Dix-huit discours des magistrats bretons - Revenir sur

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Dix-huit discours des magistrats bretons - Revenir sur
Dix-huit discours des magistrats bretons
(seconde moitié du XVIIIe siècle, 1769-1788)
Transcription : Antoine Rialland
Sources
Sommaire
I. - Recueil de pièces, actes et discours de félicitations, à l’occasion du rappel de
l’universalité des membres du Parlement de Bretagne au 15 juillet 1769, 1770, in-12°, 380 p.
Bibliothèque municipale de Rennes, 70357.
01. - Discours des Juges du Siège Présidial de Rennes, prononcé par M. Coniac, Sénéchal.
02. - Discours des Députés des Procureurs au Présidial de Nantes.
03. - Discours des Officiers de la chancellerie près le Parlement.
04. - Discours des Juges du Siège présidial & Sénéchaussée de Nantes.
II. - Félicitations à l’occasion du rappel de l’universalité des membres du Parlement de
Bretagne au 15 juillet 1769. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, reg. 1Bc 7.
05. - Discours des députés de la communauté des procureurs du siège royal de Rhuis (24
juillet 1769).
06. - Discours des députés de la communauté des procureurs de Quimperlé (24 juillet 1769,
incomplet).
07. - Discours des juges de Pontrieux (24 juillet 1769).
III. - Précis historique de ce qui s’est passé à Rennes, depuis l’arrivée de M. le Comte de
Thiard, Commandant en Bretagne, Rennes, 1788, 128 p. Archives municipales de Rennes).
08. - Extrait du Registre des Délibérations de la Compagnie du Présidial de Rennes, du 6
mai 1788.
09. - Discours de la Communauté des procureurs au Parlement.
10. - Discours du 8 mai par un de ces messieurs du Parlement.
IV. Protestations de mai 1788. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, reg. 1Bc 15.
11. - Discours prononcé par M. Borie, le sénéchal de Rennes, portant la parole au nom de la
Compagnie, le 7 mai 1788.
12. - Extrait du registre d’audience du greffe royal de Concarneau. (9 juin 1788).
13. - Extrait du registre d’audience du siège royal de Concarneau (16 juin 1788).
V. - Félicitations au Parlement à l’occasion de son rétablissement (1788). Archives
départementales d’Ille-et-Vilaine, reg. 1Bc 16.
14. - Extrait du Registre de la chambre du Conseil de la Sénéchaussée d’Hennebont jeudi
15 mai 1788.
15. - En la chambre du conseil de la sénéchaussée et siège royal & de police d’Hennebont
du port Louis et du port de Lorient (lundy 9 juin 1788).
16. - Juridiction d’Hennebont (18 août 1788).
17. - Extrait du registre du greffe de la juridiction et sénéchaussée royalle d’Hédé.
Audience du 11 octobre 1788 devant Monsieur le sénéchal ordinaire.
18. - Extrait du registre d’audience de la sénéchaussée de Quimperlé (8 octobre 1788).
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I. Recueil de pièces, actes et discours de félicitations, à
l’occasion du rappel de l’universalité des membres du
Parlement de Bretagne au 15 juillet 1769.
1. Discours des Juges du Siège Présidial de Rennes, prononcé par M. Coniac,
Sénéchal.
« MESSIEURS,
Il nous est donc enfin permis de nous réjouir au milieu de vous des temps fortunés que la
bonté du Roi & la sagesse de ses Ministres nous préparent ! Les Loix & la Justice vont
reprendre leur empire, &, par un accord inséparable, les Peuples seront libres & le Souverain
heureux.
Ainsi dans l’Histoire des Nations la fureur des divisions n’a qu’un temps. Des intrigues
cachées peuvent quelquefois rendre les Peuples le jouet de ceux qui les excitent ; mais enfin
les bons Citoyens ouvrent les yeux sur les malheurs de leur pays, & détestent les moyens qui
les causent ; ils gémissent de voir, sous des prétextes de bien public, les Citoyens armés
contre les Citoyens, la probité & la vertu se livrer des combats, le bonheur s’éloigner & la
haine se promettre des vengeances. Tel est l’état affligeant de cette province depuis plusieurs
années.
Pendant long-tems paisibles & tranquilles, à l’abri des Loix, les Peuples redoutoient peu les
vaines entreprises des ennemis de la paix ; mais le renversement de nos anciennes Loix causa
notre perte, en attirant la disgrâce du Roi sur les Magistrats qui en étoient les généreux
défenseurs ; & bientôt le trouble et la douleur entrèrent dans l’âme de notre Souverain, dont la
puissance, naturellement bienfaisante, ne se portoit plus qu’à des ordres rigoureux, qui
mettoient le comble à nos infortunes.
C’est à réparer tant de maux que les Ministres de Sa Majesté s’appliquent, & c’est pour les
seconder, Messieurs, qu’ils vous rendent à nos vives supplications ; bientôt votre Sage
vigilance prouvera à Sa Majesté que le maintien de l’autorité exige que la division cesse de
régner parmi nous, & que l’obéissance s’établisse sur la règle des Loix. Nous verrons
disparoître les tems lors desquels l’obéissance sembloit imposer le devoir de ne point recourir
au Souverain, de ne point communiquer avec lui. Eh ! comment ne point recourir à Sa
Majesté, lorsque tout ce qui émane de sa bonté depuis deux ans, est l’anéantissement successif
de tous les Actes qui s’opposoient à notre bonheur.
Continuez, Messieurs, d’intéresser par vos représentations la tendresse compatissante de Sa
Majesté au sort de cette Province & au maintien de ses anciennes constitutions. Les exemples
que l’Histoire nous a transmis du zèle & de la fidélité des Bretons, prouvent que la liberté
établie par nos anciennes Loix, nous lie plus fortement à nos Souverains, que ne seroient les
chaînes pesantes d’un honteux esclavage. Bien loin que nos Souverains aient jamais pris
ombrage de nos droits, franchises & libertés, ils se plurent à les accroître ; ils proposoient
dans les Assemblées de la Nation, tout ce qui étoit de l’intérêt de leur Souveraineté ; ils y
traitoient de la Guerre, de la Paix, des Alliances ; ils y régloient les subsides & toute la
législation intérieure. Le Duc Pierre II assembloit les États, pour lui donner leur avis sur
l’établissement des Princes de son Sang ; le Duc Jean V menacé par ses ennemis, assembloit
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les États pour les consulter , & les trois Ordres lui protestoient de le servir de leurs conseils,
de leurs personnes & de leurs biens : ainsi la fidélité inébranlable des Bretons à leurs
Souverains, multiplioit les prérogatives honorables qu’ils accordoient à leurs Assemblées : ils
régnoient sur eux, par eux, & en quelque sorte avec eux. Oui, Messieurs, nous pouvons en
tirer gloire, dans les tems heureux où nos Loix ont obtenu le plus de protection, la France,
agitée de trouble & opprimée, venoit choisir au milieu de nous, dans un Pays de Liberté, ses
Guerriers, ses Héros, ses Libérateurs. La Liberté, réglée par une sage législation, étoit le
berceau des vertus ; les mœurs n’empruntoient point les sentimens de bassesse qui naîtroient
d’une soumission irréfléchie à des volontés arbitraires.
Que sont-ils devenus pour nous, ces tems de bonheur & de gloire, où tout ce qui étoit de
l’intérêt de l’État devenoit l’intérêt de la Nation ; ces tems où le Parlement & les trois Ordres
de la Province, prenoient part aux affaires du Gouvernement, sans attenter à l’autorité
Souveraine ; ces tems, enfin, où le Souverain recouroit à ses Peuples avec autant de confiance,
que ses peuples ressentoient de satisfaction en recourant à lui ? Il dépend de Sa Majesté de
faire renaître ces tems désirés, en anéantissant tous les Règlements qui altèrent la Constitution
ancienne, en protégeant une législation qui a toujours inspiré la vertu & l’amour de la Patrie.
