Témoignage trouble psychique / association de souffrants

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Témoignage trouble psychique / association de souffrants
Témoignage trouble psychique / association de souffrants psychiques
J’étais comédien. Elève-comédien. A Lausanne.
Début 88, quelque chose s’est passé, je ne sais plus quoi. Dans les six mois qui suivirent, ce fut la
dégringolade. Je ne dormais que peu, mangeais peu. J’accomplissais des actions insensées, pas
dangereuses, mais dépourvues de sens et d’intérêt. Je me sentais surpuissant, je pouvais tout faire,
n’importe quoi. Une nuit, j’ai pénétré dans un théâtre laissé ouvert et me suis promené sur les
décors, seul et sans but. Mes sens étaient très aiguisés, la stimulation était très intense. Mes pensées
filaient à toute vitesse. Je flambais.
A l’école de théâtre, je perdais presque toutes les relations sociales que j’avais, et on ne m’a pas
laissé continuer. Ce sont mes parents qui m’ont récupéré. J’ai été hospitalisé pour la première fois en
psychiatrie, à Genève. J’y ai d’abord subi un traitement forcé, je ne devais pas être fou…
Environ un mois de traitements, plus ou moins bien acceptés. Puis, ma compagne d’alors me quitte,
pour différentes raisons, aussi parce que j’étais malade psychique. Il me restait peu d’amis, et j’en
perdrai encore à cause de comportements dus à mon trouble bipolaire.
Je retrouve une nouvelle relation amoureuse, et je trouve un travail de marionnettiste. Mais la
maladie va bientôt m’enlever tout cela. D’abord le travail, puis, la dépression s’installant, avec le
chômage, c’est la compagne qui s’est lassée et m’a quitté. J’ai fait deux tentatives de suicide, la
seconde me laissant d’importantes séquelles de brûlures aux 3e et 2e degrés.
J’ai fait un brillant apprentissage de laborant en biologie. J’ai rencontré de nouveaux amis. J’ai
rencontré une nouvelle compagne, mais ça n’a pas duré. J’ai fait une dépression de 18 mois.
Durant toutes ces années, j’ai dû apprendre à lutter contre la maladie, apprendre jusque dans le
quotidien à aménager l’espace d’une humeur volatile, je voulais me sortir de la maladie, je voulais
guérir en découvrant l’origine du mal. L’hypostimulation et la remémoration m’ont aidé sur ce
chemin. L’hypostimulation, non pas celle d’une chambre d’hôpital psychiatrique fermée, mais celle
qui est le moyen de se soustraire aux stimulations trop intenses, comme elles peuvent le devenir en
état maniaque. S’exposer à moins de lumière, moins de bruit, moins de réflexion, etc. Pour un temps
donné. Et la remémoration m’a permis, dans un environnement propice, de revenir à ce qui a pu se
passer début 88. J’ai retrouvé la mémoire du traumatisme subi alors.
Je suis sorti de la dépression et de mon isolement en m’engageant bénévolement dans une
association d’intégration sociale de personnes handicapées, participant principalement à des
activités culturelles. Ainsi je m’occupais, je me sentais utile, et je n’étais plus seul. J’étais impliqué
dans une nouvelle dynamique communautaire. J’ai fréquenté une autre association d’intégration
sociale, où j’ai trouvé un rythme pour une activité artisanale, la photographie noir/blanc, et une
nouvelle dynamique avec l’ensemble des gens présents là. J’ai rencontré des travailleurs sociaux qui
m’ont redonné goût à une activité suivie, à l’élaboration de projets.
Et j’allais avoir un projet. La souffrance ne devrait pas engloutir toute la vie d’une personne, il devrait
y avoir une part de soi qui puisse se consacrer à son plaisir. Pour arriver à développer cette part de
joie de la personne, il faut le plus d’autonomie possible. De l’autonomie qui se découvre dans un
ensemble social que l’on participe à créer.
L’association L’Expérience est née en 1999 de la réunion de trois personnes souffrantes psychiques
qui veulent montrer que leur destin n’est pas de souffrir et d’être assistés, mais que leur autonomie
existe bien et qu’elle peut être développée. L’Expérience propose d’avoir des activités et de partager
la gestion associative. C’est l’association elle-même qui est une expérience, où des humains
souffrants psychiques sont actifs et vivent ensemble. Les buts de l’association sont sociaux et
culturels. Elle compte une dizaine de membres actifs et une quarantaine de membres de soutien, elle
peut accueillir jusqu’à vingt membres actifs dans son local de 100m2 au Lignon, Genève. En plus des
personnes qui l’ont toujours soutenue, ses principaux soutiens sont la Ville de Genève, la Ville de
Vernier et la Loterie Romande. Elle collabore à des projets interassociatifs en Suisse Romande et
participe à une politique en santé psychique.
L’Expérience, c’est découvrir de la personne souffrante psychique la place sociale qu’elle peut
occuper, l’action citoyenne qu’elle entreprend par l’association et par l’activité. C’est aller avec sa
culture, lui rendre de la visibilité sociale.