Relation mère-enfant et musicothérapie
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Relation mère-enfant et musicothérapie
pratiques professionnelles PSYCHOTHÉRAPIE Relation mère-enfant et musicothérapie Pascal Viossat L’auteur nous présente ici un outil d’analyse de la médiation musicale qui s’intègre dans la pratique de la musicothérapie. Illustrée au moyen d’un exemple clinique, la présentation de cet outil donne lieu à l’établissement d’un parallèle entre le cadre de la musicothérapie et celui de la relation mère-enfant, cette dernière étant envisagée comme « modèle référent ». n musicothérapie, la communication musicale est utilisée afin de permettre l’établissement d’une médiation thérapeutique à trois pôles : patient-musique-musicothérapeute. La saisie des évolutions de cette relation de soins s’appréhende par l’analyse du contenu sonore de cette médiation infraverbale. À cette fin, le musicothérapeute doit être capable de « moduler », d’effectuer une transition qui lui permette de mettre en mots, dans un travail d’analyse et d’interprétation, le vécu musical des séances. Dans cette perspective, il est ici question de la présentation d’une méthode d’analyse de la médiation musicale ayant recours à un procédé de modélisation. Ce travail s’est effectué dans le cadre de séances de musicothérapie mère-enfant mises en place au sein d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) spécialisé dans l’accueil de femmes alcoolodépendantes. L’élaboration de cet outil d’analyse s’est déroulée dans une mise en lien de l’expérience clinique avec un ensemble de concepts théoriques développés à partir de l’observation de la relation mère-enfant. Ces E travaux (W. R. Bion, D. W. Winnicott, W. Stern) mettent en correspondance les fonctions maternelles avec le travail des soignants du domaine psychothérapique, certains auteurs évoquant particulièrement ces parallèles sous l’angle de la communication musicale (D. Mellier, B. Golse, A. Ciccone, D. Marcelli). La relation « mère-enfant », modèle référent en musicothérapie Aborder la médiation en musicothérapie, c’est souligner la primauté de la dimension sonore infraverbale dans l’établissement d’un processus thérapeutique où sollicitation, contenance et restitution favorisent l’expression et la prise de conscience du vécu psychoaffectif du patient. Cette spécificité permet d’établir tout d’abord un parallèle entre le cadre de la musicothérapie et l’ontogenèse de la relation mère-enfant dans une prise en compte des prémices du développement psychique. Ce travail de liaison permet ensuite de mettre en évidence un ensemble de Musicothérapeute Formateur en musicothérapie Musicien (instrumentiste, compositeur) points de comparaison qui offre la possibilité d’envisager le modèle mère-enfant comme système référent pour la pratique de la musicothérapie. En premier lieu, il convient de souligner l’importance majeure que jouent les fréquences sonores et les rythmes dans le développement de l’être humain et l’établissement de la relation mère-enfant. En effet, le fœtus partage au sein de l’espace utéro-placentaire le vécu émotionnel maternel dans l’écoute d’intimes échos affectifs qui émanent d’une construction acoustique protomusicale. Immergé dans un « bain sonore » (Anzieu, 1995), le petit être écoute les improvisations vocales de sa mère qui se dégagent d’une polyrythmie de bruits corporels et de l’ambiance sonore externe filtrée par la peau et le placenta. L’observation des conditions donnant lieu à cette « précoce interaction et communication vocale et auditive entre mère et fœtus » (Maiello, 1997) peut permettre de relever la corrélation de deux structures distinctes : l’espace sonore et l’espace psychique. À partir de cette liaison musique et psychisme, plusieurs correspondances peuvent êtres relevées Le Journal des psychologues n ° 2 6 7 – m a i 2 0 0 9 55 PSYCHOTHÉRAPIE entre la dynamique relationnelle mèreenfant et le cadre des séances de musicothérapie. Parmi les principaux points de rapprochement, nous trouvons : ● Le rythme : Il s’agit de l’élément prépondérant de la structure sonore intrautérine. Il s’exprime sous la forme d’une polyrythmie continue constituée des battements cardiaques de la mère synchronisés à la soufflerie pulmonaire auxquels s’ajoute la pulsation du cœur du fœtus. Les variations de tempo qui affectent ces rythmes organiques concourent à l’interactivité mère-enfant. Le rythme renvoie à l’idée de structuration du temps et de la pensée, étape fondamentale dont l’assise assure la