Mais ne commencent-ils pas à luire pour nous, ces moments de félicité ? Le choix que Sa
Majesté a fait d’un Chancelier dont tous les soins se portent à guérir les plaies faites à la
Magistrature, le Commandant qu’elle nous a donné selon son cœur & selon le nôtre, le
rétablissement du Parlement dans son intégrité : tout nous annonce le renouvellement du
bonheur dont nous avons été privés depuis plusieurs années.
Daigne Sa Majesté, par une suite de ses bontés, s’attendrir sur le sort de deux Magistrats dont
l’honneur n’a jamais été compromis à ses yeux, & qui éprouvent cependant en ce jour, par
une rigoureuse exception, une disgrâce plus cruelle que tous les maux qu’ils ont soufferts.
Que ne nous est-il accordé, dans cet instant de triomphe de la Justice & des Lois, de posséder
notre Souverain au milieu de nous ! Qu’il se trouveroit grand & puissant par les hommages
sincères que nos cœurs rendent à sa Personne Sacrée ! Douteroit-il de notre obéissance, de
notre zèle & de notre fidélité ? Père tendre & chéri au milieu de ses enfants, les acclamations
de notre reconnoissance pour un si bon Maître, seroient des actes de l’amour le plus
inviolable, comme les monumens de Sa puissance sont aujourd’hui pour nous des actes de
bonté & de justice. Pleins de confiance en lui, nous nous flattons, Messieurs, que c’est en bon
père qu’il nous laisse encore aujourd’hui des vœux à former. Reportez-lui, Messieurs, tous les
sentimens que nos cœurs expriment & qu’ils ressentent plus vivement encore, & secondez les
vues bienfaisantes du meilleur des Souverains, pour l’affermissement du bonheur public ».
2. Discours des Députés des Procureurs au Présidial de Nantes.
« Nosseigneurs,
Nous venons dans ces momens d’allégresse, joindre aux acclamations publiques les
témoignages sinceres & respectueux de la joie inexprimable que votre heureux retour a fait
naître dans nos cœurs.
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Vous ramenez avec vous la paix & la tranquillité ; l’idée de nos malheurs s’évanouit, & le
citoyen respire. Les Loix vont reprendre leur force & leur activité ; la Veuve & l’Orphelin
retrouvent leurs zélés Protecteurs, & on verra bientôt renaître dans la Province entière
l’abondance & la félicité. Nous devons ce bonheur à la tendresse de Louis le Bien-aimé pour
des Sujets fidèles ; à votre courage, Nosseigneurs, à votre confiance héroïque ; enfin au zèle
infatigable d’un Commandant chéri, dont le nom sera à jamais gravé dans nos cœurs.
Puissent les suites de ce grand évènement être heureuses ! Puissent ses effets être durables !
Mais quel nuage obscurcit l’éclat du plus beau des jours de la Bretagne ! Nous ne voyons
point parmi vous, Nosseigneurs, ces six magistrats* objets de nos voeux & de notre attente, &
si la renommée nous annonce le retour de quatre de ces illustres personnages, son silence sur
nos deux illustres Procureurs-Généraux, nous replonge dans le deuil & l’affliction la plus
amère. Aurions-nous encore des larmes à répandre ? Non : la bonté du Roi, qu’adorent les
Bretons, nous rassure, & bannit nos inquiétudes ; ce Monarque chéri achèvera son glorieux
ouvrage. Alors nos jours seront sereins & au sein de la plus douce yvresse, les procureurs au
présidial de Nantes redoubleront le zèle qui les anime pourpour mériter la protection &
l’estime de la cour, qu’ils vous supplient très-humblement, Nosseigneurs, de bien vouloir leur
acorder.
* MM. Charette de la Gacherie, Picquet de Montreuil, Euzenou de Kersalaun, Charette de la
Colinière, Conseillers, & MM. de la Chalotais père & fils, procureurs-généraux du roi au
parlement ».
3. Discours des Officiers de la chancellerie près le Parlement.
« MESSIEURS,
Depuis ce moment si désiré, si flatteur, qui nous a amené le retour de tous les Membres de
cette auguste Compagnie, les jours n’ont pu suffire à l’allégresse publique, la nuit en a
augmenté les monumens, & nos voix n’ont pas cessé de répéter : Le Parlement est l’objet de
notre amour, de notre bonheur & de notre ƒélicité.
Quels doivent-être, & quels sont en effet, Messieurs, nos Sentimens particuliers sur cet
heureux évènement ? Les Officiers de la Chancellerie établie près le Parlement, vous font
attachés par leur institution ; rien ne peut altérer le lustre & l’éclat de cette auguste Cour, sans
rejaillir sur notre Compagnie ; Rien ne peut en augmenter la gloire, sans exciter notre
sensibilité. Qu’il nous soit permis, Messieurs, de la manifester, & de nous féliciter avec toute
la Nation, nous le pouvons dire, avec toute la France, du nouveau jour qui vient de luire sur la
Bretagne ! Rendons grâces au génie bienfaisant qui l’a fait naître ; à un Roi, aussi aimé que
digne de l’être, qui fit toujours consister son autorité dans l’exécution des Loix, & sa propre
félicité dans celle de ses Peuples ! Nous vous prions, Messieurs, de lui reporter nos
respectueux hommages ; daignez les rendre dignes de lui, en les associant aux vôtres ; daignez
agréer les témoignages sincères de notre zèle & de nos sentiments, & nous accorder l’honneur
de votre estime & de votre bienveillance ».
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4. Discours des Juges du Siège presidial & Sénéchaussée de Nantes
« MESSIEURS,
Les officiers du Présidial de Nantes ont l’honneur de vous présenter l’hommage de leur
profond respect, & de vous assurer de la joie qu’il ressentent de vous voir réunis dans le
Sanctuaire de la Justice. Nous ne vous rappellerons pas dans ces momens si chers à la
Bretagne, le souvenir des malheurs qu’elle a éprouvés. La voie de l’innocence & de la Justice
a percé jusqu’au Thrône, & votre retour, Messieurs, est l’effet de leur triomphe. Transportés
d’allégresse par un évènement aussi heureux, nous venons vous en féliciter. Le roi en vous
rappelant à vos fonctions, rend à la province d’illustres magistrats, dignes de la vénération &
de la reconnoissance de tous les citoyens, aux loix des défenseurs qui ont eu la générosité de
se sacrifier pour les maintenir. Nous désirerions, messieurs, pouvoir rendre ici à deux
magistrats distingués par leurs vertus & par leurs talens les devoirs que le sentiment nous
inspire : ce sentiment nous les rend présens. Les bontés du roi & de la justice qu’il vient de
vous rendre, nous donnent les plus grandes espérances sur leur retour : c’est à votre zèle & à
vos soins que nous devons l’accomplissement de nos vœux & le comble de la félicité
publique. Daignez, Messieurs, aggréer ces épanchemens de nos coeurs comme le témoignage
de notre profond respect & de notre attachement inviolable ».
II. Félicitations à l’occasion du rappel de l’universalité des
membres du Parlement de Bretagne au 15 juillet 1769.
Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, reg. 1Bc 7
5. Discours des députés de la communauté des procureurs du siège royal de
Rhuis (24 juillet 1769).
