Crime contre l`humanité - Droit international humanitaire

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Crime contre l`humanité - Droit international humanitaire
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FICHE 5.3.2
DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ
1. Définition : origine et fondement
•
A la différence du crime de génocide et des crimes de guerre, il n’existe pas de convention
générale relative aux crimes contre l’humanité. Seules les Conventions des Nations unies de
1968 et européenne de 1974 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité règlent un seul aspect de la problématique, à savoir la question de la prescription.
Les crimes contre l’humanité sont cependant précisément incriminés par les Statuts de
différents tribunaux internationaux et plus particulièrement par celui de la CPI.
•
L’expression « crimes contre l’humanité » a été utilisée pour la première fois en 1915, dans la
Déclaration des gouvernements de la France, du Royaume-Uni et de la Russie dénonçant le
massacre des Arméniens qui se déroulait en Turquie : « Les crimes contre l’humanité et la
civilisation, dont les membres du gouvernement turc seront tenus responsables au même titre
que les agents impliqués dans les massacres. »
•
Le concept de crime contre l’humanité en tant que notion juridique susceptible d’engager la
responsabilité de son auteur, apparaît pour la première fois en 1945 dans le statut du TMI de
Nuremberg (art.6, c)1 (voir fiche 5.5.2); la compétence du Tribunal pour ces crimes contre
l’humanité est toutefois limitée à ceux commis en liaison avec un crime contre la paix ou un
crime de guerre. Cette reconnaissance juridique est la conséquence de la volonté des Etats
vainqueurs de juger les responsables des atrocités commises pendant la Seconde Guerre
mondiale, notamment contre leurs propres nationaux (cas exclus du champ d’application des
crimes de guerre). Ce concept sera également retenu quelques mois plus tard, dans des termes
analogues, pour assigner des hauts dirigeants du régime Showa devant le TMI de Tokyo en 1946.
La notion de crime contre l’humanité est alors fortement liée au contexte historique de la
Seconde Guerre mondiale.
•
En 1993, le Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (voir fiche 5.5.3) a
assoupli la définition du crime contre l’humanité en incluant le contexte des conflits armés non
internationaux et l’a étendue au viol (art. 5)2. En 1994, le Statut du Tribunal pénal
international pour le Rwanda a ensuite fait un pas de plus en supprimant le lien avec les crimes
de guerre ou contre la paix ; par contre, chacun des crimes énumérés dans le Statut du TPIR
doit avoir été commis « dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre
une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique,
ethnique, raciale ou religieuse ». (art. 3)3.
•
En 1998, le Statut de la Cour pénale internationale (CPI) (voir fiche 5.5.4), basé notamment sur
la jurisprudence des deux TPI, harmonise et élargit la définition du crime contre l’humanité et
lui donne une assise conventionnelle solide.
Le Statut précise que pour être qualifié de crime contre l’humanité l’acte incriminé doit avoir
été commis dans le cadre « d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute
population civile et en connaissance de cette attaque » (art.7 §1).
1
Le statut du TMI de Nuremberg définit le crime contre l’humanité comme « l’assassinat, l’extermination, la réduction en
esclavage, la déportation ou tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la
guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils
aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout
crime entrant dans la compétence du tribunal, ou en liaison avec ce crime » (art. 6c).
http://www.icrc.org/dih.nsf/WebART/350-530014?OpenDocument
2
«Le TPIY est habilité à juger les personnes présumées responsables des crimes suivants lorsqu’ils ont été commis au cours
d’un conflit armé, de caractère international ou interne, et dirigés contre une population civile quelle qu’elle soit : (a)
assassinat ; (b) extermination ; (c) réduction en esclavage ; (d) expulsion ; (e) emprisonnement ; (f) torture ; (g) viol ; (h)
persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses ; (i) autres actes inhumains.»
