Les attentats de Bruxelles : Le législateur belge doit

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Les attentats de Bruxelles : Le législateur belge doit
Les attentats de Bruxelles : Le législateur belge doit-il en faire davantage pour lutter
contre le terrorisme et la radicalisation ?
par Sebastian Fernandez
Introduction
Le 22 mars 2016, un peu plus de quatre mois après les attentats de Paris survenus
le 13 novembre 2015, une trentaine d’individus sont décédés et plus de 200 furent blessés
dans des explosions ayant frappé le métro de Bruxelles ainsi que l’aéroport international
de cette ville de Belgique1. Le jour même, le groupe État islamique revendiqua la
responsabilité de ces attentats dans un communiqué, promettant également la venue de
« jours biens sombres » à tout pays prenant part à a lutte contre les djihadistes2. Le jeudi
24 mars 2016, en soirée, six personnes ont été arrêtées dans la commune bruxelloise de
Schaerbeek, parmi lesquelles on retrouve un individu surnommé, en date de la rédaction
de ce billet, par les initiales F. C., un Bruxellois s’étant radicalisé et qui était sur le radar
des autorités belges depuis plusieurs mois avant les attentats3. Connu des autorités et
considéré comme étant dangereux par ces dernières, cet individu aurait fait l’objet de
plusieurs arrestations avant les attentats pour avoir tenté de recruter de sans-papiers et de
demandeurs d’asile « pour des mouvements radicaux » au parc Maximilien, à Bruxelles4.
Dans le présent billet, nous nous attarderons sur les mesures qui furent prises par
différents États membres de l’Union européenne en réaction à ces attentats de même que
sur les mesures prises au cours des dernières années par le gouvernement belge pour
lutter contre la radicalisation et combatte le terrorisme. Plus précisément, nous nous
demanderons si le gouvernement belge doit en faire davantage pour lutter contre la
radicalisation et le terrorisme. En effet, le fait qu’un individu étant présumé être impliqué
dans les attentats de Bruxelles ait tenté à différentes reprises de recruter des individus
dans des mouvements qualifiés de radicaux dans un lieu situé dans la ville où ces
1
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/03/22/97001-20160322FILWWW00236-le-groupe-etat-islamiquerevendique-les-attentats-de-bruxelles.php; http://www.liberation.fr/planete/2016/03/22/attentats-abruxelles-ce-que-l-on-sait_1441170.
2
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/03/22/97001-20160322FILWWW00236-le-groupe-etat-islamiquerevendique-les-attentats-de-bruxelles.php.
3
http://www.lesoir.be/1162537/article/actualite/regions/bruxelles/2016-03-25/attentats-un-bruxelloisradicalise-parmi-personnes-arretees-jeudi-soir.
4
Id. attentats ont eu lieu sans conséquences apparentes ne témoigne-t-il pas en soi d’un certain
laxisme de la part des autorités belges ? Une chose est sûre, un tel constat d’a rien de
rassurant aux yeux de la population, d’où l’importance de nous attarder plus amplement à
ces questions.
1. Réactions aux attentats de Bruxelles : les mesures prises par différents États
membres de l’Union Européenne
Il tombe sous le sens que les attentats de Bruxelles, survenus seulement quatre
mois après les attentats de Paris du 13 novembre 2015, n’ont guère laissé indifférents les
différents États membres de l’Union Européenne, lesquels prirent certaines mesures en
réaction à ces événements, ainsi que les peuples de plusieurs nations à l’échelle
internationale.
D’abord, en Belgique, le gouvernement belge décréta trois jours de deuil national5
et le niveau d’alerte anti-terroriste a atteint le niveau maximal à l’échelle nationale, soit le
niveau quatre, signifiant la possibilité d’un risque très grave et imminent6, pour ensuite
être réduit au niveau trois, « signifiant qu’aucun élément ne permet de craindre un
"attentat imminent" », deux jours après les événements7. Cette réduction aussi hâtive du
niveau d’alerte suite aux attentats suscita d’ailleurs l’étonnement au sein de la population
belge et, selon Corinne Torrekens, spécialiste de l’islam et Docteure en sciences et
politiques à l’Université libre de Bruxelles, ainsi que Thomas Renard, spécialiste des
questions de sécurité et chercheur à l’Egmont Institute de Bruxelles, cette stratégie
politique consistant à donner une apparence stoïcienne face à la menace « peine à
masquer les failles du renseignement belge »8. Le gouvernement belge procéda également
au déploiement de près de mille militaires à Bruxelles9. D’autres mesures préventives
5
http://www.rtbf.be/info/societe/detail_belgique-trois-jours-de-deuil-national-decretes-par-legouvernement-federal?id=9248599.