« Nos seigneurs,
Au premier moment que la voix bienfaisante du souverain vous a réunis dans ce temple
auguste, une vive émotion s’est emparée de tous les cœurs, les acclamations de tous les
peuples de cette province ont égallement attesté leur tendre & respectueuse recognoissance
pour le meilleur de tous les maîtres & la vive & entière allégresse que leur inspire votre
présence.
La communauté des procureurs du siège royal de Rhuis a partagé sensiblement les malheurs
occasionnés par la privation des magistrats qui ne pouvoient estre remplacés que par euxmêmes, mais les maux quelques réels, quelques longs qu’ils ayent été, seront bientôt effacés.
Notre bonheur s’est renaître avec le reigne de la justice et le rapel tant désiré de MM. les
procureurs généraux du roy en cet auguste cour ».
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6. Discours des députés de la communauté des procureurs de Quimperlé (24
juillet 1769, incomplet).
« […] Nos vœux sont couronnez : ces magistrats si chers à la nation, ces vengeurs de
l’innocence opprimée, ces zélés défenseurs de nos libertés, ces illustres victimes de leur
attachement aux loix, au bonheur des peuples, à la gloire du souverain revivent en ce jour !
Nos allarmes sont suspendües, nos pleurs cessent de couler, nos cœurs navrés de bonheur se
livrent à la joÿe la plus pure ! Illustre sénat souffrez que nous la fassions éclatter. Que la
province, que la France, que l’Europe entière retentissent de nos chants d’allégresse ! Que les
peuples voisins connoissent le noble patriotisme qui nous anime & qu’ils admirent vos vertus,
qu’ils préconisent notre amour pour vos personnes ! Que nos voix se fassent entendre
jusqu’au pied du trône, que le cœur du bien-aimé monarque qui nous gouverne se laisse
encore attendrir par l’effusion des nôtres, que nous obtenions de sa bonté le rapel de MM. les
procureurs généraux et votre triomphe sera complet ! Tel est désormais l’unique vœu de la
province, tel est celui de la communauté des procureurs à Quimperlé que nous représentons en
cet auguste lieu et pour laquelle je demande la protection de la cour ».
7. Discours des juges de Pontrieux (24 juillet 1769).
Le sénéchal de Pontrieux :
« Nosseigneurs,
Placés entre le trône et les peuples, c’est par la loy, illustres sénateurs, que vous faites chérir
la puissance du plus aimé des rois. C’est par elle que vous faites la félicité de ses peuples, et
c’est à leur bonheur commun que vous sacrifiez, généreux magistrats, vos jours et votre repos.
Permettez donc nosseigneurs, à notre reconnoissance d’unir nos acclamations à celles de toute
la province pour applaudir au sage discernement de l’auguste monarque qui vous rend à nos
vœux. Ils seront complets à la rentrée de deux respectables magistrats auxquels nous devons
également le tribut de notre amour et de nos respects. Vous mettrez par là, illustres sénateurs,
le comble à la félicité publique et il ne me reste que le désir de mériter l’honneur de votre
protection ».
III. Précis historique de ce qui s’est passé à Rennes, depuis
l’arrivée de M. le Comte de Thiard, Commandant en
Bretagne.
8. Extrait du Registre des Délibérations de la Compagnie du Présidial de
Rennes, du 6 mai 1788.
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René-François Drouin, Conseiller-procureur du Roi en la Sénéchaussée et Siège
Présidial de Rennes.
« MESSIEURS,
Des bruits alarmants se sont répandus dans toute la France, et surtout en Bretagne : la
consternation est générale, le premier ordre de la magistrature paraît menacé. Au lieu de
décerner aux magistrats les couronnes civiques qu’ils ont méritées, en défendant
généreusement nos personnes et nos biens, peut-être a-t-on réussi à surprendre la religion du
Prince, au point de les priver de ses bonnes grâces.
L’entrée imprévue des commissaires du Roi dans cette Ville, leur ignorance sur l’objet de leur
mission, l’arrivée subite d’un Courrier extraordinaire, chargé de paquets, le secret gardé sur la
nature des Ordres qu’il a apportés, la certitude seulement d’une séance de Porteurs d’Ordres
dans le temple de la Justice, c’est-à-dire, la crainte fondée de voir s’y renouveler ces actes
désastreux de pouvoir absolu, où la force écarte la loi, réduit ses Ministres au silence,
enchaîne la liberté des dépositaires de notre constitution et de nos intérêts les plus précieux,
accable tous nos Concitoyens ; des inquiétudes les plus vives présagent les évènements les
plus malheureux, et obligent de les regarder comme très prochains.
La chose publique est en péril, n’en doutons point ; ce ne sont plus ces bruits accrédités
seulement parmi le peuple, qui vous inspirent des alarmes, les Ordres les plus distingués de
l’État les partagent avec vous. La démarche solennelle que l’amour de sa Patrie, le zèle du
bien public et la vigilance des dépositaires de sa confiance leur ont dictée pour le maintien des
droits, franchises et libertés de la Bretagne, ne permet plus de douter de l’importance des
évènements qui menacent cette Province, et qu’ils ne soient dirigés principalement contre sa
première Cour de Justice.
Dans cette circonstance majeure et déplorable, il est de mon devoir de faire éclater et de
proclamer les sentiments respectueux et inviolables de mon amour et de mon attachement
pour des Magistrats dépositaires de mes serments, conservateurs de l’ordre des Juridictions, si
sagement établis pour le bonheur des peuples, par les Constitutions des Pays et Duché de
Bretagne.
Les mêmes sentiments vous animent, Messieurs, ils vous ont toujours distingués, et vous leur
devez les témoignages de bienveillance que vous avez reçus du Parlement ; devenez les
premiers organes du peuple auprès de ses vrais protecteurs ; exprimez non seulement les
vœux de votre Compagnie, mais encore ceux de toutes les Juridictions auxquelles Sa majesté
a confié le premier degré de l’administration de la Justice. Attaquer le Parlement, c’est violer
le Contrat d’union. Accordent, Nosseigneurs les Commissaires, porte l’article 23, qu’il ne soit
rien changé au nombre, qualité, fonctions et exercice des Officiers de la Province : ce
Contrat, si souvent scellé des serments du Souverain et de ses Sujets, gage précieux de notre
fidélité pour nos Maîtres et de nos droits à leur sollicitude paternelle, est l’égide des Bretons,
elle repassera tous les traits que l’autorité surprise voudrait lancer contre les Magistrats.
En Bretagne, une innovation dans l’ordre de la Magistrature serait une infraction à des droits
certains et clairement établis ; l’altération des pouvoirs intermédiaires préparerait des atteintes
à la liberté des personnes et à la propriété des biens ; le pouvoir arbitraire et ses abus
remplaceraient l’empire bienfaisant de la loi ; notre droit public n’existerait plus.
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Que ces conséquences sont funestes et déplorables ! N’est-ce pas dans ce moment que tous les
ordres de l’État peuvent s’écrier avec l’auteur de l’Esprit des Lois : la monarchie se perd,
lorsqu’un Prince croit qu’il montre plus sa puissance en changeant l’ordre des choses, qu’en
les suivant ; il est alors de leur devoir d’invoquer le Souverain, et ils doivent espérer qu’il
n’écoutera pas sans émotion des représentations motivées sur l’intérêt de son autorité et sur le
bonheur de ses peuples.
C’est dans le sein du Parlement que je vous propose, MESSIEURS, de déposer vos craintes et
votre douleur. Admirateur du courage et des vertus qui honorent les Magistrats qui le
composent, vous les considérez, avec raison comme notre seule ressource, et nous leur devons
cet hommage public de notre vénération et de notre sensibilité. Le Parlement ne
désapprouvera pas une démarche justifiée par des circonstances extraordinaires et excitée par
le patriotisme, dont son exemple enflamme tous les juges.
