Précarité sociale et vieillissement

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Précarité sociale et vieillissement
Vieillir oblige chacun à s’accommoder
des effets de l’âge sur la santé et la
dépendance. Les personnes vivant en
foyer et en résidence sociale vieillissent
précocement. La précarité les rend vulnérables,
et leur isolement est un facteur aggravant.
Comment les professionnels du logement accompagné
peuvent-ils repérer les besoins de ces résidants pour
faciliter leur accès aux droits et aux soins ?
Précarité sociale et vieillissement
Accompagner les personnes vulnérables et isolées
Dès 50 ans, des signes de vieillissement
précoce apparaissent chez les personnes qui vivent en foyer et en résidence.
La plupart sont issues de l’immigration,
mais, de plus en plus, le vieillissement
concerne des personnes nées en France,
ayant connu toute leur vie l’isolement
et la précarité. Les parcours sont
souvent contrastés, mais nombreuses
sont les personnes qui développent tôt
des problèmes de santé et de dépendance liés à leur trajectoire de vie et à
l’avancement dans l’âge. Ce constat,
partagé par les gestionnaires, est
empirique. En l’absence d’étude épidémiologique ou d’approche gérontologique à l’échelle nationale, les adhérents
de l’Unafo multiplient les échanges
de pratiques pour donner une assise
objective à leurs constats.
L‘un d’entre eux est le faible recours
des personnes en perte d’autonomie
aux aides adaptées : services infirmiers,
aide à domicile, portage de repas.
Le docteur Anne Févotte, gériatre
conseil, a conduit deux études pour
Adoma en 2005 et 2007 auprès de
résidants de plus de 60 ans en foyer et
résidence sociale. Parmi eux, 5% des
personnes sont repérées comme étant
en difficulté pour la réalisation des
actes de la vie quotidienne et 9 personnes sur 10 ne disposent pas de services
pour faire face à cette dépendance.
Si l’accès aux services est le droit,
le non-recours à l’aide est la règle.
Un travail permettant l’accès des
personnes vieillissantes en situation
de vulnérabilité à leurs droits est donc
nécessaire. Comment agir en ce sens ?
D’abord en prenant conscience que les
travailleurs migrants, et toutes les
personnes qui n’ont connu que la crise
économique depuis leur entrée dans la
vie active, vieillissent aussi. Pour beaucoup, le foyer ou la résidence sociale
constitue un lieu refuge, où elles
vivent, sinon ensemble, du moins en
sécurité dans la solitude partagée.
Et puis en reconnaissant qu’une des
action habitat - magazine d’information de l’Unafo - n°24 - été 2009
fonctions des résidences sociales est
d’offrir un lieu de vie durable pour
des personnes vulnérables. Comme le
souligne Odile Aubel, responsable de
l’action sociale à l’Alap, "la vocation
des résidences sociales est d’insérer leurs
publics dans des parcours résidentiels.
Or, les vieux migrants ont besoin d’une
gestion sociale spécifique adaptée à
leurs besoins". Quels sont concrètement les besoins ?
Fragilité et isolement
La perte d’autonomie est un risque pour
toute personne qui vieillit. Certaines
pathologies sont plus présentes ou plus
précoces chez les personnes ayant
eu des conditions de travail et de vie
difficiles : maladies professionnelles,
séquelles d’accidents de travail,
difficultés de mobilité, affections
respiratoires, diabète, tuberculose…
Toutefois les résidants ne formulent
pas toujours leurs difficultés, situation
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Photo Ljubisa Danilovic
dossier
dossier
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Groupement régional
de santé publique
que l’on retrouve souvent chez les
personnes vieillissantes, mais renforcée
en cas de revenus faibles, d’écarts
sociaux, culturels ou comportementaux.
Lorsque les besoins apparaissent, il est
parfois trop tard. Avant de trouver des
réponses, il convient de rendre visibles
les particularités du vieillissement des
résidants. Pour cela, Aréli a mis en
place une fonction de veille sanitaire
et d’écoute des résidants.
Au sein d’une structure collective, les
vieux résidants souffrent d’isolement.