cohésion psychique et la stabilité affective : « Il y a donc à l’évidence un lien profond entre la cognition musicale, l’expérience affective et la répétition. » (Imberty, 2004.) La notion de pulsation rythmique est également employée afin de décrire la régularité des soins maternels, « la mère structure le temps par un tempo » (ibid.). Le rythme répétitif du cadre et de la composition des séances concourt à installer une dynamique thérapeutique structurante et contenante. ● La dynamique répétition-variation : Cette constante du discours musical, thème-variation (improvisation), s’origine sans doute pour l’être humain dans la distinction de la voix de la mère de la masse acoustique intra-utérine. À la naissance, l’alternance maternelle de soins répétitifs prévisibles « macrorythmes » (Marcelli, 1992) et des improvisations ludiques « microrythmes) (ibid.) permet à l’enfant de supporter le traumatisme de la séparation par la création d’un espace psychique : « C’est la rythmicité de l’alternance présence / absence qui pourra soutenir la croissance mentale et le développement de la pensée à partir du manque. » (Ciccone, 2005.) La répétition du cadre des séances de musicothérapie, la construction des jeux musicaux font l’objet de variations. Leur introduction progressive, dans un retour constant au rythme initial, confère à ces changements un caractère acceptable qui peut permettre au sujet de s’adapter sans angoisses démesurées. ● La communication musicale : La période fœtale est la première occasion d’un partage affectif au moyen de l’expression sonore infraverbale. Ce processus d’« interaffectivité » se développe après la naissance (Stern, 1977) ; il permet à la mère d’accueillir, de convertir et de donner une cohérence au vécu sensoriel de son nouveau-né par l’écoute et la communication vocale. Dans ce sens, le travail du musicothérapeute peut permettre, lors 56 L e J o u r n a l d e s p s y c h o l o g u e s n°267–mai 2009 du jeu musical, de contenir-écouter, puis d’opérer une transformation de l’expression affective du patient, cette « interprétation » musicale étant l’occasion d’un « accordage affectif » (ibid.) susceptible de dynamiser l’expression du sujet. ● L’espace, l’enveloppe, le bain sonore (Anzieu, 1995) : Ces concepts sont étroitement liés à l’idée de structures contenantes permettant le développement d’un espace psychique individuel par l’établissement d’une relation au moyen du son : « Certaines zones du bain sonore se différencient : la voix de la mère, très tôt repérée, des qualités de vocalité, des temps d’échanges sonores viennent organiser espaces et temps relationnels d’une zone commune qui pourra exister par elle-même, sans le corps à corps qui l’accompagne, devenant une communication à distance et même en l’absence. » (Lecourt, 2003.) La notion d’enveloppe sonore de la séance correspond à l’ensemble des capacités de contenance et de transformation psychique du dispositif de communication musicale mis en place par le musicothérapeute. Les notions d’espace et d’enveloppe sonore permettent également de souligner de manière graphique certaines similitudes structurelles entre la relation mère-enfant et la relation patient-musicothérapeute. À cette fin est proposé ici un schéma comparatif (Figure 1) des deux modèles relationnels précités. La légende du schéma comparatif adopte une symbolique en partie commune pour les deux systèmes représentés, cela afin de souligner les correspondances pouvant être établies. Il est à préciser que le schéma de la relation mère-enfant s’entend tout aussi bien au stade intra-utérin que dans la phase des premiers développements extra-utérin. Ce schéma illustre ce qui peut être défini comme un des principaux enjeux communs à ces deux systèmes relationnels : favoriser au mieux une (ré)adaptation progressive du sujet à son milieu de vie au moyen d’un dispositif de contenance et de « pare-excitation ». Le schéma comparatif est une introduction à la sémantique du schéma d’analyse de la médiation musicale. La conception de ce dernier s’est déroulée en lien avec une pratique clinique dont il convient de situer tout d’abord le contexte. L’outil d’analyse de la médiation est ensuite décrit, sa méthode d’utilisation détaillée avant d’illustrer son fonctionnement au moyen d’une vignette clinique. Une réflexion à propos de l’apport du schéma d’analyse vient apporter une conclusion à ce travail. Le contexte d’élaboration de l’outil d’analyse Le cadre d’expérimentation qui a donné lieu à l’élaboration de l’outil d’analyse de