Liberté d`association et d`expression, principes, constats et

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Liberté d`association et d`expression, principes, constats et
Liberté d’association et d’expression, principes, constats et
propositions
Allocution de M. Pierre Barge, Président d’honneur de l’AEDH,
A Bruxelles, le 17 octobre 2012
La liberté d’association et d’expression sont des droits fondamentaux garantis par des textes
internationaux et régionaux comme la DUDH, le pacte international relatif aux droits civils et
politiques, au niveau de l’Union européenne par les articles 11 et 12 de la Charte des droits
fondamentaux.
L’exercice du droit d’association implique :
 non seulement la liberté de créer une association, d’y adhérer, ou d’en démissionner
librement ;
 la garantie de la liberté d’expression
 la non ingérence des
gouvernements et institutions publiques dans son
fonctionnement.
Le droit de se regrouper en association implique donc :
 que la législation reconnaisse le droit d’association ;
 que dans les faits, le droit de fonder une association, sous toutes ses formes et pour
tout objet, soit une réalité concrète ;
 qu’il n’y ait pas d’obstacles administratifs et juridiques à sa création ;
 qu’en dehors des cotisations des membres des financements d’origine diverse
puissent être reçues ;
 que la liberté d’expression soit protégée et garantie, y compris quand elle est
menacée par d’autres groupes sociaux hostiles, éventuellement eux-mêmes
encouragés par des gouvernements.
On pourrait citer de nombreux rapports d’ONG, comme ceux de la FIDH, du REMDH, de
l’OIT, qui dénoncent les atteintes au droit d’association et d’expression dans le monde,
notamment en matière de défense des droits de l’Homme ou de la liberté syndicale. C’est
un combat constant pour que ce droit soit non seulement inscrit dans les législations
nationales mais aussi respecté.
Bien entendu ce droit est particulièrement dénié dans les pays non démocratiques, sous les
prétextes les plus divers, souvent au prétexte que ces associations porteraient atteinte aux
intérêts de ces pays, pour ingérence dans les affaires internes, voire pour espionnage et
coalition avec des pays ennemis. C’est le cas pour notre ami Ales Bialiatski dirigeant du
Centre des droits de l'Homme Viasna en Biélorussie, extradé par la Pologne et condamné à
4 ans de prison en Biélorussie. Des faits similaires se passent en Chine, en Russie pourtant
adhérente à la Convention européenne des droits de l’Homme. Mais il en est de même dans
d’autres pays qui peuvent paraitre plus démocratiques comme le Cambodge. Ce dernier met
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en place une législation restrictive concernant le droit d’association, toujours sur le prétexte
que certaines associations peuvent porter atteinte à l’intérêt public.
Dans les faits, on doit constater que les pays non démocratiques sont peu enclins à
respecter le droit d’association et d’expression, mais hélas il en va de même de pays dont
les institutions sont issues du suffrage universel, sont ils pour autant démocratiques ?
Nous pensons que le suffrage universel ne suffit pas pour qu’un Etat soit
démocratique, il faut aussi :
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que les lois qui sont votées soient conformes aux droits fondamentaux
universellement reconnus ;
que l’exercice de la citoyenneté soit effectif, ce qui implique justement le droit de
s’associer, première garantie de cet exercice.
La démocratie n’est pas seulement un acte électoral. Créer une association, là rejoindre, y
être actif est un acte qui contribue à « faire société » et au « vivre ensemble ». La défense
de la liberté d’association est ainsi une façon de faire progresser la démocratie dans le
monde.
Si nous regardons la situation à un niveau plus régional, il suffit de lire la centaine de page
du rapport du réseau euro-méditerranéen des droit des l’Homme, REMDH, pour se
convaincre que la liberté d’association est en péril dans la région euro-méditerranéenne. Un
seul exemple récent, le 5 octobre dernier au Liban a eu lieu un festival pour la liberté
d’expression et pour dénoncer la censure dans ce pays, où sous le couvert officiel de
protection des libertés se cache une politique plus insidieuse. Ainsi le musicien Zeid Hamdan
a dit de la censure : « un cancer qui gangrène la société libanaise », gardé à vue pour une
chanson, il dira de façon cynique : « En Syrie, j’aurais fini égorgé, en Iran emprisonné. C’est
parce qu’il y a de la liberté au Liban que l’on peut jouer avec la censure ».