Si nous ne partageons pas encore les dangers que courent les premiers Magistrats, prouvonsleur au moins que nous nous rappelons les promesses que nous avons faites en leurs mains de
leur être constamment attachés, de désapprouver constamment tous les actes qui tendraient à
troubler le cours ordinaire de la justice, de consacrer tous les momens de notre vie au service
de la patrie pour mériter la continuation de l’estime et de la bienveillance de la Cour ».
9. Discours de la Communauté des procureurs au Parlement
« MESSIEURS,
Depuis moins de vingt ans nous avons eu la douleur de vous voir deux fois arrachés à vos
augustes fonctions, deux fois la subversion de la Magistrature a répandu l’alarme, a causé les
plus grands désastres dans la malheureuse Province de Bretagne : nous avons été, Messieurs,
cruellement frappés des coups qu’on vous a portés. Aucun corps n’a été aussi fortement
ébranlé que le nôtre, aucun individu n’a souffert comme l’ont fait les Membres de la
Communauté des Procureurs au Parlement.
Notre courage n’a point été abattu par les souffrances ; l’unique ressource des malheureux,
l’espérance, ne nous a point abandonnés dans les circonstances les plus accablantes, notre
honorable fermeté a été constante, nos principes n’ont point été altérés ; notre espoir n’a point
été vain, nous avons vu triompher la Justice, nous avons vu son règne reparaître et fleurir.
Son Sanctuaire occupé par vous, M.M., nous permettait d’espérer une tranquillité durable. Les
augustes fonctions de Médiateurs entre le Trône et les Peuples, de dépositaires et gardiens des
Lois, d’administrateurs souverains de la Justice vous avaient été rendus. Rétablis en des mains
aussi pures, la confiance publique s’était reproduite, les effets s’en faisaient ressentir dans la
Province entière ; nous jouissions les premiers de ce bonheur, comme nous avions été les
premiers écrasés du désastre.
On nous annonce une nouvelle destruction de l’empire des Lois, la Magistrature est menacée
de nouveaux coups ; nous sommes ses premiers suppôts, et à ce titre glorieux pour nous,
lorsque nous avons le bonheur de remplir nos fonctions devant vous, Messieurs, nous sommes
sans doute destinés à ressentir les premiers les cruels effets d’un nouvel ordre de choses.
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Vous voulez bien, Messieurs, nous permettre de disposer dans le Sanctuaire de la Justice nos
sentiments sincères et respectueux. Ils ont toujours été ceux de la fidélité pour la Magistrature,
ils ont été inaltérables, ils continueront de l’être. Daignez, Messieurs, en agréer le vrai et pur
hommage ».
10. Discours du 8 mai par un de ces messieurs du parlement
« Messieurs,
Nous touchons au moment d’une révolution funeste, d’un bouleversement universel dans
l’ordre de la Législation française.
Les Lois de la Monarchie sont enfreintes par le Chef des Magistrats qui les protègent. Parjure
envers sa Patrie, il manque à tous ses serments.
C’est à vous, Messieurs, d’écarter les coups qui troublent l’harmonie nationale. La marche
que vous allez tenir, renversera les droits et les privilèges des Bretons, ou les maintiendra dans
leur intégrité et tels qu’ils ont été établis par le contrat d’union.
Votre devoir, Messieurs, vous impose la noble tâche de recueillir les plaintes arrachées par
l’absurde autorité, de porter au pied du Trône le tableau de la calamité publique, d’instruire le
Monarque de la dangereuse influence de ses Ministres, sur la combinaison des rapports qui
lient ses intérêts à ceux de ses peuples ; qu’il apprenne par vous quels malheurs doit entraîner
le projet qui menace à la fois toutes les Provinces.
C’est Monsieur de Lamoignon qui dirige le projet de l’anéantissement des Tribunaux.
C’est par lui que des Magistrats, défenseurs des libertés françaises, ont été violemment
arrachés à leurs fonctions, pour avoir résisté à ce système destructeur de l’ordre public.
C’est lui qui, au nom de l’autorité qu’il compromet, qu’il profane, a osé attaquer, dans une
séance royale, les principes fondamentaux de la Monarchie.
C’est par lui que l’arme du pouvoir arbitraire a porté, sur la première et la plus chère des
propriétés de l’homme, les coups les plus funestes.
C’est par lui que les agents de la nation, de la loi et du bonheur public, les Parlements, qui
donnent le mouvement à l’exécution des Lois, sont menacés d’être traités comme des
Compagnies anti-patriotiques.
C’est par lui que les forces militaires vont peut-être se diriger contre la Patrie, pour soutenir
l’injustice, le désordre et le despotisme ministériel.
C’est par lui, que les Citoyens vont peut-être se partager sur la défense de la liberté qu’on
enchaîne, et le maintien d’un pouvoir tyrannique.
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C’est par lui que de vertueux serviteurs de la Patrie, vont peut-être déchirer son sein, et
dissoudre ses lieux, en prêtant main forte à la violation des Lois.
C’est par lui que la vertu du patriotisme semble ébranlée dans l’âme des Français militaires, et
que le serment de leur devoir, mal interprété, semble leur faire oublier qu’ils sont citoyens.
C’est par lui que la Nation va peut-être se diviser, se combattre, et que des ruisseaux de sang
vont baigner le sol que nous habitions.
C’est par lui que les vœux des citoyens, meurtris par l’oppression, sont étouffés, et ne
parviennent plus au Monarque qu’il abuse.
C’est ce Ministre qui a dicté cette réponse foudroyante, récemment faite par Sa Majesté, au
Parlement de Paris, et qui n’a que trop annoncé la destruction des Lois et des Magistrats.
Les principes établis dans le discours du garde des Sceaux, ont amené les résolutions
effrayantes, suggérées au Souverain ; l’évènement qui nous menace, justifie combien nos
craintes étaient fondées.
Vous n’avez pas craint, Messieurs, dans toutes vos remontrances, de désigner le Chef de la
Magistrature, comme auteur de ces innovations, qui tendent à l’anéantissement du nom de
patrie ; aujourd’hui que vos représentations n’ont plus d’accès, que la vertu n’a plus la force
d’atteindre au ministère, vous devez sans balancer, députer aux pieds du Trône, pour y porter
nos justes plaintes, pour dénoncer le Garde des Sceaux au Souverain qu’il a trompé, et à la
nation, dont il s’est montré l’ennemi.
Il est encore temps, Messieurs, d’éclairer le cœur d’un Roi juste, de lui adresser l’effrayante
peinture de la situation de ses peuples.
Parler au nom de l’humanité, de la patrie, des Lois et des libertés françaises, est un droit
précieux de la Magistrature ; ce devoir s’étend aujourd’hui, en raison des dangers qui nous
menacent ; vous disputerez sans doute, à tous les Coups de l’État, la gloire et l’honneur de
défendre la constitution monarchique : vous pouvez devenir les Libérateurs de la Patrie ; et
quand la foudre est sur nos têtes, c’est moins que jamais le moment de la craindre.
Il n’est aucun de vous, Messieurs, qui, pour la défense de sa famille, pour le salut d’un seul
homme, ne fût capable des plus grands efforts. La cause commune aura-t-elle moins d’empire
sur vos armes ?
Non, vous connaissez les maux de votre patrie, vous entendez le murmure de vos concitoyens,
vous en connaissez les ennemis, vous les démasquerez, ce sera les détruire.