RELATION PATIENT-MUSICOTHÉRAPEUTE RELATION MÈRE-ENFANT Réalité environnementale Réalité environnementale Interactivité stimuli / réponse Interactivité stimuli / réponse Structure de soin Réseau sociofamilial Enveloppe sonore de la séance Enveloppe corporelle de la mère Espace sonore du musicothérapeute Espace psychique maternel Espace sonore du patient Espace psychocorporel enfant Médiation musicale Espace relationnel mère-enfant Figure 1 : Schéma comparatif de la relation patient-musicothérapeute et de la relation mère-enfant (source : Pascal Viossat). Les séances mère-enfant mises en place au CHRS ont une durée de trente minutes, font l’objet d’un engagement sur dix séances (une par semaine) et sont structurées en deux parties de quinze minutes chacune. La première partie est consacrée à la relaxation par la musique, elle est suivie d’une seconde dévolue à la musicothérapie active. L’état de relaxation induit par l’écoute musicale peut favoriser une prise de conscience corporelle et psychique individuelle. Ce moment de détente opère pour le sujet une transition, un changement de dynamique dans son rapport au temps et au sonore, il sensibilise à l’écoute de l’autre et à l’expression de soi sollicitées lors de la partie active. La deuxième partie de la séance est axée sur le développement de la communication au moyen du jeu musical. Plusieurs types de ressource sonore sont alors utilisés : les objets et les surfaces faisant partie de la pièce, un ensemble de percussions rythmiques et mélodiques, les percussions corporelles et la voix. C’est le contenu de la seconde partie des séances qui sert ici de matériel clinique pour la mise en application de l’outil d’analyse de la médiation musicale. De la musique aux mots : l’outil d’analyse de la médiation musicale L’analyse de la communication musicale revêt une grande importance dans la saisie des évolutions de la relation thérapeutique. Une modélisation de cette médiation à l’aide d’un schéma peut permettre de faciliter cette démarche. Cette technique d’analyse peut permettre au musicothérapeute de dégager un ensemble d’observations susceptibles de faciliter la construction des séances et les échanges avec l’équipe de soins. Le schéma d’analyse de la médiation musicale a pour objectif la mise en liaison de la communication musicale et de la relation thérapeutique, il offre ainsi des possibilités de lecture synchronique et diachronique des évolutions de la relation patient-musicothérapeute. À l’instar de certains outils et grilles d’analyse développés par divers auteurs (Benenzon 2004 ; Ducourneau, 2002 ; Rosolato, 1985, Espaces sonores individuels Verdeau-Paillès, 1981) en musicothérapie, cette méthode d’analyse fait référence à une théorisation de l’observation des événements cliniques. Ce repérage porte, d’une part, sur la reconnaissance des événements digitaux (le langage parlé), analogiques (le non-verbal dans sa dimension sonore), et, d’autre part, sur ce qui relève de la métonymie (le repérage de certains éléments liés à la structure musicale) et de la métaphore digitale (les verbalisations du sujet en association à son vécu musical). Cet outil a donc pour objet de pouvoir établir une transition entre la communication analogique / musicale du jeu sonore et le discours parlé / digital nécessaire à l’analyse de la médiation musicale. PSYCHOTHÉRAPIE la médiation musicale est celui d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Ce CHRS a pour objectif principal de proposer à des femmes alcoolodépendantes (pré ou postcure de désintoxication) un lieu de vie communautaire et un personnel d’encadrement susceptibles de les accueillir, afin de préparer le mieux possible leur réinsertion sociale. Ce centre présente l’intérêt de pouvoir recevoir les femmes enceintes, ainsi que les mères avec leurs jeunes enfants (jusqu’à six ans) ; la protection de la relation mère-enfant est également un des objectifs de la structure. Compte tenu du contexte de ce CHRS , il convient donc de pouvoir mesurer les incidences de l’alcoolodépendance de la mère dans l’établissement de la relation qu’elle a avec son enfant. Dès le stade embryonnaire, l’addiction maternelle peut entraîner d’importants préjudices pour la santé du fœtus, ces complications formant un ensemble de symptômes appelé « syndrome d’alcoolisation fœtale » (SAF). Par ailleurs, les déficiences des ressentis psychiques et corporels (apsychognosie, asomatognosie) chez la femme enceinte alcoolodépendante entravent sa capacité d’investir affectivement son enfant. Cette