La quasi-totalité d’entre eux n’a pas
d’aidants familiaux. Les solidarités
de voisinage fonctionnent pour des
échanges de services, mais face aux
questions d’autonomie, de santé,
de besoin d’une aide, les personnes se
retrouvent seules. Pour organiser le
traitement de la dépendance, il faut
déjà que le destinataire soit conscient
de celle-ci.
Les salariés des structures de logement
accompagné deviennent donc, de fait,
des "aidants naturels". Pour reprendre
le mot du sociologue Abdelmalek Sayad,
les résidences sont "le foyer des sansfoyer".
Il est nécessaire de reconnaître cette
mission des résidences et aussi d’en
mesurer les limites : les gestionnaires
doivent se situer au plus près des
personnes afin d’écouter, comprendre,
alerter, orienter, favoriser les actions
de prise en charge de la perte
d’autonomie par les services de droit
commun, et leur professionnalisation
y est de rigueur.
Les clés pour comprendre
Quels moyens pour organiser une vigilance
sanitaire et sociale au sein des résidences
sociales ?
• AGLS (Aide à la gestion locative sociale). Considérée comme fongible, elle n’est pas toujours versée par les DDASS.
Elle est souvent incertaine d’une année sur l’autre et notifiée trop tardivement. Elle devrait donc être consolidée,
réévaluée, et devenir pérenne pour constituer un outil
permettant de mettre en place des salariés formés aux
nouvelles missions.
• PRAPS (Programmes régionaux d’accès à la prévention et
aux soins). Ceux-ci permettent de financer notamment
des interventions de personnels infirmiers de prévention
et de médiation dans les résidences sociales. Mais ces
aides se heurtent à la même précarité que les autres financements.
• Financements de l’Acsé. Le transfert de la ligne 104 de
l’Acsé vers le ministère de l’Immigration, à compter de
2009, rend incertain, pour le moment, le financement de
certaines actions. Par ailleurs, l’Acsé garde certains domaines d’intervention au titre de l’accès aux droits et aux
services publics, à la santé et aux soins.
Le vieillissement des résidants en résidence sociale
étant un phénomène installé et destiné à durer
dans le temps, ne serait-il pas temps d’imaginer et
de pérenniser des financements en conséquence ?
Organiser une vigilance
sanitaire et sociale
Les gestionnaires veulent pour cela
se doter d’outils. Pour concrétiser sa
volonté de mobiliser son personnel sur
les questions du vieillissement, l’Adef a
initié la mise en place d’un référentiel
de bonnes pratiques, destiné prioritairement aux agents de développement
social, et développé une action de veille
sociale mobilisant le personnel d’entretien, qui joue un rôle de repérage dans
la relation de proximité avec les
résidants. Pour Thierry Nicolosi, directeur de l’action territoriale, "se professionnaliser, c’est apprendre à repérer les
besoins et trouver une réponse sur un
mode professionnel pour faciliter les
prises en charge. C’est à distinguer de
l’empathie ou de la compassion qui peut
pousser un salarié à aller faire les courses
d’un résidant". Mettre en relation le
résidant avec le professionnel qui a la
réponse à son besoin est au cœur de la
gestion locative sociale.
Définir ce rôle d’interface a conduit Api
Provence à faire intervenir des professionnels de santé dans ses structures,
tandis que l’Alap a obtenu, avec Aates
(Résidence de Cluses), le soutien du
GRSP(1) et du conseil général pour la
création d’un poste porté par une association de soins à domicile, avec le
souci "de ne pas se substituer aux services spécialisés, mais de bien accompagner la demande". Au sein d’Adoma
Rhône-Alpes, 5 infirmiers interviennent
pour une mission de médiation-santé
auprès des résidants.
La mise en réseau des compétences
Pour une meilleure prise en compte
des publics âgés, Aléos réalise "une
cartographie de l’environnement au
terme de formations, afin de croiser
les contributions de chacun (gériatre,
médecin, infirmier, psychiatres, services à
la personne) sur son terrain professionnel. Le but n’est pas de faire de nos
salariés des gérontologues, mais d’être
des personnes relais" souligne son
directeur, Dominique Giudicelli.