Vous obtiendrez l’abolition des Lettres de cachet, proscrites par les Lois, contraires au vœu de
la nature, au système social, à l’équilibre des empires, et auxquelles les Ordonnances de nos
Rois défendent d’obéir.
Vous regarderez l’obéissance à ces ordres arbitraires, comme une infraction à l’ordre public,
comme une résistance à la Justice, aux Lois de l’État, comme un crime de lèse-Patrie.
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Les Ministres qui les emploient, les Agents qui les exécutent, sont également les ennemis de
la Loi, ils doivent être dénoncés, poursuivis dans l’ordre prescrit par les Ordonnances.
Tous ceux qui conspirent contre la gloire du Roi et le bonheur de ses sujets, sont soumis au
glaive de la Justice ; l’éclat du rang n’excuse pas le coupable, il aggrave le crime…
Je demande que le Garde des Sceaux soit dénoncé au Roi, à la Nation, à tous les Parlements,
comme violateur des libertés françaises, comme l’auteur des coups d’autorité qui rendent
victimes d’un zèle pur des Magistrats fidèles à leurs devoirs, et qu’il soit pris un Arrêté
d’envoyer, à cet effet, une Députation aux pieds du Trône ».
IV. Protestations de mai 1788.
11. Discours prononcé par M. Borie, le sénéchal de Rennes, portant la parole
au nom de la Compagnie, le 7 mai 1788
« Messieurs,
Nous venons vous apporter le tribut de nos respects et de notre amour. Ces sentiments que
nous vous avons voués au moment où nous avons reçu le titre auguste de magistrat nous sont
communs avec tous nos collègues dans l’administration de la justice. Nous n’avons sur eux
que l’avantage de pouvoir vous exprimer toute l’étendue de notre dévouement et de devenir
auprès de vous leur organe et leurs interprètes.
Le courage vertueux et inébranlable avec lequel vous avez signalé votre zèle pour la cause du
peuple vous a donné des titres indestructibles à la reconnaissance publique, elle éclate en ce
moment, où l’idée seule du péril qui menace le premier ordre de la magistrature a imprimé sur
le front de tous les Bretons le caractère lugubre d’une consternation générale et qui ne se
manifeste qu’aux époques trop funestes et trop mémorables d’une calamité publique.
Nous savons, messieurs, que les ordonnances générales du royaume répondent de
l’inamovibilité des offices, que la constitution particulière de cette province garantit votre
existence pour le bonheur des Bretons, comme la sauvegarde de la propriété de leur personne
et de leur fortune. Mais les principes ne rassurent pas toujours contre les entreprises de
l’autorité. La désolation de nos concitoïens et l’idée des maux dont ils sont menacés et que de
funestes présages leur annoncent, nous a si vivement affectés que ce n’est qu’au milieu de
vous, Messieurs, que nous avons espéré de trouver une consolation, un remède à la douleur
profonde qui nous accable.
Nous nous réfugions dans votre sein, nous venons pleurer sur la chose publique avec vous,
Messieurs, qui êtes les dépositaires de nos serments et de l’attachement inviolable que nous
avons juré aux loix du royaume, renouveller entre vos mains nos promesses, réitérer
volontairement dans ce sanctuaire l’assurance de notre fidélité aux vrais principes, de notre
attachement à des magistrats qui savent si dignement les maintenir, de notre zèle pour la
conservation des droits, franchises et libertés de cette province.
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Approuvez, Messieurs, cette démarche extraordinaire et inusitée mais justifiée par les
circonstances, recevez l’assurance que je suis autorisé à vous donner, qu’il n’y a aucun des
membres de ma compagnie qui ne soit prêt à sacrifier non seulement sa fortune, mais son état
et sa liberté pour calmer les inquiétudes de ses concitoïens, s’il dépendoit de lui de dissiper
leurs allarmes.
En faisant cette déclaration, déterminée par le vœu unanime de ma compagnie, je ne
justifierois plus sa confiance, je dissimulerois trop mes sentimens particuliers si je laissois
présumer que ma démarche fut commandée dans ce moment plutôt par le devoir que par
l’effet de mon dévouement au bonheur public, dont vous êtes les plus fermes appuis.
J’ai l’honneur de vous assurer, messieurs, que dans toutes les fonctions que les prérogatives
de ma place peuvent m’appeler à remplir, personne ne se montrera plus que moi le défenseur
des droits de la magistrature, et n’aura plus de zèle à combattre les atteintes qui seroient
portées à son existence. C’est ainsi, Messieurs, que je me croirai digne du suffrage de mes
confrères, dont la conduite tendra toujours à mériter votre estime et votre bienveillance. Ma
compagnie me charge, Messieurs, de vous déclarer qu’elle est dans la résolution inébranlable
d’observer les ordonnances du royaume, et qu’elle n’entend obtempérer qu’à celles qui
seroient vérifiées et librement enregistrées dans cette cour. Qu’en conséquence elle réclame
contre tout ce qui pourroit porter atteinte à vos droits, à ceux de la magistrature, à ceux de la
nation qui en sont inséparables. Nous vous supplions de recevoir l’arrêté que nous avons pris
le jour d’hier et qui renferme cette déclaration solennelle, pour qu’il demeure déposé à votre
greffe, Messieurs, comme un monument perpétuel de notre attachement inviolable aux
maximes que vous soutenez, et dont nous ne départirons jamais ».
12. Extrait du registre d’audience du greffe royal de Concarneau. (9 juin
1788).
Le procureur du roi a dit :
« Monsieur,
Je viens vous apporter les procès-verbaux, arrêts et arrêtés de la Cour dans les séances des
deux et trois de ce mois. Quand la Cour ne l’auroit pas ordonné, quand le devoir ne m’en
feroit pas une loi, dès que le cours de l’administration publique de la justice a cessé au siège
depuis le dix-neuf mai dernier, j’aurois toujours sollicité, comme je l’ai fait, cette audience
particulière pour lui donner une nouvelle preuve de mon respect et de mon attachement
inviolable à la magistrature, aux loix antiques de la constitution de la monarchie, et en
particulier aux droits, franchises & libertés de cette province de Bretagne, notre mère et
commune patrie.
Rien n’est plus affligeant, monsieur, rien n’est plus allarmant que le triste récit de ce qui s’est
passé à Rennes, et consigné dans les séances que je vous apporte de la part de la Cour. Vous
avez vu que les registres ont été violés par des enregistrements forcés. Vous allez lire
maintenant que cette même Cour a été cruellement persécutée, qu’elle a été arrachée par la
force à ses fonctions publiques, que le temple de la justice a été profané, qu’on en a fait un
corps de garde et un arsenal, que les places publiques sont couvertes de gens armés, que les
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magistrats ont été investis et assiégés par differens détachements de troupes armés, et que ces
mêmes magistrats étoient encore plus occupés du salut du peuple que du péril qui les
menaçoit dans le seul azile qu’ils s’étoient choisis eux-mêmes pour continuer leurs fonctions.
On les voit y porter des loix pour faire cesser l’effervescence du peuple attaché à ses
magistrats, rétablir l’ordre et la tranquillité partout, empêcher toute émeute et toute sédition,
toujours dangereuse par elle-même dans ses conséquences comme dans ses suites. Ces
magistrats, monsieur, sont aujourd’hui dispersés par ordre du roi, aux fins de lettres de cachet.