carence compromet l’établissement de l’identité maternelle, ainsi que le bon développement psychologique de l’enfant, celui-ci pouvant manifester, dans ce cas, de graves troubles comportementaux (Bergeret, Soulé, Golse, 2006). Il est important de souligner que cette souffrance psychique de l’enfant peut également s’exprimer plus tard par une conduite alcoolique. Cette perspective permet de situer l’alcoolodépendance dans une problématique transgénérationnelle qui s’origine dans une déficience du lien maternel (Mijolla, Shentoub, 2004). Au regard des objectifs du centre et de la population rencontrée, il semble pertinent de pouvoir situer la prise en charge de la mère alcoolique dans un contexte de séances de musicothérapie où elle puisse être intégrée avec son enfant. Par le biais de la médiation musicale, l’objectif de ce type de séances est de proposer à la patiente et à son enfant un espace psychique contenant susceptible de favoriser une nouvelle écoute et une nouvelle expression dans leur relation. Ce dispositif de soin est susceptible de permettre une valorisation de l’image maternelle et une protection de la relation mère-enfant à partir des correspondances mises en évidence précédemment (rythmicité du cadre, bain sonore et communication musicale, enveloppe sonore des séances). L’ensemble de ces visées permet d’orienter le choix des techniques. Description du schéma d’analyse de la médiation musicale Le schéma d’analyse permet de proposer une image de la communication musicale à partir du positionnement de certains de ses composants au sein des différents espaces sonores individuels et partagés. Afin de pouvoir imager, donner une représentation visuelle de la médiation musicale et de son contenu interrelationnel, la composition du schéma d’analyse (Figure 2) s’appuie sur les concepts d’espace et d’enveloppe sonore. Par « espaces sonores individuels », il est évoqué ici un espace psychique qui permet la structuration de l’individu à partir de la dimension sonore de l’existence. Il s’agit d’une enveloppe contenante qui contribue tout autant à constituer l’identité de la personne qu’à pouvoir favoriser ses capacités d’expression et de communication par le truchement du son : Espaces de la communication sonore Mère Mère-enfant Enfant Mère-musicothérapeute Musicothérapeute Enfant-musicothérapeute Enveloppe sonore de la séance Mère-enfant-musicothérapeute Figure 2 : Composition du schéma d’analyse de la médiation musicale (source : Pascal Viossat). Le Journal des psychologues n ° 2 6 7 – m a i 2 0 0 9 57 PSYCHOTHÉRAPIE « L’espace sonore est le premier espace psychique : bruits extérieurs douloureux quand ils sont brusques ou forts, gargouillis inquiétants du corps mais non localisés à l’intérieur, cris automatiquement poussés avec la naissance, puis la faim, la douleur, la colère, la privation de l’objet, mais qu’accompagne une image motrice active. » (Anzieu, 1995.) Au cours du jeu musical, une partie de chaque espace sonore individuel peutêtre amenée à être partagée avec une ou plusieurs personnes. Les espaces sonores représentés sur le schéma sont au nombre de huit, chacun d’entre eux est repéré par une couleur. Les espaces sonores individuels sont au nombre de trois : l’espace de la mère (vert), de l’enfant (rouge), du musicothérapeute (bleu foncé). À cet ensemble s’ajoutent les espaces de communication interpersonnels, espaces potentiels de communication sonore, définis par les quatre combinaisons relationnelles possibles ; mère-enfant (jaune), mère-musicothérapeute (bleu ciel), enfant-musicothérapeute (rose), mère-enfant-musicothérapeute (blanc). Le huitième espace représenté symbolise l’enveloppe sonore de la séance (noir), elle exprime la capacité du dispositif thérapeutique de pouvoir recevoir et contenir dans la sécurité les multiples éléments liés à l’expression de la vie psychique des personnes prises en charge. Outre les différents espaces sonores précédemment définis, la légende du schéma répertorie également plusieurs signes qui symbolisent divers éléments liés à la structure du jeu musical et à l’expression verbale. Ces figures, au nombre de dix, peuvent se placer sur chaque aire en fonction des événements cliniques observés. Elles permettent, tout d’abord, de préciser le type de production développée en cours de jeu : vocale ( ), instrumentale ( ), vocale et instrumentale ( ). Le repérage des séquences vocales peut permettre d’apprécier les incidences de l’utilisation de la voix chantée dans le développement de communication musicale. En