Ces contributions croisées sont aussi au
cœur du travail de l’Adef qui mobilise
plus d’une dizaine de personnes sur des
actions de mise en réseau au sein d’une
vingtaine de ses établissements.
Cette mission de coordination existe
sur des territoires très concernés par
le vieillissement au sein d’Adoma.
Le coordonnateur mobilise les professionnels de la gérontologie pour faire
avec eux un diagnostic partagé des
difficultés des résidants vieillissants.
Il s’agit aussi de faire du schéma gérontologique, élaboré par les conseils
généraux, un levier pour élaborer des
actions conjointes avec les professionnels de l’accueil des personnes en
situation de précarité sociale, et ceux
qui organisent la prise en charge du
vieillissement.
Adapter l’habitat
Si la prise en charge des résidants est
nécessaire, la question du bâti reste
posée. Le rythme du plan de traitement
des anciens foyers de travailleurs
migrants n’est pas assez rapide, il faut
donc adapter le bâti au vieillissement de
la population. Au sein d’un foyer de 240
places, Aréli a aménagé 40 logements
pour des résidants vieillissants (douche
à fond plat, larges couloirs, ascenseur…). A Aix, Gennevilliers et
Argenteuil, Adoma a procédé à des
adaptations du bâti afin d’améliorer
le confort d’usage des résidants âgés,
et Aléos porte 3 projets pour 2010, sur
lesquels un ergothérapeute diagnostique les attentes des bénéficiaires.
Les effets de l’âge, et la perte d’autonomie qui peut y être liée, créent des
obligations pour le bailleur et le
gestionnaire. L’adaptation des FTM à
une population qui vieillit nous rappelle
la nécessité d’anticiper les évolutions.
Dominique Giudicelli est convaincu
qu’ "en traitant le retard sur la prise en
compte du vieillissement des migrants,
on anticipe la gestion de tous les futurs
vieux résidants, quel que soit leur profil".
Favoriser le maintien à domicile des
personnes vieillissantes en situation
de précarité sociale demande donc
des accommodements réciproques
et raisonnables : pour les personnes
vieillissantes, anticiper les risques de
la dépendance et les prévenir, connaître les services qui permettent d’y faire
face, consentir à des dépenses souvent
modestes, nécessaires pour une prise
en charge ; pour les services de droit
commun, connaître la situation sociale
et culturelle des personnes, le cadre de
vie semi-collectif. Ce rôle de "passeur",
de "médiateur" dans l’accès aux droits
est celui des gestionnaires de foyer et
résidence sociale. Sa condition, c’est
que soient réunis les moyens de la vigilance sanitaire et sociale, de la mise en
réseau des compétences dans un cadre
politique départemental, de l’adaptation et la reconnaissance du parc des
foyers et résidences sociales pour
le maintien à domicile des personnes
en situation de vulnérabilité. "Vieillir,
c’est aborder en terre étrangère" disait
le poète Louis Aragon. Cela est doublement étrange pour des personnes
issues de l’immigration et pour des
personnes en situation d’exclusion
sociale. action habitat - magazine d’information de l’Unafo - n°24 - été 2009
Photo Ljubisa Danilovic
Photo Ljubisa Danilovic
Photo Ljubisa Danilovic
dossier
Une question… trois réponses
“Comment favoriser la prise en charge des publics âgés
vulnérables par les dispositifs et les services de droit commun ?
Marie-Laure Mathieu
Catherine Véronique
En théorie, l’accès aux soins est défini
par l’ouverture aux droits CPAM. C’est
simple.
En réalité, l’accès difficile aux soins
et les inégalités sociales de santé
dépendent des trajectoires de vie. Tout
devient plus compliqué, surtout pour
ceux qui cumulent les facteurs de
vulnérabilité. Dès lors, comment "bien"
vieillir dans la précarité ?
Une réponse financière, parce que les
soins ne sont pas gratuits, passe
par l’ouverture des droits CMU, CMUc,
mutuelles, retraites et pensions diverses.
