timor oriental, la difficile bataille du droit

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timor oriental, la difficile bataille du droit
Lurdes MARQUES SILVA, Lusotopie 1997, pp. 35-53
TIMOR ORIENTAL,
LA DIFFICILE BATAILLE DU DROIT
Le 28 novembre 1975 naissait l’éphémère République démocratique de
Timor oriental – Républica Democrática de Timor Leste (RDTL) – autoproclamée, que les forces indonésiennes envahissaient le 7 décembre 1975.
Le 17 juillet 1976, le Parlement indonésien officialisait l’annexion en
violation du droit des gens. Par ratification, le territoire devenait la
27E province de l’Indonésie. Le 30 juin 1995, la Cour internationale de
justice de La Haye constatait dans l’affaire « Timor oriental », opposant le
Portugal à l’Australie, que : « Pour les deux Parties le territoire de Timor
oriental demeure un territoire non autonome et que son peuple a le droit à
disposer de lui-même »1.
Le 10 décembre 1996, le comité Nobel attribua conjointement à l’évêque
de Dili, Mgr Carlos Filipe Ximenes Belo, et au représentant du Conseil
national de la résistance maubère (CNRM), José Ramos Horta, le prix Nobel
de la paix en espérant « que cette récompense aiguillonnera les efforts
déployés en vue de trouver une solution diplomatique au conflit fondée sur
le droit des peuples à l’autodétermination ». Mais pour forte qu’elle soit, la
symbolique du Nobel n’est toujours pas la reconnaissance internationale
juridique et politique recherchée par les nationalistes maubères depuis
vingt ans.
Cette bataille avait d’abord été menée contre le Portugal2, aboutissant à
la déclaration d’indépendance de la RDTL par le Fretilin (Frente
revolucionária de Timor Leste independente), pour perdurer ensuite contre
l’Indonésie, autorité occupante de ce qui reste au regard du droit
international un territoire non autonome sous administration portugaise.
La naissance d’un nouvel État, outre les paramètres classiques
répertoriés par le droit international comme éléments constitutifs – un
territoire, une population, une autorité effective – se matérialise
communément
soit
par
1.
2.
Cour internationale de justice, Arrêt « Timor oriental », La Haye, greffe de la Cour
Internationale de Justice, 30 juin 1995, p. 16, § 37.
Sur les résistances indigènes contre l’occupant portugais, cf. R. PÉLISSIER 1996.
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Lurdes MARQUES SILVA
l’acceptation internationale générale d’une déclaration d’indépendance
(Israël), soit par la force des volontés humaines portées le plus souvent
dans les mouvements de libération nationale (Érythrée). Or, ni la
déclaration d’indépendance du Fretilin, ni la lutte de la résistance timoraise
n’ont donné lieu à une reconnaissance établie et unanime de la part de la
communauté internationale.
À une situation politique de fait (la réalité de la présence indonésienne à
Timor oriental) s’oppose une situation juridique de fond : le territoire non
autonome de Timor oriental n’a pas encore été décolonisé.
Comment le droit international en arrive-t-il à de telles conclusions ? Par
quels instruments et sur quelles règles de droit s’appuie-t-il pour définir le
statut juridique de Timor oriental ?
La Cour internationale de justice, dans l’arrêt « Timor oriental », a bien
précisé de nouveau le statut de Timor et réaffirmé à son endroit le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes – « principe essentiel du droit
international contemporain »3 –, son opposabilité – notion d’opposabilité
erga omnes4 –, la qualité de puissance administrante (droits, compétences et
devoirs) ou encore les devoirs de la communauté internationale envers les
peuples qui ne jouissent pas encore de leurs droits à disposer d’eux-mêmes.
Mais elle n’en a pas indiqué les modalités de mise en œ uvre, du fait de son
refus de statuer. Elle s’est déclarée incompétente5.