6
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/03/22/explosions-a-bruxelles-la-belgique-placee-a-sonniveau-d-alerte-maximal_4887780_4355770.html.
7
http://www.bfmtv.com/international/attentats-de-bruxelles-pourquoi-la-belgique-a-t-elle-baisse-sonniveau-d-alertebr-961974.html.
8
Id.
9
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/03/22/explosions-a-bruxelles-la-belgique-placee-a-sonniveau-d-alerte-maximal_4887780_4355770.html.
furent prises, telles la fermeture du réseau de transports en commun10 et l’annulation des
vols prévus à l’aéroport de Bruxelles jusqu’au 25 mars 201611.
En France, où la stupéfaction est toujours palpable suite aux attentats de Paris du
13 novembre 2015, une réunion de crise fut tenue à l’Élysée le jour même des attentats, à
laquelle participèrent notamment le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, le chef de
la diplomatie Jean-Marc Ayrault, le Premier ministre Manuel Valls, le ministre de la
Défense Jean-Yves Le Drian ainsi que le président de la République, François
Hollande12. Il fut notamment décidé, au terme de cette rencontre, de déployer quelques
1 600 gendarmes et policiers additionnels à différents endroits sur le territoire français
afin d’y renforcer la sécurité13. En Pologne, la présidente du Conseil des ministres
polonais Beata Szydlo annonça le refus du gouvernement polonais d’accueillir
davantage de migrants sur son territoire dans le cadre du programme de répartition de
l’Union Européenne suite aux attentats de Bruxelles14, alors qu’au Royaume-Uni, un
renforcement de la sécurité des points de transport névralgiques fut annoncé de même
qu’un renforcement de la sécurité de plusieurs aéroports15.
Enfin, les attentats de Bruxelles entraînèrent une vague de condamnations des
actes terroristes de la part de chefs politiques de différentes nations, notamment en
Amérique du Nord, parmi lesquelles on retrouve notamment le Canada, où le Premier
ministre Justin Trudeau « condamn[a] fermement les attaques terroristes de Bruxelles »16
via son compte Twitter, ainsi que les États-Unis, où le président Barack Obama
condamna également ces attaques17.
10
http://www.franceinfo.fr/fil-info/article/attentats-bruxelles-transports-en-commun-toujours-perturbesjeudi-pas-de-vols-passagers-l-aeroport-776755.
11
Id.
12
http://www.france24.com/fr/20160322-attentats-bruxelles-reunions-crise-securite-renforcee-capitaleseuropeennes.
13
Id.
14
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/03/23/97001-20160323FILWWW00229-la-pologne-refuse-daccueillir-des-migrants-suite-aux-attentats-de-bruxelles.php.
15
http://www.nltimes.nl/2016/03/22/netherlands-boosts-all-airport-security-pm-rutte-leads-emergencymeeting/.
16
http://www.journaldequebec.com/2016/03/22/x-choses-que-lont-sait-sur-les-attentats-de-bruxelles.