Encore plus proche de nous l’Union européenne apparait face à ces constats comme
exemplaire. La question qui se pose toujours est de comment regarder les choses : doit on
se réjouir parce que de ce coté de la méditerranée et par rapport au reste du Monde tout va
mieux, où doit on estimer qu’il y a encore à faire et que nous devons encore combattre pour
plus de démocratie, de droits et de liberté citoyenne. C’est bien entendu vers cette dernière
alternative que je penche, car en réalité il y a peu de situations idylliques et chaque
organisation nationale que je représente ici vous le dira. Il existe de grandes différences
entre pays que nous ne pouvons pas développer ici, mais nous pouvons au moins
citer les plus flagrantes restrictions apportées au droit d’association :
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Les droits des minorités ;
Les doits liés à l’orientation sexuelle ;
Les accusations de délits financiers ou fiscaux ;
Le prétexte de la sécurité publique voire de risques de terrorisme.
Je citerai le cas de notre ami, Douros Policarpou, président de KISA, notre membre
Chypriote, qui est constamment poursuivi en justice pour trouble à l’ordre public.
En résumé un tableau plutôt sombre dans l’ensemble du monde, malgré une situation plus
favorable dans les grandes démocraties comme en Europe.
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Cela nous amène à répondre à une autre question, est-ce que la liberté d’association est un
facteur qui accompagne le développement ? Ou encore est-ce que le développement peut
se passer de la démocratie ? Le développement économique semble a priori pouvoir se
passer de démocratie, en tout cas c’est ce qui peut être affirmé par certains. C’est le regard
que l’on peut avoir face à une grande puissance économique comme la Chine. Il nous faut
au préalable nous poser la question de quel développement nous voulons :
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un développement économique ?
un développement humain ?
un développement social ?
Plus simplement : un développement économique au service du social ?
Je pourrais développer ici l’idée que le développement économique seul ne peut exister
sans un minimum de démocratie et de liberté, cependant le temps de mon intervention est
limité.
Mais si nous considérons que le développement doit être au service du social, alors nous
estimons qu’il ne peut y avoir de développement sans concertation entre les acteurs de ce
développement et principalement avec les femmes et les hommes qui en sont
l’aboutissement. Ceci passe bien entendu par :
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la liberté d’expression et par la liberté d’association ;
la liberté syndicale dans l’entreprise ;
l’expression des citoyens dans le développement territorial ;
la garantie par la loi des libertés et des droits, dans ce qui constitue un Etat de droit et
démocratique ;
un espace où l’expression des femmes et des hommes, où l’exercice de la
citoyenneté est une condition nécessaire à un développement harmonieux où prime
l’humain .
Si l'Union européenne :
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se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté,
d'égalité et de solidarité ;
si elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l'État de droit ;
si elle place la personne au cœur de son action ;
si elle est porteuse des valeurs et des droits inscrits dans le traité de Lisbonne et
dans la Charte des droits fondamentaux ;
Alors elle doit exiger que cela soit partagé par les pays tiers avec lesquels elle s’engage
dans des relations, en particulier de voisinage et de partenariat.
C’est là le message constant que nous voulons faire passer. La garantie des libertés et leur
renforcement dans l’Union européenne, la crédibilité en ses valeurs, oblige d’abord à être
exemplaire en interne et ensuite à porter ces valeurs comme une exigence à l’égard des
pays tiers qui sont les partenaires de l’UE.
Ceci nécessite de vérifier et d’exiger :
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 des garanties dans le fonctionnement des associations et des organisations
syndicales sans ingérence ni instrumentalisation ;
 une non discrimination sur le droit de s’associer en fonction des buts poursuivis ;
 des garanties dans la liberté d’expression, d’opinion et d’information y compris quand
elles s’expriment par des rassemblements et des manifestations et la non
pénalisation des associations qui en sont à l’origine ;
 des garanties de protection contre l’intimidation par des tiers et complémentairement
des garanties juridiques données aux associations ;
 Un droit à recevoir des financements, y compris quand ils proviennent de l’étranger ;
Cela nécessite aussi une obligation de dialogue, de consultation et de soutien, y
compris financiers, aux organisations qui sont engagées dans le développement
d’une société démocratique et respectueuse des droits :
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dans les pays concernés ;
ou qui œuvrent de l’extérieur dans ce sens.
Par ces exigences extérieures ce sont nos propres démocraties et nos propres droits que
nous protégeons et que nous renforçons. Car chaque progrès dans les droits est un progrès
pour tous et pour l’ensemble des droits, chaque progrès dans la démocratie est un progrès
pour l’humanité toute entière.
Pierre Barge
Président d’honneur de l’AEDH
Bruxelles le 17 octobre 2012
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