1 - Notion de droit pénal spécial

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1 - Notion de droit pénal spécial
Introduction
1 - Notion de droit pénal spécial
Au sein du droit criminel, on rencontre plusieurs disciplines : la procédure
pénale, qui étudie la manière de poursuivre et de juger l’auteur d’une
infraction ; la criminologie, qui étudie le phénomène criminel à la fois
dans ses causes et dans les remèdes que l’on peut tenter de lui apporter ;
la pénologie, qui est l’étude de l’application de la peine au condamné et,
enfin, le droit pénal.
Au sein du droit pénal, on distingue le droit pénal général du droit pénal
spécial.
Le droit pénal général est constitué des règles communes à toutes les
infractions pénales (principe de la légalité, application de loi pénale dans
le temps et dans l’espace, répression de la tentative, de la complicité, élément
moral, règles de responsabilité pénale, peines…). Il s’agit du droit des
grands principes de répression, de la théorie générale du droit pénal.
Le droit pénal spécial regroupe, quant à lui, les règles spécifiques à chaque
infraction, qu’il s’agisse de sa définition (conditions préalables, éléments
constitutifs) ou de sa répression (règles de procédure applicables, peines
encourues…). Historiquement, le droit pénal spécial est apparu en premier
car le législateur a d’abord commencé par créer des infractions, avant que
soient mis en exergue les principes généraux, et que soit élaborée la théorie
générale, du droit pénal.
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2 - Intérêts du droit pénal spécial
Le droit pénal spécial est parfois présenté comme un catalogue d’infractions
dont l’étude serait à la fois répétitive et monotone. En réalité, l’étude du
droit pénal spécial présente plusieurs intérêts.
– D’une part, le droit pénal spécial accorde une grande place aux faits
et à la matérialité des infractions. C’est donc, avant tout, un droit concret
qui ravira ceux qui font leurs délices des cas d’espèces.
– D’autre part, l’étude du droit pénal spécial a une valeur pédagogique.
D’après André Vitu, le Code pénal est « le code du comportement du
parfait citoyen : [il] constitue pour lui la charte de l’interdit ou du permis »1.
L’étude du droit pénal spécial permet donc à l’individu de découvrir
la limite du permis et de l’interdit, du licite et de l’illicite, et de choisir
son comportement en conséquence2.
– Ensuite, le droit pénal spécial est un droit judiciaire : il ne s’applique
que devant les cours et les tribunaux. Il en résulte que la jurisprudence
joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre des incriminations pénales.
Cela peut surprendre pour un droit gouverné par le principe de la
légalité des délits et des peines et par son corollaire : le principe
d’interprétation stricte des infractions pénales. Mais on constatera que
la jurisprudence s’écarte parfois de ces principes. Il faudra, bien sûr,
nous demander pourquoi, avec quelles conséquences et pour quel
bénéfice. Plus largement, l’étude de la manière dont la jurisprudence
applique les incriminations pénales est porteuse d’indications importantes sur l’appréhension par les magistrats des incriminations, sur les
attentes du corps social en matière de droit pénal et sur les évolutions
de la politique criminelle.
– Enfin, le droit pénal spécial a une incontestable valeur ethnologique :
l’étude des agissements criminels, et de la façon dont ils sont réprimés,
permet de découvrir les valeurs sociales qu’une société considère
comme essentielles. André Vitu disait encore du droit pénal spécial
qu’il constitue « le miroir de la civilisation »3. Étudier le droit pénal
spécial, c’est donc se remémorer la raison d’être des incriminations,
repenser cette ratio legis4 qui, d’ailleurs, varie avec le temps, au gré des
mouvements de pénalisation et de dépénalisation.
1.R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, Tome 2, éd. Cujas, 1982, p. 18.
2. A vrai dire, cette vertu éducative ne vaut vraiment que pour les grands interdits (meurtre,
violences, vol, recel…). Elle vaut infiniment moins pour ce que Garofalo appelait le « droit
pénal artificiel », qui ne correspond en rien à des valeurs sociales considérées comme essentielles (droit pénal de la consommation, de l’urbanisme, du travail…).
3.R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, Tome 2, par A. Vitu, préc., p. 13.
4.Y. Mayaud, « Ratio legis et incrimination », RSC, 1983, p. 597 et s.
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DROIT pénal spécial - TOME 1
3 - Caractères du droit pénal spécial
Le droit pénal spécial a, essentiellement, trois caractères principaux : c’est
un droit légaliste, d’interprétation stricte, dans lequel la qualification tient
une place déterminante.
– Le caractère légaliste résulte de l’application au droit pénal spécial du
principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla
poena sine lege)5. Ce principe ayant déjà été étudié en deuxième année
de Licence droit, on se bornera à indiquer ici qu’il gouverne non
seulement le droit pénal général et la procédure pénale, mais aussi – et
peut-être même surtout – le droit pénal spécial. Ainsi, les infractions
et les sanctions doivent-elles être définies par la loi avec la plus grande
précision. Et le juge, lorsqu’il applique les incriminations, doit-il être
très attentif à ne pas étendre ou, au contraire, restreindre, leur domaine
d’application. Mais c’est déjà évoquer les questions de l’interprétation
stricte et de la qualification.
– L’interprétation stricte6 produit cette conséquence que le juge pénal
doit appliquer le texte, tout le texte, mais rien que le texte ; qu’il ne
peut y faire entrer des comportements non incriminés pour ne pas
porter atteinte aux libertés individuelles. Au fil des infractions, nous
constaterons cependant que le principe d’interprétation stricte n’est
pas toujours observé strictement (!) par nos juridictions…
– La qualification est un mécanisme intellectuel de comparaison des faits
commis par l’agent avec les faits incriminés par la loi. En droit pénal
spécial, la qualification joue un rôle central : le magistrat du parquet
lorsqu’il reçoit un appel à la permanence ou lorsqu’il reçoit une procédure par courrier se pose immédiatement la question de savoir quelle
qualification pénale correspond aux faits qui lui sont présentés. De la
même façon, l’avocat de la victime qui envisage de porter plainte
s’interroge sur la qualification. Ceci suppose une connaissance parfaite
des différentes infractions pénales, tant dans leurs éléments constitutifs que dans les principes qui guident leur répression.
5.
6.
Sur lequel V. Th. Garé et C. Ginestet, Droit pénal, procédure pénale, Hypercours, 8e éd., Dalloz,
2014, no 20 et s.
C. pén., art. 311-4.
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