvements stéréotypés, le syndrome de Gilles de la Tourette.
6
Hawton discute la méthodologie du recueil des données. Il propose d’ajouter un critère supplémentaire, à
savoir la description du geste, ce qui réduit méthodologiquement la prévalence observée.
7
Le SAFE fut créé en 1985 par Karen Conterio coauteur de l’article avec Favazza. Le programme consiste
en l’élaboration d’un réseau de professionnels, la prévention et la transmission d’informations relatives aux
comportements autoagressifs spécifiquement. Source : site Internet officiel :
http://www.selfinjury.com/index.html.
8
La mention TR : Text Revision.
21
Ils peuvent s’intégrer à un trouble général du contrôle des impulsions, indiquant
un spectre de comorbidité, à rapprocher des abus de substance, addictions, certains
troubles du comportement alimentaire, en particulier la boulimie.
Ils se retrouvent dans le diagnostic des paraphilies, masochisme sexuel et sadisme
sexuel.
Ils sont mentionnés dans le diagnostic de certains troubles dissociatifs, trouble
dissociatif de transe, l’amnésie dissociative, les catégories isolées du trouble
somatoforme de conversion et des troubles factices.
Enfin, ils sont décrits dans les troubles de la personnalité, en particulier ceux du
groupe B : personnalité antisociale, limite, histrionique et narcissique et constituent un
critère diagnostique majeur du trouble de la personnalité limite ou borderline. Nous
pouvons rappeler l’ensemble des critères du trouble de la personnalité de type limite
selon le DSM IV : 1) Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés, 2)
Modes de relation interpersonnelle instables et intenses caractérisés par l’alternance entre
des positions extrêmes d’idéalisation excessive et de dévalorisation, 3) Perturbation de
l’identité : instabilité marquée et persistante de l’image ou de la notion de soi, 4)
Impulsivité dans au moins deux domaines pour le sujet (dépenses, sexualité,
toxicomanie, conduite automobile dangereuse, crises de boulimie), 5) Répétition de
comportements, de gestes ou de menaces suicidaires ou d’automutilations, 6) Instabilité
affective due à une réactivité marquée de l’humeur (dysphorie, irritabilité, anxiété), 7)
Sentiment chronique de vide, 8) Colères intenses et inappropriées ou difficulté à
contrôler sa colère, 9) Survenue transitoire dans des situations de stress d’une idéation
persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères.
Le champ nosographique dans lequel il est possible de rencontrer des
comportements automutilateurs est large et témoigne de l’association fréquente avec
d’autres signes. Il est notable de constater la prédominance des catégories de la psychose,
du trouble de la personnalité limite et les items issus du démantèlement de la catégorie de
l’hystérie. La dimension sexuelle est retrouvée dans la catégorie des paraphilies.
22
4. Trois types d’automutilations : majeures, stéréotypiques et modérées ou
superficielles
La classification la plus utilisée est celle de Favazza (56). Elle repose sur une
distinction entre les automutilations majeures, stéréotypiques et les blessures
superficielles auto-infligées, ces dernières n’engageant pas le pronostic vital ou
fonctionnel. Au sein des automutilations superficielles ou modérées il sépare les formes
impulsives (coupures, brûlures) des formes compulsives (onychophagie, trichotillomanie,
coups).
Cette distinction traduit une psychopathologie radicalement différente dans les
trois cas.
4.1 Les automutilations majeures
Les
automutilations
majeures
sont
des
actes
rares.
Sont
rapportées
l’autoénucléation, l’autocastration (56, 121), comme formes extrêmes. Ces mutilations
entrent régulièrement dans un cadre psychopathologique plus large, elles sont décrites
chez les patients psychotiques, schizophrènes, la mutilation étant rarement isolée,
comprise dans un tableau clinique sévère.
4.2 Les automutilations stéréotypiques
Les automutilations stéréotypiques apparaissent comme des décharges motrices,
non nécessairement dirigées comme dans les formes précédentes et sont décrites dans les
pathologies sévères de la relation. La psychopathologie des ces gestes repose surtout sur
leur caractère d’automatisme.
Claire Morelle dans son ouvrage Le corps blessé (125) recense les travaux portant
spécifiquement sur l’automutilation chez l’enfant déficient mental. L’auteur propose des
pistes pour la pratique institutionnelle avec les enfants qui s’automutilent.
23
Entre développement psychomoteur et évolution processuelle, elle propose que
l’automutilation s’intègre à une séquence, dont les premiers moments sont communs au
développement normal et pathologique. À la valeur organisatrice de la répétition succède
le mouvement stéréotypé quand le mouvement répétitif ne peut accéder à sa « valeur de
communication »9. L’isolement et l’impasse que constitue le mouvement stéréotypique
peuvent conduire insensiblement au « mouvement automutilant ». Cette génétique du
mouvement peut cependant manquer, quand le cognement accidentel prend un caractère
automutilant stéréotypique d’emblée.
4.3 Les automutilations modérées ou superficielles
Les autres types d’automutilations sont celles dont nous allons plus
spécifiquement traiter. Elles ne forment pas un groupe homogène, mais au contraire des
pratiques diverses. Le caractère négatif de l’absence de conséquence fonctionnelle ou
vitale en serait la définition. Ce groupe est hétérogène sur le plan d’une structure
psychopathologique ou d’un diagnostic psychiatrique mais également sur un éventail de
pratiques. Ces pratiques vont des blessures auto-infligées, à type de coupures, de
brûlures, l’entretien d’excoriations cutanées, la trichotillomanie, l’onychophagie.
Certains auteurs associent des manifestations psychosomatiques (121), l’alcoolisme (121,
134). La liste est plus ou moins longue en fonction des considérations
psychopathologiques générales utilisées. Les publications plus récentes restreignent le
champ de l’automutilation superficielle aux coupures, excoriations et brûlures
principalement. La perspective historique rappelle le rapprochement avec le mouvement
psychosomatique.
4.4 Limites de la classification
Les formes du premier groupe (automutilations majeures) témoignent le plus
souvent d’une désorganisation importante de la pensée. Toutefois des mutilations
9
MORELLE, C. Le corps blessé : Automutilation, psychiatrie et psychanalyse. Paris : Masson
Bibliothèque de clinique psychanalytique, 1995 : p. 31.
24
fonctionnelles graves, mutilation de l’index chez les conscrits que l’on retrouve dans les
observations militaires de la seconde moitié du XIXème siècle ne sont pas nécessairement
associées à une telle désorganisation de la pensée (21).
D’autre part, le caractère automatique proposé pour le second type décrit
(automutilations stéréotypiques) peut être présent au cours de manifestations autoagressives peu sévères ou superficielles ou relever d’un automatisme mental ou d’une
« autonomisation » dans les automutilations dites compulsives (56). Les limites d’une
telle distinction entre les trois formes ne peuvent être méconnues. Cette séparation est
cependant plutôt consensuelle, dans une approche phénoménologique.
5 Autres classifications
Plusieurs classifications existent, qui tentent de rendre compte de l’hétérogénéité
des gestes rencontrés.
La classification de Menninger de 1938 propose cinq catégories, se plaçant dans
un spectre de « suicide focal » (121) :
1) les automutilations névrotiques, 2) religieuses, 3) psychotiques, 4) des maladies
organiques (infectieuses ou neurologiques) et 5) l’automutilation, habituelle, commune,
de se couper les phanères, pouvant revêtir un caractère anxiogène particulier.
Kahan et Pattison (134) ont proposé une classification reposant sur une évaluation
de la létalité potentielle de l’acte, intégrant deux variables. Les auteurs distinguent d’une
part le caractère direct (automutilation, tentative de suicide) ou indirect de l’atteinte
(alcoolisme aigu ou chronique, refus de soins vitaux) et d’autre part le caractère unique
ou répété de l’épisode. Ceci leur permet d’individualiser un « syndrome d’autoagression
(« self-harm »10) délibérée répétée », de létalité faible en regard d’autres conduites. Nous
traiterons de ce syndrome dans le point suivant.
10
Harm comporte un sens de nuisance, d’un mal moral plus que physique, auto-offense pourrait être une
traduction plus satisfaisante de « self-harm » mais reste peu usitée (152).
25
Létalité
Atteinte directe
Atteinte indirecte
Elevée
Tentative de suicide
Interruption d’un traitement
Episode unique
vital, ex : dialyse
Episode unique
Moyenne
Tentatives de suicide
Conduites à hauts risques
Episodes multiples
Episodes multiples
Syndrome d’autoagression
Ivresse aiguë
délibéré atypique
Episode unique
Episode unique
Faible
Syndrome d’autoagression
Alcoolisme chronique,
délibérée répétée
obésité sévère, fort
Episodes multiples
tabagisme
Episodes multiples
Reproduction et traduction (71) du tableau présenté par Pattison et Kahan (134)
La classification originale, peu utilisée, de Scharbach propose de partir de la
dimension relationnelle et des variantes des contre-attitudes pour délimiter une
nosographie complexe. Nous nous attarderons sur cette proposition dans une partie
ultérieure.
6 Symptôme ou syndrome ?
Les descriptions données entendent surtout l’automutilation comme symptôme,
au sens psychiatrique. L’attention s’est portée à partir de la fin des années 1970 sur la
description d’un syndrome en l’absence d’autre trouble associé devant l’observation de
l’autonomisation du comportement.
26
6.1 Le « Deliberate Self-Harm Syndrome »
Introduit par Pattison et Kahan (134), le « Deliberate Self-Harm Syndrome » est
la première tentative pour regrouper des troubles du contrôle des impulsions autour d’une
entité syndromique. Ce syndrome constitue ainsi un cas particulier du spectre autoagressif, de létalité faible.
Les caractéristiques comportementales sont regroupées sous six points : 1)
Impulsions soudaines et récurrentes de se blesser, 2) Sensation de vivre une situation
intolérable sans possibilité de contrôle, 3) Anxiété croissante, 4) Rétrécissement des
possibilités cognitives dans une situation rapprochée, 5) Soulagement après l’acte et 6)
Dépressivité. Pattison et Kahan considèrent ce syndrome dans les atteintes directes,
répétées, de létalité faible.
Les auteurs notent dans la perspective contemporaine du DSM III que le
Deliberate Self-Harm Syndrome représente « en termes psychodynamiques […] un
renoncement masochique » réponse à « une crise intolérable devant un rapprochement
relationnel »11.
6.2 Le « Repetitive Self-Mutilation Syndrome »
Favazza et Rosenthal (56) ont décrit le « Repetitive Self-Mutilation Syndrome »,
reposant sur l’échec récurrent à résister aux impulsions de se blesser sans intention
suicidaire. L’automutilation par coupure cutanée représente la majeure partie des cas. Les
critères diagnostiques reprennent les critères du trouble du contrôle des impulsions : 1)
Préoccupation de se blesser physiquement, 2) Échec récurrent à résister aux impulsions
de se blesser, résultant en une destruction ou altération des tissus, 3) Tension croissante
immédiatement avant l’acte autoagressif, 4) Satisfaction ou soulagement au moment de
l’acte, 5) Absence d’idées suicidaires, d’hallucination, d’« idée transsexuelle fixe » ou de
11
PATTISSON, EM, KAHAN, J. The deliberate self-harm syndrom. American Journal of Psychiatry,
1983 : 140(7) : p. 871.
27
retard mental12. Le Repetitive Self-Mutilation Syndrome ne se distingue donc en rien d’un
trouble du contrôle des impulsions.
En comparaison avec le précédent, le Deliberate Self-Harm Syndrome, il
n’intègre pas les comportements de refus de soins vitaux ou de conduites à risque, se
portant uniquement sur l’atteinte physique directe autoagressive. L’élaboration de ce
syndrome engage la question du diagnostic différentiel au sein des automutilations
superficielles, séparant les automutilations impulsives et compulsives.
Synthèse
Les premières questions qui se posent à propos des automutilations dans le cadre
de la réflexion psychiatrique sont de plusieurs ordres. La variété nosographique à laquelle
sont rapportés les comportements automutilateurs rend malaisée une vision unifiante du
phénomène. Notre objet, l’automutilation modérée ou superficielle à l’adolescence,
présente des bords de définition qui la rendent distincte des formes majeures ou
stéréotypiques.
La nosographie actuelle tend à proposer une existence syndromique pour les
automutilations dont il convient d’étudier les conséquences. En effet, penser les
automutilations comme un syndrome évite de questionner ce que le sujet dit avec son
symptôme. Le caractère « délibéré » de l’automutilation envisagé dans une impulsivité
laisse interrogatif quant au sens donné à la délibération. L’étymologie nous rappelle
cependant que deliberare suppose une « pesée dans la pensée », « après mûre réflexion »
(Gaffiot) qui vient en opposition avec la précipitation impulsive. Ce paradoxe apparent
vient questionner un syndrome oxymore dont l’usage clinique reste en devenir.
La description d’un syndrome permet à l’évidence un travail de recherche en
introduisant une homogénéité du recrutement. Cependant la nature transnosographique
fait apparaître des structures psychopathologiques distinctes ; quels résultats espérer ? Le
démantèlement de la catégorie nosographique de l’hystérie a l’intérêt d’envisager cette
entité sous son aspect protéiforme. La tendance à ramener le doute d’un trouble factice
est problématique, ce que nous discuterons plus avant.
12
FAVAZZA, AR. Bodies under siege (second edition). Baltimore : John Hopkins University Press, 1996 :
p. 253-256.
28
II Normal et pathologique
– Qu’est ce que vous avez ? demanda
Lulu Doumer à des Cigales.
– Une ontalgie, répondit Thérèse.
– Une quoi ?
– Une ontalgie
– Qu’est-ce que c’est que ça ?
– Une maladie existentielle, répondit
Thérèse, ça ressemble à l’asthme mais
c’est plus distingué.
Raymond Queneau, Loin de Rueil
1 La psychopathologie et la science
Poser la question de la place du discours psychiatrique comme réserve
méthodologique liminaire consiste à discuter de l’objet de la psychiatrie. Nous ne
pouvons prétendre éclairer une question aussi vaste qu’à travers quelques aspects du
rapport de la psychiatrie avec sa propre histoire et les autres disciplines. La critique de la
psychiatrie, toujours vive, a pris une orientation différente dans les dernières décennies.
La refondation de la psychiatrie à partir des années 1940 à 1950 est venue de l’intérieur
de l’asile. Elle s’est appuyée sur le dialogue avec d’autres disciplines, en premier lieu la
psychanalyse puis l’anthropologie. Le « dialogue fécond » (143) noué entre psychiatrie et
anthropologie, a provoqué un remaniement profond des deux champs et de leur
intersection.
La psychiatrie a aussi un regard accroché à son histoire. Georges Lantéri-Laura
dans son Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne (107) propose que cette
histoire concerne surtout une appropriation de la clinique :
29
« L’on pourrait, en effet, noter que tant que le clinicien ressent d’évoquer son
apprentissage de la sémiologie, c’est qu’il en connaît mal le domaine et qu’il
n’en maîtrise guère l’usage, et qu’il doit parvenir à l’employer de façon immédiate, spontanée et ingénue. Dans cette veine, certains – peut-être les mêmes –
soutiendraient qu’un signe relève définitivement de la clinique à partir du moment
où on l’utilise sans plus rien savoir de ses origines passées, et en ne retenant plus
que sa valeur sémantique, ainsi supposée valoir en elle-même et pour ellemême. »13
Notre objet appelle cependant directement une dimension métaphysique, qui ne
saurait être écartée, par sa proximité au moins dans l’histoire récente de la psychiatrie
avec le suicide.
La lecture du débat sur le suicide à la fin du XIXème siècle illustre la tension qui
s’opère à l’endroit des questions qui bordent une interrogation métaphysique. La
psychiatrie s’est moins dirigée à expliquer qu’à former une praxis, dans une contingence
d’articulations de normes contradictoires. Lantéri-Laura insiste sur cette praxis,
empirisme manifesté d’un lien social en construction perpétuelle14.
Les débats portant sur notre objet, comme sur le suicide, sont nécessairement sans
réponse univoque possible. De plus, la délimitation du pathologique n’appartient pas à la
seule psychiatrie.
2 Normal et pathologique : une relation
Devant la question spécifique de l’autoagression, Karl Menninger (121) souligne
au sein du regroupement nosographique des différentes formes de suicide, le suicide
atténué ou le suicide focal, dont font partie les automutilations. Il envisage au sein du
pathologique une variation quantitative entre les phénomènes. Cette variation de degré
(« degree ») est présente également pour lui dans la distinction entre normal et
13
LANTERI-LAURA, G. Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne. Paris : Editions du Temps,
1998 : p. 22.
14
LANTERI-LAURA, G. Normal et pathologique, esquisse d’un point de vue médical in BRAUNSTEIN,
JF, BING, F, DAGOGNET, F, et al. Actualité de Georges Canguilhem. Le Plessis-Robinson : Les
empêcheurs de penser en rond, 1998 : p. 55.
30
pathologique15. En effet, à propos de l’onychophagie il précise qu’elle est tellement
répandue qu’elle ne peut être considérée comme pathologique et que pourtant elle est une
forme d’automutilation. Son raisonnement, que nous développerons plus loin, s’applique
à des entités de gravité variable.
Karl Jaspers (92) avait identifié quelques uns des problèmes liés spécifiquement à
la frontière du sain et du pathologique, précisant que ces conceptions s’appuient sur deux
ordres d’arguments, une question de moyenne et de jugement de valeur. Cette
codétermination implique l’annulation du concept, puisque ce qui est considéré comme
variant de la moyenne peut être sain et le plus répandu un état morbide. La
psychopathologie est une attitude d’observation phénoménologique, vouée à un résultat
incomplet, il ne peut y avoir de loi unique ; en ceci, la psychopathologie n’est pas une
science.
La psychiatrie n’est pas une science toujours selon Jaspers, mais une
accumulation de savoirs, des savoirs partiels sur l’objet, le psychisme humain, qui est
infini. Il existe donc une impossibilité à conceptualiser de manière uniforme une
psychopathologie, qui ne serait que la juxtaposition d’arguments partiels, de manière
infinie. La vie psychique représente un « tout résistant à toute systématisation
logique »16. Cette proposition est loin d’être défaitiste.
La délimitation du normal et du pathologique est entendue depuis Canguilhem
(27) par la conjugaison de normes. La pluralité et l’articulation de ces normes sont en jeu
dans les rapports qu’entretiennent normal et pathologique. Nous ne saurions ainsi
méconnaître la tentative de chacun des auteurs que nous présentons de se situer dans une
configuration singulière du normal et du pathologique.
La relation entre normal et pathologique est en mouvement. Les lignes de partage
que proposait Canguilhem se réfèrent à une influence du social sur les normes
impliquées. Alain Ehrenberg (48) aborde cette question par la mutation sémantique et
conceptuelle d’un passage entre maladie mentale et souffrance psychique. Le discours
social s’est emparé d’un modèle descriptif possible, la psychopathologie pour organiser
des dispositifs de « santé mentale ». L’argument tient à « l’usage » des deux termes de
15
MENNINGER, K. Man against himself. New York : Harcourt Brace Jovanovich Publishers, 1985 :
p. 201.
16
JASPERS, K. Psychopathologie générale. Paris : Félix Alcan, 1933 : p. 16.
31
« souffrance psychique » et « santé mentale ». Ce couple est associé selon Ehrenberg à de
nouvelles pratiques sociales, par l’intervention de trois critères : celui de « valeur »
(gravité), d’« étendue » (par l’immixtion dans les institutions) et de « description et
justification de l’action » (chaque situation sociale doit être envisagée avec la souffrance
psychique)17. Ces nouvelles lignes de partage impliquent notre rôle et notre fonction de
soignant dans une demande sociale modifiée, qui implique aussi la demande des patients
dans les coordonnées de la souffrance psychique et de la santé mentale.
La « mutation » (46) de la psychiatrie engage cette redéfinition de la maladie
mentale en souffrance psychique, euphémisme et en même temps méthode
d’appréhension du lien social. Les conséquences de cet élargissement et de cette dilution
ne semblent pas tant relever d’une diffusion d’un savoir psychopathologique mais surtout
d’une méthode de « qualification de l’action ».
17
EHRENBERG, A. Les changements de la relation normal-pathologique. À propos de la souffrance
psychique et de la santé mentale. Esprit, 2004 mai : p. 134.
32
III Intentionnalité et létalité à l’adolescence
L’absence d’intentionnalité suicidaire dans le geste automutilant ne préjuge pas
d’une certaine potentialité à l’acte suicidaire dans une perspective diachronique (134,
145). Il s’agit de distinguer le comportement pris isolément ou la perspective plus large
du contexte psychopathologique.
1. Automutilation et suicide : un lien statistique
Le lien statistique entre automutilation et suicide est objectivé par des études à
large échelle. Crawford et al. (39) rapportent que 1,8 % des automutilateurs meurent par
suicide dans le cours de l’année suivante et 8,5 % après 22 ans. D’autre part, un quart à
un tiers des suicides sont précédés dans l’année d’une forme d’autoagression (132). Cette
perspective à long terme n’indique pas la présence d’une intentionnalité suicidaire
initialement. L’étude du côté du comportement met en avant le lien statistique entre deux
moments différents de la vie du patient sans préjuger des mécanismes impliqués.
Par ailleurs, l’intentionnalité suicidaire est un critère d’exclusion des descriptions
syndromiques, celle de Pattison et Kahan (134) et celle de Favazza (56).
L’inscription dans une temporalité implique un processus qui engage la
construction subjective et des considérations psychopathologiques. L’exploration de ce
lien nécessite de penser les mécanismes en jeu dans l’automutilation et le suicide et aussi
de se demander en quoi l’antériorité d’un comportement automutilateur pourrait modifier
le risque d’un passage à l’acte suicidaire ultérieur. Les patients qui se mutilent rapportent
cependant fréquemment des idées suicidaires, certains pouvant présenter l’automutilation
comme alternative au suicide (37), indiquant la dernière mesure de protection avant un
acte fatal.
33
2 Après-coup de l’autoagression
L’approche circonscrite au comportement s’élargit autour des modifications
individuelles possiblement induites par le passage à l’acte. La mise en évidence d’un lien
entre tentative de suicide, parasuicide, automutilation et suicide a suscité chez un certain
nombre de chercheurs une nouvelle approche à propos du suicide (87, 138). Les études
du type autopsie psychique post-suicide18 avaient montré leurs limites et les nouvelles
voies de recherche se sont déployées à partir des tentatives de suicide. Il nous semble que
le passage est remarquable parce qu’il comporte une modification radicale du regard du
psychiatre sur les patients après une tentative de suicide. La tentative de suicide grave
devient le modèle pour penser les mécanismes psychologiques en jeu dans le suicide,
alors que la tentative de suicide « non grave » conserve l’idée d’imitation ou de
simulation du suicide (102). Le critère ici d’un jugement de valeur s’est déplacé, en
considérant la létalité et l’intentionnalité. Le développement précédent est un des fils de
la discussion psychiatrique dans les années 1970 et concerne au départ la clinique adulte.
3 Fugue et abus de substance
Une autre donnée statistique et d’observation clinique est le passage fréquent dans
une perspective diachronique ou synchronique d’un lien entre l’abus de substance, la
fugue et l’automutilation (85, 166). Ces comportements ont en commun de n’être pas
spécifiques. Toutefois le rapprochement entre eux et les passages de l’un à l’autre
pourraient faire évoquer des conditions communes de survenue.
A propos de la fugue, Pao (133) note la proximité de la description par les
patients des moments qui précèdent le geste automutilant et les fugues. La fugue est en
1969 plus décrite que les automutilations et l’auteur se réfère ainsi à un cadre connu, la
fugue se produisant par « l’activation de certains conflits par des évènements ». La
capacité du moi (« the ego ») est débordée et s’en remet à un fonctionnement autonome
18
Le concept d’autopsie psychologique provient des études médico-légales nord-américaines devant des
cas de mort suspecte. Dans les années 1960, s’est développée une série de techniques de recueil et
d’analyse des données, à partir de l’interrogatoire des proches. Secondairement, le concept s’est appliqué
dans la recherche statistique d’exploration des causes du suicide en général (87).
34
du moi. L’échappement vient ici comme besoin (« urge »), entendu comme défaut
d’intégration du moi. La comparaison entre les deux comportements se porte sur l’idée
d’un conflit intolérable19.
Henri Ey précise : « la fugue peut revêtir un caractère réactionnel quand le
fugueur s’enfuit de chez lui pour des motifs pathologiques de conflit d’angoisse à l’égard
d’une situation affective insupportable »20.