Il ne suffit pas tant de regréter leur éloignement que de chercher les moyens de les faire
rappeller à leurs fonctions en secondant leur zèle pour la défense des loix et du peuple dont la
fortune va devenir la proie du despotisme ministériel & de l’avidité de ses courtisans. Car
avouons-le, monsieur, la suppression d’anciens tribunaux ou leur réunion, l’érection de
nouveaux colorés du nom de bien public, les excès commis à Rennes, tout cela n’est qu’un
acheminement à l’établissement de nouveaux impôts qui doivent pressurer la subsistance de
tous. Dès qu’il n’y aura plus de tribunal intermédiaire entre le roi et le peuple, la nation et le
souverain, on a dès lors coupé le nerf national. La volonté d’un seul formera arrêt. Si ce n’est
pas là le despotisme, apprenez-moi ce que c’est ! Le despotisme s’élève avec des soldats et se
dissout par eux : dans la naissance, c’est un lion qui cache ses griffes pour les laisser croître ;
dans sa force, c’est un frénétique qui déchire son corps avec ses bras ; dans sa vieillesse, c’est
un Saturne qui après avoir dévoré ses enfans se voit honteusement mutilé par sa propre race.
D’après ces mots il faut se taire. Mon cœur se flétrit, et il ne me reste de force que pour
conclure encore pour et au nom du roi en y conservant mon amour, celui des loix et de la
patrie, comme je le fais ».
13. Extrait du registre d’audience du siège royal de Concarneau (16 juin
1788).
Le procureur du roi a dit :
« Monsieur,
Plein d’amour et de respect pour la personne sacrée du roi, mais toujours ferme et invariable
dans les principes qui ont motivés nos arrêtés des treize, dix-neuf, vingt-six mai dernier, et
nos conclusions du neuf de ce mois, l’honneur comme le devoir me fait une nouvelle loi, pour
vous présenter en cette audience extraordinairement requise et tenue, l’arrêt de la cour rendu
le trente et un mai dernier, chambres assemblées, précédés de discours y faits par Monsieur de
Lotherel, procureur-général sindic des États de Bretagne, adhéré de Messieurs les
commissaires de la Commission intermédiaire et de la navigation intérieure. Tous ces actes
sont de nouvelles preuves de leur noble et généreux dévouement à la chose publique. D’après
la lecture que j’ai prise de cet exemplaire, je ne puis pas croire, monsieur, que les
réclamations d’une grande province, celles de la France entière, pour la défense de la
monarchie, de ses loix fondamentales, des droits, franchises et libertés de la Bretagne en
particulier ne soient point écoutées par un roi juste et bienfaisant.
Au nom de la nation et des États de cette province, on a opposé au sistème oppressif et
destructeur de la constitution de la Bretagne et de la monarchie des loix écrites, des contrats
passés entre le roi et cette province : ces titres obligatoires et synallagmatiques sont sacrés et
doivent être religieusement et inviolablement gardés. Car, monsieur, quand le législateur peut
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bouleverser les loix et les tribunaux, quand son authorité n’a plus d’autre base que la force,
quand le droit originel de la société, le droit inaliénable de la propriété des citoyens, les
conventions nationalles, les engagements des princes sont en vains réclamés, enfin quand le
gouvernement est arbitraire, il n’y a plus de constitution, il n’y a plus d’État ou plutôt l’État
n’est plus que la terre d’un seul homme.
L’État, monsieur, est une machine très compliquée qu’on ne peut monter ni faire agir sans en
connoitre toutes les pièces. On n’en sauroit presser ou relâcher une seule, que toute les autres
n’en soient dérangées. Tout projet utile pour une classe de citoyens ou pour un moment de
crise peut devenir funeste à toute la machine et nuisible pour un long avenir. Toutes les
innovations donc, doivent être insensibles, naître du besoin, être inspirées par une sorte de cri
public, ou du moins s’accorder avec le vœu général d’une nation. Anéantir et créer tout-àcoup, comme on le fait par les nouvelles loix militairement enregistrées à la cour, s’est
empirer le mal et corrompre le bien ; agir sans consulter la volonté générale, sans recueillir
pour ainsi dire la pluralité des suffrages de l’opinion publique, c’est aliéner les cœurs et les
esprits, c’est tout discréditer.
Nous lisons dans l’histoire qu’autrefois chez tous les peuples, les tributs mêmes ne furent
établis dans leur origine sur les propriétaires que par eux-mêmes : partout, ceux qui
possédoient les terres avoient conservés le droit naturel inaliénable et sacré de n’être point
taxés sans leur consentement, c’est là-même un des privilèges de cette province. Ôttez le
principe, il n’y a plus de monarchie, il n’y a plus de nation.
Si nous relisons encore notre histoire, nous voyons que nos ayeux s’assembloient, qu’ils
délibéroient toutes les fois qu’il s’agissoit d’un subside. Si l’usage en est passé, le droit n’en
est pas perdu : il est écrit sur le champ qu’on a pris la peine d’enclore, pour en assurer la
jouissance ; il est écrit dans nos cœurs, où la divinité a imprimé l’amour de la liberté ; elle
naîtra du sein même de l’oppression, elle a déjà passé par les écrits publics, dans les âmes
éclairées et par la tirannie, elle passera dans l’âme du peuple. Tous les hommes sentirons
enfin, et le jour du réveil n’est peut-être pas loin, ils sentirons que la liberté est le premier don
du Ciel, comme le premier germe de la vertu. Les instruments du despotisme en deviendront
lors les destructeurs et les ennemis de l’humanité, ceux qui semblent aujourd’hui être armés
pour la combattre, combattront pour sa défense ; il faut donc espérer de la bienfaisance du
monarque qui gouverne cet empire que lorsque la justice aura été éclairée, il s’empressera de
vanger les atteintes portées à la constitution de la monarchie et en particulier aux droits,
franchises et libertés de la province de Bretagne par les nouvelles loix qui ont jettées la
consternation dans tout le royaume. Puisqu’il est vrai de dire que les meilleurs rois sont ceux
qui ont régné par les loix et par la justice, c’est là, monsieur, le vœu général de la nation, c’est
celui particulier de mon cœur, où je conserverai éternellement l’amour de mon roi, de ma
patrie et des loix ».
V. Félicitations au Parlement à l’occasion de son
rétablissement (1788).
14. Extrait du Registre de la chambre du Conseil de la Sénéchaussée
d’Hennebont, jeudi 15 mai 1788.
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Le Procureur du roy a dit :
« Messieurs, Je ne puis vous dissimulez qu’en ce moment et à mes yeux la pierre
fondamentale de l’État semble prête à se briser : déjà les Douze Colonnes sur elle assises, qui
soutiennent la monarchie sont ébranlées et le coup le plus mortel vient d’être porté à ces corps
augustes dépositaires du trésor sacré des loix et des archives de nos libertés.
Si toute la France est attentive sur l’issue d’une catastrophe aussy effrayante pour elle,
combien plus encore ne doit pas s’en occuper notre province qui d’après ses traités scellés du
serment des roys mêmes et cent fois renouvellée s’étoit cruë à l’abbri des coups d’autorité et
n’auroit jamais dû craindre la subversion des loix qui la régissent !
C’est cependant dans son sein et à main armée que le dix de ce mois des loix nouvelles et
destructives de sa constitution ont été portées et enregistrées en son parlement.
Les dignes membres de ce sénat qui, comme le disoit l’immortel chancelier de l’Hopital n’ont
jurés de garder tous les commandemens du roy, mais bien les ordonnances qui sont ses
véritables commandemens, et ne se sont refusés en gémissant d’obéïr à la volonté
momentanée de sa majesté que pour ne pas violer le serment qu’ils ont prêté en ses mains de
se rendre à sa volonté permanente, et consignée dans les loix du royaume, ont protesté contre
cet acte de violence et d’autorité, effet de la surprise faite à la bonté de cœur du souverain.