http://www.icrc.org/dih.nsf/WebART/555-06?OpenDocument
3
http://www.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=CC8F4DAA6C8FC203C12563F60061CF29
-1Dossier thématique - Justices pénale et transitionnelle / Crimes contre l’humanité - V 01.06.2011
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Il faut donc:
un contexte particulier : « une attaque généralisée ou systématique ». L’acte doit avoir
été accompli « en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une
organisation ayant pour but une telle attaque » (art.7 §2). Il faut qu’il y ait une sorte de
plan concerté ou de planification à grande échelle ou encore un certain modus operandi
répétitif de la part de l’auteur du fait.
une multitude de faits : le terme « population » renvoie à un caractère collectif. Cela
n’exclut cependant pas l’application de l’incrimination à un fait unique dès lors que ce fait
unique a été commis dans le cadre du contexte particulier de l’attaque généralisée ou
systématique. (Jurisprudence TPI4)
une victime précise : l’attaque doit être lancée contre « une population civile
quelconque » (art.7 §2), c’est-à-dire contre un ensemble de personnes civiles ; étant
entendu que la présence de personnes non civiles qui participent directement au conflit
(combattants qui ont déposé les armes) n’empêche pas une population d’être qualifiée de
civile.
un auteur déterminé [attention à ne pas confondre l’auteur de l’acte concerné (l’individu)
et l’auteur de l’attaque généralisée ou systématique (Etat ou organisation)] : l’acte
concerné doit être commis par un individu dans le cadre d’une attaque qui est le fait d’un
Etat ou d’une organisation (art.7 §2). Les mouvements rebelles ou les milices qui
commettent des exactions contre une population civile sont donc également concernés.
une intention particulière : l’auteur de l’acte concerné doit avoir agit en connaissance de
cause, c’est-à-dire, en sachant que l’attaque s’inscrit dans le cadre d’un plan concerté. S’il
y participe sans connaître ce plan ou sans avoir conscience que son acte est en lien avec ce
plan, l’acte ne pourra pas être qualifié de crime contre l’humanité.
2. Obligations des Etats
Les seules obligations pour les Etats concernant les crimes contre l’humanité sont celles découlant
de leurs engagements dans le cadre du Statut de Rome de 1998. (Voir fiche 5.5.4).
3. Liste des crimes contre l’humanité
La liste des crimes spécifiques répondant à la définition de crimes contre l’humanité a donc été
progressivement élargie entre le Statut du TMI de Nuremberg de 1945 et le Statut de la CPI en 1998.
L'article 7 du statut de la CPI5 définit onze actes constitutifs de crimes contre l'humanité, lorsqu’ils
sont commis « dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute
population civile et en connaissance de l'attaque » :
4
•
Meurtre ;
•
Extermination (c’est-à-dire notamment le fait d'imposer intentionnellement des conditions
de vie, telles que la privation d'accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour
entraîner la destruction d'une partie de la population) ;
•
Réduction en esclavage (c’est-à-dire le fait d'exercer sur une personne l'un quelconque ou
l'ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété y compris dans le cadre de la traite des
être humains, en particulier des femmes et des enfants) ;
•
Déportation ou transfert forcé de population (c’est-à-dire le fait de déplacer de force des
personnes, en les expulsant ou par d'autres moyens coercitifs, de la région où elles se
trouvent légalement, sans motifs admis en droit international) ;
•
Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des
dispositions fondamentales du droit international ;
Voir les décisions du TPIR : Rutaganda du 6/12/99 (§69), Musema du 27/01/2000 (§204), Bagilishema du 7/06/2001 (§77),
Kayishema et Rizindana du 21/05/99 (§123). Voir également les décisions du TPIY : Kordic et Cerkez du 26/02/2001 (§179)
et Blaskic du 3/3/2000 (§206).