Ces comportements pourraient avoir en commun de constituer une solution
ponctuelle, devant une situation intolérable. L’échappement ou la soustraction à la
situation témoigneraient pour le patient d’une impossibilité à mobiliser ses capacités
psychiques. Le court-circuit psychique opéré est la solution trouvée devant l’impasse.
4 Adolescence
Ces considérations viennent en contrepoint d’une relative banalisation du geste
automutilant, banalisation, qui, selon Ladame, peut être aussi la présentation que les
adolescents eux-mêmes en donnent :
« Accident ? Maladresse ? Jeu ? Tentative de suicide ? Comment déterminer dans
quelle classe ranger un abus médicamenteux ? Ou une entaille sur les avantbras ? »21
Laederach et Ladame critiquent particulièrement la position de l’OMS qui
transpose les critères d’intentionnalité décrits chez les adultes aux adolescents. La
spécificité d’une intentionnalité se réfère à une dimension de « choix » (105). Or c’est la
situation de « non-choix », « l’impasse » devant une situation qui peut engager
l’adolescent dans un geste qui vise son propre corps. Se dégage ainsi une certaine
spécificité de l’adolescence par le remodelage des catégorisations habituellement issues
de la clinique adulte. L’intentionnalité et la létalité ont une spécificité à l’adolescence.
19
PAO, PN. The syndrome of delicate self-cutting. British Journal of Medical Psychology, 1969 : 42(3) :
p. 198.
20
EY, H, BERNARD, P, BRISSET, Ch. Manuel de psychiatrie. Paris : Masson, 1960 : p. 81.
21
LAEDERACH, J, LADAME, F. Suicide des jeunes et dépression in LAMPERIERE, T, BRACONNIER,
A, LANTIERI, N, et al. La dépression avant 20 ans. Paris : Masson, 1998 : p. 118.
35
Les modèles explicatifs que nous présentons ne font pas nécessairement de
distinction entre la clinique adolescente et la clinique adulte. Notre exploration de ces
modèles introduit des arguments pour discuter ces positions. Nous soutenons, avec
Ladame, une spécificité de l’adolescence dans l’expression des mouvements
automutilants et suicidaires. La recherche psychopathologique s’appuie sur la mise à jour
des mécanismes à un moment donné du développement individuel, en lien avec ses
coordonnées familiales, sociales et biologiques.
La valeur de la « situation », matérialisation d’une impasse dans ces coordonnées
est difficile à spécifier car la notion d’impasse renvoie surtout à une position subjective
qui met en lien une antériorité (les modalités précoces de la relation objectale), la
conflictualité propre à l’adolescence et la potentialité agressive réactualisée par la
transformation pubertaire. Les « possibilités » sociales singulières sont engagées dans
une possibilité de dégagement devant cette impasse. La description d’une situation
d’impasse devant un conflit affectif insupportable pourrait être une modalité d’approche
de la diversité clinique.
36
Deuxième Partie :
Réflexions à partir de trois modèles
37
I L’automutilation autopréservatrice
Le premier modèle est celui de l’automutilation autopréservatrice, expression
tirée des développements de Karl Menninger. Cette conception est retrouvée dans de
nombreuses autres références, sous l’angle de la participation des mécanismes
d’autopréservation. L’automutilation est considérée comme un moyen de survivance.
1 L’homme contre lui-même
Menninger envisage la portée de l’apport freudien à propos du caractère
autodestructeur de l’homme en s’attelant à une tâche gigantesque, l’homme contre luimême, Man against himself, titre de son ouvrage de 1938 (121). Il s’applique à
transposer la découverte freudienne de la pulsion de mort pour l’additionner aux théories
psychiatriques et sociologiques existantes. La possibilité de penser l’autoagression
conduit l’auteur à envisager un bouleversement des cadres nosologiques par des
rapprochements tout à fait impossibles avant. Le titre pourrait être trompeur, tant il s’agit
d’observations et d’une démarche nosographique, alors qu’il annonce une question
métaphysique. Rapprocher le suicide, les automutilations, l’alcoolisme, la simulation
témoigne d’une réflexion générale sur l’autoagression.
1.1 A partir de la pulsion de mort
Menninger
entreprend
de
considérer
la
diversité
des
comportements
autodestructeurs à partir de la transposition du concept de pulsion de mort (« death
instinct »), lu chez Freud dans Au-delà du principe de plaisir (59). La lecture de
Menninger se nourrit de la référence biologique présente chez Freud d’une tendance à
l’homéostasie, dans une description dynamique et économique. Il est notable que les
38
références freudiennes de Menninger en 1938 ne s’appuient pas sur d’autres textes
postérieurs à 1920. La dimension du masochisme est à peine abordée corroborant la
référence unique de son essai à Au-delà du principe de plaisir.
Il indique ainsi comme Freud le point de départ de ses interrogations sur la guerre
et la résistance dans la cure. Il place sa réflexion au cœur de la question freudienne du
compromis pulsionnel, d’une bipolarité des instincts pour souligner la part de
renoncement du névrosé et du « high cost of living », c’est bien une condition de la vie de
composer avec des tendances autodestructrices dont la psychanalyse a reconnu l’origine
pulsionnelle et non pas transcendante.
Menninger distingue : 1) Les cas où le suicide apparaît raisonnable, il parle de
suicide atténué, 2) L’autodestructivité revendiquée, que le sujet défend, la lente ruine de
l’existence par l’alcoolisme ou l’usage d’opiacés, 3) Les cas ou la responsabilité de
l’autodestructivité n’est pas acceptée, projetée sur l’extérieur, 4) Les cas où le moi, « the
ego », n’accepte pas cette responsabilité mais l’autodestructivité passe par le corps, dans
certaines maladies physiques.
L’autodestructivité est paradoxale car elle vient en contradiction avec
l’« axiome » de l’autopréservation, « qui est la première loi de la vie »22, notion qui
s’écarte de la position de Freud. Il propose la notion de « self-preservative selfdestruction », argument que l’on retrouve à plusieurs reprises avec la formulation de
sacrifier la partie pour sauver le tout.
Le développement de Menninger comprend donc la référence à deux autres
concepts, en plus de la pulsion de mort, à savoir la référence à une loi de la vie d’une part
et à l’adage selon lequel le sacrifice d’une partie sauve le tout.
Nous allons détailler plus particulièrement la partie dédiée au suicide focal,
regroupant automutilations, les simulations, les interventions chirurgicales à répétition,
les accidents intentionnels.
22
MENNINGER, K. Man against himself. Op. cit. : p. 71.
39
1.2 Le suicide focal
Après avoir présenté les formes de suicide chronique engageant le sujet dans sa
« totalité », Menninger envisage les suicides focaux, comme variation quantitative du
même phénomène23.
Il distingue au sein des automutilations plusieurs formes : 1) les automutilations
névrotiques, 2) religieuses, 3) psychotiques, 4) des maladies organiques (infectieuses ou
neurologiques) et 5) l’automutilation, habituelle, commune de se couper les phanères,
pouvant revêtir un caractère anxiogène particulier.
Pour Menninger le névrosé se mutile rarement de manière irréversible et trouve
des « substituts et formes symboliques d’automutilation »24.
Les substituts névrotiques aux automutilations, à savoir l’onychophagie, la
trichotillomanie, les interventions chirurgicales répétées sont envisagés dans une
dimension relationnelle, indiquant que ces comportements sont dirigés vers la mère et
créent chez elle « détresse (« distress »), anxiété et une rage impuissante »25. Ceci amène
l’auteur à rapprocher l’onychophagie de la masturbation, la substitution du plaisir génital
par une régression à un stade de développement libidinal antérieur, qui change de sens,
associant dans l’après-coup la valeur autopunitive.
Menninger met sur le même plan les excoriations névrotiques, un cas de chorée
autoagressive, un cas de trichotillomanie, le cas d’un homme qui se coupe les cheveux,
cas qui prennent le sens d’une compulsion ce qui s’entend par la participation de la
pulsion de mort, qui est déviée vers une attaque focale.
1.3 Limites du développement de Menninger
L’ouvrage de Menninger est presque systématiquement cité dans les travaux
portant sur l’automutilation, présenté comme l’un des premiers travaux majeurs sur le
sujet. Un certain nombre de problèmes sont cependant soulevés par son argumentation :
23
Ibid. : p. 201.
Ibid. : p. 206.
25
Ibid. : p. 209.
24
40
– Le normal et le pathologique
Menninger n’entrevoit qu’une différence quantitative entre les phénomènes
pathologiques. L’onychophagie côtoie l’émasculation. C'est-à-dire que la participation
d’une structure psychopathologique n’est pas discutée. La même valeur est accordée à
des actes s’intégrant dans un automatisme mental ou la névrose commune.
– Rapprochement métapsychologique entre suicide et hétéroagression
Pour Menninger, l’autoagression dérive directement d’un instinct hétéroagressif
retourné sur le corps propre. L’appel à la métapsychologie freudienne permet en effet de
rendre compte d’une relation entre masochisme et sadisme à partir du destin pulsionnel.
Cependant, Menninger va un peu plus loin en considérant que le suicide pourrait relever
du même mécanisme. Il est possible que cette position provienne des conceptions
sociologiques issues des recherches de la fin du XIXème siècle. Nous n’avons cependant
pas d’argument solide pour soutenir cette hypothèse. Il nous semble cependant délicat
d’envisager le suicide sous la seule modalité d’un évitement de l’hétéroagression.
– La névrose est identifiée à la culpabilité
Le premier cas clinique est un fait divers, un homme qui se mutile la main après
avoir tué son enfant. L’auteur l’entend comme un phénomène névrotique et propose que
l’homme se soit infligé à lui-même la punition liée à son acte et selon la loi du Talion se
sectionne la main. La névrose suppose une forme de refoulement, ce qui ne semble pas le
cas de l’exemple cité. Menninger semble associer directement culpabilité et névrose. Or
la culpabilité est présente dans les autres structures.
– Référence explicite à une loi de la vie
Menninger se situe dans une tradition vitaliste.
– Sacrifier la partie pour sauver le tout
Menninger tente de concilier la seconde topique freudienne avec une loi de la vie.
La contradiction nécessite l’apport d’un troisième terme qui se présente sous la forme de
sacrifier une partie pour sauver le tout. D’où vient une telle formule ? Parce que ce point
y est particulièrement peu discuté par l’auteur, qui l’envisage à plusieurs reprises comme
41
une évidence : « the suicidal impulse may be concentrated upon a part as a substitute for
the whole »26. La discussion des origines possibles de cette formule mériterait des
développements importants et nous ferait sortir de notre sujet. Nous pouvons penser que
Menninger se rapporte éventuellement à une conception sacrificielle du suicide telle
qu’on la retrouve par exemple chez Durkheim, Bayet, Ey27. La justification de cette
hypothèse mériterait des développements épistémologiques importants.
Nous pouvons cependant noter un problème méthodologique majeur retrouvé
dans nombre de travaux, en particulier de Favazza (56) ou de De Ajuriaguerra (41) qui
intègrent à propos de l’automutilation des considérations éthologiques et sacrificielles, de
surcroît sur un même plan. Nous ne pouvons discuter en détail de ces points, ils
interviennent cependant dans les références citées comme justification de la valeur
autopréservatrice de l’automutilation.
Nous ne pouvons soutenir une référence à la dimension sacrificielle,
principalement pour des raisons épistémologiques. Nous retenons pour l’instant la valeur
d’autopréservation comme première tentative d’expliquer une économie du geste
automutilant.
2 L’argument d’autopréservation
2.1 La pulsion de mort et l’autopréservation
Le raisonnement de Menninger tente de rendre compte de la contradiction que la
pulsion de mort pourrait participer à l’autoconservation.
En effet, la pulsion de mort introduite par Freud en 1920 dans Au-delà du
principe de plaisir (59) participe à l’homéostasie psychique par la tendance au retour à
un état inorganique. L’opposition formulée alors entre la pulsion de mort et les
différentes formes d’expression de la pulsion de vie (pulsions sexuelles et
d’autoconservation) s’exprime dans une combinaison des deux types de pulsion, le
modèle étant l’amour et son pendant la haine.
26
27
Ibid. : p. 203.
HAIM, A. Les suicides d’adolescents. Paris : Payot, 1969 : p. 29.
42
Penser que la pulsion de mort peut participer de l’autoconservation nécessite une
étape métapsychologique supplémentaire, que l’on trouve dans le texte sur le
masochisme de 1924 (64). L’hypothèse d’un masochisme originaire conduit à penser les
destins pulsionnels possibles de ce concentré de pulsion de mort.
La métapsychologie est mise à contribution pour comprendre l’énigme du
masochisme. Nous développerons dans la quatrième partie de cette étude l’argument
freudien d’une participation de la pulsion de mort à l’autoconservation.
Ainsi, la proposition de Menninger de concilier la pulsion de mort à
l’autoconservation semble relever de l’intuition clinique. Son développement, par la
référence à une conception sacrificielle du suicide et de l’automutilation n’est pas
indispensable pour aborder la contradiction.
2.2 Rempart devant le suicide
L’argument
d’autopréservation
se
retrouve
dans
les
développements
contemporains sur l’automutilation (32, 56, 88). La présence d’une idéation suicidaire
chez le patient est à distinguer d’une intentionnalité suicidaire. Cependant, certains
patients peuvent rapporter que l’alternative s’est posée (35). Le soulagement lié à
l’automutilation peut éloigner des idées suicidaires envahissantes. Comment envisager
cette alternative ?
Associer l’automutilation à une conduite d’autopréservation implique de penser
l’automutilation comme défense du moi. Le recours au corps dans une menace perçue par
le moi est sous-tendu par des mécanismes psychologiques qui indiquent que le recours à
une substitution symbolique s’est avéré inefficient ou dépassé. Nous développons dans
les chapitres suivants une discussion sur l’économie du geste, ici à peine entrevue.
Nous retenons que l’automutilation est fréquemment pensée comme mécanisme
d’autopréservation, dans une perspective de maintien de l’homéostasie psychique.
43
II L’automutilation, moment évolutif
Dès qu’il y a pulsion de vie, l’existence
insiste et dès qu’il y a pulsion de mort,
l’insistance existe.
Bernard Golse, Insister-Exister
Dans ce chapitre nous discutons l’attribution par quelques auteurs d’une
fonctionnalité évolutive des automutilations à l’adolescence. Les références sont de deux
ordres :
– D’une part les écrits psychiatriques qui s’appuient sur les observations des années
1960-1970, qui se rapportent à l’automutilation évolutive chez l’enfant, travaux de
Shentoub et Soulairac (155) et Carraz et Ehrhardt (28). Nous pouvons déjà signaler que
ces descriptions se rapportent à des automutilations chez l’enfant et pas chez
l’adolescent. Ainsi, se pose la question de savoir si les hypothèses présentées pourraient
s’appliquer aux adolescents.
– D’autre part, des travaux sociologiques proposent que l’automutilation participe à
l’intégration sociale.
1. Les automutilations et le développement normal et pathologique
La pulsion de mort comme concept permet d’intégrer dans un modèle
compréhensif l’autodestructivité à travers l’élaboration d’une théorie développementale
de l’enfant.
La deuxième topique, par la description des phénomènes de déliaison et de
répétition sous la dénomination de pulsion de mort, reconnaît une tendance à la
participation
d’un
antagonisme
pulsionnel
comme
facteur
de
subjectivation.
L’automutilation intervient ici comme élément annexe, marginal mais entendu par
44
certains lecteurs et commentateurs de Freud (41, 127) comme participant de la formation
d’une subjectivité.
1.1 La destructivité dans la construction objectale
Freud introduit dans Au-delà du principe de plaisir (59) la notion de pulsion de
mort comme la tendance fondamentalement homéostatique de tout être vivant. L’idée de
destruction qui y est associée n’est pas consensuelle chez les psychanalystes.
Melanie Klein (99) formule l’existence du besoin pour le nourrisson de mordre
ou de dévorer, réponse à la frustration occasionnée par le sein. M. Klein propose que le
fantasme de destruction participe de la possibilité de réparer l’objet et fasse entrer
l’enfant dans une dynamique où s’affrontent des pulsions antagonistes. Ceci est soustendu par l’hypothèse d’un amour et d’une haine primitifs, polarité autour de laquelle
s’articulent et s’étayent les premières relations objectales.
Paula Heimann (89) précise la proposition de M. Klein en ce que la frustration
permettrait de diriger la destructivité vers l’extérieur et ainsi accéder à un stade
d’organisation supérieur. La relation d’objet s’établit ainsi directement sur la pulsion
d’agression, qui donnent à l’objet son statut, entre destruction et réparation, premier
mouvement psychique dans une polarité amour haine. Il ne s’agit pas là d’autoagression,
bien que le balancement entre objet interne et externe puisse mériter des précisions. Le
point que nous soulignons est la participation de l’agression, dirigée vers l’extérieur,
comme premier mouvement de la construction de la relation objectale. La destructivité
acquiert une fonction au sein d’une constellation primitive affective.
1.2 L’observation
Les travaux d’Esther Bick témoignent d’un intérêt de l’observation dans un
double registre, d’une part, la formation des analystes, telle qu’elle est envisagée à la
Tavistock Clinic à partir de 1948 et d’autre part de « renforcer leur confiance (« belief »)
45
dans la validité de la reconstruction analytique du développement précoce »28.
L’observation du nourrisson devient une étude en soi, le repérage du symptôme se
déplace dans l’infraclinique du quotidien. La méthode d’observation témoigne surtout de
l’intérêt porté à un développement en interaction, non seulement supporté des
constructions de l’analyse.
L’observation de la normalité intervient dans la recherche pédopsychiatrique au
moment où un modèle de développement intégrant l’autoagression est proposé par la
psychanalyse. Essentiellement le fait de la participation de l’école kleinienne,
l’observation acquiert une valeur d’investigation pour elle-même. Shentoub et Soulairac
participent de ce mouvement par l’intérêt de l’observation de la normalité dans la mesure
où celle-ci pourrait étayer des hypothèses quant au développement normal et morbide
(155).
1.3 Mouvement de relation, d’exploration et de structuration conflictuelle
L’interrogation principale de Shentoub et Soulairac est triple : l’automutilation se
retrouve-t-elle spécifiquement chez les sujets débiles et psychotiques, existe-t-il un
comportement automutilateur normal chez l’enfant et quelle signification aurait-il ?
Le critère de durée devient le caractère distinctif entre automutilation normale et
pathologique29. Les auteurs développent une analyse systématique de tous les
comportements, entendus comme « décharges psychomotrices », celles-ci étant séparées
en quatre catégories, les décharges psychomotrices primitives non automutilatrices
(succion, masturbation, balancement), celles plus organisées non automutilatrices avec
une « note » hétéroagressive (trépigner, jeter les objets), les comportements automutilateurs primitifs (se mordre, se cogner, se gratter, se cogner la tête, se jeter par terre) et les
comportements automutilateurs structurés (se ronger les ongles).
28
BICK, E. Notes on infant observation in psycho-analytic training. International Journal of
Psychoanalysis, 1964 : 45(IV) : p. 566.
29
SHENTOUB, SA, SOULAIRAC, A. L’enfant auto-mutilateur. Les conduites automutilatrices dans
l’ensemble du comportement psychomoteur normal. Étude de 300 cas. Psychiatrie de l’Enfant. 1961 :
3(1) : p. 114.
46
L’hypothèse principale de ces regroupements est que « toute décharge
psychomotrice extériorisée est un mouvement relationnel »30. Cette dimension
relationnelle s’appuie sur le postulat de la conflictualité dans la structuration du moi,
d’un développement du moi en déphasage avec l’édification du corps. Ainsi, le
comportement automutilateur est entendu comme « mouvement » triple : relationnel,
d’exploration et de structuration conflictuelle. La référence psychanalytique permet donc
de proposer l’intégration des comportements automutilateurs dans le développement
normal, avec le passage par des étapes mettant en jeu plus particulièrement une des trois
dimensions citées qui sont toutefois toujours intriquées. L’apport principal réside dans la
reconnaissance dynamique et économique du geste destiné en premier lieu à
l’environnement proche et contribuant à la structuration du moi en rapport avec cet
environnement.
L’onychophagie apparaît dans cette perspective comme une forme structurée et
orientée, dont on ne peut dire qu’elle ne soit pas normale tant sa diffusion est large. Les
auteurs insistent sur la conjugaison d’un intérêt autoérotique, substitution au plaisir
génital et la note hétéroagressive, « l’irritation de la mère »31, avec la conséquence
qu’« elles provoquent des relations plus intenses avec elle ».
Les automutilations primitives ou structurées se rapportent ainsi à deux étapes du
développement normal, par la formation d’un compromis structurant. Le caractère
pathologique se développe à partir du moment où les formes primitives de
comportements automutilateurs (se cogner, se frapper) acquièrent une fonction qui ne
l’est plus et engagent l’enfant à recourir à ce moyen de « revendication » poussant à un
« corps à corps » exacerbé32.
Les auteurs insistent d’ailleurs sur l’hétérogénéité entre ces formes et les
comportements stéréotypés ou automatiques des oligophrènes, par une distinction
fondamentale de la perception de la causalité. L’ouverture que constitue ce travail
systématique d’observation de la normalité formule l’hypothèse que le comportement
automutilateur fait partie du développement normal et qu’il a une valeur structurante.
C’est l’implication primaire ou secondaire de la dimension relationnelle qui sera discutée
par les lecteurs de Shentoub et Soulairac.
30
Ibid. : p. 120.
Ibid. : p. 133.
32
Ibid. : p. 141.
31
47
Les auteurs terminent leur analyse par une forme d’énigme, que l’automutilation
pourrait être « normale » dans une structure « anormale », en ce que les capacités
psychiques étant dépassées pour faire face à une situation donnée, l’enfant aurait un
recours possible à l’automutilation. A l’inverse, la normalité du comportement sousentend une anormalité de structure. Les auteurs avancent l’idée que ce recours survient
quand l’enfant est « poussé à bout »33.
1.4 Automutilation transitoire et persistante
Julian De Ajuriaguerra procède à une distinction entre automutilations évolutives
et persistantes34. Les automutilations évolutives font partie du développement normal de
l’enfant. Pour Ajuriaguerra c’est la persistance du comportement, reprenant ainsi une des
propositions de Shentoub et Soulairac, qui en fait un comportement pathologique.
2 Un non-sens
L’argument développé sur les automutilations évolutives est directement issu de
la recherche sur l’émergence de la subjectivité chez les jeunes enfants autistes et
psychotiques, subjectivité qui est surtout sentiment d’existence par la répétition de la
recherche d’une limite du corps.
Les études cliniques de psychiatrie de la petite enfance, centrées sur
l’interrogation de l’émergence de la subjectivité placent le débat dans les années 19701980 autour de la relation des automutilations avec le langage (28) et des théorisations du
narcissisme. L’automutilation intervient ici surtout comme autostimulation (130), en
référence aux travaux de Colette Chiland (29). La sensorialité, le sentiment d’existence
induits par le geste viennent contrer une « menace d’anéantissement » (130). Cette
perspective s’appuie surtout sur la formulation d’une praxis possible de l’institution,
déstabilisée par le geste lui-même et son non-sens apparent. La question du sens devient
secondaire, dans une conception de l’automutilation comme défense, ultime défense,
33
Ibid. : p. 141.
DE AJURIAGUERRA, J. Manuel de psychiatrie de l’enfant (Deuxième édition). Paris : Masson, 1974 :
p. 481-487.
34
48
dont le travail institutionnel consisterait à favoriser une « contenance ». Celle-ci devient
la réponse en amont, d’écarter les conditions angoissantes qui précipitent l’enfant dans
l’acte. Dumesnil envisage l’absence d’intentionnalité, la mutilation comme « vicissitude
du développement » (43), liée à un défaut de structuration, différenciation objet-sujet et
intégration sensori-motrice.
Nous voyons que cette théorisation vise surtout à délimiter une praxis
institutionnelle.
La lecture de ces derniers travaux nous laisse cependant l’impression de la
description d’une passivité de l’enfant, agi par son geste et en quelque sorte l’annulation
du geste lui-même. L’affirmation du non-sens du geste rend possible un travail de
soignant en même temps qu’il annule le sujet ou au moins sa pensée. En outre, la
référence à une sensorialité engage dans une réflexion sur un support de l’existence, la
sensorialité comme support possible de la continuité psychique.