Une réponse technique consiste à former
le personnel médical et le personnel
social. Les compétences sont là, il ne me
paraît pas utile d’inventer un nouveau
métier. Mais procéder par addition de
compétences ne suffit pas à prendre en
compte les besoins. L’enjeu consiste
davantage aujourd’hui à savoir repérer
concrètement, sur le terrain, qui fait
quoi, où et comment. Pour que chacun
se mette en capacité de détecter les
besoins mal ou peu exprimés, et d’y
apporter sans délai une réponse appropriée. La clé, c’est la mise en réseau des
pratiques professionnelles. Développer
la connaissance de chaque acteur sur
son secteur, c’est ouvrir sur l’échange
de pratiques. Les solutions existent
souvent, sachons où les trouver et
comment les actionner rapidement.
Une réponse politique repose enfin sur
la prise en compte de ces publics dans le
schéma gérontologique départemental,
comme cela existe déjà en Isère et en
Haute-Savoie.
Au sein du Programme régional d’insertion des populations immigrées, nous
avons constaté en Lorraine la difficulté
à rapprocher les vieux migrants des
dispositifs de prise en charge. Le regard
stéréotypé sur les immigrés que l’on
croyait ne pas voir vieillir en France s’est
révélé caduc. Les travailleurs migrants
sont là, vieux et précarisés : c’est un
état de fait. Et ces hommes discrets, qui
ne demandent rien, ne vivent ni leur
corps ni leur santé comme une priorité.
Comment, dès lors, préserver le capital
santé de ceux qui ont passé leur vie à ne
pas en prendre soin ? Bien qu’ils ne
soient pas célibataires, ils vivent seuls,
isolés, sans aucune prise en charge
affective. La solidarité du groupe ne
permet pas d’exprimer leurs besoins de
soins ou d’accompagnement liés à l’âge
et à la perte d’autonomie. Pour eux,
le foyer ou la résidence est une bulle
protectrice, pourvoyeuse de services, et
le personnel peut seul être prescripteur.
Former un référent au sein du personnel
des foyers permettrait de prendre en
compte les spécificités du vieillissement
pour que le droit commun occupe toute
sa place. Le référent serait là concrètement pour adapter un portage de repas
dans une cuisine collective, accompagner une sortie d’hôpital, faire accepter
le principe d’une aide à la toilette,
et atténuer les dysfonctionnements liés
aux allers-retours au pays… et organiser les soins dans la durée. Est-ce utopique parce que coûteux ?
Médecin gériatre du centre
de santé du Vieux temple
à Grenoble
Sous-directrice de l’action
sanitaire et sociale de la CRAM
Nord-Est
action habitat - magazine d’information de l’Unafo - n°24 - été 2009
Brigitte Kuntz
Directrice du pôle soutien
à domicile, Association hautrhinoise d'aide aux personnes
âgées (APA), Mulhouse
Pour accéder aux dispositifs existants,
faut-il encore les connaître. Or, si les
besoins des résidants vieillissants sont
réels, ils ne sont pas formulés.
Ces besoins ne s’expriment pas, il faut
donc les révéler. Pour accompagner
ces personnes qui additionnent vulnérabilité, perte d’autonomie et précarité
financière, il est primordial d‘aller à
leur rencontre. Le rôle des associations
gestionnaires est ici essentiel. Leurs
salariés sont certainement les mieux
placés pour assumer une fonction de
veille, dans un lien régulier qui crée
la confiance avec les résidants. Le
personnel des foyers et des résidences,
c’est en quelque sorte les yeux et les
oreilles de ceux qui ne prennent pas la
parole. Au quotidien, ils repèrent des
signes (quelqu’un qui se lève tard, une
difficulté à se déplacer…), peuvent
identifier un problème, alerter en cas
de besoin et solliciter les réponses
appropriées. C’est au sein des résidences
qu’on peut prendre connaissance des
besoins de santé ou de service à la
personne, et c‘est ici aussi que l’on met
en réseau les professionnels capables
d’apporter les réponses individualisées.
La première rencontre entre un résidant
et un professionnel extérieur est déterminante ; ensuite le bouche à oreille joue
son rôle. Et cette première rencontre naît
d’une mise en relation, conduite le plus
souvent par l’association gestionnaire.
Leur fonction de coordination des
besoins et des réponses ouvre la porte
vers les dispositifs de droit commun.
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