La nation bretonne, par son procureur général sindic, appuyé de la noblesse et des
commissions intermédiaires, a protesté de sa part et contre cet acte et contre ces loix
nouvelles, en ce qu’ils heuretnt et viollent, en général, la constitution monarchique, les droits
de la magistrature, et en particulier les privilèges, franchises et libertés de la province.
À son exemple tous les sièges, tous les ordres, tous les corps de la capitale se sont empressés
de témoigner leur amour respectueux pour le roy et à la constitution monarchique et nationale,
et il n’est aucun juge dans la province qui n’ayt regrété de ne s’être pas trouvé au même
instant à Rennes pour se joindre à lui et faire une semblable protestation de joie et de fidélité.
Cette unité d’opinion et d’orateur est le gage le plus positif de la franchise et de la fidellité des
Bretons ; et loin d’être prise pour un cri de raliment ou le signal de la révolte, ne peut que
toucher et rappeller en leur faveur la sensibilité du monarque bienfaisant qui nous gouverne et
qui comme Henry Quatre l’un de ses augustes ayeux ne verra dans les ennemys de la
magistrature et des loix primitives que les ennemis mêmes de Sa majesté, de sa gloire, de ses
vertus et de sa puissance.
Hâtons-nous donc, Messieurs, de consigner sur nos registres nos sentimens et nos dispositions
invariables dans la circonstance ».
15. En la chambre du conseil de la sénéchaussée et siège royal & de police
d’Hennebont du port Louis et du port de Lorient (lundy 9 juin 1788).
Le procureur du Roy a dit :
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« J’ai à mettre sous les yeux du Siège l’arrêt de la Cour rendu Chambres assemblées le 31
may dernier, les nouvelles et itératives protestations de M. le procureur général syndic, de
Messieurs les commisaires des États et de la navigation intérieure de cette province imprimée
en tête de cet arrêt solennel. Je vous apporte aussy les procès-verbaux, arrêts et arrêtés de
ladite cour des 2 et 3 juin présent mois.
Ces fidèles et déchirantes images de la désolation de la province, de la force et de la violence
exercée sur la magistrature, des coups mortels portés aux droits franchises et immunités de la
nation, de l’infraction de notre contrat social, et du pacte de notre union à la France, rendront
immortelle la noble et vertueuse résistance du premier Tribunal Breton, et demandent à être
consignées sur les registres de tous les Sièges qui animés des mêmes principes lui sont
soumis. Le nôtre rougiroit de rester un seul instant sous le coup du soupçon à cet égard : au
moment même que ce tribunal auguste a été frappé d’interdiction, le nôtre est resté sans
mouvement, effet de l’unité de toutes les classes de la magistrature en Bretagne, Unité antique
et consacrée par la charte donnée au Plessis Macé en 7bre 1532 ».
16. Juridiction d’Hennebont (18 août 1788).
Le procureur du roy :
« Messieurs,
L’intrigue, les sourdes menées, les pratiques les plus infâmes sont mises en usage pour
séduire et tromper la fidellité et la vertu des magistrats du second ordre. L’authorité, la force
et les rigueurs sont employées contre ceux du premier.
Les temples de la justice sont déserts. Les ministres sont dispersés, les lieux et l’organisation
qui, pour la gloire du prince et le bonheur de ses sujets subsistoient entreux sont altérés et
détruits de l’opprobe on leur fait un devoir, s’ils résistent leur liberté est enchaînée.
Les droits de la province sont substanciellement attaqués, ses privilèges violés, ses franchises
méconnues, et la parolle sacrée des roys oubliée.
Il n’est que trop vrai, comme vient de le dire M. le procureur général syndic, nous sommes en
Bretagne comme dans le reste du royaume dans un bouleversement affreux, dans un état de
crise, de désolation sans égale.
… Et c’est sous le nom auguste d’un monarque français du plus juste et du plus aimé des
Roys qu’on ose ainsy tout prophaner. C’est un blasphème que de le croire et même de le
penser… la vérité percera… Le nom de Louis ne peut être de la sorte compromis… Et le
ministre de tant de perfidie comme un second Mazarin apprendra, mais trop tard et en fuyant,
jusqu’où s’élève l’amour du peuple français pour son Roy, jusqu’où se portent ses fureurs
contre les ennemis du prince et de la nation.
M. Le procureur général syndic réclame en ce siège mon adhésion. Mais ma religion comme
la votre est bien connüe, ce n’est pas comme ledit Linguet que je craigne les revenants : je
veux un État avoüé par la nation et que je puisse professer avec honneur : c’est le seul bien
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que j’ai à laisser à mes enfants, qu’ils n’ayent point à rougir en fermant les yeux de m’avoir
eu pour père. oui, Messieurs, mes sentimens sont les votres, mon cœur est d’accord avec ma
bouche et ma main les devance pour adhérer et souscrire sans hésiter aux réclamations,
oppositions et protestations de M. Botherel qui en ce moment remplit avec tant d’honneur les
devoirs de sa charge.
Je dis, Messieurs, les devoirs de sa charge et j’ouvre le livre de nos loix constitutives et
nationales, j’y trouve celle qui luy prescrit ces devoirs, cette loi de rigueur pour luy et
d’obéissance pour nous.
Henri III dans son édit du mois de juin 1579 registré au parlement de cette province le vingt
aoust même année dit Art. Ier qu’avenant qu’il se présente aucune lettre ou édits en la cour
de Parlement ou ailleurs préjudiciant aux privilèges du paÿs et duché de Bretagne, les États
d’iceux ou leur procureur sindic pouront se pourvoir par opposition et voies accoutumées à
bons et loyaux sujets permises en justice, nonobstant tout ce qui pourroit avoir été fait au
contraire ».
17. Extrait du registre du greffe de la juridiction et sénéchaussée royalle
d’Hédé. Audience du 11 octobre 1788 devant Monsieur le sénéchal
ordinaire.
Jan François Judiht Belletier de l’Étang, conseiller procureur du roi en la sénéchaussée
de Hédé, entré à la chambre a dit :
« Monsieur,
Ils ne sont plus ces jours désastreux où les loix exilées avec leurs augustes dépositaires,
laissaient la province, le royaume entier en proie à tout ce que peut le crime sans frain. Il
l’avait bien dit à la cour, ce traité agent de deux ministres pervers, que les roix les plus sages
ne sont pas exempts d’erreurs lorsqu’ils sont entourés de gens qui les trompent. Nous en
avons fait la trop funeste expérience ; mais la vérité est enfin parvenue au pied du trône, elle y
a été portée par les différens ordres de cette province. C’est à leur concours et au zèle
infatiguable de monsieur de Botherel, procureur général sindic des États, que nous sommes
principalement redevables du triomphe de la cause commune.
Le roi, désormais éclairé sur ses véritables intérêts inséparables de ceux de la nation qu’il
gouverne et qui en lui aimera toujours à chérir un père, n’a pas balancé à retirer ces
ordonnances, édits, déclarations, enfantés par le despotisme ministériel, destructifs de la
constitution du royaume et de celle des provinces qui y sont unies ; contre lesquels la
réclamation a été générale et qu’il a fallu faire enregistrer à main armée, comme si des actes
d’une violence inouïe eussent pu leur donner la sanction sainte et légitime que les loix ne
reçoivent que du consentement spontanée des peuples auxquels elles sont adressées, ou, ce qui
est la même chose, de la vérification libre dans les cours qui les représentent. Nous n’aurons
pas du moins à nous reprocher de les avoir consignés dans nos archives.