17
http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/international/2016/03/22/002-belgique-attentats-france-pays-basroyaume-uni-mesures-securite.shtml. Ainsi, on peut constater que les attentats de Bruxelles ne laissèrent guère
indifférentes la plupart des nations occidentales, suscitant des réactions partagées de part
et d’autre, certaines des mesures mises en place par les gouvernements de ces nations
étant d’ailleurs calquées sur l’idéologie du gouvernement au pouvoir. À cet égard, le cas
de la Pologne est particulièrement révélateur, où le parti politique Droit et justice fut
porté au pouvoir au terme des élections législatives de 2015. Cette formation politique,
membre du Groupe des Conservateurs et Réformistes européens18 et préconisant une
idéologie conservatrice et eurosceptique19, fit de la crise des migrants un thème central de
la dernière campagne électorale de 2015, le président de ce parti, Jaroslaw Kaczyński,
n’ayant d’ailleurs pas hésité à qualifier les migrants d’individus porteurs de nouvelles
maladies en Europe20. Cette instrumentalisation du thème de l’immigration à des fins
politiques par cette formation politique parfois qualifiée d’extrême droite par ses
opposants, de même que le désire manifeste de ses membres à réduire l’immigration tend
donc à illustrer que la mesure que prit l’actuel gouvernement polonais en réaction aux
attentats de Bruxelles, soit de refuser d’accueillir davantage de migrants sur son sol, se
veut une manifestation de l’idéologie préconisée par ce gouvernement21. D’ailleurs, cette
instrumentalisation de l’afflux de migrants à des fins politiques par des groupes ou des
partis politiques ouvertement anti-immigration suite aux attentats de Bruxelles n’est pas
sans rappeler l’attaque d’une mosquée par des militants d’extrême-droite en Espagne « en
représailles aux attentats de Bruxelles »22 ou la dénonciation de Marine Le Pen,
présidente du Front National français, de « l’ouverture totale des frontières » ainsi que la
revendication de sa part de « la remise en place définitive des frontières nationales au
sein de l’Union Européenne » 23. Quoi qu’il en soit, il n’est pas impertinent, à ce stade, de nous pencher sur la
fameuse question qu’est celle de savoir si le gouvernement belge devrait en faire
18
http://www.europarl.europa.eu/elections-2014/fr/political-groups/european-conservatives-and-reformistsgroup.
19
François RICHARD et Antoine DANZON, « En marche vers l’alternance », Le courrier des pays de
l’Est, no 1050, 2005, p. 153.
20
http://www.liberation.fr/planete/2015/10/21/en-pologne-la-peur-des-immigres-imaginaires_1407896.
21
Id.
22
http://tempsreel.nouvelobs.com/en-direct/a-chaud/20277-bruxelles-zaventem-espagne-espagne-militantsextreme.html.
23
http://www.journaldemontreal.com/2016/03/22/attentats-a-bruxelles-nous-sommes-tous-en-danger--marine-le-pen. davantage pour combattre le terrorisme et la radicalisation. Cette question est d’autant
plus pertinente que le 24 mars 2016, deux jours après les attentats de Bruxelles, les
ministres de la Justice et de l’Intérieur belges ont remis leur démission, laquelle fut
toutefois immédiatement refusée par le Premier ministre belge Charles Michel24.
Toutefois, ces deux ministres ont invoqué comme source de motivation à leur démission
le fait que la surveillance de l’un des auteurs des attentats aurait été entachée de certaines
erreurs25. Plus précisément, selon le ministre de l’Intérieur, il y aurait eu « des erreurs à la
Justice et avec l’officier de la liaison (belge) en Turquie » qui se seraient notamment
concrétisées par des ratées dans la surveillance d’un des kamikazes ayant participé aux
attentats de Bruxelles26. Qui plus est, comme nous l’avons souligné précédemment,
certains chercheurs soutiennent que la stratégie du gouvernement belge, qui consiste, en
apparence, à demeurer calme face aux événements, laquelle se manifesta par la réduction
du niveau d’alerte anti-terroriste seulement deux jours après les événements, « peine à
masquer les failles du renseignement belge »27. Enfin, comme nous le verrons, il ne s’agit
pas là des premières critiques adressées aux autorités belges suite à un attentat, celles-ci
ayant d’ailleurs dû essuyer certaines critiques à la suite des attenants de Paris survenus le
13 novembre 2015. Néanmoins, nous estimons que l’obtention de la réponse à cette
question passe non seulement par une analyse plus approfondie des erreurs qui auraient
été commises par les autorités belges et qui attesteraient d’un manque de rigueur ou de
proactivité de leur part, mais également par une analyse des mesures prises par le
législateur belge au cours des dernières années en matière de lutte contre le terrorisme et
la radicalisation, ce à quoi nous procéderons dans la partie suivante.
2. Analyse du cadre législatif belge : La Belgique doit-elle en faire davantage pour
lutter contre le terrorisme et la radicalisation ?
24
http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/attentats-de-bruxelles/direct-attentats-de-bruxelles-descomplices-activement-recherches_1373211.html.