effet, ce mode d’expression privilégie l’expression de la vie émotionnelle et, par là même, peut s’avérer être un indicateur de relâchement et de confiance du patient. La voix parlée fait également l’objet de distinctions particulières. Un premier symbole illustre le discours verbal exprimé pendant le jeu musical («). Ce type de verbalisation peut illustrer parfois une réaction défensive du sujet en réaction à une situation perçue comme anxiogène, d’où une volonté d’évitement, de rupture du jeu musical. Le second symbole ( ) se rapporte à l’évocation de ressentis psychiques ou cénesthésiques, associés au vécu de la séance. Le choix du silence fait également l’objet d’un repérage ( ). Celui-ci souligne une écoute silencieuse de la personne qui reste de cette façon active lors de la communication musicale. La non-participation au jeu complète la légende de ce schéma ( ). La légende permet également de distinguer le jeu musical initié à partir de consignes. Ces dernières sont symbolisées par une portée ( ) sur laquelle vient s’ajouter le type de production utilisée (vocale et-ou instrumentale). Le jeu improvisé, surgissant dans la spontanéité de la communication, est quant à lui illustré par les symboles des divers types de production représentés sans la portée. Cette distinction peut permettre d’apprécier l’investissement du sujet dans la communication musicale, ainsi que son degré de créativité et d’adaptation. Méthode d’utilisation de l’outil d’analyse de séances La méthode d’observation et d’analyse de séance se déroule en quatre temps. Repérage des séquences musicales à partir du compte-rendu de la séance La méthode d’utilisation du schéma d’analyse repose sur la rédaction d’un compte-rendu rédigé après chaque séance. À partir de celui-ci, il est effectué un repérage des différentes séquences ou mouvements qui constituent l’ensemble du jeu musical de la deuxième partie de la séance. Un « mouvement » s’insère dans la logique structurelle de l’ensemble de la production musicale de la séance, celle-ci peut être composée par une ou plusieurs de ces parties qui s’articulent entre elles dans une dynamique relationnelle tension / détente. Un mouvement est constitué par la succession des échanges musicaux d’un ou de plusieurs jeux, il s’exprime au moyen d’une structure musicale qui lui est propre. Pour chaque séance, les mouvements sont repérés sur les extraits de compte-rendu au moyen de couleurs respectives surlignant le texte. Observation de la communication musicale à partir du schéma d’analyse Chaque mouvement est ensuite associé à un schéma, afin de permettre le repérage et le positionnement des différents éléments musicaux utilisés au cours de chaque séquence musicale. Chaque codification au moyen du schéma d’analyse offre ainsi une image des différentes transactions sonores et relationnelles. Une analyse permet ensuite d’associer pour chaque mouvement le discours musical à l’intersubjectivité. Relation entre architecture musicale et dynamique relationnelle, observation de la médiation musicale de la séance À partir de l’ensemble des schémas de la séance, et afin d’apprécier la globalité de la communication musicale, il est possible d’associer les variations de certains éléments de l’architecture musicale à l’évolution de la dynamique relationnelle. Trois des composants du jeu musical sont donc observés afin d’illustrer cette approche : Symboles relatifs à la production d’événements sonores et de jeux musicaux Jeu instrumental improvisé Jeu instrumental d’après consigne Jeu vocal improvisé Jeu vocal d’après consigne Jeu vocal et instrumental improvisé Jeu vocal et instrumental d’après consigne Choix du silence dans l’écoute Non-participation au jeu musical Discours en cours de jeu Expression parlée en association avec le vécu de la séance 58 L e J o u r n a l d e s p s y c h o l o g u e s n°267–mai 2009 Observation synchronique et diachronique de la médiation musicale La prise en compte des éléments relevés au cours des trois premières étapes de l’analyse donne lieu ensuite à une observation globale de la médiation musicale de la séance (observation synchronique). Une étude portant sur l’ensemble des schémas de toutes les séances permet également d’apprécier l’évolution de la relation de soin (observation dyachronique). Exemple d’utilisation du schéma d’analyse Pour l’exemple d’application suivant, le compte-rendu utilisé est celui de la huitième et dernière séance de la prise en charge d’une mère de trente-huit ans, Madame M., et de son fils de