Timor oriental dans le droit international
La découverte de l’île de Timor par les navigateurs portugais
remonterait à 1512 et la constitution portugaise de 18226 qualifia de
possession coloniale7, et en tant que telle son article 20 IV, partie intégrante
du Royaume-Uni du Portugal, Brésil et Algarves. On retrouve cette
désignation dans la Charte constitutionnelle de 1826 (Article2, § 3) et dans
la Constitution de 1838 (Article 2). Le Portugal devint une République en
1910 et la nouvelle Constitution républicaine de 1911 mentionna que « le
territoire de la nation portugaise est celui existant à la date de proclamation
de la République » (Article 2), ce qui inclut Timor oriental. L’Acte colonial
de 1930 et la Constitution de 1933 réaffirmèrent cette définition (Article 1
du titre II).
3.
4.
5.
6.
7.
Cour internationale de justice, op. cit., p. 13.
Un droit opposable erga omnes est un droit opposable universellement, indépendamment
du fait que les États aient ou non contracté des engagements spécifiques à son égard. Dans
l’arrêt Barcelona Traction du 5 février 1970, la CIJ avait mentionné que, vu l’importance de
ces droits, tous les États pouvaient être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que
ces droits soient protégés (à titre indicatif et non exhaustif, la Cour avait mentionné comme
obligations erga omnes l’interdiction de l’esclavage, l’interdiction du génocide, l’interdiction
de la discrimination raciale… ).
« La Cour conclut qu’elle ne saurait, en l’espèce, exercer la compétence qu’elle tient des
déclarations faites par les Parties conformément au paragraphe 2 de l’article 36 de son
statut… », op. cit., § 35.
Date à laquelle le Portugal se dota d’un régime constitutionnel.
Jusqu’en 1951, Timor oriental est considéré comme une possession coloniale ou une
dépendance des possessions coloniales, même si sa dénomination a varié (il est appelé tour
à tour « province d’outre-mer » ou « colonie »).
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Le statut de Timor oriental en droit international
En 1951 le Portugal modifia par révision constitutionnelle la
dénomination de ses colonies qui redevinrent des « provinces d’outremer ». En opérant un changement de vocabulaire, le régime dictatorial
entendait se prémunir contre les prévisibles attaques concernant
l’applicabilité aux colonies portugaises de l’article 73 de la Charte des
Nations unies8. Lorsque le Portugal devint membre de l’Organisation des
nations unies en 1955, il considèra ainsi qu’il n’était pas un État colonial.
Tel ne fut pas l’avis de l’organisation internationale qui, par la résolution
1542 (XV) du 15 décembre 1960, décida de classer les « provinces d’outremer » portugaises dans la liste des territoires non autonomes, au sens du
chapitre XI de la Charte9. Le Portugal devint donc au regard du droit
international, depuis cette date précise, la puissance administrante du
territoire de Timor oriental.
Jusqu’à la Révolution des Œ illets, le Portugal refusa de s’acquitter de ses
obligations en tant que puissance administrante et ne communiqua à
l’Organisation aucun renseignement sur les territoires dont il était devenu
contre son gré, la puissance administrante.
Suite aux changements politiques survenus le 25 avril 1974, le Conseil
d’État promulgua la loi constitutionnelle 7/74 du 27 juillet 1974 qui abrogea
l’ancienne définition territoriale de la République portugaise et reconnut le
principe de l’autodétermination de ses « provinces d’outre-mer ».
La Constitution portugaise fit référence à Timor oriental en mentionnant
que :
« 1. Le Portugal continue d’être lié par les responsabilités qui lui incombent,
conformément au droit international, de promouvoir et de garantir le droit à
l’autodétermination et à l’indépendance de Timor oriental. 2. Le président de
la République et le gouvernement sont chargés d’édicter tous les actes
nécessaires à la réalisation des objectifs exprimés au paragraphe
précédent »10.
Ainsi, alors que différentes formations politiques prenaient forme dans
l’île, le gouvernement portugais par l’intermédiaire de son représentant, le
gouverneur Lemos Pires, établissait un calendrier pour un processus
d’autodétermination à Timor.
Ce processus se concrétisa par la loi 7/75 du 17 juillet 1975. Celle-ci
prévoyait la formation d’un gouvernement de transition qui serait chargé
de préparer l’élection d’une Assemblée populaire pour l’année 1976. Ce
gouvernement devait comprendre un haut-commissaire nommé par le
Portugal et cinq membres dont deux devaient représenter le gouvernement
portugais et trois être choisis parmi les représentants des partis politiques
du
8.