25
http://www.lepoint.fr/europe/attentats-deux-ministres-belges-presentent-leur-demission-24-03-20162027678_2626.php.
26
Id. 27
http://www.bfmtv.com/international/attentats-de-bruxelles-pourquoi-la-belgique-a-t-elle-baisse-sonniveau-d-alertebr-961974.html.
D’entrée de jeu, il importe de saisir que le Code pénal belge prévoit plusieurs
infractions relatives au terrorisme28, parmi lesquelles on retrouve notamment le
financement d’une activité d’un groupe terroriste, la participation à une activité d’un
groupe terroriste, la fourniture de moyens matériels ou d’informations à un groupe
terroriste ainsi que la commission d’un homicide volontaire ou d’une prise d’otage qui,
« par sa nature ou son contexte, peut porter gravement atteinte à un pays ou à une
organisation internationale et est commis intentionnellement dans le but d’intimider
gravement une population » 29. Au cours des dernières années, le législateur belge pris
plusieurs mesures afin de lutter contre la radicalisation et le terrorisme sur plusieurs
plans, notamment en apportant des modifications majeures au Code pénal belge. Dans le
cadre de la présente section, c’est précisément sur certains de ces mesures qui furent
prises depuis les attentats du 11 septembre 2001 ayant frappé les États-Unis que nous
nous attarderons.
En 2006, cinq ans après les attentats du 11 septembre 2001, le gouvernement belge
adopta la Loi relative à l’analyse de la menace, laquelle a notamment pour objet la
création de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM), qui a pour
but d’analyser toute menace en matière de terrorisme et d’extrémisme. Parmi les grandes
lignes du mandat de l’OCAM, on retrouve, entre autres :
« 1. d’effectuer périodiquement une évaluation stratégique commune qui doit
permettre d’apprécier si des menaces […] peuvent se manifester ou, si celles-ci
ont déjà été détectées, comment elles évoluent et, le cas échéant, quelles mesures
s’avèrent nécessaires;
2. d’effectuer ponctuellement une évaluation commune qui doit permettre
d’apprécier si des menaces […] se manifestent et, le cas échéant, quelles mesures
s’avèrent nécessaires;
3. d’assurer les relations internationales spécifiques avec des services étrangers ou
internationaux homologues, conformément aux directives du Conseil national de
28
29
Code pénal, art. 137-141.
Id., art. 137 et 140.
sécurité. Les données, les informations ou les renseignements obtenus à l’occasion
de ces relations sont communiqués aux services belges compétents »30.
Ainsi, le législateur belge procéda à la mise en place d’un organisme chargé
d’analyser cette menace sur la base des informations et renseignements fournis par
certains organes de sécurité belges tels que le Service général du renseignement et de la
sécurité et la Sûreté de l’État. Cet organe est d’ailleurs celui qui dispose du pouvoir de
fixer le niveau d’alerte anti-terroriste suite à l’évaluation d’une menace potentielle. Avant
les attentats de Bruxelles, l’OCAM a notamment déjà utilisé ce pouvoir pour qualifier un
spectacle de l’humoriste Dieudonné à Bruxelles à 3 sur l’échelle de dangerosité, ce qui
mena d’ailleurs à son interdiction31, ainsi que le 21 novembre 2015, suite aux attentats de
Paris, sous motif d’une forte probabilité de la survenance d’attentats à Bruxelles à la suite
de la découverte d’un réseau djihadiste à l’origine des attentats de Paris du 13 novembre
2015 dans la commune de Molenbeek32. Quelques années plus tard, en 2010, entra en
vigueur l’Arrêté royal relatif au secrétariat de la commission administrative chargée de
la surveillance des méthodes spécifiques et exceptionnelles de recueil de données par les
services de renseignement et de sécurité, lequel apporte certaines modifications
législatives à des fins de bonification de la prévention de l’utilisation de capitaux destinés
au financement du terrorisme et de leur blanchiment. Ainsi, on peut constater que le
gouvernement belge a entrepris de lutter contre le terrorisme sur le front financier, aspect
qui n’est pas à négliger, et a entrepris de mettre en place un organe chargé d’évaluer toute
menace potentielle.
