La Dialectique erronée de l`Unité dans la Diversité I. Introduction II. L
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La Dialectique erronée de l`Unité dans la Diversité I. Introduction II. L
La Dialectique erronée de l’Unité dans la Diversité I. Introduction Le hasard faisant bien les choses, une docteure de la Faculté des lettres de l’Université de Fribourg va présenter d’ici quelques semaines une conférence dans le cadre de son colloque d’habilitation. Cette conférence aura pour thème le sujet suivant : unis par la diversité, les pays qui font de la diversité le ciment de leur unité. Sans en connaître la teneur, on peut facilement envisager que cette conférence trouvera largement sa place dans un langage, voire dans une idéologie dominatrice qui, depuis de nombreuses années, a la faveur de la politique et de la science académique. C’est notamment le cas en Suisse, pays qui, à travers les âges, a fait de la diversité le ciment de son unité. Pourtant, et à contrecourant de la pensée dominante, le présent exposé a pour intention de prendre le contrepied de ce schéma intellectuel qui recèle en lui de nombreux écueils beaucoup plus préoccupants, voire dangereux que cela ne puisse paraître de prime abord. Par conséquent, c’est dans son rapport dialectique avec la diversité que l’unité a pour mission d’imposer certains objectifs politiques et philosophiques et de rester fidèle aux valeurs qui constituent non seulement le ciment, mais aussi l’essence mêmes des pays démocratiques dans lesquels nous vivons et agissons. II. L’idéologie dominatrice de la diversité Face à un discours unitaire d’antan, aux accents parfois totalitaires, la pensée de la diversité apparaît ou apparaitrait désormais comme la garante de la tolérance, du respect de l’autre, sinon de la démocratie. Ainsi la diversité permet à la démocratie non seulement de se maintenir, mais aussi de se propager au-delà d’un espace, par définition, trop limité. Qui prône aujourd’hui la diversité a l’image d’une personne d’ouverture et de progressiste. Pour preuve, « la société multiculturelle » est largement défendue par des groupes et partis politiques, syndicaux, associatifs et citoyens qui partagent cette ambition progressiste et d’ouverture. Pour chaque personne, voulant se montrer sous ses meilleurs aspects, il est alors préférable de se faire l’avocat de la diversité que de se faire celui de l’unité. A) La diversité comme atout politique La diversité constitue un atout politique pour affirmer un sens de la reconnaissance de l’autre. Elle est à l’image d’une société qui refuse l’uniformité et laisse la place « au droit à la différence ». C’est là son grand avantage, mais aussi sa plus grande faiblesse, tant le « droit à la différence » peut facilement se retourner contre celles et ceux qui l’ont toujours prôné. 1. Le droit à la différence est le fruit d’une révolte contre l’ordre établi. Il s’est notamment manifesté dans la protestation étudiante des soixante-huitards et se voulait révolutionnaire, car en conflit voulu avec le conservatisme monocorde et monocolore d’une société reposant sur le principe de l’unicité du bonheur et du confort matériel. 2. En adéquation avec « le droit à la différence », la diversité a permis de s’ouvrir à d’autres cultures et d’ouvrir à ces autres cultures des portes qui leur restaient éternellement fermées. En ce sens, la reconnaissance de la diversité a joué jusqu’alors – et joue encore – un rôle essentiel et salutaire contre le racisme ou autres discriminations visibles ou non. 3. Au nom de ce « droit à la différence », des formes nouvelles et diverses de l’expression citoyenne et des formes de vie ont pu voir le jour sous des aspects fort différents. On pense aux communautés hippies de la fin des années soixante, à l’apparition du concept de convivialité, voire aux luttes et acquis des « nouveaux mouvements sociaux » des années quatre-vingt. Grâce à cette diversité de comportements, les sociétés se sont enrichies, tant sur le plan culturel que sur celui du débat politique et philosophique. Mais, un phénomène contraire s’est également esquissé au cours des années qui ont suivi ce que l’on appeler un peu rapidement « la phase de libération ». B) La diversité comme danger politique L’idée du « droit à la différence » a été repris, dès le début des années septante, par la « nouvelle droite », notamment française, pour affirmer sa différence par rapport à l’ordre démocratique et occidental. D’abord, parole de gauche, voire d’extrême gauche, « le droit à la différence » est devenu par la suite une parole de droite. 