quatre ans, G. La problématique « alcool » de la mère conjuguée à une pathologie psychotique perturbent gravement cette relation mèreenfant, Madame M. alternant attitude très fusionnelle et comportement de rejet envers son fils. La construction de cette séance est laissée libre, sans partie de relaxation ni proposition de jeu musical. Repérage des mouvements à partir du compte-rendu de la séance Le texte ci-dessous est un extrait du compte-rendu rédigé à l’issue de la séance : « La séance commence, je m’assieds dans un fauteuil, Madame M. aussi, G. se dirige et s’installe au piano pour la première fois depuis le début des séances ; il égrène quelques notes et s’interroge sur la feutrine rouge apparaissant au début des touches. Je viens m’asseoir à côté de lui sur la banquette et un dialogue s’instaure progressivement sur l’instrument. Le début de la production sonore est caractérisé par une expression mélodique de G. empreinte de douceur affective qui intègre des silences et de délicates nuances de volume. Je réponds à la production sobre de G. par très peu de notes également, comme en écho. La communication s’intensifie graduellement sur le plan du volume et de la teneur affective (de la douceur-mélancolique à l’énergie d’une colère). La séquence se termine quand G. claque fortement le rabat du clavier quand nous quittons le piano. Madame M. est restée depuis le début de l’échange assise à la même place. Je sors ensuite les instruments de leur sac et les dispose sur les tapis, pendant que G. explore la salle, je fais plusieurs jeux musicaux avec Madame M. qui fait preuve de décontraction dans l’échange, bien qu’elle puisse dire à un moment : “Je ne sais pas quoi faire.” G. revient vers nous, puis s’intègre dans le jeu ; très vite, il veut détourner sa mère en la sollicitant plaintivement : “Maman”, cette dernière lui répond qu’elle veut continuer à jouer, nous continuons alors à dialoguer avec les instruments. Après une improvisation vocale à trois, la communication musicale s’achève sur un jeu entre Madame M. et moi où chacun veut faire le dernier son avec son instrument. Je laisse à Madame M. la conclusion sonore avec une frappe sur les bongos, ponctuée par un éclat de rire commun. J’annonce la fin de la séance. G. se lance alors dans le positionnement des divers éléments concourant à l’édification du cadre de la salle de musicothérapie (rideau de séparation de la pièce tiré, stores baissés, tapis positionnés), sa mère lui dit que c’est fini, qu’il faut partir. » Quatre mouvements sont donc repérés à la lecture du compte-rendu de cette séance : Mouvement 1, Mouvement 2, Mouvement 3, Mouvement 4. Chacune de ces séquences musicales donne lieu maintenant à la création d’un schéma. illustre, par son caractère improvisé, l’investissement et la confiance de la mère et de son enfant dans la capacité de contenance de l’enveloppe sonore de la séance. PSYCHOTHÉRAPIE ● Les matériaux sonores utilisés : Effectué par le musicothérapeute ou le patient, le choix des ressources son ores (vocale et-ou instrumentale) a une incidence directe sur le développement de la communication. ● La part d’improvisation musicale dans le jeu : Elle s’observe dans le rapport entre les jeux improvisés et les jeux initiés à partir des consignes du musicothérapeute. ● Le rythme de la communication musicale : L’alternance rythmique des mouvements de la séance exprime la dynamique variation / répétition et tension / détente du discours musical. Cette rythmicité peut être perçue comme un écho aux fluctuations de la relation interpersonnelle, elle témoigne de son dynamisme. Mouvement 1 (source : Pascal Viossat) ● Mouvement 2 : Un nouveau dialogue s’instaure, il marque un deuxième temps dans le rythme de la communication musicale qui s’établit au moyen de plusieurs jeux instrumentaux d’après consignes (notes noires sur portée dans espace partagé mèremusicothérapeute bleu clair), soulignant ici l’importance du rôle joué par le musicothérapeute. Celui-ci dynamise la médiation et favorise l’articulation entre les différents mouvements musicaux. Madame M. met en mots au cours de l’échange (lettre P dans espace sonore mère vert) ce qui peut-être perçu comme une élaboration d’un ressenti psychique. G. ne participe pas à ce jeu (bécard dans espace sonore enfant rouge). Mouvement 2 (source : Pascal Viossat) Observation de la communication musicale à partir du schéma d’analyse ● Mouvement 1 : Le schéma du premier mouvement illustre la médiation musicale qui s’engage par une improvisation instrumentale