Le 7 février 2013, le Sénat belge adopta, après la Chambre des représentants, un
nouveau projet de loi antiterroriste, lequel prévoit notamment d’introduire dans le Code
pénal belge une nouvelle incrimination, soit celle de « l’incitation indirecte au
terrorisme »33, cette dernière élargissant « le champ des poursuites par rapport aux
30
Loi relative à l’analyse de la menace, art. 8.
http://www.rtbf.be/info/societe/detail_dieudonne-le-niveau-3-de-la-menace-etait-il-justifie?id=8983480.
32
http://www.courrierinternational.com/article/belgique-le-lockdown-de-bruxelles-est-il-justifie.
33
http://www.lalibre.be/debats/opinions/l-incitation-indirecte-au-terrorisme-sera-punie51b8f986e4b0de6db9c9be99.
31
exigences européennes qui restent dans le cadre de l’incitation directe »34. Il importe de
souligner que tout individu accusé de cette infraction doit comparaître devant un
magistrat, lequel devra, dans un premier temps, déterminer si l’intention qui fut à la base
de la diffusion du message incriminé fut « d’inciter à la commission d’un délit
terroriste », pour ensuite évaluer si la diffusion de ce message « crée le risque qu’une ou
plusieurs de ces infractions puissent être commises », de manière telle à déterminer s’il
existe un risque concret à ce que les personnes ayant reçu le message pourraient ou
auraient pu passer à l’acte35. Bien que cette initiative législative témoigne d’une volonté
du législateur belge d’aller encore plus loin que ce qui exigé par l’Union Européenne en
matière de lutte contre la radicalisation et, plus globalement, le terrorisme, ce projet de loi
fut considéré comme pouvant entraîner certaines dérives, dans la mesure où il s’attaque
directement à la liberté d’expression et considérant que l’évaluation du risque qu’il
commande est extrêmement abstraite36. À titre d’exemple, suivant son libellé, il pourrait
être possible de poursuivre « une personne critiquant l’engagement militaire en Irak ou au
Mali, en considérant que ses propos pourraient inciter à commettre des attentats dans les
pays engagé dans le conflit »37. Quoi qu’il en soit, malgré les critiques, il demeure que
cette initiative législative témoigne indiscutablement d’un désir profond du législateur
belge d’élargir la potentialité du champ des poursuites à des fins de lutte contre la
radicalisation et le terrorisme.
Enfin, la Loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme, adoptée environ huit
mois après les attentats contre le journal satirique Charlie Hebdo à Paris, prévoit
notamment l’apport de quelques modifications au Code pénal belge. Parmi les plus
importantes de ces modifications, on retrouve la possibilité de prononcer la déchéance de
la nationalité belge à l’égard d’individus qui auraient été condamnés, « comme auteur,
coauteur ou complice, à une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans sans sursis »
pour une infraction relative au terrorisme prévue au Code pénal belge, à l’exception des
individus qui deviendraient, du fait de cette déchéance, apatrides, à moins que, dans ce
34
http://www.lalibre.be/debats/opinions/l-incitation-indirecte-au-terrorisme-sera-punie51b8f986e4b0de6db9c9be99.
35
Id.
36
Id.
37
Id. cas, « la nationalité n’ait été acquise à la suite d’une conduite frauduleuse, par de fausses
informations ou par dissimulation d’un fait pertinent »38. Enfin, cette loi prévoit
également qu’une personne qui est ainsi déchue de sa nationalité belge ne peut redevenir
belge par naturalisation39. Il est intéressant de souligner que la déchéance de la nationalité
comme sanction à la perpétration d’une infraction liée au terrorisme avait suscité un
débat d’une importance non négligeable lors de la campagne électorale fédérale de 2015
au Canada, certains arguant que l’une des mesures prises par le gouvernement
conservateur de Stephen Harper permettant de révoquer la double citoyenneté de
Canadiens condamnés pour des actes terroristes, d’espionnage ou de haute trahison créait
« deux classes de citoyenneté »40. Le gouvernement libéral de Justin Trudeau, qui
succéda au gouvernement conservateur de Stephen Harper au terme de cette campagne,
abrogea d’ailleurs la Loi C-24 dans laquelle se trouva cette mesure41. Quoi qu’il en soit,
bien qu’on puisse contester cette initiative sur la base du fait qu’elle créerait deux classes
de citoyens belges, elle atteste néanmoins d’une volonté du gouvernement belge de
dissuader les éventuels commettants d’actes terroristes par une sanction lourde de
conséquences. De plus, on pourrait, en quelque sorte, considérer cette mesure comme
étant avant-gardiste au regard de l’opinion publique dans le contexte actuel, comme en
atteste un récent sondage effectué en France révélant que près de 90% des Français
seraient favorables de la déchéance de la nationalité en cas de perpétration ou de
collaboration à un acte terroriste42.