L’article 73 de la Charte des Nations unies mentionne que : « les membres des Nations unies
qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations
ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de la
primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme mission sacrée
l’obligation de favoriser dans toute la mesure du possible leur prospérité [… ], de développer
leur capacité de s’administrer elles-mêmes, de tenir compte des aspirations politiques des
populations et de les aider dans le développement progressif de leurs libres institutions
politiques … ».
9. Le chapitre xi régit la situation des territoires non autonomes.
10. Article 293 de la Constitution portugaise : « Autodeterminação e independência de Timor Leste ».
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territoire. La loi prévoyait également la formation d’un Conseil du
gouvernement de transition, organe consultatif comprenant deux membres
élus par chaque conseil régional et quatre membres élus par chaque parti
politique. L’Assemblée populaire, dont l’élection devait avoir lieu au
suffrage universel direct et au scrutin secret, devait décider du futur statut
politique du territoire.
La loi 7/75 prévoyait enfin que, sauf si l’Assemblée populaire ou le
gouvernement portugais en décidait autrement, la souveraineté portugaise
prendrait fin en octobre 1978. Cette loi ne sera pas appliquée.
Un semblant de guerre civile commença dans le territoire11. Le
7 décembre 1975 les troupes indonésiennes envahirent Timor oriental dont
le Portugal perdit le contrôle. Le 8 décembre, les autorités portugaises
retranchées dans l’île d’Atauro12 quittaient définitivement le territoire après
avoir rompu les relations diplomatiques avec l’Indonésie et demandé une
réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies13.
Depuis, la décolonisation du territoire non autonome de Timor oriental
reste un impératif constitutionnel, la Constitution portugaise en vigueur lui
consacrant un article.
Depuis le 15 décembre 1960, date de son incorporation dans la liste des
territoires non autonomes, le Timor oriental continue donc d’être qualifié
dans l’ordre juridique international de territoire non autonome ; et le
Portugal de puissance administrante ; l’annexion indonésienne reste
déclarée nulle et non avenue.
Le peuple maubère est maintenu dans son droit à disposer de lui-même
sans avoir à ce jour pu se prononcer sur son avenir.
Les prises de position de l’ONU
Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale
La première résolution du Conseil de sécurité des Nations unies
concernant Timor oriental fut votée le 22 décembre 1975. La résolution 384
« demande au Gouvernement indonésien de retirer sans délai toutes ses
forces du territoire ». La deuxième et dernière résolution du Conseil de
sécurité à ce jour fut votée l’année suivante, le 22 décembre 1976. La
résolution 389 réitéra sa demande à l’Indonésie. Si, depuis 1976, Timor
oriental n’a plus fait l’objet de résolution au Conseil de sécurité, il est resté à
l’ordre du jour de l’Assemblée générale jusqu’en 1982, date du dernier vote
d’une résolution14.
Le comité des vingt-quatre15 reste à ce jour saisi de la question du Timor
oriental en sa qualité de territoire non autonome.
11. « La guerre civile fait rage dans la zone portugaise », Le Monde, 27 août 1975.
12. L’île d’Atauro fait partie du territoire de Timor oriental. Elle se situe au large de Dili
13. Lettre datée du 7 décembre 1975 adressée au président du Conseil de sécurité par le
représentant du Portugal, New York, Conseil de sécurité, document S/11899.
14. Résolution 37/30 du 23 novembre 1982.
15. Ou comité de la décolonisation.
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La Cour internationale de justice
Le 22 février 1991, l’ambassadeur de la République portugaise aux PaysBas déposait aux greffes de la Cour internationale de justice une requête
introductive d’instance contre le Commonwealth d’Australie au sujet de
« certains agissements de l’Australie se rapportant à Timor oriental ». Selon
la requête, l’Australie aurait, par son comportement, « méconnu [… ]
l’obligation de respecter les devoirs et les compétences du Portugal en tant
que puissance administrante de Timor oriental et le droit du peuple de
Timor oriental à disposer de lui-même ».