Nous étions sûrs qu’ils avoient été surpris à la religion du monarque et que la bonté paternelle
de son cœur n’eût pas tardé à les désavouer.
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Il nous a rendu nos dignes magistrats, […] infiniment supérieurs à tous nos éloges, dont rien
n’a pu ébranler la constance, dont la fermeté héroïque et les sacrifices généreux ont conservé
la chose publique et opéré le salut de l’État.
Nous nous étions proposé de féliciter la cour sur la réunion de l’universalité de ses membres
privés de cette satisfaction flatteuse par son arrêt du 8 de ce mois, empressons nous du moins
de déposer dans son greffe le tribut de nos hommages, nos cœurs nagent dans la joie, tous nos
concitoyens la partagent d’une manière distinguée, nous n’en saurions douter ».
18. Extrait du registre d’audience de la sénéchaussée de Quimperlé (8 octobre
1788).
M. Jacques Tanguy, maire gouverneur, procureur du roi en ce siège a dit :
« Monsieur,
C’est avec le plus vif empressement, c’est avec un vrai transport que j’apporte au siège la
déclaration du roi qui rétablit l’ordre & le calme dans la province, donnée à Versailles le
vingt-trois septembre dernier & registré au parlement le onze octobre, cette déclaration
ordonne que l’assemblée des États généraux aura lieu dans le courant de janvier prochain et
que les officiers des cours reprendront l’exercice de leurs fonctions. Des exemplaires de cette
même déclaration m’ont été adressés par M. le Marquis de Caradeuc, procureur général du roi
& je suis chargé d’en provoquer la lecture, la publication & l’enregistrement en ce siège.
Les voilà, Monsieur, les voilà donc enfin dissipés ces temps orageux, dont nous avons
ensemble gémis ; ils sont passés, ces jours d’horreur, de désolation, de trouble et d’anarchie !
Le Génie tutélaire de la France a veillé à la conservation de ce beau royaume ; et l’instant
fatal où les fondements de la plus brillante monarchie de l’univers, violemment ébranlés,
allaient être à jamais renversés, est devenu l’époque fortunée de la Restauration ! Ô vous,
esprit de Saint-Louis, mânes de Henri le Grand, vous que l’immortel Talon invoqua, un genou
en terre, dans des moments beaucoup moins critiques, l’idée de réclamer votre assistance n’est
venüe à aucun de nos orateurs, à aucun de nos écrivains. Mais le patron de la France, par une
grâce marquée, a choisi le jour de sa fête pour éclairer notre bon roi ; & cet autre Henri
Quatre, cédant aux impulsions patriotiques de ses deux augustes frères, a reconnu l’illusion où
l’entretenaient les plus funestes conseils. La vérité qu’on lui interceptait est parvenue jusqu’à
lui. Elle n’a eû qu’à paraître ; et son cœur, avide du bonheur de ses sujets, a abjuré l’erreur
cruelle par laquelle on l’abusait, en lui faisant croire que des systèmes d’oppression devaient
être les moyens régénérateurs d’un peuple libre, aussi généreux que fidèle mais non moins
attaché aux principes de la constitution de l’État ;qu’enivrée d’amour pour ses souverains,
l’autorité du monarque était compromise, les droits de la nation violée, & toutes les règles
enfreintes avec un mépris et une audace dont il n’y avait pas encore eû d’exemple. Cependant,
Monsieur, l’observation des règles est le plus ferme appui de l’autorité et il n’y a que le retour
aux règles qui puissent raffermir cette autorité, loin de l’affaiblir, comme le prétendent
quelques esprits inquiets. La paix est la fille de la justice, et c’est pourquoi elles se tiennent
étroitement embrassées, Justicia & pax osculate sunt, sans la justice point de paix. Aussi de la
cessation de la justice sont nés mille et mille désordres, plus grands les uns que les autres,
mais de la restauration des lois, de la réintégration de leurs principaux ministres, du maintien
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des anciens tribunaux dépendent le bonheur et la tranquillité de tous ; & ce bonheur, cette
tranquilité, nous allons en jouir, grâce au courage, à l’unanimité et en un mot à l’héroïsme des
trois ordres. Thémis a rouvert les portes de son temple respectable, et j’ai vû, Monsieur, j’ai
vû pénétrer dans son sanctuaire des magistrats qui ont bravé des dangers, qui auroient pû faire
palir des guerriers intrépides, j’y ai vû une troupe de héros-citoyens, dont le tribunal
redoutable est l’écueil du crime et de l’injustice. Leurs malheurs ont été les notres. L’honneur,
la conscience & le devoir identifiaient notre sort avec le leur ; félicitons-nous aujourd’hui,
Monsieur, d’avoir été fidèles à la voix du patriotisme et glorifions nous d’avoir été secondés
dans les sacrifices que nous avons faits à la chose publique, par un Bareau dont les lumières,
la droiture & la régularité sont les appanages ! Cet éloge, que nous devons spécialement et qui
est singulièrement propre à l’ordre des avocats, dont la confraternité nous honore, nous
l’étendons avec satisfaction à la communauté des procureurs, dont les procédés délicats et le
désintéressement se sont fait remarquer dans ces difficiles circonstances. Recevons avec
reconnaissance le témoignage que les uns et les autres paraissent disposés à nous donner de la
joie que leur inspire la reprise de nos fonctions communes, et ne soyons pas moins sensibles à
l’évènement de jeunesse, dont le zèle & l’émulation promettent les fruits les plus heureux de
ces combats instructifs, de ces luttes ingénieuses par lesquelles nous leur avons permis de
préluder & de s’essayer dans cette enceinte au grand art de défendre & de juger les
propriétés, la vie & l’honneur des hommes. Soyons enfin aussi flattés que nous devons l’être,
d’avoir pour témoins de cette séance des citoyens de toutes les classes, dont la présence
semble nous garantir leur approbation, et que rien ne manque à notre satisfaction, si nous
avons le bonheur de mériter aussi les suffrages de ce sexe enchanteur qui n’est pas moins en
possession d’encourager à la vertu par son exemple que de plaire par ses charmes.
Monsieur, Mesdames & Messieurs, j’arrête ici le cours de mes réflexions et l’effusion de mes
sentiments pour ne pas retarder plus longtemps la jouissance délicieuse que va vous procurer
la lecture de la déclaration du roi & du réquisitoire de M. le procureur général. Vous
admirerez dans l’une, les dispositions paternelles d’un roi qui vous aime avec passion, & dans
l’autre l’énergie, les talents & l’éloquence du digne fils & du digne successeur d’un célèbre
magistrat dont la mémoire sera éternellement en vénération dans le sénat de la Bretagne ».
Sources :
Recueil de pièces, actes et discours de félicitations, à l’occasion du rappel de l’universalité
des membres du Parlement de Bretagne au 15 juillet 1769, 1770, in-12°, 380 p. Bibliothèque
municipale de Rennes, 70357, discours 1-4 supra.
Félicitations à l’occasion du rappel de l’universalité des membres du Parlement de Bretagne
au 15 juillet 1769. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, reg. 1Bc 7, discours 5-7 supra.
Précis historique de ce qui s’est passé à Rennes, depuis l’arrivée de M. le Comte de Thiard,
Commandant en Bretagne, Rennes, 1788, 128 p. Archives municipales de Rennes), discours 810 supra.
Protestations de mai 1788. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, reg. 1Bc 15, discours
11-13 supra.
Félicitations au Parlement à l’occasion de son rétablissement (1788). Archives
départementales d’Ille-et-Vilaine, reg. 1Bc 16, discours 14-18 supra.
Centre d’Histoire du droit - Université de Rennes 1
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