Or, malgré l’apparente rigueur du cadre législatif belge en matière de terrorisme et de
lutte contre la radicalisation, lequel fut considérablement bonifié par ces mesures
législatives prises au cours des dernières années, il demeure que les autorités belges ont
dû essuyer plusieurs critiques à la suite des attentats de Paris du 13 novembre 2015 et des
attentats de Bruxelles du 22 mars 2016. Il convient donc de nous pencher, à ce stade, sur
la nature de ces critiques afin d’en avoir une meilleure compréhension et de
38
Loi visant à renforcer la lutte contre le terrorisme, art. 7.
Id.
40
http://ici.radio-canada.ca/sujet/elections-canada-2015/2015/08/29/005-justin-trudeau-promet-abrogationloi-citoyennete-des-conservateurs.shtml.
41
http://www.tvanouvelles.ca/2016/02/25/le-canada-abrogera-la-loi-sur-la-decheance-de-citoyennete.
42
http://www.leparisien.fr/politique/terrorisme-pres-de-9-francais-sur-10-favorables-a-la-decheance-denationalite-29-12-2015-5408325.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.ca%2F.
39
potentiellement déceler un lien avec une éventuelle faille dans le cadre législatif belge
actuel qui expliquerait les ratées à la source de ces critiques.
Tout d’abord, malgré les critiques, on ne saurait reprocher au gouvernement belge
un manque de proactivité à la suite des attentats. En effet, le 20 novembre 2015, sept
jours après les attentats de Paris, le gouvernement belge annonça un investissement de
400 millions d’euros supplémentaires en 2016 pour lutter contre les violences djihadistes
ainsi que plusieurs mesures visant à combattre le terrorisme43. Parmi celles-ci, on
retrouve l’autorisation aux autorités belges à mener des perquisitions 24 heures sur 24,
l’incarcération des djihadistes revenant de Syrie en Belgique ainsi que l’interdiction de la
vente de cartes prépayée de téléphone portable à des acheteurs anonymes44. De surcroît,
des modifications à la législation belge afin de « faciliter l’interdiction, la condamnation
ou l’expulsion de prédicateurs religieux accusés de répandre un discours de la haine » ont
également été annoncées45. Enfin, dans la mesure où plusieurs individus présumés avoir
participé aux attentats sont des résidents de la commune belge de Molenbeek, plusieurs
perquisitions y ont été menées par la police belge de même que dans d’autres quartiers46.
Le 1er février 2016, suite aux attentats de Paris du 13 novembre 2015, la France et la
Belgique ont tenu un sommet afin de discuter d’un renforcement de la collaboration
judiciaire et policière entre ces deux pays en matière de lutte contre la radicalisation et le
terrorisme47. Au terme de ce sommet, certaines mesures ont été annoncées par les
représentants de ces deux nations, notamment « l'affectation d'un magistrat de liaison à
l'ambassade française à Bruxelles » et la défense d’une ligne commune dans les instances
européennes48. Par ailleurs, en date de la tenue de ce sommet, cette collaboration entre la
France et la Belgique avait déjà donné lieu à « une soixantaine de perquisitions et onze
mandats d’arrêt en Belgique »49.
43
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/terrorisme-la-belgique-veut-adopter-des-mesuresplus-strictes-524012.html.
44
Id.
45
Id.
46
Id.
47
http://www.7sur7.be/7s7/fr/35522/Attaques-en-serie-a-Paris/article/detail/2603280/2016/02/01/Franceet-Belgique-cote-a-cote-pour-lutter-contre-le-terrorisme.dhtml.
48
Id.