L’affaire du Timor Gap
Lors des accords du 18 mai 1971 et du 9 octobre 1972, l’Australie et
l’Indonésie avaient défini leurs droits respectifs sur le plateau continental
des mers d’Arafura et de Timor. Ces accords laissaient en dehors de la
délimitation la zone faisant face à la côte de Timor oriental. Cet intervalle
(gap) laissé en suspend du fait de son appartenance à Timor portugais, est le
Timor Gap.
L’Australie, en laissant en suspend l’intervalle, reconnaissait que la
délimitation de la frontière maritime dans cet espace ne concernait que
l’Australie et ce même territoire. Les éléments disponibles faisaient état
d’un grand potentiel d’hydrocarbures dans le plateau continental de la zone
du Timor Gap.
Mais en 1979, l’Australie s’engagea dans des négociations relatives à
l’exploration, l’exploitation et la délimitation de la zone dite du Timor Gap
avec un État tiers par rapport à Timor oriental, l’Indonésie. Les
négociations aboutirent, le 11 mars 1989, à la signature d’un document
dénommé « Traité entre l’Australie et la République d’Indonésie relatif à la
zone de coopération établie dans un secteur situé entre la province
indonésienne du Timor oriental et l’Australie septentrionale ».
L’accord de 1989 établissant la zone de coopération fut un arrangement
provisoire en attendant la délimitation du plateau entre les parties. Sa
durée est de quarante ans, renouvelable par périodes successives de vingt
ans. Il cessera d’être en vigueur lorsque les deux co-contractants auront
conclu un accord de délimitation définitive du plateau continental dans le
secteur couvert par la zone de coopération.
La substance de l’accord était de permettre l’exploration et l’exploitation
des ressources pétrolières du plateau continental du Timor Gap. La zone de
coopération couvrait une superficie de 67 800 km2 et était divisée en trois
aires : A, B et C16.
16. Carte du partage en trois aires de la zone de coopération du Timor Gap.
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Les aires B et C étaient conçues comme un espace d’exploration,
d’exploitation et de juridiction de l’un des États parties, l’autre ayant droit
à une part des revenus fiscaux perçus. L’aire A était conçue comme un
espace d’exploration, d’exploitation et de juridictions conjointes, chacun
des États agissant par le biais d’une « Autorité conjointe » sous le contrôle
d’un « Conseil ministériel ».
Le Portugal fit part de ses objections à la négociation puis à la conclusion
d’un traité ayant pour objet l’exploitation de ressources naturelles d’un
territoire non autonome placé sous son administration17.
Les négociations sur le Timor Gap commencées à Canberra en février
1979 témoignaient en outre de la reconnaissance de jure de la part de
l’Australie de l’incorporation de Timor oriental à l’Indonésie. C’est-à-dire
que l’Australie reconnaissait explicitement que l’Indonésie exerçait sa
souveraineté sur le territoire18.
Le contenu de la requête portugaise
Le Portugal décida de porter l’affaire devant la Cour internationale de
justice, par la requête introductive d’instance enregistrée au Greffe de la
Cour. Le 22 février 1991, il demanda à la Cour de :
« 1) Dire et juger que, d’une part, les droits du peuple de Timor oriental
à disposer de lui-même, à l’intégrité et l’unité de son territoire et à la
souveraineté permanente sur ses richesses et ressources naturelles et,
d’autre part, les devoirs, les compétences et les droits du Portugal en tant
que puissance administrante du Territoire du Timor oriental sont
opposables à l’Australie, laquelle est tenue de ne pas les méconnaître et de
les respecter.