1. Selon « la nouvelle droite », le « droit à la différence » permet de garantir la diversité et la pluralité contre la médiocrité et la médiocratie démocratique. La diversité devient alors la garante de l’opposition au political correctness. 2. C’est au nom de la diversité que peuvent s’exprimer des idées antidémocratiques, racistes, xénophobes qui toutes forment le cadre idéologique de l’extrême droite. C’est en tombant dans ce piège que les démocraties occidentales ont permis l’éclosion de mouvements qualifiés de « populistes ». Ayant tous pour dénominateur commun la prétention de se réclamer de la « tolérance », à savoir d’une tolérance qui repose elle-même sur le principe de la diversité, sinon sur celui du refus de l’autre, ils se sont alors affranchis de leur mauvaise image de marque pour gagner une nouvelle forme de respectabilité. 3. De la diversité naît aussi le piège de la « discrimination » qui, selon ses défenseurs, peut au nom d’un certain positivisme, remettre en cause le principe fondamental de l’égalité. Si les discriminations sont condamnables dans leur principe, elles ne peuvent pas trouver grâce auprès de celles et ceux qui se réfèrent, avec toujours plus de difficultés, à la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, selon laquelle « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». III. La Diversité en rupture avec le débat sur les valeurs Par conséquence, est-ce dans l’esprit et la lettre de « la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen » de 1789 qu’il convient d’analyser cette dialectique erronée entre l’unité et la diversité. En référence au texte de la déclaration, c’est « l’utilité commune » et non les distinctions qui doivent primer pour garantir le maintien et le développement des droits de l’homme. Pour l’avoir parfois oublié, nos démocraties ont alors épousé les pensées les plus détestables et les plus dangereuses qui, à l’exemple de ces derniers mois et années, sembleraient trouver un nouvel essor auquel les plus grands adeptes de la diversité n’ont certainement pas prêté l’attention qui aurait dû lui être accordée. A) La diversité comme instrument de division des sociétés démocratiques A l’opposé de la pensée démocratique, la diversité a également favorisé la recrudescence de phénomènes politiques rétrogrades et réactionnaires. En réaction avec l’esprit de construction unitaire, certains modes de pensée plaident, désormais comme naguère, pour une diversification des valeurs et des formes de gouvernance, sans prise en compte des principes mêmes qui régissent la vie et la survie de nos sociétés démocratiques. L’histoire de la construction européenne en fournit un parfait exemple. 1. La construction européenne est un mouvement historique pacifique qui, dans toutes les étapes de son histoire, a privilégié la mise en commun des politiques nationales au profit des politiques européennes. Sans nier les difficultés et les aléas de leur mise en œuvre, force est de constater que l’Europe (de l’Ouest d’abord) va incommensurablement mieux depuis 1945 qu’elle ne l’allait auparavant. Ayant construit son destin autour de la paix, elle s’est toujours heurtée, et se heurtera toujours, à celles et ceux qui, comme en ex-Yougoslavie, au nom d’une certaine diversité, ont été à la source de la guerre. De même la plupart des mouvements anti-européens sont de grands défenseurs de la diversité, à savoir de « la diversité nationale », en d’autres termes du nationalisme. On se souvient alors des mots du Président F. Mitterrand devant le Parlement européen en 1995, selon lesquels « le nationalisme, c’est la guerre ». 