La correspondance entre la sensorialité et le sentiment d’existence laisse un
intervalle pour penser le mouvement réflexif. Didier Anzieu (9) propose dans ce sens la
valeur structurante d’une sensorialité dirigée vers le corps propre, ébauche d’un
mouvement réflexif de la pensée sur elle-même. L’idée d’un double ancrage, « ancrage
corporel et interactif» proposé par Bernard Golse implique que la sensorialité n’est pas
pure perception, elle en même temps interaction, travail de signification35. La
formulation d’une continuité en devenir « de l’être à la personne » place la réflexion sur
le développement dans un intermédiaire toujours en suspens et en construction, dans une
temporalité qui dépasse l’existence elle-même.
3 De l’enfant à l’adolescent ?
La transposition du concept d’« automutilation évolutive » de l’enfant à l’adolescent nous semble problématique parce qu’elle suppose des mécanismes communs à des
moments différents du développement.
La question serait de savoir s’il s’agit d’un enjeu structural ou d’un concept pour
justifier du rapprochement.
35
GOLSE, B. Du corps à la pensée. Paris : PUF Le fil rouge, 1999 : p. 128-129.
49
Les frontières peuvent s’évanouir à considérer la problématique située entre
autonomie et dépendance, qui s’exprime à tout âge. Cependant, les modalités
d’aménagement sont étroitement liées à un moment du développement.
Philippe Jeammet se réfère par exemple au concept de Spitz, de la fonction
d’organisateur pour illustrer la conflictualité à l’adolescence (96). Cette notion est
envisagée par Spitz dans la description des premières années de vie. Jeammet l’entend
comme concept, « témoin manifeste de l’instauration de façon stable de certaines
modalités relationnelles ». Les travaux de Spitz portent sur la construction de la relation
objectale (156). Jeammet poursuit : l’adolescence comporterait « de même des exigences
d’instauration d’équilibres nouveaux entre soi et les autres » (nous soulignons)36.
Les dimensions mobilisées selon Philippe Jeammet (104) dans ce moment de la
vie se font dans une nécessaire inscription dans la temporalité, la différence des sexes et
des générations, la reproduction et la mort. Le caractère évolutif laisse entrevoir une
fragilité particulière, souvent dénommée fragilité narcissique, édification dans la
vérification de la permanence du lien avec l’objet. Ladame (104) évoque à propos des
adolescents suicidants le caractère traumatique de certaines modifications, à l’origine
d’un possible raptus anxieux. L’adolescence est ainsi entendue comme évolution,
potentialité, ouverture, par la possibilité de se réapproprier ces modifications bruyantes.
Ce passage peut devenir passage à l’acte quand la menace d’effondrement s’actualise
dans ce parcours évolutif. Le passage à l’acte fait-il partie intégrante de cette évolution
ou est-ce une manière de reléguer la réappropriation subjective des évènements ? Nous
pensons que Jeammet fait référence à un concept d’« organisateur » mais entend
également la radicalité des potentialités d’action que représente l’adolescence.
Pour Haim, « l’adolescence est avant tout mouvement, contraste, contradiction, en
raison de l’intensité des investissements et désinvestissements qui témoignent de la
difficulté à se connaître et à se reconnaître »37.
Peut-on envisager le caractère structurant et participant d’une subjectivation à une
période de la vie qui met en scène une conflictualité différente ? Le recours à
l’automutilation peut-il constituer une forme de subjectivation, à un moment où la parole
36
JEAMMET, Ph. Les destins de la dépendance à l’adolescence. Neuropsychiatrie de l’enfance, 1990 :
38(4-5) : p. 190.
37
HAIM, A. Les suicides d’adolescents. Op. cit. : p. 42.
50
aura pris un relais, et depuis longtemps, dans un processus de subjectivation ? Or ces
adolescents parlent peu.
L’agir adolescent s’oppose à l’action, le premier comme recours substitutif au
travail de la pensée, le second présupposant un travail d’élaboration (95). Les
automutilations pourraient se comprendre comme une pathologie de l’agir au sens d’une
modalité de résolution de ce paradoxe par un évitement à penser. En d’autres termes,
l’action impliquerait un discours, que quelque chose pourrait se dire à propos d’un acte.
L’agir en revanche, se placerait plutôt du côté d’un court-circuit de la pensée, un acte qui
annule la possibilité de penser ou de parler.
Cette interrogation nous semble fondamentale. Penser l’automutilation comme
participant d’un moment évolutif à l’adolescence sous-entend qu’elle pourrait participer
du développement, de l’émergence d’une position subjective. Il nous semble que ce point
mériterait d’être développé afin de faire la part entre les données issues d’autres champs
disciplinaires ou d’autres contextes d’observation. La fonctionnalité de l’automutilation
est pour nous principalement un recours au corps qui témoigne de mécanismes
psychopathologiques spécifiques. Nous détaillerons cette question plus avant. La
confusion entre évolution et développement d’une part et entre agir et action d’autre part
pointe les enjeux d’une reconnaissance d’une économie du geste.
L’idée d’automutilations évolutives à l’adolescence pourrait trouver sa pertinence
si elles s’intègrent dans les liens établis avec l’entourage, liens en reconstruction, d’une
dialectique toujours renouvelée. Cette construction s’actualise dans le geste adolescent.
S’agit-il d’un mouvement de construction ou de délitement d’une subjectivité devant une
situation conflictuelle insupportable ?
51
III Les automutilations et la suspicion
1 La « simulation » dans l’armée
Dans le courant du XIXème siècle, les automutilations sont rapportées dans des
cadres spécifiques, l’armée, la prison et l’asile. De ces trois lieux d’exercice d’un pouvoir
croissant sur les corps, les discours à propos de l’automutilation se forment pendant une
période de débat entre deux disciplines, la sociologie et la psychiatrie. L’influence
mutuelle des hypothèses psychopathologiques et sociologiques se conjugue dans une
épistémologie parfois floue, illusion de la sociologie comme psychologie collective et de
l’identité supposée de leurs méthodologies.
L’inquiétude au sein de l’armée relative aux épidémies d’automutilations fut une
source de rapports, de statistiques à partir des années 1830. Les données concernant les
automutilateurs sont recueillies par l’administration militaire devant la répétition et la
diffusion des gestes. Parce qu’elles sont considérées comme simulation et répertoriées
comme telles selon le rapport de Boisseau de 1869 (22), les automutilations sont l’objet
d’une répression croissante.
La psychiatrie est sollicitée par le biais de l’expertise. Charles Blondel retrace
dans sa thèse de 1906 (21) l’histoire récente du phénomène. Le point de vue est celui
d’une recherche psychopathologique qui s’appuie sur une demande venant de
l’administration militaire. La question n’est donc pas posée à partir ce qui se passe dans
l’asile.
1.1 Loi de 1832 et les lois du code de justice militaire
La loi du 21-23 mars 1832 (45) relative à la conscription est la première de
l’époque moderne à faire référence explicitement à l’automutilation. Le droit romain
52
s’était préoccupé des pouces coupés dans ses rangs, dans les circonstances de la fin de
l’Empire, une discussion à ce propos se trouve dans la thèse de Lorthiois (115).
Notre intérêt se porte sur le contexte de la conscription sous la Restauration et la
qualification pénale de ces actes. La « complicité » éventuelle des soignants est un
facteur aggravant38. Le contexte de la conscription est un appel de sept ans et la
possibilité de remplacement qui maintient la responsabilité pénale du remplacé sur les
actes du remplaçant. Les faits d’automutilation étaient passibles d’un déferrement devant
les tribunaux militaires. Nous avons peu de chiffres sur le nombre de jugements.
Boisseau dans son rapport de 1869 (22) répertorie entre 50 et 60 jugements par an entre
1855 et 1868 avec environ la moitié de condamnations. Notre regret est qu’il ne discute
pas des débats, nous serions intéressé d’en connaître les tenants. La peine encourue est un
emprisonnement d’un mois à un an, ce qui en proportion des sept ans de service militaire
reste énigmatique.
Cette loi fut remaniée à de nombreuses reprises, elle figure actuellement dans le
code de justice militaire39.
1.2 Charles Blondel et l’automutilation « consentie »
Blondel dans sa thèse de 1906 (21) s’engage ainsi dans un champ peu exploré et
pose le problème principal dans son introduction :
38
DUVERGIER, J-B. Loi sur le recrutement de l’armée du 21-23 mars 1832 in Collection complète des
lois, décrets, ordonnances, règlemens et avis du conseil d’état. Paris : Guyot, Scribe, Bousquet, 1833 :
Tome trente-deuxième : p. 100.
39
Code de justice militaire, Livre III, Titre II, Chapitre Ier, Section IV : De la mutilation volontaire
Article L321-22 (actuellement en vigueur)
« Le fait pour tout militaire de s'être rendu volontairement impropre au service, soit d'une manière
temporaire, soit d'une manière permanente, dans le but de se soustraire à ses obligations militaires, est
puni :
1º En temps de paix, d'un emprisonnement de cinq ans et de l'interdiction pour une durée de dix ans de
l'exercice des droits prévus à l'article 131-26 du code pénal. Si le coupable est officier, il pourra être puni
en outre de la destitution ;
2º En temps de guerre, de dix ans d'emprisonnement ;
3º De la peine prévue au 2º, s'il se trouve sur un territoire en état de siège ou en état d'urgence ou en
présence de bande armée.
Il est puni de la réclusion criminelle à perpétuité s'il était en présence de l'ennemi.
La tentative est punie comme l'infraction elle-même. »
53
« Nous ne nous sommes même pas posé la question de savoir si les
automutilateurs étaient ou non des aliénés. L’automutilation volontaire est une
réaction manifestement anormale. »40
L’administration militaire convoque l’expertise psychiatrique après avoir essayé
de son côté une solution répressive, dont on comprend qu’elle fut inefficace :
« Les médecins militaires ont trop longtemps réclamé contre les automutilateurs
de nouvelles et plus efficaces sévérités sans s’inquiéter autrement de savoir s’ils
ne sont pas justiciables plutôt de l’asile que de la prison, si leurs actes n’appellent
pas avant toute répression, une expertise médico-légale. »41
La différence de méthode est posée : « Lors donc que l’automutilateur n’aura rien
dit, nous n’ajouterons rien à son silence »42.
Blondel ne fait pas cependant une étude in situ. Son matériel est un rapport
militaire du médecin-major Huguet compilant 1078 simulations dont 680 automutilations
entre 1859 et 1896 (91). Parmi les automutilations, 446 sont des sections de l’index droit.
Outre l’usage de ce doigt particulièrement utile pour le tir, c’est la répétition de la même
histoire qui est troublante. Le bénéfice direct de la soustraction à l’obligation militaire ne
peut « enlever à une réaction aussi anormale son caractère pathologique »43.
Pour Blondel le problème principal est d’envisager que la mutilation puisse être
« volontaire », comment l’homme peut-il faire quelque chose qui serait contre la vie ?
L’observation de la dissémination dans certaines compagnies isolées lui fait proposer une
hypothèse de l’influence sociale sur l’acte. La mutilation volontaire devient
« consentie »44, gommant le caractère délibéré de l’autoagression pour la rapporter à la
conséquence
d’une
incitation.
La
déconsidération
intellectuelle
vis-à-vis
automutilateurs n’est pas voilée :
40
BLONDEL, C. Les automutilateurs, étude psychopathologique et médico-légale. 133 f. Thèse
d’exercice : Médecine. Paris : 1906 : p. 3.
41
Ibid. : p. 4.
42
Ibid. : p. 5.
43
Ibid. : p. 131.
44
Ibid. : p. 126.
des
54
« Les motifs et les circonstances des automutilations révèlent souvent l’extrême
impressionnabilité du sujet ou même sa débilité intellectuelle et morale. »45
La monotonie de l’histoire racontée ajoute à la moralité supposée faible de
l’automutilateur. L’histoire la plus souvent rapportée selon Blondel est le récit d’une
mutilation accidentelle, en coupant du bois.
Nous allons revenir avec d’autres auteurs sur des notions ici juste évoquées.
Blondel propose que l’expertise médico-légale intervienne pour faire la part de ce qui
relève de l’aliénation (les formes majeures essentiellement) et d’un autre côté de ce qui
correspondrait à une moralité faible et une grande influençabilité. Blondel ne parle pas
spécifiquement de simulation, bien que ce soit le thème du rapport de Huguet.
Le caractère pathologique est reconnu dans toutes les formes d’automutilations
même si elles ne se produisent pas dans les mêmes contextes psychopathologiques.
L’automutilation vient compléter la description de la psychopathie (qui comprend
déséquilibration, mythomanie, suicide, automutilation).
Nous apercevons que les automutilations dans l’armée entrent dans un contexte
radicalement différent de notre objet. Dans la suite du développement, nous cherchons à
préciser en quoi elles pourraient être comprises de manière différentielle dans un modèle
intégrant l’économie du geste. Le seul point commun pour l’instant est l’identité du
terme et l’existence de lésions provoquées par le patient lui-même.
2 Et dans l’asile ?
2.1 Les formes majeures et le silence
La référence par Blondel à des formes majeures d’automutilation, autocastration
(« énuchisme »),
autoénucléation (« oedipisme ») indique le rapprochement de
l’automutilation avec les contenus délirants. Une attention particulière est accordée à la
mélancolie et au syndrome de Cotard. Décrit dans les années 1880, il constitue pour
Blondel la forme extrême d’automutilation, comprenant la négation d’organe comme
45
Ibid. : p. 122.
55
équivalent du retranchement. Dans un paradigme de l’aliénation totale, le mouvement
automutilant est une mise en acte du délire.
Toutefois, ces pratiques ne sont pas méconnues des aliénistes et leur silence est
problématique au sens où l’automutilation est très peu présente dans les communications
cliniques. Lorthiois en 1909 compile une cinquantaine d’observations pour la grande
majorité inédites (115). Ce silence pourrait avoir comme substrat les relations
particulières avec les familles d’aliénés. Le Blond, dans le bulletin de médecine légale de
1892 (110) propose que ces gestes n’étaient peut-être pas communiqués aux familles,
devant l’allégation possible de maltraitance. Cet élément, en dehors de l’impossibilité de
vérifier une telle hypothèse est que le sentiment d’une défaillance ou l’allégation de
maltraitances dirigés contre une équipe soignante pourrait constituer une première piste
pour penser le geste dans sa dimension relationnelle. Ceci aurait pu conduire les équipes
à une autocensure, à ne pas pouvoir évoquer cette dimension intégrée dans l’acte même.
Le point de départ de la réflexion psychiatrique sur l’automutilation, dans
l’hypothèse que nous proposons, vient d’une demande sociale d’expertise. La suspicion à
l’égard des malades n’est pas spécifique de l’automutilation à la fin du XIXème siècle.
André Haim souligne cependant la persistance de la suspicion dans l’approche de
certaines « tentatives de suicide » qui ont pu être considérées comme « simulées,
caractérisées par leur non-gravité »46.
2.2 Simulation et déviance
Avant les apports freudiens sur le caractère autodestructeur de l’homme, l’automutilation est formulée comme simulation, reflet de la suspicion vis-à-vis des malades et
aussi témoin d’un caractère déviant, en l’absence de pathologie mentale. La déviance,
intervient ici comme forme anomique d’une autodestruction incompréhensible par
ailleurs. On pourrait à ce point se poser une question peut-être étrange, à savoir pourquoi
le débat entre psychiatres et sociologues s’est-il porté plus spécifiquement sur la question
du suicide et pas sur l’automutilation. Pourquoi se priver de l’avantage de pouvoir
confronter des hypothèses avec des sujets encore présents ?
46
HAIM, A. Les suicides d’adolescents. Op. cit. : p. 31.
56
Cette évidence mérite que l’on s’interroge sur le sort réservé aux automutilateurs
à cette période. Il apparaît nettement dans la thèse de Blondel que la considération
intellectuelle est très prégnante, le suicide pouvant revêtir un caractère d’honneur, ou au
moins d’estime, ce qui n’est pas le cas des automutilateurs qui racontent tous la même
histoire. C’est en effet la dimension de soustraction à l’ordre qui est au premier plan,
avec l’allégation de mauvaises intentions, qui en période de guerre potentielle ou au
moins de tension internationale invite à porter le courage au-delà de la psychopathologie.
A partir de la place du discours psychiatrique et du caractère pathologique de
l’automutilation, nous apercevons les prémices de la caractérisation d’une automutilation
simulatrice, factice et d’une automutilation délirante. Le geste est impensable en dehors
d’un contexte de folie avérée par ailleurs, justifiant la place de l’expertise et ainsi le
caractère autodestructeur de l’homme reste énigmatique, sauf à être « consenti » ou
manœuvre de « simulation ».
Le propos de Blondel est plus nuancé que celui de ses contemporains. MarieMichel Lorthiois dans sa thèse de 1909 (115) présente de nombreuses observations
inédites de cas d’automutilations. La juxtaposition de toutes ces observations fournit un
matériel qui nous permet d’entrevoir les discussions à cette période des formes décrites et
de leur psychopathologie. La grande majorité de ces observations font état de délires
mélancoliques, mystiques, de quelques observations militaires, d’idiotisme. Cependant
quelques rares observations se rapportent à une entité nosographique décrite l’année
précédente par Dieulafoy, la pathomimie. Lorthiois transcrit en particulier une discussion
entre Gilbert Ballet et Dupré, sur la question de la mythomanie évoquant les aspects
relationnels. Dupré parle de « l’interpsychologie de l’entourage », qui peut se trouver
« suggestionné » par les patients pathomimiques47. Marie-Michel Lorthiois conclue son
étude très documentée :
« Consciente dans l’immense majorité des cas, l’automutilation, loin d’être
accomplie comme le suicide dans le but de se nuire, est au contraire bien souvent
effectuée dans une intention intéressée et se trouve être, par le fait, l’œuvre de
simulateurs. »48
47
48
LORTHIOIS, M-M. De l’automutilation et suicides étranges. Op. cit. : p. 203.
Ibid.. : p. 241.
57
Le « but intéressé » devient le mode explicatif premier d’une conduite qui peut
par ailleurs s’intégrer à d’autres troubles. Ainsi, Lorthiois fait de la simulation l’enjeu
fondamental de l’automutilation.
3 De la simulation au trouble factice
3.1 Un spectre nosographique
La prégnance de l’idée de simulation dans la clinique psychiatrique à propos des
automutilateurs au début du XXème siècle nous invite à étudier les pratiques contemporaines et suivre le devenir de ce préjugé.
L’idée de simulation que nous venons d’aborder trouve des prolongements dans
la nosographie contemporaine. Les évolutions du concept de trouble factice sont à
considérer avec celles de la simulation. Le DSM III présente la simulation comme « la
production et la présentation volontaire de symptômes physiques ou psychologiques
inauthentiques ou grossièrement exagérés »49.
Les critères de la simulation comportent : 1) L’existence d’un contexte médicolégal, 2) Discordance entre la souffrance ou l’incapacité rapportée et les résultats
objectifs d’examen, 3) Manque de coopération au cours de l’évaluation diagnostique et 4)
« L’existence d’une personnalité antisociale ».
Le DSM IV-TR (8) distingue la simulation comme « production intentionnelle de
symptômes » afin de se soustraire à une obligation (être juré, l’obligation militaire) et le
trouble factice, dont la motivation serait « un besoin psychologique de jouer le rôle de
malade, ainsi qu’en témoigne l’absence de motifs extérieurs pour expliquer le
comportement »50. Plus loin, « la simulation diffère du trouble factice par le fait que le
49
AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION. DSM-III : Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux (traduction française de la 3ème édition). Paris : Masson, 1985 : p. 357.
50
AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION. DSM-IV-TR : Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux (traduction française de la 4ème édition, texte révisé). Issy-les-Moulineaux : Masson,
2004 : p. 593.
58
sujet y est poussé consciemment par un motif extérieur »51. L’implication de la suspicion
quant à d’éventuels bénéfices secondaires est ainsi tout à fait présente dans la démarche
diagnostique.
La démarche de suspicion pourrait tenir également au fait d’une relative
perplexité devant des lésions provoquées. Elles font penser à un spectre nosologique qui
comprend le syndrome de Munchausen, le syndrome de Lasthénie de Ferjol et la
pathomimie (2) :
– Le syndrome de Munchausen proposé par Richard Asher en 1951 comporte des récits
rocambolesques associés à des opérations chirurgicales et actes invasifs multiples,
hommage au fameux baron.
– Le syndrome de Lasthénie de Ferjol décrit par Jean Bernard en 1967, consiste en des
spoliations sanguines volontaires chez des jeunes femmes, le plus souvent du milieu
médical ou paramédical, nom donné en référence au personnage de Jules Barbey
d’Aurevilly (129).
– La pathomimie décrite par Dieulafoy en 1908, qui consiste en la provocation de lésions
corporelles et leur entretien, malgré et avec des soins médicaux.
Ces descriptions pathologiques partent d’une même réalité clinique, que les
lésions sont provoquées directement ou indirectement par le patient, avec dans le dernier
cas la participation de médecins abusés. Ces différentes entités peuvent être regroupées
par le caractère non naturel de la maladie. Qu’est-ce qui peut pousser un sujet à se faire
passer pour malade ou à provoquer ses propres lésions ? Ces entités se distinguent
néanmoins, selon Alain Abelhauser (2) par la primauté de l’atteinte corporelle et des
auto-offenses (pathomimie) ou de la prédominance de la duperie (Munchausen). Les
lasthéniques se situent, eux, entre les deux dans une forme de « continuum »52. Le
partage entre la manipulation et l’insistance à la répétition ou l’entretien d’une lésion
corporelle ne peut être cependant qu’une manière de rendre compte d’une certaine
hétérogénéité devant des positions subjectives très différentes.
51
Ibid. : p. 596.
ABELHAUSER, A. Pathologies factices et vérité subjective. L’évolution psychiatrique, 1999 : 64(1) :
p. 130.
52
59
3.2 Contexte de l’automutilation dans l’armée
Les automutilations dans l’armée française se retrouvent à d’autres moments de
l’histoire et en d’autres lieux. Ce type d’automutilation est tout à fait distinct des
automutilations contemporaines à l’adolescence. Se couper un doigt pour éviter un
service militaire de sept ans peut difficilement se comparer aux lacérations des
adolescents. Nous souhaitons souligner à travers cette évocation une histoire des relations
entre automutilateurs et médecins, impliquant dans ce premier temps la manipulation
flagrante des automutilateurs et la suspicion dans le cadre de l’expertise médicale. La
suspicion de manipulation est l’enjeu principal de l’expertise. Cependant l’idée de
simulation se retrouve dans d’autres contextes.
60
IV Economie psychique et modulation relationnelle
1 Simulation de quoi?
Que recouvre l’idée de simulation présentée dans le chapitre précédent ? L’acte
d’automutilation nous semble valoir pour lui-même. La désignation comme simulation
implique une feinte, une présentation paraissant autre chose. Les textes relatifs à la
conscription pourraient laisser penser que l’automutilateur simule un accident, une
maladie mentale ou cache sa faible moralité derrière un geste qui permet de ne pas
exprimer le projet de se soustraire aux obligations militaires. L’automutilation n’en est
pas moins un symptôme. La référence à la simulation est relativement répandue au cours
du XIXème siècle à partir du débat portant sur la responsabilité dans la maladie mentale.
La qualification pénale des actes distingue l’irresponsabilité juridique des malades et la
punition des simulateurs. Le fait de retrouver la simulation à propos de l’automutilation
pourrait ne pas surprendre dans le contexte de l’époque.
1.1 La tentative de suicide
La simulation décrite sous-tend une suspicion devant le geste, suspicion que le
patient cherche à duper le médecin et son entourage. Il est cependant surprenant de
retrouver cette idée de simulation dans les débats des années 1960 à propos de
l’automutilation et de la qualification des « tentatives de suicide ». L’automutilation
modérée ou superficielle n’est pas actuellement considérée comme tentative de suicide
(56, 104, 145).
La variation entre les deux phénomènes comporte une évaluation de la létalité et
de l’intentionnalité, s’appuyant donc principalement sur un jugement de valeur, de
gravité. Ceci est actuellement plutôt consensuel sur les formes extrêmes. Cependant la
banalisation du geste par le patient, l’entourage ou les soignants qualifie le geste.
61
A partir des années 1960 la dénomination tentative de suicide est discutée, en
particulier concernant des ingestions médicamenteuses ou des gestes, parfois répétés sans
intentionnalité suicidaire mais qui continuaient à en porter le nom. Kreitman propose le
terme de « parasuicide » impliquant une démarche pragmatique, d’usage codifié des
gestes observés (100, 101).