2) Dire et juger que l’Australie, du fait d’avoir négocié, conclu et
commencé l’exécution de l’accord [… ], ainsi que d’avoir pris des mesures
législatives internes pour son application, et de négocier toujours avec l’État
partie à cet accord la délimitation du plateau continental dans la zone du
"Timor Gap", du fait ensuite d’avoir exclu toute négociation avec la
Puissance administrante quant à l’exploitation et l’exploration du plateau
continental dans la même zone, du fait enfin de se proposer d’explorer et
d’exploiter le sous-sol de la mer dans le "Timor Gap" sur la base d’un titre
plurilatéral auquel le Portugal n’est pas partie (chacun de ces faits étant, à
lui seul, suffisant) :
a) a porté atteinte au droit du peuple de Timor oriental à disposer de
lui-même, à l’intégrité et à l’unité de son territoire et à sa souveraineté
permanente sur ses richesses et ressources naturelles et viole l’obligation
de ne pas méconnaître et de respecter ce droit, cette intégrité et cette
souveraineté ;
b) a porté atteinte aux compétences du Portugal comme puissance
administrante du Territoire de Timor oriental, fait obstacle à
l’accomplissement de ses devoirs vis-à-vis du peuple de Timor oriental
et de la communauté internationale, offense le droit du Portugal à
17. Documents de protestation du Portugal datés du 19 sept.1985, du 9 sept. et 31 oct. 1988, du
30 oct. et 13 déc. 1989 et du 11 févr. 1991. Voir aussi le document de l’Assemblée générale,
lettre datée du 9 novembre 1988 adressée au secrétaire général par le représentant
permanent du Portugal auprès de l’Organisation des nations unies.
18. À ce jour l’Australie est le seul membre de la communauté internationale à avoir accepté
explicitement l’incorporation du territoire à la République d’Indonésie.
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accomplir ses responsabilités, et viole l’obligation de ne pas méconnaître
et de respecter ces compétences, ces devoirs et ce droit ;
c) enfreint les résolutions 384 et 389 du Conseil de sécurité et, par
conséquent, viole l’obligation d’acceptation et d’application des
résolutions de ce Conseil imposée par l’article 25 de la Charte des
Nations unies et, plus généralement, viole les devoirs de coopération, de
bonne foi, avec les Nations unies, propres des États membres.
3) Dire et juger que, de par le fait d’avoir exclu et d’exclure toute
négociation avec le Portugal en tant que puissance administrante du
Territoire de Timor oriental, quant à l’exploitation et l’exploration du
plateau continental dans la zone du "Timor Gap", l’Australie a manqué et
manque au devoir de négocier pour harmoniser les droits respectifs en cas
de concours de droits ou de prétentions sur les espaces maritimes.
4) Dire et juger que, de par les violations mentionnées aux paragraphes 2
et 3 des présentes conclusions, l’Australie a engagé sa responsabilité
internationale et causé préjudice, dont elle doit réparation au peuple de
Timor oriental et au Portugal, sous les formes et selon les modalités qu’il
appartient à la Cour d’indiquer.
5) Dire et juger que l’Australie est en devoir, vis-à-vis du peuple de
Timor oriental, du Portugal et de la communauté internationale, de cesser
toute violation des droits et des normes internationales visées aux
paragraphes 1, 2 et 3 des présentes conclusions, et notamment, jusqu’à ce
que le peuple de Timor oriental ait exercé son droit à disposer de lui-même,
dans les conditions fixées par les Nations unies :
a) de s’abstenir de toute négociation, signature ou ratification de tout
accord avec un État autre que la Puissance administrante concernant la
délimitation, ainsi que l’exploration et l’exploitation du plateau
continental, ou l’exercice de la juridiction sur celui-ci, dans la zone du
"Timor Gap" ;
b) de s’abstenir de tout acte relatif à l’exploration et à l’exploitation
du plateau continental dans la zone du "Timor Gap" ou à l’exercice de la
juridiction sur ce plateau, sur la base de tout titre plurilatéral auquel le
Portugal, en tant que Puissance administrante du Territoire de Timor
oriental, ne serait partie »19.
Autour de débats théoriques sur le principe du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes et sur la qualité de puissance administrante, le
Portugal souleva le problème de savoir si l’Australie avait engagé sa
responsabilité internationale du fait d’avoir initié les négociations du Timor
Gap avec l’Indonésie. Le Portugal développa une conception du droit
international qui voudrait qu’un acte interne (ratification du traité Timor
Gap) contraire à une norme de droit international (droit du peuple de Timor
oriental à disposer de lui-même, droit sur ses ressources naturelles… )
pourrait être à l’origine d’une responsabilité internationale en tant qu’acte
faisant obstacle à l’application de ce droit.