2. C’est aussi au nom de cette même diversité que l’on peut bloquer des processus démocratiques. Au-delà du cas spécifique de la Wallonie et du CETA, la question de la diversification régionale et d’un fédéralisme, par nature très « pro diversité », mérite d’être posée sans le moindre tabou. Est-il normal que le fédéralisme national puisse entraver le fédéralisme européen ? Une composante politique, voire un territoire d’un État fédéral peuvent-ils à eux seuls opposer leur veto à une décision prise par une union, soit par un échelon politique nettement plus important et plus représentatif ? Est-ce que les États fédéraux sont en droit de réclamer au sein de l’UE des prérogatives par rapport à des États qui ne le sont pas ? Est-ce que la diversité est en train de condamner l’Europe ? Questions auxquelles l’Europe communautaire devra, tôt ou tard, apporter les réponses nécessaires et indispensables. 3. La diversité peut également s’avérer totalement contreproductive au niveau culturel. Aujourd’hui, la culture qui se veut diverse est très souvent anglo-saxonne et peut succomber à l’uniformité du plus fort. Dans le registre des langues, elle se traduit par une domination d’une seule d’entre elles aux dépens de toutes les autres. L’exemple du Parlement européen illustre parfaitement ce phénomène. En lieu et place de cinq ou six langues officielles, il y en a 23. De fait, seul compte l’anglais qui est l’unique vainqueur de la concurrence des langues, la diversité linguistique ayant rendu les autres presque aléatoires. B) Le nécessaire retour du débat des valeurs La dialectique, erronée ou non, de l’unité dans la diversité, fait intégralement partie du nécessaire renouveau du débat des valeurs. En effet, n’est-ce pas au nom de la diversité que naissent à travers le monde ou, plus proche de nous, des pratiques qui ne sont en aucun cas acceptables ? Présentées souvent sous la rubrique « phénomènes culturels », elles sont l’expression d’une phase de régression (en allemand, on parlerait « d’Abbauprozess ») et non d’une aspiration commune à un monde basé sur le respect des droits de l’homme et de la démocratie. Pour l’avoir trop longtemps nié, il est temps de remettre en cause le « discours bisounours sur la diversité ». 1. Ce « discours bisounours » sur la diversité reste lié à celui, très en vogue il y a quelques années dans le monde anglo-saxon, du « anything goes ». Selon cette approche, la tolérance laisserait la porte à toute forme d’expression, et plus encore, à toute méthodologie et méthode d’expression. De cet «anything goes » est né le « tout est permis », idée issue de la gauche protestataire de la fin des années 60 et reprise désormais par des forces réactionnaires et d’extrême droite. On retrouve ici un débat analogue à celui qui a opposé ces deux camps dans les années septante à propos du « droit à la différence ». 2. Ce toujours même discours se retrouve aujourd’hui dans les discussions et querelles concernant la religion. Si, pour se référer à André Malraux, « le 21e siècle sera spirituel ou ne sera pas », il convient toutefois de souligner que, si le spirituel devait l’emporter sur le politique et la démocratie, le fanatisme et l’intégrisme seraient les grands triomphateurs d’un processus de « machine en arrière », où l’universalité des droits aurait succombé à la particularité, sinon à l’extrême diversité des rites, us et coutumes religieux. En ce sens, et audelà d’un débat idéologique quelque peu éculé, le concept de laïcité mérite plus d’égards et de compréhension qu’il en a reçus, notamment dans les pays qui continuent de le mésestimer, sinon de le dénigrer. 3. En guise de réflexion, sinon de conclusion, ne convient-il pas de se rappeler que les processus d’unité ont souvent permis aux valeurs de progresser ? Pour avoir parfois, et volontairement confondu unité et totalitarisme, les défenseurs de la diversité se sont fait l’apôtre du pluralisme et de la démocratie. Souvent l’histoire leur a donné raison ; aujourd’hui, elle pourrait leur donner tort, tant la diversité permet l’exclusion et l’inégalité. Ces deux concepts ont malheureusement toute leur place dans un débat politique, où il convient encore de préférer « la pensée unique » de la démocratie à la « diversité de la pensée ». D’autant qu’il ne profite qu’à celles et à ceux qui se servent de « l’idéologie dominante » pour renouer avec des idées que l’on croyait définitivement enfouies dans les sombres couloirs de l’obscurantisme. Prof. Gilbert Casasus Études européennes / Faculté des lettres de l’Université de Fribourg Berne, le 17 novembre 2106. ©