La justification qu’il apporte est troublante. Nous nous attendions à une
discussion portant sur la spécificité de ces gestes, du moment de survenue et l’éventuelle
répétition. Kreitman présente son concept de parasuicide et le justifie par l’observation
d’une « simulation » ou une « imitation » de suicide53. La qualification alternative
proposée pourrait avoir un intérêt à considérer la spécificité des actes isolés. Cependant
Kreitman les ramène à la simulation. Nous revenons ainsi à ce que nous évoquions
précédemment. Même si Kreitman se place dans une perspective phénoménologique, la
dénomination elle-même comporte un jugement de valeur.
Revenons sur le terme « parasuicide ». Stengel s’interroge (157) : pourquoi
« para »-suicide ? Le préfixe para indique une proximité (du grec para : en marge, à
coté, ex : paranoïa) ou la protection, l’opposition (de l’italien parare : éviter, ex :
paratonnerre, parasol). Il semble que l’argument de Kreitman tient surtout à la valeur de
proximité avec le suicide sans être une véritable tentative de suicide. Mais ce préfixe
pourrait aussi indiquer une valeur de protection devant le suicide. Le double sens est
discuté par Stengel, un des protagonistes de l’échange de lettres paru dans le British
Journal of Psychiatry entre Kreitman, Stengel, Kessel et Merskey (100, 101, 102, 138,
157). La position de Kreitman semble se référer à la première signification
exclusivement.
La simulation dans la discussion entre Kreitman et Stengel porte sur la feinte du
suicide. En d’autres termes, Kreitman qualifie l’automutilation comme simulation ou
imitation de suicide, la dénomination « tentative de suicide » étant réservée à une
potentialité létale et une intentionnalité. Le jugement de valeur implicite se porte sur la
gravité évaluée.
53
KREITMAN, N. Parasuicide. Br J Psychiatry, 1969 Jun : 115(523) : p. 747.
62
1.2 L’automutilation pour elle-même
La focalisation sur la simulation nous fait proposer que l’automutilation est
régulièrement proposée pour autre chose qu’elle n’est. Cette attitude est particulièrement
étonnante dans la perspective d’une psychiatrie phénoménologique, fondée sur la
distinction des signes. L’automutilation est donc présentée par rapport à autre chose, un
accident, la maladie mentale, le suicide. Elle n’est pas dans ce contexte envisagée et
discutée pour elle-même.
Penser l’automutilation comme simulation implique l’allégation au patient de
vouloir abuser son entourage ou les soignants. Comment se fait-il que ces médecins se
soient sentis abusés, au point de ne pas pouvoir penser le geste pour lui-même ? La
position de malade résultante, dans les aménagements consécutifs à l’acte fait intervenir
la notion de bénéfice secondaire.
La persistance dans la nosographie de la simulation dans le DSM IV-TR (8)
s’appuie sur le repérage d’un bénéfice secondaire évident et l’absence d’autre trouble.
Nous pouvons souligner que mettre en avant le bénéfice secondaire revient à lui conférer
une valeur discriminante majeure.
Ainsi, l’automutilation pourrait être comprise comme simulation de quelque
chose d’autre (accident, suicide, maladie mentale) en vue d’obtenir un avantage social ou
relationnel, c’est-à-dire que la perspective de cet avantage serait incluse dans le geste luimême.
Le bénéfice secondaire nous semble supposer cependant un après-coup (109). Or
la mutilation dans l’armée a pour but premier d’échapper à la conscription. S’agit-il alors
d’un bénéfice primaire ou secondaire ?
2 Bénéfices primaires et bénéfice secondaire
La séparation entre bénéfice primaire et secondaire est conceptuelle, elle ne
recouvre pas la réalité d’une telle séparation dans les investissements du moi. Néanmoins
envisager sur deux plans distincts, l’économie du symptôme avec ses aménagements
relationnels permet de ne pas oublier l’un des deux. La persistance d’une suspicion de
63
simulation nous semble alors pouvoir prendre une autre valeur. La caractérisation de la
simulation suppose un intérêt social ponctuel. Tout symptôme comporte ce double
bénéfice, d’un bénéfice primaire lié à la diminution de la tension psychique et la
possibilité d’un bénéfice secondaire, forme d’alliance du moi avec le symptôme, qui
« fait avec » et tente d’obtenir des avantages liés à ce symptôme. La formulation
freudienne d’un bénéfice primaire et secondaire a changé au cours de son élaboration.
C’est la place du symptôme dans une économie et une dynamique psychique qui permet
de qualifier les mécanismes en jeu. La proposition de Freud repose sur la distinction au
sein du bénéfice primaire entre deux aspects l’un interne intrapsychique et l’autre externe
relationnel54. Le bénéfice secondaire recouvre une dimension d’après-coup et « son
caractère extrinsèque par rapport au déterminisme initial de la maladie » (109). Ainsi le
bénéfice primaire externe relationnel pourrait se confondre avec le bénéfice secondaire.
La nuance apportée serait la notion d’après-coup dans le bénéfice secondaire, une forme
de « vivre avec » le symptôme dans une accommodation des motions contradictoires. Les
exemples de bénéfice secondaire que propose Freud sont liés à l’autopréservation et
impliquent le lien social plus que l’entourage (pension d’invalidité par exemple)55.
L’aménagement relationnel avec les proches serait visé dans le bénéfice primaire externe,
c'est-à-dire intégré au mouvement initial de la formation du symptôme.
La suspicion retrouvée dans de nombreuses références peut venir d’une part de
l’entourage, dans une forme de disqualification du geste et d’autre part des psychiatres
qui mentionnent la nécessité d’explorer un bénéfice secondaire pour définir le trouble.
Ainsi le bénéfice secondaire acquiert une valeur sémiologique. Nous nous demandons si
cette qualification diagnostique à partir du bénéfice secondaire pourrait participer à
laisser dans l’ombre les implications économiques libidinales du sujet. En d’autres
termes, le bénéfice secondaire, pensé en premier, viendrait surdéterminer les autres
mécanismes impliqués. L’économie globale du geste se trouve réduite par la sémiologie à
la reconnaissance de l’après-coup comme mouvement initial. Outre la question d’une
logique interne du bénéfice secondaire, la surdétermination inversée fait passer le
bénéfice primaire au second plan. La manœuvre du symptôme de dissimuler les enjeux
véritables se trouve alors réalisée.
54
55
FREUD, S. Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora) in Cinq psychanalyses. Paris : PUF, 2001 : p. 30.
FREUD, S. Inhibition symptôme angoisse in Œuvres Complètes Vol. XVII. Paris : PUF, 1992 : Chap. III.
64
Si nous supposons avec Freud que le bénéfice secondaire n’est pas premier mais
est surdéterminé par l’économie psychique du sujet, la primauté donnée dans la
sémiologie au bénéfice secondaire devient problématique.
L’expérience du travail clinique nous indique une difficulté importante à travailler
à partir des bénéfices secondaires. Pour faire un parallèle, ceci consisterait à aborder avec
un déprimé la question de sa rente d’invalidité avant toute chose. Il est évident que les
enjeux narcissiques impliqués ne sauraient supporter une telle maladresse. L’abord de ces
questions ne peut venir que dans une relation déjà établie.
La distinction entre bénéfice primaire et secondaire a plusieurs conséquences :
– Le bénéfice secondaire entendu comme après-coup implique une temporalité du
moment psychologique de l’automutilation et l’accommodation du sujet avec son
symptôme dans un second temps.
– L’approche thérapeutique se focalise rarement d’emblée sur le bénéfice secondaire
pour privilégier le hic et nunc des enjeux individuels.
Toutefois la séparation artificielle entre les deux formes, un bénéfice primaire
inconscient et un bénéfice secondaire comporte des ambiguïtés et des imprécisions
notables. En particulier les aménagements relationnels avec l’entourage peuvent relever
autant du mécanisme initial du geste comme d’une récupération après-coup.
L’articulation entre la psychopathologie individuelle et sociale passe par la
qualification d’une économie du geste qui prend en compte l’entourage et les
aménagements souhaités, mais aussi ne peut cacher l’enjeu d’un bénéfice primaire
inconscient. C'est-à-dire que le comportement ne peut pas être envisagé sous un seul
angle.
La persistance de l’idée de simulation dans la nosographie à propos des lésions
provoquées et l’histoire dans le corpus psychiatrique de l’automutilation est
particulièrement saisissante. La confluence de lésions provoquées avec la psychopathie
(21) ou la personnalité antisociale (5) oriente surtout vers une tendance manipulatrice et
suspicion conséquente et pourrait tendre à laisser de côté ce que le moi engage de ses
mécanismes de survivance.
65
Nous nous demandons si la persistance de la simulation et du trouble factice dans
les termes actuels de la nosographie pourrait témoigner d’une certaine suspicion latente
de manipulation vis-à-vis des automutilateurs encore actuellement.
3 Economie du symptôme
– La suspicion d’un bénéfice secondaire se trouve dans les développements
concernant les lésions provoquées, incluant plus ou moins explicitement les
automutilations. Il comporte par ailleurs des « satisfactions narcissiques ou liées à
l’autoconservation » (109).
– L’économie du geste peut être abordée par le bénéfice primaire, intrapsychique,
c'est-à-dire les enjeux de l’atteinte du corps propre dans l’homéostasie psychique. Le
symptôme est envisagé sur un plan économique d’une diminution de la tension
psychique.
– Une troisième voie intermédiaire implique l’entourage social ou familial qui
peut être présente dans le mécanisme initial du geste ou trouver dans l’après-coup un
nouvel aménagement.
Le bénéfice secondaire vient comme après-coup et serait surdéterminé selon
Freud par le bénéfice primaire et non l’inverse. Le caractère autodestructeur de l’homme
peut être approché dans son économie propre à partir du moment où l’on suppose une
économie psychique.
Dans ce modèle la manipulation ou la simulation pourraient être considérées
comme bénéfice primaire externe, parce que les motifs sociaux participent du
mouvement initial.
Les deux niveaux intrapsychique (interne) et relationnel avec l’entourage
(externe) ne présentent pas cependant de frontière étanche. En effet, l’économie
psychique est nécessairement relation, structuration dans un environnement familial et
social. On sent bien la difficulté que présente cette distinction. Elle est cependant pour
66
nous la possibilité de penser conceptuellement trois niveaux dans le geste automutilant,
dont on suppose qu’ils sont co-présents. Nous prenons toutes ces précautions en
référence aux hésitations freudiennes sur la délimitation des trois registres.
Notre hypothèse est qu’il est discutable de travailler à partir du bénéfice
secondaire, parce qu’il « survient surtout après-coup » (109) et qu’il s’agit de
« satisfactions plutôt narcissiques ». Le travail thérapeutique se retrouve limité aux
défenses mises en place (61), en risquant de s’approcher des défaillances narcissiques. En
revanche, l’hypothèse d’un bénéfice primaire peut permettre la mise en place d’une
relation moins menaçante. Nous souhaitons souligner que ce partage, un peu artificiel,
entre bénéfice primaire et secondaire vient aussi rencontrer le contre-transfert, dans les
préjugés possibles du clinicien.
Dans les chapitres qui viennent nous discutons des enjeux intrapsychiques et des
motivations relationnelles en gardant à l’idée ce partage certes artificiel, mais nous
semble-t-il opérant.
Nous proposons d’étudier dans la partie suivante l’automutilation sur la scène
sociale et dans la relation transférentielle. La question pourrait se formuler à partir de
l’observation des formes de socialisation du symptôme, de formation de lien social à
partir des automutilations (regroupements d’automutilateurs, mouvement Gothique,
Modern primitives) : quelle est la nouvelle économie du symptôme ? Quelle valeur
clinique accorder à un symptôme socialisé par rapport à une conduite solitaire cachée ? Y
a-t-il des implications psychopathologiques dans la distinction entre un symptôme
solitaire et un symptôme socialisé ? Qu’implique de donner la primauté dans la
nosographie à l’après-coup en éludant l’économie intrapsychique du sujet ?
67
Troisième Partie :
Modes de socialisation de l’automutilation
68
I Une conduite désapprouvée
1 Entraînement, épidémie
La contagion observée est le premier argument qui a fait envisager une lecture
culturelle du phénomène. La contagion en institution a été décrite dans différents types
de collectivités, l’armée, la prison, les internats, les unités d’hospitalisation pour
adolescents. Toutes ont développé des praxis propres afin de pouvoir répondre
collectivement et individuellement. Les termes relevant de l’infectiologie, « épidémie »,
« contagion », font état d’un mouvement collectif avec un développement rapide.
Blondel avait noté dans ses observations le caractère épidémique des pratiques
automutilatrices, « l’automutilation est contagieuse comme le suicide »56, en prenant
l’exemple de deux compagnies isolées dans lesquelles les militaires ont pratiqué le même
type de geste dans un intervalle de temps court.
Le cadre institutionnel peut être favorisant, par son caractère coercitif mais
également s’il est « insuffisamment contenant et sécurisant […] tout comme l’anxiété de
l’équipe soignante »57. La « rivalité » dans la demande d’attention, de reconnaissance de
la souffrance individuelle peut être à l’origine d’une « surenchère » pointant les
insuffisances de protection dévolue à l’équipe soignante (145).
La réponse collective soignante prend sa place comme praxis propre, développée
par l’institution même afin d’endiguer une répétition morbide faisant obstacle à la
reconnaissance d’une demande avide informulable. Cette praxis s’appuie sur la
conceptualisation des réactions contre-transférentielles, point que nous développerons par
la suite. L’angoisse contagieuse a un effet désorganisant pour l’équipe soignante. La
réponse collective et individuelle sera pour nous l’occasion de détailler ce qui est en jeu
56
57
BLONDEL, C. Les automutilateurs, étude psychopathologique et médico-légale. Op. cit. : p. 124.
RICHARD, B. Les comportements de scarification chez l’adolescent. Op. cit. : p. 138.
69
dans le transfert, dans la mesure où le geste ne reste pas sans réponse et sans effet, que ce
soit d’un point de vue individuel ou collectif.
Ces praxis témoignent pour chacune d’une mise en jeu des ressources propres de
l’institution par ses signifiants historiques et également reconnaissent une prédisposition
individuelle, dans la mesure où tous les sujets ne se coupent pas dans un environnement
donné ou pris dans un mouvement de groupe au sein de ses mêmes institutions. Le terme
prédisposition pourrait être ambigu dans le contexte politique actuel, peut-être pourrions
nous préférer « une économie individuelle », qui par ailleurs nous permet d’introduire les
éléments singuliers d’un « mouvement » (41, 125, 155) automutilant.
Toutefois ceci ne permet pas de préjuger de la forme de cette influence culturelle
ni de prévoir ce que chacun des automutilateurs signifie par son geste. Ainsi, il ne peut
exister de corrélation stricte entre un malaise singulier, une question individuelle et une
pratique déterminée.
2 Des pratiques encouragées ou imposées ?
2.1 Terminologie
La difficulté principale est de savoir si l’on peut regrouper sous une même
dénomination des gestes variés et la possibilité d’utiliser un autre terme comme celui
fréquemment rencontré de « scarifications » (42, 106, 112, 113, 145). En effet, ce terme
est surtout consacré en France, bien peu utilisé dans la littérature internationale. En
anglais, le substantif scar signifie cicatrice et donc la conséquence plus que le geste et est
très peu retrouvé dans les écrits anglo-saxons en dehors des références explicites au
Modern Primitiv Movement (126). Dans les romans (58, 117) et le langage commun
(161) sont retrouvés surtout « cut » et « cutting ». « Scarification » en français pourrait
être l’équivalent du « cutting » anglais dans l’usage courant et la diffusion sur les
supports utilisés par les adolescents (161).
L’intérêt d’une dénomination alternative permet d’envisager une gravité moindre
(106, 112), moins ambiguë sur la conséquence fonctionnelle et de proposer une économie
psychopathologique fondamentalement distincte, en portant l’attention sur la
conséquence, la marque sur le corps. Néanmoins, la perte du préfixe « auto » avec les
70
« scarifications » semble préjudiciable dans la confusion des scarifications pratiquées par
d’autres et celles qui sont auto-infligées.
2.2 Les scarifications
L’emploi du terme « scarification » ne présuppose pas une référence automatique
aux scarifications rituelles. Cet usage devient un problème quand sont associées aux
scarifications des adolescents les descriptions ethnographiques.
Comment comparer une pratique collective, imposée par une culture à l’individu
avec une pratique solitaire dans une autre culture ? En d’autres termes, la pratique
actuelle des gestes autoagressifs et parmi ceux-ci des automutilations est une pratique
solitaire, non exempte d’une visibilité sociale destinée en premier lieu aux proches qui
remarquent à la dérobée les marques sur le corps. Données à voir, elles se prêtent certes à
une visibilité et une interprétation sociale, mais il nous semble que la valeur positive
sociale n’a pas de mesure avec les pratiques rituelles qui témoignent d’un pouvoir sur le
corps auquel l’individu du groupe ne peut pas ne pas se soumettre. La description des
scarifications rituelles montre plus une prise sur les corps, qu’une question
d’appartenance individuelle. Le corps appartient au groupe avant tout. Par ailleurs la
définition du syndrome « Deliberate Self-Harm », introduit par Kahan et Pattison (134)
et repris par Favazza (56) est dans la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé
« sans intervention d’autres personnes »58.
Nous proposons de revenir en détail à l’avertissement de Lévi-Strauss dans son
introduction de l’Anthropologie Structurale, qui replace le débat sur la transposition des
observations des ethnologues de terrain à la réflexion de la possibilité du discours
anthropologique et ses écueils méthodologiques (114).
Claude Lévi-Strauss dans son introduction à l’Anthropologie Structurale situe
quelques repères sur l’histoire des mentalités, l’histoire des cultures. La rénovation d’une
conception historique ne se situe pas pour Lévi-Strauss dans un continuum, mais des
58
PLATT, S, BILLIE-BRAHE, U, KERKHOF, A, et al. Parasuicide in Europe : the WHO/EURO
multicenter study on parasuicide. Acta Psychiatr Scand, 1992 Feb : 85(2) : p. 99.
71
« séries » d’abstractions. A propos de la hache, il précise : « entre deux outils identiques,
ou entre deux outils différents mais de forme aussi voisine qu’on voudra, il y a et il y
aura toujours une discontinuité radicale, qui provient que l’un n’est pas issu de l’autre,
mais chacun d’eux d’un système de représentations »59.
La langue « continue à modeler le discours en dehors de la conscience du
sujet »60. L’ethnologue ne peut retenir les raisons conscientes invoquées, mais
uniquement mettre à jour ces raisons inconscientes qui gouvernent l’organisation sociale,
« tout est histoire » signifie que l’histoire est une reconstruction au même titre que les
raisonnements secondaires conscients, rationnels.
Cette introduction est loin de corroborer la possibilité d’une transposition des
recherches ethnographiques dans une société donnée à une autre société, à moins que
l’économie résultante puisse être questionnée dans l’une et l’autre. Or il apparaît que les
propos de Lévi-Strauss sont loin d’être ambigus sur ce point, la comparaison d’une
culture à l’autre ne passe que par les raisons inconscientes de l’organisation sociale qui
dépend d’une histoire et pas d’un comparatisme des signes. L’exemple classique est le
totémisme. Pour la méthode, le structuralisme est directement l’héritier de la linguistique
saussurienne, en ceci que c’est la représentation qui est objet d’étude et pas une activité
ou une pratique donnée.
Sauf à démontrer que les scarifications rituelles ont une représentation sociale
comparable aux automutilations contemporaines, nous ne pouvons prétendre à une
comparaison plus avancée entre ces deux pratiques sociales. Nous pourrions dire que,
comme la hache pour Lévi-Strauss, elles sont issues de représentations distinctes qui
nécessiteraient pour les comparer de replacer leur histoire respective afin d’en dégager
les raisons inconscientes et nous demander si elles ont une représentation comparable
dans les sociétés en question, ce qui revient déjà à questionner la pratique dans notre
société contemporaine.
La référence aux scarifications rituelles pourrait justifier d’une forme
d’encouragement aux pratiques automutilatrices. Nous avons souligné avec Lévi-Strauss
59
60
LEVI-STRAUSS, C. Anthropologie structurale. Paris : Plon, 1974 : p. 7.
Ibid. : p. 26.
72
que ces pratiques nous semblaient différenciées des conduites modernes par un argument
interne à l’anthropologie. Le développement précédent distingue représentation et signe.
Enfin, les scarifications rituelles sont imposées à l’individu pour pouvoir entrer dans le
groupe. Le mouvement nous semble inverse dans les automutilations contemporaines, en
ce que la socialisation du geste parait survenir dans un second temps et ne nous semble
pas imposée à l’individu. Peut-être pourrions nous discuter d’une forme d’encouragement
dans des groupes déjà constitués à partir de forts mouvements identificatoires. Nous
pensons en particulier à des regroupements sectaires qui eux, pourraient révéler une
forme d’imposition à l’individu d’une pratique automutilante. Cette éventualité ne nous
semble pas la plus fréquente.
3. La désapprobation sociale
La réaction commune aux automutilations est fréquemment décrite comme une
situation de rejet (137, 152). Certains automutilateurs disent ne rencontrer que
« l’incompréhension et la colère » (135) des soignants qu’ils ont pu être amenés à
rencontrer.
L’« effet » des automutilations dans les cadres institutionnels est surtout un effet
désorganisant que nous discuterons dans le chapitre réservé au transfert. L’angoisse
suscitée en dehors des cadres de soins, dans le milieu scolaire en particulier provoque des
réactions diverses et le plus souvent une précipitation pour une demande de consultation.
L’application des mesures de « santé publique » incite à une demande de
consultation en psychiatrie, avant même parfois d’en parler avec l’intéressé(e). L’atteinte
du corps propre comporte une dimension transgressive (112) et pathologique a priori.
Les modes d’expression sur la scène sociale présentent les présupposés et vécus
des automutilateurs, d’un sentiment d’être incompris et rejetés. L’adresse prise au mot
désapprouve et rejette.
73
II Le symptôme sur la scène sociale
Sans un élément de cruauté à la base de
tout spectacle, le théâtre n’est pas
possible. Dans l’état de dégénérescence
actuelle où nous sommes, c’est par la
peau qu’on fera rentrer la métaphysique
dans les esprits.
Antonin ARTAUD,
Le théâtre et son double
1 Le mouvement des Survivors
La solution que représente le geste autoagressif peut prendre une toute autre
dimension quand il est revendiqué pour lui-même, par des formations collectives de
développement récent. Un de ces mouvements est particulièrement étudié en GrandeBretagne, autodénommé SSO (Survivors Speak Out). Les membres du groupe se disent
« Survivors » parce qu’ils ont survécu à leur rencontre, funeste, avec la psychiatrie et à
l’autoagression61. Cette position de revendiquer l’attaque de son propre corps pourrait
s’entendre à partir de la conjonction de trois mouvements séparés (40), d’une part la
tendance au regroupement des patients, d’autre part la persistance d’un mouvement
antipsychiatrique fécond, qui s’est appuyé dans ce cas-ci sur l’appareil du mouvement
féministe.
Les « Psychiatric Survivors » constituent un mouvement formalisé au milieu des
années 1980 en Angleterre pour la défense des patients qui ont eu des contacts avec la
psychiatrie à propos des autoagressions et qui sont survivants de cette rencontre. Cette
organisation vise le pouvoir psychiatrique et est dirigé contre l’oppression sociale
61
PEMBROKE, L. Self-Harm : perspectives from personal experience. London : Survivors speak out,
1994 : p. 7.
74
ressentie. Les « objectifs » définis par le mouvement lors des premières conférences62,
rapportées par une activiste de premier plan Louise Pembroke, sont d’établir une base de
connaissance en regard du savoir psychiatrique, de fournir des témoignages comme
données opposables à l’expertise et la formulation d’un projet politique contre
l’oppression du système.
La connaissance est ainsi issue de l’expérience et Mark Cresswell, sociologue de
l’université de Manchester qui a étudié ce groupe, note que le témoignage est plus
généralement « une forme récente de pratique politique » (40). Son étude permet de
situer l’engagement des principaux protagonistes, en particulier Louise Pembroke,
militante dans les courants féministes en Angleterre des années 1970.
Le mouvement s’attaque aux conceptions « hégémoniques » de la psychiatrie sur
deux éléments que sont le rapport de l’automutilation avec le suicide et la question
psychopathologique. Pour le premier argument, Louise Pembroke indique une
hétérogénéité manifeste entre le suicide et l’autoagression (« self-harm ») en ce que l’un
est fatal et définitif et que l’autre n’est pas une tentative de mourir mais une manière de
continuer à vivre et à survivre au système.
Pour le second argument, la portée politique est plus claire, en ce qu’elle demande
à déplacer au moyen de la revendication la « norme des conduites autoagressives
socialement acceptées » (40).