49
http://www.lesoir.be/1109088/article/actualite/belgique/2016-02-01/charles-michel-rencontre-manuelvalls-pour-un-sommet-sur-terrorisme. Ainsi, il ressort de cette analyse des événements que le gouvernement belge fit
preuve de proactivité suite aux attentats de Paris du 13 novembre 2015. Toutefois, il
demeure que le gouvernement belge a dû essuyer plusieurs critiques à la suite de ces
tragiques événements. En effet, à la suite de ces derniers, certaines enquêtes menées par
les autorités françaises révélèrent que ces attentats auraient été organisés en Belgique50 et
ont mis en lumière « les ramifications du réseau terroriste en Belgique », et plus
particulièrement la piste de ce qui fut appelé la « filière de Molenbeek », cette dernière
étant une commune belge que plusieurs terroristes ayant participé à ces attentats
habitaient, cette commune ayant d’ailleurs été taxée, pour cette raison, de « repère pour
terroristes »51. Face à ces critiques, le chef du gouvernement belge, Charles Michel, a
senti le besoin de défendre le travail effectué par les services de renseignement belges
étant donné que qu’ils étaient pointés du doigt « depuis que l’enquête sur les attentats a
révélé que nombre de ses auteurs avaient vécu ou étaient originaires de Belgique »52,
affirmant d’ailleurs que l’assaut qui mena à l’assassinat de Abdelhamid Abaaoud,
originaire de la commune belge de Molenbeek et de nationalité belge, était « le résultat
d’un renseignement émanant de Belgique »53. Conséquemment, s’il ressort de l’analyse
des événements que le gouvernement fait preuve de proactivité après la survenance d’une
situation de ce genre et n’hésite guère à prendre certaines mesures pour renforcer ses
propres moyens aux fins de lutter contre le terrorisme ainsi que la radicalisation et même
dans une optique de collaboration avec d’autres pays membres de l’Union Européenne, il
en ressort également que l’énonciation de critiques à l’égard des autorités belges à la suite
des attentats de Bruxelles n’est pas une première, les autorités belges ayant déjà eu à
essuyer certaines critiques mettant en lumière ce qui pourrait être considéré comme un
manque de rigueur ou de proactivité avant l’avènement d’attentats. Il n’est d’ailleurs pas
impertinent de rappeler que les critiques auxquelles firent face les autorités belges au
lendemain des attentats de Bruxelles sont, comme nous l’avons vu, beaucoup plus graves
50
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/terrorisme-la-belgique-veut-adopter-des-mesuresplus-strictes-524012.html.
51
Id.; http://www.lesoir.be/1109088/article/actualite/belgique/2016-02-01/charles-michel-rencontremanuel-valls-pour-un-sommet-sur-terrorisme.
52
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/terrorisme-la-belgique-veut-adopter-des-mesuresplus-strictes-524012.html.
53
Id. et semblent davantage fondées, certains ministres allant même jusqu’à admettre des
ratées et vouloir démissionner.
Conclusion
À ce stade, il serait fort prématuré d’affirmer hors de tout doute que la Belgique
devrait en faire davantage pour lutter contre le terrorisme et la radicalisation sur le plan
législatif. Pour obtenir une réponse rigoureuse et précise à cette question, nous croyons
qu’une analyse comparée de la législation belge relativement aux mesures de sécurité
nationales avec les cadres législatifs mis en place par le législateur d’autres nations
luttant contre le groupe État islamique serait de mise afin d’être à même d’énoncer des
améliorations concrètes que devraient éventuellement et, idéalement, envisager le
législateur belge. Qui plus est, il ne faut point, dans le cadre d’un tel exercice, perdre de
vue la nécessaire perpétuation de ce fragile équilibre entre la sécurité nationale et les
libertés individuelles des citoyens. En effet, cela nous amène à discuter d’un phénomène
sociopolitique pour le moins préoccupant, soit le fait que de plus en plus d’individus sont
prêts à délaisser leurs droits et libertés ainsi que ceux d’autrui au profit, notamment, d’un
sentiment de sécurité accru, qui tend à s’expliquer par un fort mécontentement à l’égard
de la caste politique. En témoignent notamment divers sondages récemment effectués en
France révélant que 40% des Français seraient tentés par un gouvernement autoritaire par
souci de compétence des décideurs54, que 53% d’entre eux doutent de l’efficacité des
mesures prises par le gouvernement français pour lutter contre le terrorisme55 et, enfin,
que près de 90% des Français seraient favorables à la déchéance de la nationalité en cas
de perpétration ou de collaboration à un acte terroriste56. De plus, certains mouvements
politiques, jadis fort impopulaires auprès de l’opinion publique, qui n’hésitent guère à
utiliser de tragiques événements tels que les attentats de Bruxelles à des fins
d’instrumentalisation de la crise des migrants pour en arriver à leurs objectifs sur le plan
politique gagnent en popularité partout en Europe. Parmi ces derniers, mentionnons le
54
http://www.lefigaro.fr/politique/2015/11/03/01002-20151103ARTFIG00077-40-des-francais-seraienttentes-par-un-gouvernement-autoritaire.php.