spontanée de G. (noire dans espace sonore enfant rouge). Je le rejoins pour dialoguer (noire dans espace partagé enfant-musicothérapeute rose), Madame M. observe le silence tout en restant à l’écoute (silence dans espace sonore mère vert). C’est un prélude à la communication musicale qui Mouvement 3 : L’observation du troisième schéma figure l’expression de la relation mère-enfant au moyen des deux pôles de la communication : le langage parlé (numérique) hors des consignes (guillemets dans espace sonore enfant rouge et espace partagé mère-enfant jaune), et le musical improvisé (analogique) (notes noire et blanche dans espace sonore partagé mère-enfant-musicothérapeute blanc). Ce mouvement est le temps fort de la structure musicale, le dialogue vocal à trois constituant le cœur (chœur) de la médiation ● Le Journal des psychologues n ° 2 6 7 – m a i 2 0 0 9 59 PSYCHOTHÉRAPIE musicale de cette séance. L’intersubjectivité musicale est favorisée par le rôle de contenance et de liaison du musicothérapeute. Mouvement 3 (source : Pascal Viossat) Mouvement 4 : L’alternance tension / détente de la dynamique de la communication musicale de la séance se conclut par une improvisation instrumentale entre Madame M. et moi-même (note noire dans espace partagé mère-musicothérapeute bleu clair) d’où ressort une impression de relâchement qui se manifeste par des rires. G. ne participe pas à ce jeu (bécard dans espace sonore enfant rouge). ● Mouvement 4 (source : Pascal Viossat) Relation entre architecture musicale et dynamique relationnelle, observation de la médiation musicale de la séance ● Les matériaux sonores utilisés : La pré- sence sur les quatre schémas de la figure liée au jeu instrumental ( ) permet d’observer que la communication s’initie et se conclut au moyen d’instruments de musique. Ceuxci permettent d’instaurer une relation avec le sujet dans la sécurité. Le registre mélodique et harmonique du piano permet l’accès à la dimension affective (Mouvement 1). Le recours à la voix se situe de manière significative au cœur de la dynamique structurelle. En effet, utilisée tout d’abord dans un contexte verbal, la voix permet, au cours du troisième mouvement, d’accéder à la 60 L e J o u r n a l d e s p s y c h o l o g u e s n°267–mai 2009 dimension de l’échange musical. La voix favorise l’ouverture de l’expression affective au sein de la relation mère-enfant, elle en est une ressource privilégiée. ● La part d’improvisation musicale dans le jeu : La quasi-absence de portée sur les schémas permet de mettre en évidence la prépondérance de l’improvisation au cours de la communication sonore. Cela dénote d’un établissement stable de la contenance du cadre ainsi que de l’investissement de Madame M. et de son fils pour les séances de musicothérapie. ● Le rythme de la communication musicale : Les quatre temps-mouvements de la relation observée mettent en évidence la progression rythmique de l’expression affective qui s’inscrit en contrepoint de la structure musicale. Après un prélude en forme de crescendo émotionnel, la médiation musicale permet à la relation mèreenfant une mise en son de sa problématique (conflictualité / accord). Celle-ci peut trouver une expression dans un espace sonore partagé, puis se résoudre pour finir dans un retour à la détente. Observation synchronique et diachronique de la médiation musicale L’analyse des schémas de cette séance souligne le caractère improvisé des échanges musicaux, ainsi que l’expression d’un vécu affectif partagé. Le recours au jeu musical offre ici une alternative au discours verbal en créant une « ressource d’expression » susceptible de stimuler la relation et d’offrir un étayage aux capacités maternelles de Madame M. L’outil d’analyse permet également d’apprécier l’évolution de la relation de soin sur l’ensemble des séances de cette prise en charge. Cette étude s’élabore à partir de l’observation des variations des mêmes paramètres musicaux que ceux précédemment retenus. ● Le repérage des ressources sonores utilisées permet d’observer, au fil des séances, un recours progressif à la voix. La mise en jeu corporelle et de l’image de soi qu’elle nécessite contribue au développement de l’expression affective entre la mère et l’enfant. ● La part d’improvisation au cours des jeux musicaux augmente au fur et à mesure des séances, c’est un indicateur d’une possible dynamisation de la créativité et de la capacité d’adaptation du sujet dans la relation à l’autre. ● L’observation de la rythmicité des mouvements révèle un déploiement progressif