L’intrication des revendications politiques – féminisme, oppression – et psychopathologiques s’exprime dans ce débat à travers l’idée généralisée d’un préjudice,
préjudice reproduit par l’opprimé lui-même qui ne se définit plus que dans sa négativité
vis-à-vis du système. Ce groupe est en effet autoréférencé, se nomme lui-même ainsi que
ses objectifs devant une adversité diffuse et insondable. Mark Cresswell indique
cependant que la souffrance n’est pas niée, qu’elle est au centre de la démarche et ce qui
fonde le groupe, « the locus of the suffering ». La demande formulée collectivement est
un accès à des droits, des droits pour les automutilateurs (« self-harmers ») (137).
Le Survivor est le témoin de sa propre expérience. Cresswell propose que la
position d’expertise revendiquée par l’expérience se présente sous la forme d’un discours
performatif, qui implique le destinataire et le destinateur dans un état de fait. La vérité est
co-produite par la dyade Survivor-Receiver.
62
La première conférence eut lieu en 1989.
75
Il est notable que la forme de l’activisme des Survivors se réfère aux questions
fondamentales des psychiatres, à savoir, d’une part la relation avec le suicide et d’autre
part l’automutilation comme révélateur d’un trouble mental, en s’opposant aux deux
conceptions précitées. Le terme « Survivor » est directement lié à la question du suicide,
que l’on pourrait également comprendre comme la survivance à sa propre agression
(137). La question psychopathologique est vidée par la revendication d’un « distress »63,
expérience individuelle d’un mal-être dont le caractère pathologique est exclu. Les
Survivors avancent ainsi et c’est la thèse de Cresswell, en regard des questions que se
pose la psychiatrie devant l’automutilation, en donnant des réponses aux questions les
plus proches de la recherche psychopathologique.
L’évolution du mouvement s’est attachée à proposer une analyse systématique
des formes de traitement ou de prise en charge des self-harmers (136). L’abord s’est
modifié en proposant des solutions pratiques et concrètes par la multiplication des
échanges en particulier avec les infirmiers. La forme de l’activisme s’est progressivement
portée sur la question du rejet ressenti de la part des usagers (« users ») devant des
équipes médicales, des services d’urgence ou de psychiatrie. L’idée d’une
« minimisation » comme concept phare tend à promouvoir un « respect » des pratiques
automutilatrices, dénué de complaisance.
Sur quoi reposent ces profonds changements dans l’argumentation du groupe ?
Plusieurs hypothèses pourraient surgir de ce paradoxe apparent. Il convient d’aller voir ce
que donne ce partenariat. Nous avons déjà mentionné les sensibilisations auprès des
soignants, d’une « minimisation » de l’acte afin d’estomper les réactions délétères
d’incompréhension. Le deuxième acte, est la publication par la Fondation Camelot d’un
rapport intitulé « La vérité à propos de l’autoagression… pour les jeunes gens, leurs
amis et leur famille » (136, 146). La diffusion de ce rapport émane d’une fondation à
vocation caritative, qui en Grande-Bretagne constitue un soutien important pour les
patients et leur famille à travers des activités de sensibilisation, d’information, de
prévention, d’organisation de congrès et se place en défenseur de cette « minimisation ».
63
La traduction du terme distress pose quelques problèmes, l’usage en psychiatrie est souvent proche du
sens de détresse, bien que le champ sémantique en anglais soit plus large, regroupant une variation de
perceptions importante, comprenant douleur, angoisse, chagrin, détresse, peine, affliction.
76
S’adressant directement aux adolescents, les propos sont explicitement épurés de toute
référence théorique ou antérieure. L’empreinte idéologique est cependant problématique.
Que faire de cette souffrance ? Maggy Ross témoigne de ce que pour elle la
coupure est un cri sans voix, illustrant l’insondable d’une réponse possible à un cri : « It
was like I was screaming without opening my mouth », « My cuts speak for me »64.
Devant cette hégémonie psychiatrique décriée se profile une souffrance insondable et
indicible.
2 Les « Modern primitives », nouvelle religiosité ?
Le mouvement des Modern primitives ne repose pas exclusivement sur
l’automutilation. Les pratiques corporelles visent à la modification du corps, par l’ajout
de tatouages, piercings et de pratiques d’automutilation (branding65, suspensions,
cutting). Le mouvement est centré sur les possibilités de modifications du corps et
l’association secondaire de références ésotériques et spirituelles.
Fakir Musafar (126) se proclame père du Modern primitiv movement. Dans un
court texte qui clôt l’ouvrage de Favazza Bodies under siege, il retrace les lignes de sa
démarche personnelle et de son parcours, dans une construction a posteriori. Ses
pratiques solitaires initiales source de souffrance par l’isolement et le secret qu’elles
impliquaient se sont transmuées en expérience transmissible et surtout lui ont fourni une
position sociale, se disant lui-même « chamane », intronisant des jeunes recrues. Le
développement du mouvement doit donc selon la présentation par lui-même de Fakir
Musafar à son caractère prosélyte et sa position régulatrice d’une pratique nouvelle. Ce
groupe a pu constituer un relais pour la diffusion d’idées nouvelles, liées à une
modification dans la culture de la question du corps et de ses usages. Il insiste sur le
caractère aliénant de la culture judéo-chrétienne et propose que le mouvement soit une
forme de réappropriation du corps. Il serait long de déconstruire les arguments avancés
comme des justifications d’une pratique nouvelle ou renouvelée. Néanmoins il précise
que c’est la formation de nouvelles normes sociales à l’intérieur d’un petit groupe qui a
64
65
PEMBROKE, L. Self-Harm : perspectives from personal experience. Op. cit. : p. 15.
Branding signifie littéralement « marquage au fer ».
77
pu être un élément déterminant dans l’écho fait à ces pratiques. Les exemples cités
témoignent d’une dissymétrie manifeste entre les chamanes modernes et les demandeurs,
les « adeptes ». La position sociale que retire Fakir Musafar ne nous permet pas de nous
prononcer sur ce que représentent pour un adepte ces pratiques. Que penser de sa position
vis-à-vis de ses adeptes66 ?
Les références religieuses par la formation hiérarchique et l’élaboration d’une
pratique collective rapportée à une vérité transcendante, sont marquées. L’autoréférence
du groupe dans la construction d’une pratique ne s’affranchit pas d’une transcendance.
La religiosité passe par un discours de libération de l’âme et du corps. Le corps a ici la
première place, comme dans la religion chrétienne que le Modern primitiv movement
condamne. Ainsi, pour tenter d’échapper à cette culture judéo-chrétienne décriée, le
corps et ses souffrances sont vécus dans la passion de soi.
3 Les Gothiques
Certains des adolescents que nous avons rencontrés affichent un style Gothique
allant de quelques accessoires, des goûts vestimentaires ou musicaux, aux piercings,
tatouages en nombre varié. Certains d’entre eux se disent « Goth », tandis que d’autres
s’étonnent qu’en s’habillant en noir, on les prenne pour tels. Les automutilations
n’entrent pas dans la « culture Gothique », néanmoins des stars Goth se mutilent,
éventuellement sur scène (Marilyn Manson).
Le mouvement gothique semble s’être appuyé au moins initialement sur quelques
groupes de musique à la fin des années 1970 (15). L’enrichissement d’une « culture
Gothique »
serait
apparu
secondairement
par
des
références
littéraires,
cinématographiques, spirituelles. L’intérêt porté sur le satanisme ou les formes de
spiritualités de fin du monde n’est qu’un des aspects de cette culture sans pour autant la
résumer. L’ensemble des références affiliées s’étend considérablement quand des
66
A propos de Swedenborg, Karl Jaspers s’emporte : « On a vu plus d’une fois un schizophrène fonder une
secte ou quelque groupement de ce genre, en être le seul malade, alors que ses adeptes seront sains d’esprit,
ou tout au plus hystériques ». Cette assertion est peu équivoque, à comparer avec la profonde bienveillance
qu’il réserve à Strindberg et à Van Gogh.
JASPERS, K. Strindberg et Van Gogh. Paris : Minuit, 1953 : p. 152.
78
systématisations sont tentées. Le « Goth » se veut a priori différent, refusant une culture
de masse. L’exhumation et la reprise des œuvres subversives des XVIIIème et XIXème
siècles produisent un corpus de base pour le mouvement. Certains essais proposent même
que Sade avait tout d’un Goth, comme Sarah Bernhardt, en dépit de l’anachronisme.
L’intérêt pour le bizarre, l’étrange, la magie, se conjugue au spleen romantique. C’est
peut-être le noir, du romantisme anglais obscur aux ténèbres sataniques qui fait le lien
d’une culture riche, polymorphe, qui tente d’échapper à sa propre normatisation (15).
Les adolescents habillés en noir, ne sont pas tous Goth, l’engagement dans une
différence en négatif par le « look corbeau » est susceptible de se faire remarquer dans
une subversion sans avoir à le dire.
Les automutilations ne sont pas a priori encouragées, cependant les
transformations corporelles font partie des pratiques retrouvées. Notre question clinique
s’appuie sur l’observation d’une séduction opérée sur certains, qui se sentent attirés par le
contenu différent ou subversif et la couleur de leurs affects. Dans notre expérience, les
mutilations et le virage Gothique se passent sensiblement dans la même période. C'est-àdire que nous n’avons pas rencontré d’adolescents qui étaient Goth puis se mutilaient,
nous avons plutôt observé l’inverse, des adolescents qui commencent à se mutiler et qui
prennent par la suite, le style voire les références Gothiques. Ceci ne saurait être général.
Il est néanmoins difficile de préciser les mouvements, être Goth peut signifier aussi un
état d’esprit, une manière d’être.
Nos observations s’appuient sur une pratique clinique limitée mais cependant
elles nous ont suggéré de nous pencher sur une modalité de socialisation de leurs
pratiques automutilatrices. Nous sommes amené dans une première approximation à
penser que certains patients modifient l’économie de leur symptôme en l’entourant de
références qui parlent peut-être à leurs états d’âme.
Notre propos ne s’applique pas au mouvement Gothique en général mais à la
possibilité trouvée par certains adolescents qui se mutilent de pouvoir exprimer leur
symptôme dans un environnement culturel qui n’est pas rejetant devant l’atteinte du
corps. Les limites du mouvement lui-même sont engagées quand il est question des
« stars Goths ». Cette expression, loin d’être consensuelle, est une véritable oxymore
pour les « vrais goths ». La dynamique semble radicalement distincte à envisager une
position par rapport à la culture de masse et le rassemblement autour de quelques idoles.
79
Il est possible que le mode d’adhésion soit multiple allant d’une position existentielle,
philosophique, marginale ou d’imitation.
Notre impression clinique serait que la position subjective est engagée dans
l’affiliation au mouvement Gothique avec plus de nuance que dans les exemples
précédents de socialisation. La variété et la richesse des références en fait un corpus non
uniforme. Cependant la noirceur n’est pas sans évoquer les ténèbres de la mélancolie.
4 Forums et blogs sur Internet
Au cours de nos recherches, nous en sommes régulièrement venus un peu par
hasard à découvrir les nombreux forums Internet portant sur l’automutilation. La
présentation est régulièrement organisée par des questions générales se rapportant au
comportement, des liens d’information, une charte d’utilisation. Les personnes
impliquées dans la construction du site sont administrateurs ou modérateurs, régulant les
interventions, eux-mêmes automutilateurs résilients ou anciens automutilateurs. De
nombreux adolescents se connectent et font part sous couvert d’anonymat de leur
histoire. Sont retranscrits des rêves, des autobiographies anonymes et détaillées, des
anecdotes personnelles, des poèmes et il est possible de suivre le parcours d’un
« utilisateur » sur plusieurs mois. Quelques études statistiques sont parues (161).
Les éléments repérés nécessitent cependant une méthodologie pour pouvoir être
discutés. En effet, le matériel habituel (récits de patients, autobiographies publiées,
observations cliniques) suppose une méthodologie spécifique de chaque source.
Comment traiter ce nouveau type de source ? Les difficultés semblent nombreuses, en
particulier, à propos de la confidentialité, des formes d’organisation interne (simple
utilisateur, enregistré ou visiteur, existence d’un mot de passe, modérateur et
administrateur entre autres). Peut-on considérer un forum comme une institution ? Un
lien social semble cependant pouvoir se former, comment l’appréhender ?
Parmi nos patients, aucun ne nous a révélé sa participation dans l’organisation
d’un forum. En revanche nombreux sont ceux à se connecter régulièrement. Il est par
ailleurs fréquemment question des psychiatres et psychologues de chacun dans les
échanges. Nous pensons que repartir de la clinique du cas dans ces circonstances pourrait
80
nous aider à appréhender les motivations individuelles dans l’implication du « cutting
virtuel » (161).
Les questions abordées sont multiples. Sans méthodologie précise, il est difficile
de rendre compte de notre lecture régulière et attentive de certaines interventions. Peutêtre pouvons nous formuler quelques pistes de travail qui pourraient être discutées avec
une méthodologie appropriée.
Le sentiment général est qu'une communauté provisoire peut se former autour
d'une question ou d'un message laissé. Le partage des expériences est aussi une forme de
soutien et d'entraide, en particulier quand un des membres ne va pas bien. L'alerte est
donnée au groupe qui se mobilise pour celui ou celle qui le sollicite. Les éléments qui
alertent le groupe nécessiteraient d'être étudiés en détail. Il nous semble que les éléments
psychotiques sont particulièrement repris, non banalisés et perçus comme signes d'alerte.
Par ailleurs, la sexualité est un thème très souvent abordé, avec parfois une grande
finesse des messages ou commentaires.
Il est fréquemment question des psychiatres et des psychologues. Sans vouloir
généraliser, le thème est régulièrement abordé, avec une forme de respect pour ceux qui
parlent de leur thérapie ou consultation et les encouragements sont fréquents. La charte
d'utilisation de ces forums mentionne dans leur grande majorité que les « psy » ne
doivent pas intervenir dans le forum, à moins d'être identifiés comme tels et autorisés par
les administrateurs du site. D'une certaine manière cet espace n'exclut pas le recours au
« psy », qui y est souvent jugé de manière extrême (idéalisé ou nul) mais doit rester un
recours extérieur.
81
III L’autoagression un enjeu nosographique
1 Nosographie et tendances contradictoires
L’étude psychiatrique stricto sensu ne peut se justifier, au sens où la nosographie
est travaillée de l’extérieur par les interrogations sociales et les prérogatives politiques.
Les formations présentées dans le chapitre précédent montrent la diffusion des
conceptions ou au moins des termes de la psychopathologie, dans la reformulation
sociale de la souffrance individuelle. Les Survivors se placent directement en opposition
du discours psychiatrique. Les autres formes de regroupement sont moins tournées vers
la revendication, cependant nombre de messages de forums évoquent par exemple
l’automutilation comme une « maladie ». La qualification des concepts psychiatriques
circule ainsi dans une forme d’aller-retour entre d’une part la lutte pour le déplacement
des normes du pathologique et d’autre part la reprise du caractère pathologique, qui pour
certains donne un nom à ce qu’ils vivent.
Nous nous demandons comment approcher les mouvements qui s’opèrent à
l’endroit de la reprise du discours médical. En effet, les catégories décriées sont
néanmoins reprises par ailleurs pour justifier d’une maladie. La nosographie est ainsi
impliquée dans au moins deux tendances contradictoires, d’une part la possibilité d’une
reconnaissance sociale par la qualification d’une souffrance vécue et d’autre part la
dépathologisation de cette souffrance. Ce sont donc bien les concepts psychiatriques qui
sont visés. La construction de la nosographie n’est pas indépendante de ses usages
possibles, ni des tensions qui opèrent au sein même du social.
Il nous a semblé que cette question pouvait être approchée de notre point de vue
psychiatrique par l’évolution et les modifications des entités nosographiques. Les entités
controversées souvent citées sont l’hystérie, le masochisme, dans une moindre mesure le
sadisme.
82
Nous proposons d’illustrer ce propos avec un débat qui semble bien lointain d’un
débat purement clinique, à propos de la personnalité masochique (ou masochiste). Ceci
vient en exemple d’une influence externe sur la nosographie. Cette influence modifie-telle notre approche clinique ?
Ceci ne présuppose pas l’existence ou la non-existence de cette entité
nosographique mais la réaction de suppression d’un élément non consensuel.
2 Discussion à propos de l’item personnalité masochique dans le DSM
L’évolution d’un concept de personnalité masochique se déroule dans les marges
de l’élaboration du DSM. Les éléments repérables de la discussion sont présentés dans
les annexes, la discussion des formes « non spécifiées » ou « autres » et le Sourcebook :
– Dans le DSM III, est mentionné le « Trouble de la personnalité masochiste », comme
trouble spécifique de la personnalité, dans la rubrique « Trouble autre de la
personnalité »67.
– Dans le DSM III-R, sont présentés en annexe le « Trouble de la personnalité sadique »
et le « Trouble de la personnalité à conduite d’échec » (« self-defeating personnality »)68.
– Le « Trouble de la personnalité à conduite d’échec » est discuté dans le Sourcebook du
DSM IV (7).
Il est intéressant d’étudier l’évolution terminologique et la justification du retrait
du « Trouble de la personnalité masochique ». Nous trouvons dans le DSM III-R un
aperçu du débat :
« La personnalité à conduite d’échec était appelée auparavant personnalité
masochiste. Le nom a été modifié pour éviter l’association historique du terme
masochiste avec d’anciennes conceptions psychanalytiques sur la sexualité
féminine et la notion selon laquelle une personne présentant ce trouble retire un
plaisir inconscient de la souffrance. De multiples théories psychanalytiques,
67
AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION. DSM-III. Op. cit. : p. 355.
AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION. DSM-III-R : Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux (traduction française de la 3ème édition, révisée). Paris : Masson, 1989 : p. 416-420.
68
83
cognitives, sociologiques ont été proposées pour expliquer l’origine de ce
comportement. »69
L’argument présenté dans le Sourcebook du DSM IV (7) s’appuie sur la primauté
supposée d’une faible estime de soi et un évitement du plaisir sur les comportements
masochiques. Il s’agit donc de penser le masochisme ou les manifestations d’autoagression comme conséquence d’un trouble primaire de l’estime de soi. Ce qui sousentend que les comportements masochiques au sens du DSM III ne peuvent avoir une
économie propre, sinon surdéterminée par une inadaptation sociale.
La nouvelle dénomination de l’item ignore le terme de masochisme, introduisant
une nouvelle catégorie, le « Self-defeating personnality disorder » (traduit par « Trouble
de la personnalité à conduite d’échec »). S. Fiester auteur de l’article du Sourcebook du
DSM IV sur ce nouveau trouble reprend les éléments du débat entre l’élaboration des
versions III-R et IV du DSM et surtout la séquence et les arguments produits par
l’American Psychiatric Association (A.P.A.). Fiester rapporte que le Comitee on women
de l’A.P.A. a pointé les « problèmes potentiels avec le diagnostic de Masochistic
personnality disorder »70. Ces problèmes sont les suivants ; « biais du sex-ratio,
association avec le concept psychanalytique de masochisme, conséquences du fait des
potentiels mésusages dans le contexte de victimisation et d’abus »71.
En conséquence, « les critères ont été révisés, des critères d’exclusion ajoutés et
le nom changé »72.
Fiester étudie ensuite en détail les huit points qui sont controversés à propos de
cette entité clinique. Avant de présenter ces points, nous pouvons noter l’absence de
certaines questions : l’implication du sexuel, cantonné au masochisme sexuel qui prend
sa place dans une catégorie distincte, les paraphilies, l’absence de questionnement sur
l’implication d’une instance morale, éthique.
Les huit points controversés à propos du Trouble de la personnalité à conduite
d’échec sont : « la prévalence, le recouvrement avec d’autres troubles de la personnalité,
la fiabilité statistique, la validité du diagnostic, l’application des critères, le sex-ratio, les
69
Ibid. : p. 418.
AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION. DSM-IV Sourcebook. Washington DC : APA, 1994 :
p. 833.
71
Ibid. : p. 833.
72
Ibid. : p. 833.
70
84
conséquences dommageables pour les femmes ou pour l’avenir, le rapport avec les
troubles bipolaires ».
Le mésusage médico-légal est la principale préoccupation. Toutefois, l’enjeu est
plus évident quand est abordée la question thérapeutique :
« Le Self-defeating personnality disorder pourrait avoir une utilité en favorisant la
conceptualisation d’approches thérapeutiques spécifiques pour différents soustypes de patients avec Self-defeating personnality disorder : ceux qui craignent la
réussite, ceux qui recherchent la réussite par l’échec et ceux qui cherchent un
bénéfice secondaire à travers des relations sado-masochistes. »73
Le déplacement s’opère dans le cas de la personnalité masochique vers une
invalidation de la participation du sexuel dans l’organisation psychique. Le concept
d’interaction, comme modalité relationnelle subsume du même coup le concept de lien
social. Peut-être pourrions-nous risquer une question, comment penser l’économie d’un
bénéfice secondaire dans cette configuration?
73
Ibid. : p. 843.
85
IV L’automutilation dans le transfert
1 Des réactions négatives au transfert
Les réactions de rejet surprennent de la part de ceux qui sont normalement là pour
soigner et écouter. En effet, nous avons déjà noté que les pratiques d’automutilations
pouvaient se rencontrer à l’asile au cours du XIXème siècle, en témoignent les
parcimonieuses communications de la société médico-psychologique et la relative
discrétion dans les manuels ou les traités, en dehors de la question du suicide ou des
automutilations majeures.
Le climat de suspicion du contexte de l’expertise semble avoir des prolongements
actuels. Blondel s’étonne que les conscrits fournissent la même histoire, la même
explication. Cette attitude de suspicion est généralisée et en rien spécifique à
l’automutilation. Cependant la persistance dans les écrits ultérieurs psychiatriques semble
témoigner d’une prolongation que n’ont pas connue d’autres entités cliniques. On trouve
par exemple dans l’essai de Menninger une partie conséquente sur le malingering
(simulation).
A ce titre, Menninger livre à la fin de son ouvrage son indignation, après une
étude attentive, précise, tendant à l’objectivité, des phénomènes suicidaires et des
automutilations. Menninger met l’accent sur la réaction du médecin devant des lésions
provoquées, surtout devant les bénéfices secondaires. Menninger témoigne surtout de son
indignation propre, cependant il pointe que les névrosés en général ont pu être considérés
par le passé comme simulateurs ou producteurs de leur propre pathologie. Il ajoute au
caractère agressif son caractère moralement répréhensible : « Décider de la moralité de la
maladie n’a jamais été la fonction du médecin »74. Finalement Menninger se pose la
question du transfert dans la relation thérapeutique et avec la société : « une agression
74
MENNINGER, K. Man against himself. Op. cit. : p. 252.
86
dirigée vers la société », « un effort pour ridiculiser le médecin, un essai de le
décevoir »75.
Le terme bénéfice évoque une question économique, une économie du geste qui
ne saurait se concevoir sans la participation de cette réaction, négative le plus souvent. La
réaction ou contre-attitude selon les modèles, intervient à ce point qu’elle est rejet,
qu’elle est suspicion, qu’elle est discrédit, qu’elle est mépris.
Podvoll pointe en 1969 ce double but (« goal »), un but interne de soulagement de
la tension et un but externe de « changement dans le champ interpersonnel », qui est le
plus difficile à envisager du coté du patient76.
Le court-circuit opéré par un bénéfice supposé évident évanouit toute possibilité
de penser l’adresse du geste et son économie inconsciente. Souvent présenté comme
avatar de l’agressivité, le geste peut conserver ses enjeux profonds dans l’ombre. La
position de se faire rejeter est toute autre que celle d’un choix d’éloignement. Cette
introduction de l’enjeu relationnel doit à la psychanalyse sa mise à jour. Nous ne pouvons
bien sûr nous contenter de cette approche sommaire sur les contre-attitudes supposées.
L’intérêt pour nous est de proposer que cet enjeu restait méconnu des intervenants
(l’impression d’être abusé), que la psychanalyse nous permet de penser le phénomène de
manière radicalement distincte. Cela signifie aussi que nous écrivons aussi sur les
manifestations transférentielles dans lesquelles nous sommes impliqué.
2 Transfert individuel et collectif
2.1 Moment de déstabilisation
La question du transfert est particulièrement prégnante en ce que le mouvement
automutilant n’est pas sans susciter de réactions. Ce moment de la relation médecin
malade où le malade se mutile fait apparaître surtout l’incompréhension, le malaise,
parfois l’agression. L’impossibilité d’en dire quoi que ce soit du coté du patient, est
fréquente dans les suites immédiates d’un geste ou lors d’une première rencontre. La
75
Ibid. : p. 253.