55
http://www.bfmtv.com/politique/terrorisme-une-majorite-de-francais-approuve-les-mesures-prises-parle-gouvernement-941528.html. 56
http://www.leparisien.fr/politique/terrorisme-pres-de-9-francais-sur-10-favorables-a-la-decheance-denationalite-29-12-2015-5408325.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.ca%2F.
Front National français qui, au second tour des régionales françaises de 2015, récolta près
de 30% des intentions de vote57, le parti d’extrême-droite allemand Alternative pour
l’Allemagne, qui réalisa une percée historique dans trois Länder lors des dernières
élections régionales58 ainsi que les Démocrates de Suède, formation politique d’extrêmedroite suédoise qui devint la troisième force politique du pays au terme des élections
législatives de 201459. On constate donc une montée fulgurante des formations politiques
qualifiées d’extrême-droite en Europe, laquelle peut être attribuable à un manque de
confiance envers les élus des formations politiques dites traditionnelles. Cette hypothèse
semble être des plus probables, comme en atteste l’apparition graduelle du même
phénomène aux États-Unis où Donald Trump et Bernie Sanders, tous les deux candidats
lors des primaires étasuniennes de 2016, tiennent un discours résolument « antiestablishment » et ne cessent de surprendre les spécialistes de par la croissance fulgurante
de leur popularité auprès des électeurs du Parti républicain et du Parti démocrate60. Face à
ce constat s’impose une nécessaire remise en question de l’efficacité des mesures prises
par les différents gouvernements afin de bonifier, voire même de modifier les mesures
actuelles, et ce, afin que la caste politique puisse regagner la confiance de la population,
mais sans pour autant tomber dans la violation des droits fondamentaux au profit d’un
plus grand sentiment de sécurité. Qui plus est, malgré l’efficacité des mesures législatives
actuelles, il demeure que la rigueur est de mise lors de leur mise en œuvre. En effet,
comme nous avons pu le constater, certaines erreurs ayant été commises ont, sans
nécessairement être la source des attentats de Bruxelles, indubitablement miné la
confiance du public envers les autorités belges. À notre avis, les instances décisionnelles
belges devraient sérieusement envisager la tenue d’une enquête publique, surtout après
les récentes déclarations des ministres de l’Intérieur et de la Justice belges, dans une
première tentative visant à regagner la confiance du public pour ensuite procéder à des
ajustements afin d’éviter la reproduction de telles erreurs. Enfin, bien que la perfection ne
57
http://www.lepoint.fr/regionales-2015/le-front-national-remporte-les-regionales-06-12-20151987657_2592.php.
58
http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/03/13/en-allemagne-l-extreme-droite-inflige-une-defaitesans-precedent-a-angela-merkel_4882064_3214.html.
59
http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/09/14/suede-victoire-de-la-gauche-et-percee-de-l-extremedroite_4487276_3214.html.
60
http://www.theatlantic.com/notes/2016/01/what-bernie-sanders-and-donald-trump-have-incommon/422907/. soit guère de ce monde, nous estimons qu’il est essentiel que le gouvernement belge
adresse cette situation avec le plus grand sérieux, eu égard à l’amplification du manque
de confiance des peuples européens envers leurs gouvernements respectifs face à une
menace bien présente qui continue, encore à ce jour, son chemin dans le cœur d’honnêtes
gens afin d’y ancrer la crainte.