5
http://www.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=05A3830938CD171141256696003B4ED2
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•
Torture (c’est-à-dire le fait d'infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances
aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son
contrôle ; l'acception de ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant
uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles) ;
•
Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou
toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable (par « grossesse forcée »,
on entend la détention illégale d'une femme mise enceinte de force, dans l'intention de
modifier la composition ethnique d'une population ou de commettre d'autres violations
graves du droit international. Cette définition ne peut en aucune manière s'interpréter
comme ayant une incidence sur les lois nationales relatives à la grossesse) ;
•
Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre
politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, ou en fonction
d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en
corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la
compétence de la Cour (persécution = le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux
en violation du droit international, pour des motifs liés à l'identité du groupe ou de la
collectivité qui en fait l'objet) ;
•
Disparitions forcées de personnes (c’est-à-dire l’arrestation, la détention ou l’enlèvement
de personnes par un État ou une organisation politique ou avec l'autorisation, l'appui ou
l'assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d'admettre que ces
personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l'endroit où
elles se trouvent, dans l'intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une
période prolongée) ;
•
Crime d'apartheid (c’est-à-dire des actes inhumains analogues à ceux visés ci-dessus,
commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de
domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et
dans l'intention de maintenir ce régime) ;
•
Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes
souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.
4. Conclusions
•
En bref, les crimes contre l'humanité sont des actes inhumains causant intentionnellement de
grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de groupes de
personnes, commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre
toute population civile et en connaissance de l'attaque.
•
On remarquera que beaucoup de faits qualifiés ci-dessus de crimes contre l’humanité sont
identiques à des infractions classiques de droit commun, ainsi qu’à des crimes de guerre. Ils se
distinguent toutefois par le contexte de leur perpétration, et plus précisément par quatre
critères qui sont :
leur gravité, dans la mesure où ils touchent à l’être humain dans ce qu’il a de plus
précieux : sa vie, son intégrité physique, sa liberté ;
leur caractère massif : il s’agit de faits commis contre des « populations civiles » (et
non contre des « individus civils ») « dans le cadre d’une attaque généralisée ou
systématique », et non pas d’actes isolés ;
leur caractère concerté : le Statut de la CPI précise que le fait doit être commis « dans
la poursuite de la politique d’un Etat ou d’une organisation » (art.7 §2a), toute politique
supposant une concertation et une planification préalable ;
et l’intention : pour qu’une personne puisse se voir imputer un tel fait, il faut qu’elle
soit consciente du lien de son crime avec le contexte dans lequel il est perpétré.6
6
Pour plus d’informations sur cette question on se réfèrera utilement à Eric DAVID, Principes de droit des conflits armés,
Bruylant, 2002, pp. 749-759
-3Dossier thématique - Justices pénale et transitionnelle / Crimes contre l’humanité - V 01.06.2011
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•
On soulignera également que les crimes contre l’humanité ne sont pas liés exclusivement au
contexte de la guerre, mais qu’ils peuvent également être commis en dehors de ce contexte de
conflit armé.
•
Par ailleurs, contrairement aux crimes de guerre qui ne peuvent être qualifiés comme tels s’ils
sont commis à l’encontre de membres de sa propre force armée ou de sa propre population
civile, l’auteur des faits qualifiés ci-dessus peut être poursuivi pour crime contre l’humanité
même lorsque ces faits ont été perpétrés à l’encontre de victimes de la même nationalité que
le prévenu.
•
Tous les Etats n’ayant pas ratifié toutes les conventions, le degré d’incrimination des crimes de
guerre peut donc varier d’un pays à l’autre. Toutefois, cette remarque doit être relativisée
dans la mesure où le caractère coutumier de beaucoup d’entre eux et le chevauchement des
textes ont pour résultat que quasiment tous les Etats sont liés par les mêmes incriminations.
•
On rappellera enfin que les crimes contre l’humanité, comme les crimes de guerre, ont été
déclarés imprescriptibles quelle que soit la date à laquelle ils ont été commis, par la Convention
du 26 novembre 1968. Cette imprescriptibilité est confirmée dans le Statut de la Cour Pénale
Internationale du 17 juillet 1998 (article 29).
Sources :
http://www.trial-ch.org/fr/ressources/droit-international/definition-des-crimes.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Crime_contre_l'humanit%C3%A9
Eric DAVID, Principes de droit des conflits armés, Bruylant, 2002, pp. 733-772
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