PODVOLL, E. Self-mutilation within a hospital setting : a study of identity and social compliance.
British journal of medical psychology, 1969 : 42(3) : p. 213.
76
87
supposition que le geste a à voir avec le transfert en cours sans que pour cela un mot
n’apparaisse a fait dire de ces sujets qu’il leur manquait le mot en quelque sorte (88).
L’effet sidérant de l’agression supposée réactualise dans le transfert une agression dirigée
sur une figure trop proche.
L’équipe thérapeutique est sollicitée dans son ensemble et dans ses liens (56) :
« La poursuite ou l’arrêt d’un comportement automutilateur dépend en grande part de la
réaction d’une communauté soignante à ce comportement »77.
2.2 Une angoisse contagieuse?
Le titre de l’article de P. Votadoro, R. Rechtman et S. Stern (159) prend à contrepied l’adage de contagion épidémique des gestes automutilants en institution. Cette
contagion est envisagée sous l’aspect du transfert, de l’angoisse « désorganisante »
suscitée par des gestes automutilants ou la communication de propos suicidaires. C’est la
restauration d’une relation d’objet plus stable, non plus menacée de destruction qui
permet de ne pas rester capté dans cette angoisse aliénante. La praxis que les auteurs
développent témoigne du caractère propre à cette institution de la réponse qui a pu être
donnée, s’appuyant sur « l’engagement collectif ». L’angoisse suscitée devient fonction,
dans une modulation limitée de la relation objectale. Maintenir « l’objet en éveil »
participe d’une reconnaissance que les attaques ne détruisent pas l’objet, autant que le
lien n’est pas rompu. La « juste distance » laisse surtout entrevoir les mécanismes de
déliaison, oscillations entre un objet absent ou aliénant.
Notre expérience clinique va dans ce sens, aussi dans la possible matérialisation
d’une distance dans les situations d’oscillations importantes, maintenant un lien à l’objet
qui ne soit pas menaçant. Les modalités de cette « juste » distance psychique peuvent
nécessiter à un moment au cours d’une hospitalisation de recourir à des « temps en
chambre ». Quand ils sont mis en œuvre, ces temps sont prescrits de « façon
systématique et programmée » selon B. Richard (145), évitant la dimension « purement
réactionnelle ». Ils favorisent des intervalles de restauration narcissique réengageant le
sujet dans une appropriation de ses ressentis propres, en même temps qu’un
aménagement de la relation aux autres.
77
FAVAZZA, AR. Bodies under siege (second edition). Op. cit. : p. 281.
88
La praxis tend de manière générale à se dégager de la dimension réactionnelle liée
à l’angoisse contagieuse suscitée, qui tend à éviter la position frustrante ou omnipotente
pour le sujet. La révélation du manque du coté de l’équipe soignante peut répondre au
manque qui fait défaut dans l’induction de l’angoisse du sujet (159).
Ces modalités institutionnelles présentées trop brièvement indiquent cependant
des modalités de relation objectale menacées de rupture, relations qui par le transfert
incluent l’équipe soignante. Les mouvements induits sont de nature à déstabiliser les
soignants dans ce qui fonde leur implication individuelle et collective institutionnelle.
3 Un symptôme transférentiel
La formule de ce titre est certes pléonastique, mais elle tente de rendre compte
d’une démarche nosographique qui s’appuie directement sur les éléments du contretransfert.
3.1 Une nosographie à partir du contre-transfert
L’idée de développer une nosographie qui ne s’appuierait pas sur la topographie
ou la forme du geste est présente dans de nombreuses références, toutefois ce projet reste
régulièrement à l’état de proposition. Scharbach (152) tente pour sa part de développer
un peu plus cet aspect en proposant de classer les gestes à la fois sur un plan
phénoménologique habituel et d’introduire la dimension des « contre-attitudes » afin de
présenter une ligne de démarcation en faisant intervenir des variations en fonction de
l’intentionnalité du geste et son caractère dirigé à un environnement. Scharbach décrit
ainsi le geste auto-offensif primitif, le geste auto-offensant, le geste auto-offensif
vulnérant.
– Le geste auto-offensif primitif correspond à une décharge dans des situations de
frustrations.
– Le geste auto-offensant fait selon l’auteur apparaître la dimension subjective,
absente ou peu prononcée dans les autres formes, l’offense renvoyant à « l’injure,
89
l’outrage la blessure »78. Un au-delà du geste socialement et culturellement interprété.
Cette forme indiquerait une stratégie du désir qui implique une relation avec l’extérieur.
– Le geste auto-offensif vulnérant se distingue du précédent par l’existence d’une
conséquence lésionnelle et un substrat corporel auto-entretenu. Il semble que cette
catégorie ait pour Scharbach une relation proche avec le geste primitif, de décharge, qui
secondairement pourrait prendre une dimension relationnelle.
Ainsi, la tentative d’une nosographie à partir des contre-attitudes donne des pistes
pour proposer le caractère primaire ou secondaire de l’enjeu relationnel.
3.2 Une tolérance est elle possible ?
L’adresse que constitue le geste ne peut être méconnue du thérapeute. Ceci
n’implique pas une réponse univoque. L’attitude à adopter ne peut être standardisée. La
répétition est une donnée permanente et des plus décourageantes.
Le transfert est lui-même compris comme répétition, en étant paradoxalement,
selon Freud dans La dynamique du transfert, « [ce] qui oppose au traitement la plus forte
des résistances, alors qu’ailleurs il doit être considéré comme l’agent même de l’action
curative et de la réussite »79. La participation d’un transfert positif et négatif est
indépendante du cadre analytique, dans le sens où le transfert vient de la névrose ellemême. Le maniement des relations transférentielles en institution est complexe.
La compréhension très partielle du phénomène amène à proposer dans le cas d’un
transfert collectif la non-uniformisation des pratiques mais la possibilité pour une équipe
thérapeutique de répondre avec ses moyens propres à cette angoisse contagieuse. La
situation en relation individuelle est toute autre en ce que la dimension relationnelle est
concentrée et constitue, selon André Green (81), une difficulté en soi pour ces patients :
« Tout semble se jouer ici dans le va-et-vient d’une pensée qui doit s’assurer de
ne jamais perdre son lien à son sanctuaire inviolable, en même temps qu’elle doit
se donner la preuve de l’existence de l’autre de manière indéfiniment renouvelée
78
79
SCHARBACH, H. Auto-mutilations et auto-offenses. Paris : PUF, 1986 : p. 9.
FREUD, S. La dynamique du transfert in La technique psychanalytique. Paris : PUF, 1985 : p. 52.
90
dans un rapport où sont sans cesse remis en question sa proximité et son
éloignement. »80
Un autre point est l’attitude ponctuelle sur l’intérêt porté directement sur les
comportements autoagressifs. Marie Bonaparte s’interroge sur ce point dans son texte de
1956, Des autoérotismes agressifs par la griffe et par la dent (23). Cette réflexion
s’inscrit dans l’interrogation épistémologique qui agite la psychanalyse en ces années, au
sujet de l’usage des données anthropologiques et ethnographiques en psychanalyse.
Marie Bonaparte envisage les gestes autoagressifs des névrosés, gestes socialement et
culturellement tolérés tels l’onychophagie, le fait de se mordre la lèvre, les grinceurs de
dents. Ces éléments disparates témoignent d’un investissement social de la « griffe » et
de la « dent » rendant compte d’un compromis, pour empêcher l’hétéroagression avec
une charge surmoïque atténuée, « l’onychophagie neutralisant au mieux deux grands
modes d’attaques à la fois »81. Ils peuvent être des symptômes névrotiques tolérables :
« Les autoérotismes agressifs sont une des solutions sociales et de l’insatisfaction
libidinale et de l’insatisfaction de l’agression […] il vaudrait mieux certes trouver
d’autres dérivations à nos instincts coincés mais celle-ci a le mérite de ne pas être
très dangereuse pour les autres, elle ne sait que les irriter, satisfaisant par là à son
tour un peu à l’agression vers l’extérieur d’où elle était issue. »82
La résistance dans la cure à l’analyse de ces symptômes autoagressifs bénins
n’empêche pas par ailleurs l’avancée de la cure selon Marie Bonaparte. Et de préciser,
« aussi faut-il donner presque raison à nos patients quand ils s’obstinent à garder en
dernière analyse leurs petits autoérotismes agressifs ».
Le passage entre autoérotisme agressif et automutilation ne peut cependant pas
être linéaire, dans le sens d’une variation quantitative. Des manifestations
transférentielles comparables pourraient être impliquées en dépit de l’hétérogénéité de
nature que l’on entrevoit entre les deux phénomènes. L’acte automutilant est ainsi sous
influence quand il est intégré dans le transfert, constituant une réactualisation de
80
GREEN, A. La folie privée. Paris : Gallimard Folio, 1990 : p. 351.
BONAPARTE, M. Des autoérotismes agressifs par la griffe et par la dent in Psychanalyse et
anthropologie. Paris : PUF, 1952 : p. 152.
82
Ibid. : p. 154.
81
91
l’autodestructivité dans la relation thérapeutique. Que faire de cette angoisse suscitée ?
L’idée de la transformer en « sollicitude », selon l’expression de Kernberg (98) est utile
en ce que la réaction d’agressivité peut se réactualiser pour le thérapeute mis en position
de désorganisation de sa propre pensée.
92
V L’automutilation et le lien social, quatre axes
Les propositions avancées dans les chapitres précédents nous invitent à penser la
place possible du symptôme dans les différentes modalités décrites. Les théorisations et
affrontements sur la scène sociale modulent la place du symptôme dans l’économie
individuelle.
Nous avons identifié quatre axes. Le premier est l’adaptation au social, envers
d’une estime de soi. Le second serait une manière de « renouer le contact ». Cette
formule ambiguë reprend différentes positions qui envisagent qu’il s’agit pour celui qui
se mutile d’un effort, d’un mouvement pour renouer avec les autres, avec la société, de la
permanence du sentiment d’existence à l’organisation collective du symptôme. Le
troisième axe est la création d’un lien social à partir du comportement et enfin, la
pratique solitaire, cachée.
1 L’estime de soi
Les modifications du DSM indiquent la prégnance d’une inadaptation au social
comme primum movens, en dépit d’un athéorisme exposé. La lutte politique qui s’opère
sur la démarche nosographique produit la nomination d’un item privé de toute
psychodynamique, qui n’engage pas la question relationnelle et d’une économie du
mouvement automutilant.
La notion de « Self-defeating personnality » (traduite par Personnalité à conduite
d’échec) met l’accent sur la performance sociale plus que le fonctionnement psychique
propre du patient.
93
2 Renouer le contact
Favazza nous avise dès les premières lignes de Body under siege (56) qu’il se
réfère au cadre conceptuel de la Cultural psychiatry. L’importance de resituer sa théorie
de la culture demeure indispensable afin de comprendre ses conclusions et ses
propositions. Celles-ci impliquent une interprétation culturelle de l’automutilation et des
perspectives thérapeutiques spécifiques. L’article fondateur de sa démarche publié en
1978, auquel Favazza invite son lecteur à se référer, est pour lui l’empreinte de son
« expertise »83. Quelles en sont les topiques ? Quelle épistémologie ? Les « pierres
angulaires » de la psychiatrie sont la biologie, la psychologie et la sociologie. Favazza
propose d’y ajouter l’anthropologie « afin de démontrer la pertinence (« significance »)
de l’addition de la dimension culturelle aux concepts psychiatriques de base »84. L’idée
d’une superposition des savoirs se retrouve dans la forme de l’article. Le concept
privilégié est celui d’une « culture subjective » reposant sur l’hypothèse de « structures
cognitives » en rapport avec les caractéristiques culturelles d’un groupe. L’accent est mis
sur les organisations des divers patterns de comportement.
Quelles approches pour l’automutilation ? Le concept paradoxal d’un acte
morbide afin de revenir dans la normalité est présent tout au long de son ouvrage. Nous
pouvons citer quelques occurrences : « rentrer dans la normalité »85, « acte morbide de
régénération »86.
Sa position soutient une thérapeutique précise, l’influence du social – avant
l’intervention thérapeutique – étant entendue comme renforcement du comportement
morbide.
Ainsi, Favazza dégage des facteurs de chronicisation et de répétition de l’acte : le
comportement lui-même, les rituels d’une unité d’hospitalisation, l’efficacité de l’unité
en question, la cohérence de l’organisation sociale au sein de l’unité87. Selon l’auteur, les
adolescents tentent un « pacte inconscient », scellé avec leur sang « indiquant leur désir
de se réconcilier avec la société ». L’automutilation apparaît comme une tentative
83
FAVAZZA, AR. Bodies under siege (second edition). Op. cit. : préface : p. ix.
FAVAZZA, AR. Overview : foundations of cultural psychiatry. Am J Psychiatry, 1978 : 135(3) : p. 293.
85
FAVAZZA, AR. Bodies under siege (second edition). Op. cit. : p. 271.
86
Ibid. : p. 158.
87
Ibid. : p. 281.
84
94
d’autotraitement et les perspectives de recherche consisteraient à identifier les modes de
renforcement dans le social de ces comportements.
Cette perspective permet de comprendre l’intégration d’un article de Fakir
Musafar (126) en postface de son ouvrage car la démarche des Modern primitives
correspondrait à la formation d’un groupe dont les membres sont rassemblés par des
patterns de comportement communs et partageables.
Il y aurait ainsi une propension de l’individu à se soustraire au social et le geste
indiquerait sa tentative de se rapprocher de la communauté, quitte à ce que cette
communauté soit autoréférencée, voire prôner une nouvelle religiosité organisée autour
d’un personnage charismatique.
La proposition de Favazza et de nombreux auteurs, Le Breton en France par
exemple (111, 112, 113) de penser l’automutilation comme une tentative de renouer le
contact avec les autres, avec la société ne parait pas tout à fait dépourvue d’une
perspective téléologique. L’attitude de dépathologiser l’automutilation peut s’entendre
dans un paradigme sociologique, cependant ceci devient paradoxal dans le
développement propre de Favazza.
En effet, la réappropriation individuelle du geste par une théorie préfabriquée peut
permettre de passer un cap, c’est en tout cas ce dont témoigne l’engouement pour une
littérature spécialisée, les romans autobiographiques, les biographies déguisées, les
réseaux d’information sur la signification du geste. Les nombreux blogs et forums sur
Internet proposent la même perspective de pouvoir partager cette expérience (161). Il est
notable de constater que les forums sont particulièrement cloisonnés. Un utilisateur qui
s’écarte de la « ligne éditoriale » est invité à aller sur un autre plus adapté. La
reconstitution d’un lien social par ce moyen reste indéniable.
3 L’automutilation lieu du lien social
Les
développements
précédents
à
propos
des
Survivors
(groupement
d’automutilateurs britanniques), des Modern primitives, des Gothiques indiquent la
possibilité de former un lien social à partir du symptôme d’automutilation.
95
Le type de regroupement des Survivors se retrouve à propos d’autres symptômes,
nous pensons en particulier aux groupes d’anorexiques, par exemple. La socialisation
intervient dans un second temps, c'est-à-dire que le mouvement initial du geste s’inscrit
dans une économie individuelle avant de s’exprimer collectivement. L’activisme
témoigne de revendications diverses. Les motifs de ces revendications sont la
« minimisation » (135), une demande de déplacer les normes sociales d’atteinte du corps
propre et une demande de droits. Ces demandes sont soutenues entre autres par une
revendication de la possession exclusive du corps. Les publications et actions se tournent
vers les espaces d’information, lieux de régulation et la « sensibilisation » des soignants.
Il est notable que la réflexion conjointe des Survivors et du corps médical à la
qualification du geste implique des tensions manifestes à l’endroit d’une praxis par
l’incompatibilité des points de vue de chacune des parties.
La mise en exergue d’une opposition des savoirs confronte deux formes
d’expertise, celle des automutilateurs et celle corps médical.
Nous pourrions envisager ce point aussi sous un autre angle, à savoir que la
formation d’un collectif de patients nous indique que le lien social est en jeu mais aussi
conservé. La collusion rencontrée dans la description des pratiques par un regroupement
et une identification au symptôme n’efface pas l’hétérogénéité des pratiques et des
rencontres. La question d’un antagonisme des expertises réduit la possibilité d’un
dialogue, produit un espace creux et vide là où les perspectives thérapeutiques tentent
d’aménager un espace potentiel. La méthodologie de nombreux travaux n’implique pas
cette dimension de potentialité dans l’engagement thérapeutique. La référence à une
inadaptation sociale s’oppose à la tendance observée au regroupement. Les
automutilateurs montrent par des associations ou par la multiplication des blogs et
forums sur la question qu’ils sont susceptibles de former un lien social à partir de leur
symptôme et même d’en obtenir une sorte de plus-value sociale par le rejet de
l’imposition d’une contrainte adaptative.
L’existence de ce groupe questionne nos modèles psychopathologiques. La
souffrance témoignée semble reléguée mais nous pouvons penser que la longévité du
groupe implique un lien social qui aide les personnes le composant. Sur un plan
strictement logique, il est possible de penser que l’aménagement trouvé est perçu comme
meilleur que le précédent par l’automutilateur. Le fait de se regrouper pour ces personnes
96
présente manifestement un avantage par rapport à la situation précédente. Nous pouvons
nous demander si comme pour Fakir Musafar l’isolement était un facteur
particulièrement prégnant et douloureux pour ces personnes ou si les modes antérieurs de
socialisation ne leur procuraient pas les mêmes avantages. Comment pourrait-on qualifier
ces avantages ? Serait-il plus pertinent de questionner le mode d’établissement du lien
social ?
Les
automutilateurs
qui
se
regroupent
présentent-ils
des
structures
psychopathologiques similaires ou au contraire diverses ? La psychose, les états-limites,
l’hystérie au sens de structures présentent-ils la même répartition chez les automutilateurs
isolés ou ayant d’autres modes de lien social ? Ces questions sont pour nous l’occasion
de revenir à la psychopathologie et les conditions de la formation du lien social.
La socialisation Gothique semble impliquer une variété d’attentes et de
motivations qui rendent peut-être plus malaisée la distinction entre les motifs initiaux et
un après-coup. En effet, les inflexions d’une position subjective peuvent se retrouver
dans le rapprochement ou l’éloignement des références du mouvement. Par ailleurs, la
dimension sublimatoire pourrait s’exprimer dans un mouvement qui reconnaît son
origine dans la créativité artistique, musicale et littéraire principalement.
4 L’acte solitaire caché
La pratique clinique nous a plutôt fait rencontrer des patients qui témoignent d’un
isolement important, un sentiment de solitude et parfois un isolement social. L’acte
pratiqué dans une solitude angoissée teintée de culpabilité nous a été le plus souvent
rapporté. La valeur du moment de la découverte par les proches, moment attendu et
redouté, est souvent repris dans l’après-coup comme la reconnaissance d’un mal-être par
l’entourage, sollicitation silencieuse d’une demande dirigée aux proches et aussi voie
vers une place de malade ou de victime. Cette reconnaissance associe un sentiment
d’intrusion en même temps que l’attente de nouvelles modalités relationnelles. Les
patients évoquent un sentiment profond de solitude et de désintérêt des proches pendant
la période où ils se mutilaient en le cachant.
Les patients que nous rencontrons dans la pratique hospitalière ou en consultation
viennent exprimer souvent que l’idéation suicidaire est proche. Le « distress » est plus
détresse que peine. Certes la variété sémantique permet de digresser à l’infini sur les
97
variations d’un mal-être existentiel. Toutefois, l’alternative posée en soi du suicide ou de
l’automutilation nous interroge sur la structure mise en jeu. Comme dans « la bourse ou
la vie », on perd toujours quelque chose (103), l’automutilation comme solution plutôt
que le suicide nous rapproche d’un dilemme impossible. Les mécanismes mis en jeu
explicitent une position subjective vacillante et la défaillance des mécanismes de
symbolisation.
5 Le moment psychologique de l’automutilation
Le recours à l’automutilation conjugue ainsi sur le plan de l’économie psychique
deux ordres de motifs. Les motifs inconscients primaires de l’atteinte corporelle semblent
agir dans la précipitation du geste. Le moment psychologique de l’attaque revient
principalement à une diminution de la tension psychique qui engage les modalités
d’appréhension de l’angoisse, comme un en-deçà de l’angoisse, avant qu’elle ne
survienne dans son caractère intolérable. Le court-circuit psychique en fait un moment du
corps, où le recours à la douleur physique participe d’une excitation, comme moyen de
survivance. Dans la prochaine partie, nous développons les enjeux intrapsychiques liés au
geste dans l’économie individuelle, avec le support d’une réflexion métapsychologique
de l’attaque du corps. Ces enjeux ne peuvent cependant être indépendants d’un aprèscoup du geste, dans la survie à sa propre agression et aussi dans les réponses apportées
dans l’environnement social et familial.
6 Une articulation possible ?
La formation d’un lien social à partir de l’automutilation nous intéresse dans la
mesure où le geste peut être intégré dans un second temps à une forme de socialisation.
Nous nous interrogeons sur l’économie psychique individuelle des membres du groupe.
L’avantage social acquis par le regroupement semble surtout lié à la sortie de l’isolement
(126, 137). L’avantage social pourrait dans notre raisonnement constituer une forme de
bénéfice secondaire, s’additionnant à l’économie propre du geste antérieur, mais aussi
des attentes supposées d’une nouvelle place dans l’entourage ou sur la scène sociale. Nos
98
questions s’orientent à ce point de notre parcours vers une possible caractérisation du lien
social formé. Le projet freudien formule une articulation possible entre la
psychopathologie individuelle et la caractérisation du lien social. La relation entre les
membres du groupe implique aussi la psychopathologie individuelle.
L’étude des regroupements d’automutilateurs nous interroge sur l’économie de
ces groupes. Une implication clinique fondamentale pour nous serait d’envisager les
bénéfices éventuels du regroupement en fonction de la structure psychopathologique.
Nous pouvons présupposer que les automutilateurs psychotiques ne retirent pas le même
bénéfice que les automutilateurs hystériques ou du moins le même type d’aménagement.
Nous aimerions introduire quelques pistes pour penser un bénéfice différentiel entre les
différentes structures psychopathologiques rencontrées afin de proposer des pistes dans la
pratique clinique. En effet, la socialisation favorise-t-elle des aménagements satisfaisants
pour l’automutilateur ou participe-t-elle à la fixation et la répétition du comportement ?
Peut-on envisager les mêmes réponses si est impliquée une structure limite, psychotique
ou névrotique ?
La socialisation du symptôme semble comporter des avantages pour les membres
de ces groupes. Cet avantage pourrait être qualifié de bénéfice secondaire, dans le sens
que nous avons présenté plus haut, c'est-à-dire d’un bénéfice après-coup. Ce bénéfice
intervient sur un plan économique dans la diminution de la tension psychique et sur un
plan topique dans le renforcement des défenses mises en place par le moi.
L’accommodation du moi au symptôme se trouve accrue. Le bénéfice d’une diminution
de la tension psychique se fait au détriment du moi par l’incorporation toujours plus
grande du symptôme. Le symptôme continue à « jouer le rôle »88 de la motion
pulsionnelle refoulée et augmente la fixation.
Le symptôme est dans ce développement un symptôme névrotique. Or
l’automutilation ne témoigne que peu souvent dans notre expérience d’un
fonctionnement névrotique. L’atteinte du corps propre suppose souvent d’autres
mécanismes.
88
FREUD, S. Inhibition symptôme angoisse. Op. cit. : p. 218.
99
Les adolescents que nous rencontrons socialisent leur symptôme sous d’autres
formes. La découverte des marques dans le milieu scolaire, par les enseignants,
travailleurs sociaux, infirmiers et médecins scolaires précipite souvent une demande de
consultation qui ne vient pas des adolescents eux-mêmes ou de leur famille. Cette
découverte des marques peut survenir pendant une visite médicale, quand les
automutilations ne sont pas pratiquées directement dans l’établissement scolaire ou
parfois en cours.
La reconnaissance par les pairs est une inquiétude importante, les adolescents
précisent souvent qui sait et qui ne sait pas qu’ils se mutilent. L’aménagement des
relations pourrait se comprendre en deux temps, le temps du geste et le temps de l’aprèscoup par la marque laissée. La parole est supplantée par le geste et la marque. Les
modulations relationnelles oscillent entre un caché et un montré de la marque dans une
parcimonie de la parole.