de la communication musicale sur l’ensemble des espaces sonores, individuels et partagés. Cette multiplication des combinaisons relationnelles laisse envisager une expansion de la communication entre la mère et l’enfant ainsi qu’un accroissement de leur capacité d’autonomie. La mise en perspective de l’ensemble des éléments relevés au moyen de l’outil d’analyse permet de souligner la portée thérapeutique de la médiation musicale, ce travail se situant ici dans le sens du projet de réinsertion sociale de la personne alcoolodépendante et de la protection de la relation mère-enfant. Dans ce sens, lors de l’entretien concluant la fin du contrat thérapeutique, Madame M. évoque comme une ouverture la possibilité de pouvoir jouer avec son fils à l’aide des sons, hors du cadre des séances. Apport de l’outil de modélisation de la médiation musicale à l’analyse de la relation thérapeutique Au regard de cette expérimentation, il convient de dégager les principaux intérêts liés à l’utilisation du schéma d’analyse de la médiation musicale dans le cadre de la clinique de la musicothérapie. L’atout majeur de la technique de modélisation utilisée réside dans sa fonction de transition graphique. En effet, il est possible en une seule vue de « matérialiser » des sonorités impalpables, de les distinguer, de les situer spatialement dans un contexte d’échange intersubjectif et dans une prise en compte du déroulement temporel. À l’image d’une forme d’onde audio créée par informatique, cette conversion permet donc de « voir » la musique dans sa durée, en y intégrant la dimension interrelationnelle. Ces spécificités permettent d’apporter une aide à la difficile et délicate analyse du contenu relationnel de la médiation sonore infraverbale, cela d’autant plus que la verbalisation n’est pas sollicitée dans le contexte des séances mère-enfant. Cette étape de mise en mots est pourtant indispensable, c’est elle qui permet une élaboration susceptible de faciliter la construction des séances et les échanges avec une équipe éducative ou de soins. La modélisation de la médiation musicale permet également, à partir de la mise en comparaison d’un ensemble de schémas, d’apprécier dans son ensemble les évolutions de la communication musicale et de la relation thérapeutique (lecture synchronique et diachronique) à partir de l’observation des variations de certains éléments de l’architecture musicale. Si la transition graphique offerte par l’utilisation du schéma comporte de notables Bibliographie Anzieu D., 1995, Le Moi-peau, Paris, Dunod. Benenzon R. O., 2004, La Musicothérapie, Paris, De Boeck. Bergeret J., Soulé M. , Golse B. et al., 2006, Anthropologie du fœtus, Paris, Dunod. Bion W. R., 1979, Aux sources de l’expérience, Paris, PUF. Ciccone A., 2005, « L’expérience du rythme chez le bébé et dans le soin psychique », in Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 53 (1-2) : 24-31. Ducourneau G., 2002, Éléments de musicothérapie, Paris, Dunod. 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Verdeau-Paillès J., 1981, Le Bilan psychomusical, Courlay, Fuzeau. Winnicott D. W., 1975, Jeux et réalité, Paris, Gallimard. Le Journal des psychologues PSYCHOTHÉRAPIE intérêts, les « distorsions » inhérentes à tout procédé de conversion de données en indiquent néanmoins certaines limites. Il est, en effet, illusoire de penser qu’il serait possible de décrypter par ce procédé toute la teneur de la médiation musicale. Celle-ci permet justement au patient d’exprimer un indicible vécu psychique dont l’interprétation, à l’image d’une interprétation musicale, peut revêtir de multiples sens. L’ensemble des observations recueillies avec cette méthode d’analyse constitue un repère qui peut s’intégrer dans la pratique de la musicothérapie. Dans une perspective d’interdisciplinarité, cet outil peut contribuer à élaborer une vision de synthèse et une possible mise en mots de l’évolution de la relation de soin. Ainsi, dans une transition graphique permettant une liaison des deux pôles langagiers infraverbal et verbal, cette démarche autorise la création de passerelles entre pratique et recherche dans l’objectif de favoriser le processus thérapeutique. En résonance à ce travail se dégage l’idée d’envisager la musique comme métaphore sonore de l’identité humaine, une composition sonore s’agençant dans la relation, au bercement rythmique du battement du cœur maternel, et dans l’effleure mélodique d’une voix qui se fait attendre et entendre par son plus grand (en)fan(t). ■ n ° 2 6 7 – m a i 2 0 0 9 61