La question clinique suscitée serait de pouvoir évaluer si la socialisation produite
par le symptôme pourrait tendre à une certaine fixation ou au contraire favoriser une
identification structurante dans une période donnée. Nous pensons que les deux cas sont
envisageables mais impliquent le fonctionnement psychique antérieur. Certains des
adolescents que nous rencontrons se disent affiliés au mouvement Gothique, avec des
variations importantes dans l’adhésion à des principes vestimentaires, musicaux,
politiques. Le mouvement gothique n’est pas organisé à partir de l’automutilation,
cependant, certains membres se mutilent. Il ne semble pas dans notre expérience que ce
soit le degré d’engagement ou d’adhésion au mouvement ou le mouvement lui-même qui
soient impliqués de manière prépondérante. Les développements précédents nous feraient
plutôt pencher vers le type d’organisation psychique en jeu, qui surdétermine les
modalités et les avantages liés au regroupement.
Les conditions de formation du lien social selon Freud supposent la mise en
commun par les individus d’un même objet à la place de leur idéal du moi et une
identification entre eux de leur moi89. Freud formule une théorie de la culture et du lien
social, qui s’articule avec la clinique individuelle.
Dans le cas d’un mécanisme de refoulement, le regroupement à partir du
symptôme pourrait tendre à renforcer la place du symptôme et la réduction subséquente
89
FREUD, S. Psychologie des masses et analyse du moi in Essais de psychanalyse. Paris : Petite
bibliothèque Payot, 2001 : p. 202.
100
du moi, tandis que dans une structure psychotique non déclenchée ou un fonctionnement
limite, la fonction d’identification pourrait favoriser entre autres un étayage. Il nous
semble que ces différentes formes se retrouvent dans la clinique avec une conséquence
pratique non négligeable dans l’évaluation des possibilités d’aménagements nouveaux
pour le patient. L’hypothèse ainsi formulée nécessiterait des développements et
précisions quant à la structure de ces regroupements.
Toutefois, nous pouvons préciser que l’atteinte du corps propre engage pour nous
des mécanismes psychopathologiques spécifiques dans le sens où nous supposons qu’une
formation névrotique trouve des substituts à l’atteinte du corps propre. Ces substituts
interviennent avant le geste (pas de mutilation) ou le geste reste très transitoire (peu ou
pas de répétition). La réalité de l’attaque corporelle présuppose une défaillance des
mécanismes névrotiques, soit dans une structure névrotique déstabilisée ou dans une
structure limite ou psychotique. Le recours au corps dans ces deux dernières implique
pour nous des mécanismes spécifiques. Nous nous proposons de détailler ce point dans la
partie suivante, mais nous pouvons déjà proposer que cette hypothèse impliquerait que le
regroupement des états-limites pourrait potentialiser pour chacun ses mécanismes d’autoconservation. Cette hypothèse mériterait d’être approfondie, elle est pour nous la
possibilité de repenser la clinique.
Par ailleurs, le groupe constitué est lui-même façonné de l’intérieur par les
membres qui le composent, en fonction de leurs caractéristiques psychopathologiques. La
référence à un diagnostic de structure sur le plan de la psychopathologie individuelle
pourrait nous aider à formuler une hypothèse sur une articulation entre la clinique du cas
et le lien social. En effet, l’hypothèse que les automutilateurs, en fonction de leur
structure psychique (névrose, psychose, état-limite) vont trouver des bénéfices différents
à un regroupement à partir de leur symptôme pourrait avoir des implications pour penser
les mécanismes en jeu dans ces regroupements.
101
Quatrième partie :
Et la victime et le bourreau,
psychopathologie
102
I Perception et douleur
1 La douleur pour elle-même ?
La douleur est une préoccupation de l’entourage vis-à-vis de l’adolescent qui se
mutile. L’incompréhension s’accroît avec la répétition des gestes. Les observations
cliniques montrent que la douleur n’est habituellement pas recherchée pour elle-même
(145). Elle est parfois totalement absente, ceci constituant un signe de possible
chronicisation (56). La douleur physique est rapportée comme le moment de
soulagement, après une tension interne importante (145). On peut aussi rencontrer une
certaine latence, la douleur n’étant rapportée qu’au moment des soins locaux par
exemple. Sans être recherchée pour elle-même la douleur peut être soulignée par le
patient, pointant l’ineffable de l’irruption d’angoisse. Néanmoins Xavier Pommereau
pense que ces adolescents « admettent vouloir se faire mal délibérément »90.
2 Dysesthésie, trouble de la sensorialité ?
L’argument d’une sensibilité différentielle à la douleur des sujets qui
s’automutilent est particulièrement répandu. Les rares observations de la fin du XIXème
siècle insistent sur une hypoesthésie supposée des malades mentaux en général (38). Par
ailleurs l’usage « thérapeutique » de la douleur, sous le postulat qu’elle pouvait réveiller
les malades fut à l’origine de pratiques dégradantes et violentes du traitement asilaire.
Les observations chez les enfants arriérés ont suivi le même schéma, d’une insensibilité
relative. De Ajuriaguerra rappelle la description d’un syndrome d’« indifférence
congénitale à la douleur » dans son manuel91. La représentation de la sensation
douloureuse, décrite comme réaction animale, par la bijection expérimentale douleur90
91
POMMEREAU, X. Les violences cutanées auto-infligées à l’adolescence. Enfances et Psy, 2006 : p. 58.
DE AJURIAGUERRA, J. Manuel de psychiatrie de l’enfant (Deuxième édition). Op. cit. : p. 483.
103
fuite ne peut se comprendre si elle n’est pas extériorisée par une manœuvre d’évitement.
Ainsi, la représentation générale que l’aliéné ne partage pas les mêmes perceptions est à
l’origine de nombreux développements (122).
Ces positions ont semble-t-il des prolongements actuels dans la recherche
neurobiologique, qui tente de mettre à jour la relative insensibilité à la douleur des
automutilateurs. Nous nous sommes rapportés à l’article de synthèse de Winchel et al.
(163). La mise en évidence par les auteurs d’un déficit de la fonction sérotoninergique
implique la référence à d’autres cadres pathologiques, les troubles obsessionnels
compulsifs en particulier. Les liens avec l’impulsivité et l’agressivité sont rapportés par
la comparaison des dosages plaquettaires de récepteurs qui indiqueraient une
participation d’une inhibition présynaptique de la libération de sérotonine.
Concernant le système opioïde, directement impliqué dans la neurochimie de la
douleur, les résultats sont contradictoires. Richarsdon et Zaleski (147) rapportent que
l’injection de morphine provoque un renforcement du comportement. En revanche,
l’usage chronique de morphine, par l’élévation des taux d’endorphines endogènes
provoque un renforcement négatif. L’hypothèse est un renforcement positif par la
libération des endorphines libérées en cas de douleur. L’expérience d’administrer un
puissant antagoniste des endorphines, la Naloxone, montre une baisse transitoire des
comportements automutilants. Ces données contradictoires viennent s’ajouter aux
dosages d’opioïdes endogènes réalisés chez les automutilateurs, qui sont rapportés par
New et al. (128) au comportement impulsif et à l’irritabilité. La neurobiologie se penche
ainsi sur la proximité de la douleur et du plaisir.
Les données neurobiologiques indiquent par ailleurs les mécanismes possibles de
renforcement du comportement et de la tendance addictive observée.
La tentative de mettre en évidence une cénesthésie différentielle accompagne la
recherche neurobiologique actuelle. Les autres voies de recherche sur la question de la
douleur se sont considérablement élargies au cours des dernières décennies, en en faisant
un élément subjectif. La collusion d’une douleur morale et d’une douleur physique est
pour Freud le signe de leur proximité et de leur interdépendance92.
92
FREUD, S. Inhibition symptôme angoisse. Op. cit. : p. 285.
104
3 Le « refus » de la douleur
La
perception
douloureuse
dépend
de
composantes
constitutionnelles
biochimiques et aussi de la position du sujet dans la possibilité de l’évitement de la
douleur et de la capacité de différenciation entre soi et non-soi (41). L’accent n’est plus
simplement mis sur la sensation thalamique « animale » du rapport entre douleur et
évitement, mais bien l’intégration de la douleur comme phénomène subjectif participant
de la construction d’un espace psychique et le développement de celui-ci. La douleur
« signal » est surdéterminée par la dimension relationnelle. Les développements
métapsychologiques s’appuient en effet sur le destin possible d’une douleur érogène (68).
Les développements métapsychologiques seront discutés plus avant.
La capacité du sujet à extraire ou à nier cette douleur est abordée avec
l’élaboration du concept d’alexithymie en psychosomatique. Mac Dougall (118) envisage
que la psyché a une « capacité de refuser la reconnaissance d’une douleur ».
Maurice Corcos explore le lien entre la perception et la perte :
« Bon nombre de patients expriment l’absence de douleur ressentie pendant
l’acte, comme si tout affect était immanquablement inéprouvable ou l’objet d’un
déni perceptif, dans un refus de toute érogénéicité de l’affect. Résistance morbide
à toute perception sensorielle risquant de réactiver la perte ou l’hallucination
négative permettant de s’éprouver à nouveau anesthésié ? »93
Ainsi, ce n’est pas seulement la dimension érogène de la douleur, qui d’ailleurs
resterait niée, mais aussi la négation de l’affect qui est en jeu, scotome double d’une anesthésie dés-affectivée.
4 Dépersonnalisation
La description de l’état juste antérieur au geste automutilant est le plus souvent
notée comme un état de dépersonnalisation. Pour Favazza, « les automutilations par
93
CORCOS, M. Le corps insoumis. Paris : Dunod, 2005 : p. 141.
105
coupure terminent presque toujours des épisodes de dépersonnalisation »94, « pour
vérifier qu’ils sont vivants »95.
4.1 Analgésie et dépersonnalisation
L’analgésie est pour certains auteurs (52, 122) directement attribuable au
phénomène de dépersonnalisation. La notion de dépersonnalisation renvoie pour Henri
Ey à l’altération de la perception corporelle, à des « modifications de la cénesthésie »96.
Elle est entendue chez Janet comme appartenant au groupe des « sentiments
d’incomplétude, l’incomplétude étant le caractère inachevé, insuffisant, que les sujets
attribuent à tous leurs phénomènes psychologiques. Ces lacunes trouvent leur expression
suprême dans la perte de la fonction du réel : les dépersonnalisés par exemple ont
conservé toutes leurs fonctions psychologiques mais ils ont perdu le sentiment que nous
avons toujours d’être réels, de faire partie de la réalité du monde »97. Cette remarque
s’intègre dans les développements de Janet à propos de la dissociation. Ses travaux
trouvent une audience chez Sadock cité par Escande sur la dépersonnalisation : « le
trouble est dominé par une altération de la perception de soi à un degré tel que le sens de
sa propre réalité est perdu »98. L’altération de l’intégration perceptive est au centre même
de la définition, y justifiant une cénesthésie altérée.
4.2 De la dépersonnalisation à l’angoisse dépersonnalisante et les états modifiés de
conscience
Décrite particulièrement au cours des psychoses sans être pathognomonique, Ey
rapproche la dépersonnalisation des états modifiés de conscience dans l’hystérie99, les
états crépusculaires ou états seconds. Il est à noter que Ey envisage une « même valeur
94
FAVAZZA, AR. Bodies under siege (second edition). Op. cit. : p. 148.
Ibid. : p. 162.
96
EY, H, BERNARD, P, BRISSET, Ch. Manuel de psychiatrie. Op. cit. : p. 106.
97
MINKOWSKI, E. Traité de psychopathologie. Le Plessis-Robinson : Les empêcheurs de penser en rond,
1999 : p. 532-533.
98
ESCANDE, M. L’hystérie aujourd’hui. Paris : Masson, 1996 : p. 82.
99
EY, H, BERNARD, P, BRISSET, Ch. Manuel de psychiatrie. Op. cit. : p. 495.
95
106
clinique »100 à la dépersonnalisation, la fugue et l’amnésie paroxystique. La
dépersonnalisation au sein de ces manifestations aiguës est envisagée comme une
modification de la sensorialité, de la cénesthésie, proche de la notion de dissociation
hystérique.
L’état de tension interne est à rapprocher de ces états modifiés de conscience,
certains parlent d’« angoisse dépersonnalisante ».
L’angoisse n’est pas sans objet (61). En ceci l’absence de représentation au
moment du geste et dans son après-coup ou « le déni » (145) de la dimension
relationnelle du geste font que cette angoisse n’est rattachée à rien par le sujet. Les
bénéfices directs sont les plus apparents, par la diminution de la tension psychique.
La clinique du trouble dépersonnalisation pointe la participation d’une
cénesthésie modifiée. Il apparaît que la référence au concept de dépersonnalisation
renvoie à une altération perceptive, que les automutilateurs ne perçoivent pas la douleur
de la même manière, justifiant les recherches neurobiologiques d’une altération des
systèmes de régulation de la douleur et en particulier des systèmes opioïdes endogènes.
Cette proposition est néanmoins proche d’une conception d’une sensibilité modifiée dans
la maladie mentale.
100
Ibid. : p. 398.
107
II Attaque du corps propre
1 Désaide
Un élément d’observation clinique est l’évocation dans la biographie du sujet de
deuils, de séparations qui, dans le récit des patients, conservent une tonalité actuelle. Ceci
ne peut constituer un élément sémiologique spécifique tant la situation pourrait paraître
commune.
Néanmoins,
la
charge
émotionnelle
vécue
massivement
interroge
particulièrement sur la violence de la remémoration ou plutôt de la reviviscence,
actualisée le plus souvent par la répétition d’une séparation. Nous nous proposons
d’explorer, à partir de cette actualisation du sentiment de perte, l’inscription temporelle
du sujet, dans l’évocation de sa propre histoire et l’angoisse débordante, motif de
consultation.
Le récit de sa propre histoire par le patient s’organise ainsi autour d’un évènement
traumatique dont la potentialité causatrice des troubles actuels est souvent proposée par
le patient lui-même. L’angoisse liée au trauma, n’est en définitive pas exactement la
charge directe liée au débordement psychique d’alors mais « l’attente », nous dit Freud,
de sa répétition101. La tendance du sujet se trouve selon Freud amenée à chercher à
maîtriser psychiquement ses impressions de vie. La situation traumatique n’est pas tant la
situation de désaide sinon l’anticipation de celle-ci. Le trauma n’est pas oubli, mais
remémoration et attente.
Ceci conduit Freud à proposer dans les suppléments à Inhibition symptôme
angoisse (61) une hypothèse métapsychologique sur l’économie de l’angoisse dans la
relation objectale. Freud propose ainsi que le sentiment de désaide perçu par le sujet au
moment du débordement de l’appareil psychique, ne peut être supportable et pérenne. En
ceci, le sujet tend à maîtriser psychiquement ce vécu. Cette maîtrise, retournement de la
101
FREUD, S. Inhibition symptôme angoisse. Op. cit. : p. 281.
108
passivité de la perte en activité se traduit par la tentative de maîtriser ce sentiment de
désaide, à l’annonce du danger de la perte d’objet.
Dans ce cas, Freud pointe que l’investissement narcissique trouve son point
d’attache sur le corps, le corps douloureux, seule possibilité de maîtriser cette souffrance,
la douleur corporelle rappellerait l’impossibilité d’éprouver une douleur de l’âme. Ce
raisonnement implique donc une transformation de la sensation (jusqu’à une perception)
de désaide en permettant la conservation des représentations liées à l’objet, des
représentations inscrites dans le corps, dans le corps douloureux.
A propos de l’hystérie, « le contenu de perceptions d’expériences vécues
excitantes, le contenu de représentations de formation de pensée pathogène est oublié et
exclu de la reproduction dans la mémoire »102.
Ce « maintien à l’écart » constitue un « caractère majeur du refoulement
hystérique » mais se retrouve dans les autres névroses, la névrose de contrainte en
particulier. Plus généralement, Freud propose que ces représentations ne soient pas
oubliées mais « isolées »103 et il souligne ce terme.
2 La séparation et la perte
Freud termine cet article par la question du deuil et de ce qu’il comporte
d’examen de la réalité :
« Le caractère douloureux de cette séparation relève alors […] par
l’investissement en désirance de l’objet – investissement élevé et sans
accomplissement possible – pendant la reproduction des situations dans lesquelles
la liaison à l’objet doit être dissoute. »104
La dissolution dont parle Freud est considérablement compliquée en cas
d’investissement narcissique, le travail du deuil n’étant pas possible par le
désinvestissement progressif issu de l’examen répété de la réalité. La dépressivité décrite
dans les structures narcissiques s’inscrit alors dans le corps, dépression par perte de
102
Ibid. : p. 278.
Ibid. : p. 278.
104
Ibid. : p. 286.
103
109
l’objet primaire dont la conséquence première est l’agrippement sans cesse renouvelé à
cet objet, seule manière de maintenir sa présence sans risquer l’effondrement.
Le deuil dont parle Freud est avant tout le premier deuil, la première perte pour
l’enfant, l’éloignement de la mère. Le passage du deuil au symptôme corporel peut être
abordé avec Freud par la possibilité de pouvoir réinvestir par le corps, l’atteinte physique
« réveillerait » selon l’expression de P.-L. Assoun (12), le corps mélancolique et pétrifié.
Le corps vient alors comme possibilité interne de modifier un investissement externe
devenu impossible. Il vient faire rempart et « endiguer cette tentation proprement
mélancolique de mourir avec son objet »105.
3 Deuil in corpore
Le mouvement décrit correspondrait ainsi à un « double retournement » bien que
le second soit présenté par Freud de manière très ramassée et concise.
Le retournement de passivité vécue du sentiment de désaide en activité, viendrait
comme attente de la répétition de l’abandon ressenti. La tentation d’une maîtrise
psychique accrue en serait la principale manifestation. Cette maîtrise concerne également
les manifestations physiques, en tant que l’investissement consécutif à la perte repasse
par le corps, moyen interne de modifier les éprouvés d’une réalité inchangeable.
Le deuxième retournement, au sens d’un destin pulsionnel possible pourrait ainsi
faire de cette douleur de l’âme intolérable une douleur physique, rempart devant la
tentation mélancolique. Ce développement contribue surtout à envisager les assises
narcissiques et objectales des sujets dits « narcissiques ». Ce schéma tente de dégager les
principaux modes d’investissement, dont le corps devient le lieu privilégié. En effet, le
passage par le corps dans ce contexte fait envisager des conséquences cliniques notables,
en particulier la menace de dépression et d’autre part une certaine « complaisance
somatique »106.
La douleur du corps est alors une douleur liée à la perte, irrémédiable. La
séparation n’est pas perçue comme absence, l’éloignement n’est pas une perspective de
105
ASSOUN, P-L. Le deuil et sa complaisance somatique, le deuil et le corps selon Freud. Revue française
de psychosomatique, 2006 : 30(2) : p. 126.
106
Ibid. : p. 124.
110
retour mais une perte supposée de l’enfant comme définitive. La douleur naît alors de la
séparation et l’attente d’une nouvelle séparation engage le sujet dans l’attente d’une
nouvelle perte, dans une sorte de mouvement anticipant l’angoisse de désaide. La relation
entre angoisse et douleur se fait jour, la douleur anticipe l’angoisse de perte à venir.
L’investissement nostalgique de l’objet s’apparente dans ce développement à un
équivalent mélancolique, qui passe par le corps douloureux. Les séparations ultérieures
rejouent la scène primordiale de désaide et nous pouvons à ce point nous demander le
devenir de cette souffrance in corpore.
L’idée d’« angoisse de séparation » comporte cette ambiguïté du génitif ou du
datif, c'est-à-dire d’une angoisse accompagnant la séparation et l’angoisse anticipant une
éventuelle séparation, entrouvrant la question d’une temporalité dans la situation toujours
répétée de reviviscence et d’attente107.
La douleur naît de la séparation, en faisant un corrélat direct de l’absence de
l’objet primaire. La douleur est aussi ce qui est perçu comme provenant de la périphérie
du corps. Le lien entre les deux « représentances » ou origines supposées de cette douleur
montre le lien ténu entre la douleur corporelle et les modalités relationnelles. Le
« transfert » de la douleur corporelle à la douleur morale passerait ainsi selon Freud par
cet espace créé lié à l’absence de l’objet perdu.
« L’intense investissement en désirance de l’objet (perdu) dont on éprouve
l’absence, investissement sans cesse croisant par suite de son caractère insatiable,
créé les mêmes conditions économiques que l’investissement en douleur de
l’endroit blessé et rend possible de faire abstraction du conditionnement
périphérique de la douleur du corps ! »108
Le lien entre la relation objectale, les modalités relationnelles et l’investissement
narcissique du corps fait un point de fixation de la douleur en même temps qu’une
protection devant la répétition de l’angoisse de perte.
107
ASSOUN, P-L. Corps et symptôme, Tome 2 : corps et inconscient. Paris : Anthropos Economica, 1997 :
p. 37.
108
FREUD, S. Inhibition symptôme angoisse. Op. cit. : p. 286.
111
« Le passage de la douleur du corps à la douleur de l’âme correspond au
changement de l’investissement narcissique en investissement d’objet. »109
Cette dernière citation nous engage à envisager les passages entre le besoin
primordial insatiable (avidité relationnelle) et sa correspondance dans le corps à une
douleur localisée, que le sujet localise dans une géographie intime. Cette topographie de
l’atteinte corporelle pourrait s’entendre comme la négation mélancolique d’une
appartenance du corps, dans une identification à l’objet perdu.
4 Implications structurales
Le passage de la métapsychologie à la question des structures psychopathologiques invite à se porter sur les modalités d’investissement narcissique
prédominant. C’est en effet du coté des états-limites et des psychoses non déclenchées
que se porte notre intérêt en ce que ces structures sont les plus retrouvées dans notre
pratique.
Nous n’écartons pas l’hystérie mais il est possible que dans ce cas, le sujet trouve
un aménagement autre. Le caractère transitoire de l’automutilation superficielle se
retrouve peut-être plus dans cette structure.
Le fonctionnement limite, en référence aux conceptions de Green (81), met en
scène cette répétition d’une avidité relationnelle insatiable et d’une attente angoissée de
la répétition d’éloignement. Le débat portant sur les états-limites se focalise de savoir s’il
s’agit d’une structure, au sens d’une organisation psychique distincte des formes
frontières que sont l’hystérie et la psychose non déclenchée. Ce débat sort de notre étude,
mais il nous semble que la description d’un fonctionnement limite nous semble
pertinente dans notre pratique avec les adolescents en ce que la praxis psychanalytique
formule des hypothèses sur les modalités transférentielles avec ces patients. Nous ne
nous plaçons donc pas dans le débat théorique de l’existence ou non des structures
limites mais la possibilité de penser la relation thérapeutique à partir d’un
fonctionnement psychique.
109
Ibid. : p. 286.
112
Le recours au corps implique donc les conditions d’une douleur physique associée
à la perte irrémédiable, engageant dans une discussion sur les relations précoces et
également une faillite des mécanismes névrotiques de substitution. Les aménagements
pseudo-névrotiques chez les patients limites ou psychotiques ne sont pas absents et
peuvent contribuer à maintenir, à recouvrir par l’expression du symptôme sur le corps
une menace d’effondrement ou une mélancolie aux aguets. Le travail thérapeutique ne
peut néanmoins pas s’appuyer sur des fonctionnements névrotiques fragiles et instables,
engeant à penser une position thérapeutique qui prend en compte l’« angoisse de
séparation » dans toute son ambiguïté.
Quel destin comporte cet investissement corporel narcissique au moment des
répétitions de séparation ? L’attaque du corps semble différer d’une somatisation, quels
autres mécanismes sont en jeu pour que le patient agresse intentionnellement son corps ?
113
III Métapsychologie : Masochisme ? Sadisme ?
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord ?
Elle est dans ma voix, la criarde !
C'est tout mon sang, ce poison noir !
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde.
Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau !
Charles Baudelaire,
L’Héautontimoroumenos,
Les Fleurs du mal
L’interrogation pourrait paraître évidente tant la dimension « auto » de la
mutilation ne semble pas à remettre en doute. Toutefois, nous notions déjà dans les
définitions, que De Ajuriaguerra proposait la dimension « réfléchie » du geste, évoquant
le retournement sur le corps.
Comment envisager ce retournement ? Quelles motions pulsionnelles sont
détournées ? Le « paradoxe » tient à l’énigme même du masochisme, peut-il être
« gardien de la vie » (149) ?
114
1 Première topique
Dans Pulsions et destins des pulsions, Freud propose le processus de passage du
sadisme au masochisme. Revenons aux trois étapes qu’il décrit110 :
a) le sadisme, comme manifestation de « puissance » à l’encontre d’une autre
personne prise comme objet ;
b) « cet objet est abandonné, remplacé par la personne propre » ;
c) le masochisme, de nouveau est cherchée, comme objet, une personne étrangère,
qui doit assumer le rôle de sujet.
Le point b) est l’autopunition, par le retournement sur le corps propre, sans être
encore le masochisme par l’intervention d’une autre personne (point c). Cette forme
d’autopunition est fréquemment appelée autosadisme (37, 73, 149). Freud ajoute
quelques précisions sur ce stade b) : « On y trouve le retournement sur la personne propre
sans la passivité à l’égard d’une nouvelle personne »111. Il différencie ainsi autopunition
et masochisme. « Le verbe actif se transforme, non en passif, mais en verbe moyen
réfléchi »112. La douleur n’entre pas directement en compte dans les stades a) et b) mais
vient se « prêter » à une fonction dans l’équilibre plaisir-déplaisir au stade du
masochisme. Rétroactivement la douleur peut acquérir une fonction possible dans
l’autosadisme (b) à la seule condition que le masochisme ait préexisté.
2 Seconde topique
Les remaniements inspirés par la seconde topique pulsionnelle déconstruisent une
partie du raisonnement précédent. En effet, Freud est amené à penser un masochisme
originaire comme expression de la pulsion de mort. Ce ne serait que secondairement que
110
FREUD, S. Pulsions et destins des pulsions in Œuvres complètes Vol. XIII. Paris : PUF, 1988 : p. 173.
Ibid. : p. 173.
112
Ibid. : p. 173.
111
115
cette pulsion de mort, « domptée »113 par la libido se déplacerait vers l’extérieur,
manifestation du sadisme. Ainsi, le sadisme dériverait du masochisme et non l’inverse
comme Freud le pensait en 1915. Reste la partie de la pulsion de mort qui « échappe au
domptage » par la libido qui reste à l’œuvre dans l’organisme et qui est qualifiée par
Freud de « sadisme originaire identique au masochisme »114.
Le processus du masochisme tel qu’il est présenté dans Pulsions et destins des
pulsions n’est pas caduque mais représente une deuxième forme de masochisme, le
masochisme secondaire.
Se dégage une double origine de la punition selon qu’elle fasse intervenir le
surmoi ou un objet extérieur. Le sadisme du surmoi ou autosadisme « est le plus souvent
vivement conscient », « tandis que la tendance masochiste du moi reste en général cachée
à la personne »115.
L’alliage pulsionnel décrit propose une double origine au masochisme, d’une part
ce qui reste de la pulsion de mort qui n’a pas été dérivé vers l’extérieur et d’autre part le
masochisme secondaire sexualisé : « Même l’autodestruction de la personne ne peut se
produire sans satisfaction libidinale »116.
3 Trois masochismes, un sadisme et la culture
En résumé, Freud est amené avec la formulation de la deuxième topique à
modifier sa vision de la relation entre masochisme et sadisme. En 1915, il propose que le
masochisme dérive d’un sadisme originaire, transformation en deux étapes : 1) le
retournement sur le corps propre, 2) le passage de l’activité à la passivité. En 1924, il
décrit trois formes de masochisme dont une est le reste d’un masochisme primaire,
expression de la pulsion de mort. Les deux autres formes dériveraient du sadisme,
entendu cette fois-ci comme dérivation de la pulsion de mort vers l’extérieur. Le reste de
113
FREUD, S. Le problème économique du masochisme in Névrose, psychose et perversion. Paris : PUF,
2002 : p. 291.
114
Ibid. : p. 292.
115
Ibid. : p. 296.
116
Ibid. : p. 297.
116
masochisme primaire correspond à la partie de la pulsion de mort qui n’a pas été domptée
par la libido. Ainsi se dégage pour Freud en 1924, une double origine du masochisme.
D’autre part Freud envisage une lecture culturelle, le sadisme intervenant comme
protecteur d’un masochisme trop important. Le sadisme étant lui-même soumis aux
conditions culturelles qui peuvent restreindre les possibilités d’expression sadiques :
« Le retournement du sadisme contre la personne propre se produit régulièrement
lors de la répression culturelle des pulsions qui retient une grande partie des
composantes pulsionnelles destructives de s’exercer dans la vie. »117
4 L’excitation
Le développement de Benno Rosenberg (149) s’engage à caractériser le noyau de
masochisme érogène primaire, qui serait le reste de la pulsion de mort qui ne s’est pas
dirigée vers l’extérieur. La seule manière d’accepter pour le sujet cette permanence de
l’excitation est de rendre par l’alliage pulsionnel cette excitation acceptable. Le
masochisme primaire vient ainsi comme « gardien de la vie » en ce qu’il permet la
permanence d’une excitation, qui s’oppose à l’immobilité, c'est-à-dire la mort.
L’excitation par sa permanence viendrait maintenir éveillée la psyché118.
La question de l’excitation vient ainsi comme support d’une continuité psychique
en même temps que support de l’existence. Un déplacement peut s’opérer dans le sens
d’une tendance accrue à l’excitation, d’un investissement de l’excitation. Ce
déplacement, forme d’engrenage masochique conduirait à l’abandon progressif de la
satisfaction objectale et l’investissement de l’excitation, cercle vicieux auto-entretenu.
Reste que la vie sans objet est impossible, pointant un conflit insupportable.
117
Ibid. : p. 297.
ROSENBERG, B. Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie. Paris : PUF Monographies
de la revue française de psychanalyse, 1991 : p. 84.
118
117
IV Possession et dépossession
Mon corps m’appartient ? Allons donc,
tout au plus sait-il se faire savonnette :
c’est au moment précis où je crois
pouvoir le saisir fermement qu’il
m’échappe, me glisse entre les doigts et
file au fond de la baignoire.
Alain Abelhauser, Le corps et l’âme
1 Le corps aire transitionnelle ?
1.1 Aire neutre
John Kafka (97) développe une hypothèse à partir de l’autosadisme. Son
argument présenté au congrès de l’Association Psychanalytique Américaine en 1968
aménage la proposition de Winnicott d’objet transitionnel afin d’éclairer l’étude d’un cas,
d’une jeune femme qui se mutile. L’histoire de cette jeune femme se construit dans
l’analyse à partir des multiples bandages, protections de son enfance, autant d’ajouts
parfois indifférenciés à l’image du corps en construction. Le corps dans sa réalité
perceptive est le lieu de passages à double sens. La sollicitation cénesthésique est
ambiguë et contradictoire devant des soins maternels toujours douloureux. Ainsi, c’est
l’insistance sur une « aire neutre d’expérience qui ne sera pas changée » que Kafka
propose que le corps pourrait devenir cette aire.
Kafka va un peu plus loin en se penchant sur les implications d’une telle
proposition, si le corps peut fonctionner comme objet transitionnel, c’est qu’il peut être
un objet du non-moi. En d’autres termes, le masochisme de l’auto-offense peut se
comprendre comme un sadisme dirigé vers le corps entendu comme non-moi.
Kafka s’interroge au cours du travail avec elle sur le sens de ses gestes autooffensifs. Ce n’est pas tant la signification qu’il discute que l’orientation du geste, une
118
tentative de déconstruction métapsychologique des mouvements. L’interrogation de
Kafka se porte ainsi sur le mouvement de l’atteinte corporelle et le statut possible du
corps du point de vue du devenir de la pulsion.
L’attaque du corps devient ainsi une forme de sadisme, dirigé sur le corps propre.
La distinction avec le masochisme est que le corps serait entendu comme non-moi et
dans ce moment d’angoisse dépersonnalisante, attaqué comme non-moi119.
Le corps propre devient pensé comme objet. Kafka dans son article évoque cette
possibilité, comme objet transitionnel, en posant la question du sadisme ou du
masochisme comme enjeu premier, sans s’étendre sur le caractère transitoire ou la
fonctionnalité apportée par une telle possibilité. Pour Canestrari les troubles du schéma
corporel seraient une défense devant l’autodestruction et représenteraient « une tentative
thérapeutique naturelle consistant à utiliser le corps propre comme objet extérieur
d’amour et de haine dans l’attente d’une substitution adéquate »120. Cette citation pose de
nombreux problèmes supplémentaires. En effet penser le corps comme objet transitionnel
implique-t-il à propos des automutilations une référence à quelque chose de « naturel »
ou d’une « tentative d’autotraitement » (116) ?
1.2 Not me possession
L’objet transitionnel de Winnicott n’est cependant pas un objet comme les autres,
il est « la première possession non-moi »121 (« not me possession »). Winnicott insiste
d’ailleurs sur la dérivation du fameux morceau de tissu ou de la poupée, etc., du corps
propre du nourrisson qui se saisit de son pouce, de son poing, avant d’être addicted à
l’ours en peluche. « L’objet transitionnel est affectueusement choyé mais aussi aimé avec
excitation et mutilé »122. Les phénomènes transitionnels sont étroitement dépendants
selon Winnicott et toujours pour le nourrisson, de la permanence de la relation à la mère.
119
KAFKA, J. The body as transitional object : a psychoanalytic study of a self-mutilating patient. Br J
Med Psychol, 1969 Aug : 42(3) : p. 210.
120
CANESTRARI, R, MAGRI, MT, MUSCIANESI-PICARDI, F. L’image du corps chez l’adolescent.
Neuropsychiatrie de l’Enfance, 1980 : 28(10-11) : p. 513.
121
WINNICOTT, D. Jeu et réalité. Paris : Folio Essais, 2002 : p. 31.
122
Ibid. : p. 34.
119
Les périodes de séparation s’accompagnent, après un certain temps, d’une « perte de
signification des phénomènes transitionnels »123.
L’aire transitionnelle devient selon Winnicott la troisième partie nécessaire
(« need ») à l’expérimentation (« experiencing »), contribution conjointe de la réalité
interne et de la réalité externe. Winnicott précise que cette aire n’est pas disputée
(« challenged ») dans l’effort répété pour l’enfant de séparer les réalités interne et
externe.
Ainsi, dans certaines conditions qu’il faudrait préciser, le corps pourrait faire
partie de cette aire d’expérimentation, entendu comme objet même de cette aire selon
Kafka, c'est-à-dire en référence à la description de Winnicott, la première possession
non-moi. Selon Winnicott les phénomènes transitionnels ont une fonctionnalité dans la
relation avec la mère, avec l’objet primaire, enjeu de séparation et d’individuation. Ce
modèle propose ainsi que le corps pourrait conserver ce statut d’objet transitionnel dans
certaines conditions, d’aire indifférenciée.
1.3 Séparation
Winnicott propose que l’objet transitionnel perde de sa signification pendant les
périodes de séparation prolongée.
La séparation vient répondre à la possibilité de créer un espace transitionnel.
Green ne doute pas : « Les cas limites sont caractérisés par l’incapacité fonctionnelle à
créer des dérivés de l’espace potentiel ; au lieu de phénomènes transitionnels, ils créent
des symptômes qui en remplissent la fonction »124. Pour Green le problème se situe donc
dans une dialectique entre séparation et réunion, avec l’absence de compromis possible.
Les éventuels phénomènes transitionnels ne sont pas soutenus par une fonctionnalité
psychique, mais vécus.
L’usage du corps propre comme aire transitionnelle nous amène une question
pour nous fondamentale : la réduction de l’aire transitionnelle au corps propre comme le
suggère Kafka, pourrait laisser penser à une ébauche de déplacement sur le corps de la
conflictualité insupportable. Cependant, Winnicott insiste sur la dérivation directe de
123
124
Ibid. : p. 51.
GREEN, A. La folie privée. Op. cit. : p. 157.
120
l’aire transitionnelle depuis le corps propre, à un moment où l’image corporelle n’est pas
constituée (le nourrisson saisissant son pouce). La question serait de savoir si prendre le
corps propre ou une partie comme aire transitionnelle implique une ébauche de
mouvement psychique ou la matérialisation d’une zone de non-moi, d’une zone rendue
non-moi, perdue dans l’identification mélancolique à l’objet perdu ?
2 Le corps abusé
La réflexion sur la place du corps comme but pulsionnel nous amène plus
particulièrement à détailler ce qui dans les histoires individuelles est dit de ce passé.
Les histoires « traumatiques » sont fréquentes dans ces contextes. Les patients et
leur famille rapportent des discontinuités importantes, voire des antécédents d’abus. Le
caractère traumatique vient de ce que les capacités psychiques du sujet ont été dépassées
au décours d’un évènement. La construction sociale qui s’est montée autour du
traumatisme n’y est pas indifférente (53, 83).
Les données bibliographiques concernant les automutilateurs et les états-limites
indiquent dans les deux groupes, qui tendent à se confondre par moments, des
antécédents d’abus. Les abus sexuels et aussi des abus fondus dans l’ordinaire de la vie
familiale. Maurice Corcos évoque des « traumatismes en creux » : « C’est-à-dire quelque
chose qui n’est pas visible forcément dans l’extra-ordinaire, parce qu’il répond à l’infraordinaire du fonctionnement familial »125.
La collusion entre un abus antérieur et l’expression actualisée d’une attaque du
corps propre est souvent présentée par les patients dans une forme d’hypothèse
étiopathogénique. L’expérience traumatique tient à l’après-coup de l’évènement, qui
engage le sujet dans une mémoire souvent décrite comme « trop » présente.
L’histoire clinique rapportée par Kafka (97) nous a amené à envisager la situation
singulière de la patiente. Son histoire de soins somatiques multiples, douloureux et
l’actualisation dans le traitement de ces souvenirs modifiés construisent une
125
CORCOS, M. Fonctionnements limites, lignes de fuite, lignes de suite. Psychiatrie française, 2006 :
37(Suppl.) : p. 78.
121
représentation du corps. L’usage du corps comme aire intermédiaire pose finalement plus
de questions qu’il n’en résout. Ceci nous a amené cependant à envisager le rapport entre
l’antériorité de soins somatiques et l’automutilation. Le corps de l’enfant soumis à une
maladie chronique ou des interventions chirurgicales répétées modèlent un rapport au
corps qui s’inscrit aussi dans les modalités relationnelles avec les parents. Nous n’avons
pas trouvé d’étude portant directement sur la relation entre les deux phénomènes,
antécédent de maladie somatique et automutilation, toutefois quelques éléments peuvent
être avancés.
Les études dites d’éventements de vie se concentrent sur les troubles de la
personnalité borderline (86, 90, 132). Ces études se focalisent sur les abus sexuels et
maltraitances. Quelques-unes élargissent l’intérêt sur l’histoire familiale et individuelle,
pointant surtout les dysfonctionnements et discontinuités des soins maternels. La
prématurité ressort sans qu’il soit fait mention du contexte médical étiologique de ces
accouchements prématurés (90).
La ménarche précoce représente un des rares facteurs de risque reconnu de
vulnérabilité à la pathologie mentale à l’adolescence. Là où la notion de trauma renvoie à
une expérience singulière en débat dans sa reprise au niveau social, la survenue d’une
puberté précoce souligne un lien entre les modifications physiques et psychiques de la
puberté sous un angle de maturation, la psyché pouvant se trouver débordée par le
surgissement de la transformation biologique corporelle.
Les études statistiques qui explorent le lien entre l’âge de la puberté et la
morbidité psychiatrique des adolescents montrent assez nettement une relation
significative (76, 133). Les interprétations sont multiples, les transformations physiques,
caractères sexuels secondaires, modifications hormonales étant invoquées comme
surgissement dans un contexte d’immaturité psychique. L’implication d’une composante
biologique se fait alors tout à fait évidente dans la participation à la formulation de
troubles relationnels. L’évolution des conditions de vie est invoquée dans l’abaissement
général de l’âge de la puberté au cours des dernières décennies, il ne semble pas que ce
soit l’âge en lui-même qui constitue un facteur déterminant mais plutôt l’âge relatif, en
dehors de l’écart-type habituel. Ce signe prend alors une dimension sociale, dans le sens
d’une comparaison avec les pairs et une lecture collective du phénomène. Canestrari (26)
122
a cherché à identifier les caractères dysmorphophobiques communs en fonction de l’âge
montrant une évolution dans la perception corporelle et une progressive différenciation
du corps entier vers les formes plus apparentes, le visage en particulier en fin
d’adolescence. Nous soulignons ce point à la croisée d’un signe a priori purement
biologique dont les implications ne peuvent cependant être indépendantes d’une lecture
sociale, à la fois dans des termes évolutifs, développementaux et aussi processuels
individuels.
Un autre élément nous est suggéré avec Patrick Alvin (4) concernant les
conséquences dans l’autoperception, dévalorisation, adaptation du caractère visible ou
non d’une affection chronique chez des adolescents. Les résultats émanant d’études
anglo-saxonnes indiquent des résultats surprenants, en tout cas pas intuitifs. En effet, la
non-visibilité d’une affection (diabète, cardiopathie par exemple) est moins bien tolérée
qu’une
affection
visible
(dystrophie
musculaire,
arthropathie
avec
limitation
fonctionnelle). La tolérance est évaluée à partir des sentiments de dévalorisation, de
dépendance, de conflits familiaux. Le caractère non-visible est finalement plus
problématique pour ces adolescents qui n’ont pas de trace de leur maladie.
Catherine Graindorge (77) aborde cette question de la visibilité par la cicatrice,
support possible d’un échange sur les origines et l’histoire du sujet. La formulation de
cette histoire prend une autre forme quand là où une cicatrice aurait dû se trouver, elle
n’est pas. L’exemple de la chirurgie endoscopique pour soigner une affection maligne
tend à mettre en tension l’angoisse de mort suscitée et la non-visibilité de l’acte
d’extirpation du corps étranger interne.
Les automutilations, sont-elles du registre du visible ou du non-visible ? Il est
certain que la solitude dans laquelle elles sont pratiquées conserve une trace. Les forums
sur Internet d’automutilateurs évoquent particulièrement ce thème, à l’approche de l’été
et les cicatrices à long terme. L’intention n’est peut-être pas de laisser une marque mais
celle-ci est reprise après-coup comme trace d’un mal-être qui, lui, se voit ou se cache.
123
3. Phénomènes transitionnels et adolescence ?
En bref, il y a quelque chose de
stimulant à voir comment l’adolescence
est devenue parlante et active.
Donald Winnicott, Jeu et réalité
L’antithèse
apparente
de
rapprocher
les
phénomènes
transitionnels
et
l’adolescence nous est suggérée par la mise en jeu de mécanismes de séparation et
d’individuation qui font appel à des modalités relationnelles précoces, réactivées à
l’adolescence. Il ne s’agit pas de transposer la clinique du nourrisson à l’adolescence
mais peut-être d’évoquer une antériorité aux automutilations et à l’adolescence. La mise
à jour de modalités relationnelles au moment de l’adolescence serait le fait de capacités
psychiques et physiques, biologiques et sociales accrues. L’adolescence viendrait comme
révélateur de modalités relationnelles anciennes, qui ne faisaient pas trop problème
auparavant. Nous prenons certaines précautions car notre pratique auprès de ces
adolescents nous fait régulièrement trouver dans l’après-coup nombre de signes d’alerte
dans l’enfance. Il ne s’agit pas seulement des traumatismes, des abus mais aussi d’un
sentiment d’abus, d’une impossibilité d’expression ou la confrontation à des
problématiques insolubles. Ceci ne peut être spécifique.
Suivant la proposition de Kafka (97) qui envisageait le corps comme aire
transitionnelle, peut-être pourrions nous garder l’idée de phénomènes transitionnels. Il
nous semblerait intéressant de pouvoir poursuivre l’exploration et le devenir de
phénomènes qui impliquent les premières relations affectives et les bases du
développement psychique et relationnel. L’idée d’un recours au corps propre comme
fonction, support de phénomènes transitionnels pourrait être une piste de recherche en
fonction de notre hypothèse développée à propos de la réflexion sur une socialisation du
symptôme.
124
Conclusion
Un homme qui veut se mutiler est bien
damné, n’est-ce pas ? Je me crois en
enfer donc j’y suis.
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer
Notre interrogation initiale concerne la rencontre avec des adolescents qui se
mutilent, dans l’expression d’un comportement devenu fréquent et l’objet d’un débat
social.
Les automutilations superficielles ou modérées à l’adolescence constituent un
symptôme le plus souvent transitoire. Les formes de passage avec d’autres
comportements témoignent d’une faible spécificité de cette conduite devant une situation
affective conflictuelle, qui ne peut se dire.
La relation avec le suicide est complexe. Sur un plan économique,
l’automutilation pourrait participer d’une protection devant le suicide comme mesure
d’autopréservation. Sur un plan phénoménologique, est objectivée à long terme une
surmortalité par suicide des automutilateurs et l’automutilation modérée ou superficielle
n’est pas considérée comme une tentative de suicide.
La relation entre normal et pathologique est mise en tension par les différents
abords possibles, d’une tentative de banaliser, jusqu’à la caractérisation d’un syndrome
autonome d’automutilation.
Nous nous penchons sur une praxis pour la psychiatrie, qui s’appuie sur une
conception dynamique du psychisme humain, à propos d’un symptôme devenu un
fréquent motif de consultation.
125
Le recours au corps propre témoigne de mécanismes spécifiques, se plaçant plutôt
du côté des structures non névrotiques, en particulier les états-limites, quand ce recours
se pérennise. Le recours au corps suppose l’impossibilité de substitution névrotique
symbolique, faillite ponctuelle ou structurale. Les aménagements pseudo-névrotiques
peuvent faire discuter de la structure psychopathologique impliquée.
D’autres structures psychopathologiques peuvent être rencontrées, en particulier
l’hystérie et la psychose non déclenchée. Le recours au corps, dans la réalité de la
perception douloureuse peut être impliqué comme dernier rempart devant le suicide. Le
travail thérapeutique ne cherche pas à faire arrêter le comportement du patient, ni non
plus à l’encourager, mais représente plutôt la possibilité d’un appui pour le patient sur la
relation transférentielle pour rediriger les investissements vers l’extérieur.
La métapsychologie freudienne nous permet d’entrevoir les mécanismes du
recours au corps, rencontre d’une douleur physique et de la séparation. La séparation est
perçue comme perte, irrémédiable, mettant en jeu les modalités des relations précoces.
Le recours à l’excitation constitue le motif initial du geste (le soulagement d’une
tension psychique) en même temps que les facteurs de sa possible répétition. L’excitation
dans sa répétition mortifère témoigne de l’engrenage masochique, par sa contribution à
l’autoconservation et du maintien de la psyché en éveil. La répétition trouve un soutien
biologique par l’activation des systèmes dopaminergiques et opioïdes endogènes qui
façonnent de l’intérieur une tendance addictive. La répétition trouve aussi des appuis
externes, par la participation des bénéfices secondaires trouvés dans l’environnement
familial et social.
L’économie du symptôme est discutée dans l’aménagement des modalités
relationnelles, avec l’entourage familial et social. Nous étudions quelques modes de
formation du lien social à partir de l’automutilation (Survivors, groupe d’automutilateurs
britanniques, Modern primitives, Gothiques, sites de discussion et d’échange sur
Internet). Les questions se portent sur l’économie résultant du regroupement, à la fois sur
un plan individuel et collectif. L’articulation de la clinique du cas et du lien social nous
conduit à envisager les conditions d’une position subjective dans de tels regroupements.
126
Les intérêts individuels trouvés au regroupement pourraient varier en fonction de
la structure psychopathologique du sujet et ainsi avoir des implications cliniques dans
l’évaluation et les perspectives thérapeutiques.
Ces modes de regroupement indiquent que le lien social peut être organisé à partir
de l’automutilation dans des aménagements secondaires, d’un étayage ponctuel ou
prolongé jusqu’à la revendication d’un mode de vie. Les implications sur l’économie
individuelle du symptôme ne peuvent être les mêmes.
La difficulté se porte dans la pratique à constituer un cadre thérapeutique non
menaçant, susceptible de ne pas réactualiser un sentiment de désaide pour le patient, en
regard des sentiments d’impuissance fréquemment ressentis du coté du consultant. Les
mouvements d’investissements et désinvestissements massifs du patient exposent en
permanence à la possibilité de rupture. Les ouvertures sur des médiations thérapeutiques
et le psychodrame trouvent leur intérêt dans ce cadre.
Ces considérations pourraient contribuer à penser une position possible pour le
consultant dans la clinique quotidienne et l’appréhension de la tendance récente au
regroupement des patients. Cette hypothèse mériterait d’être confrontée aux travaux
sociologiques portant sur ces groupes et à l’approfondissement de la clinique
individuelle.
127
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