19. Cour internationale de justice, Mémoire du gouvernement de la République portugaise, 18 nov.
1991, pp. 235-237.
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Dans le mémoire du gouvernement de la République portugaise déposé
le 18 novembre 1991 auprès de la Cour internationale de justice, le Portugal
rappelait l’objet du différend qui était la négociation et la conclusion du
traité relatif au Timor Gap, mais précisait toutefois qu’il ne demandait pas à
la Cour de se prononcer sur la validité du traité. Le Portugal soulignait que
la requête introductive d’instance portait avant tout sur le droit du peuple
de Timor oriental à disposer de lui-même et sur le respect de la qualité du
Portugal en tant que Puissance administrante du Territoire :
« Le différend porte avant tout sur l’opposabilité [souligné dans le texte] à
l’Australie du droit du peuple de Timor oriental à disposer de lui-même, et
des pouvoirs et devoirs du Portugal comme puissance administrante du
territoire. Le Portugal soutient que tous les États et en particulier tous les
États membres des Nations unies ont le devoir de respecter [idem] le droit du
peuple de Timor oriental à disposer de lui-même et de favoriser [idem]
l’exercice de ce droit. Il soutient aussi que ce devoir implique, par lui-même,
celui de respecter les pouvoirs et les devoirs de la puissance
administrante »20.
Le Portugal prétendait donc que l’Australie avait de par sa conduite
engagé sa responsabilité internationale et qu’elle en devait réparation au
peuple de Timor oriental et au Portugal : « Il estime que l’Australie, en
méconnaissant [… ] le droit du peuple de Timor oriental à disposer de luimême, et les droits et les qualités qui lui sont connexes, a engagé sa
responsabilité internationale »21.
Le contenu de la requête australienne
Dans son contre-mémoire du 1er juin 1992 et dans la duplique du
gouvernement australien du 1er juillet 1993, l’Australie, fonda sa défense
sur deux idées centrales. D’une part, elle estima que la Cour ne pouvait
exercer sa compétence dans l’affaire et d’autre part, elle considéra qu’il n’y
avait pas de réel litige entre les deux parties présentes à l’instance :
« Dans la présente affaire, le Portugal semble réticent à indiquer le
véritable fondement de ses prétentions [ce qui] s’expliquerait par le fait que
le véritable différend qu’envisage le Portugal n’a rien à voir avec le différend
qu’il a allégué en saisissant la Cour ».
L’Australie prit soin de souligner qu’elle reconnaissait le droit du peuple
de Timor oriental à disposer de lui-même mais qu’elle contestait le droit
d’agir du Portugal au nom du peuple de Timor oriental :
« La conclusion de l’Australie quant au droit d’agir du Portugal en tant
que puissance administrante est très simple : même si le Portugal est qualifié
de puissance administrante par l’Organisation des nations unies à certaines
fins, le fait qu’il n’exerce pas une autorité effective sur le territoire de Timor
oriental signifie qu’il n’a pas la capacité d’engager la présente instance contre
l’Australie »22.
L’Australie centra toute sa défense sur l’irrecevabilité de la requête,
alléguant que la Cour ne pouvait pas juger de l’affaire portée devant elle
20. Ibid., § 3.01, p. 73.
21. Ibid., § 3.03, p. 73.
22. Cour internationale de justice, Duplique du gouvernement de l’Australie, 1er juil. 1993,
§ 133, p. 59.
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sans le consentement de l’Indonésie, État tiers. À cette fin l’Australie
s’appuya sur la doctrine dite de « l’or monétaire »23.
Cette jurisprudence de la Cour rappelle en effet un des principes
fondamentaux du droit international qui mentionne que pour les
règlements des différends sur le plan international la compétence des
tribunaux internationaux dépend en dernière analyse du consentement des
États et qu’aucun État souverain ne saurait être partie à une affaire s’il n’y a
pas consenti. Les propres statuts de la Cour internationale de justice font
état de cette philosophie qui prône avant tout le respect de la souveraineté
des États. Ainsi aucun État ne peut être partie à une procédure contentieuse
devant la Cour s’il n’a pas souscrit à la clause facultative d’acceptation de
juridiction de celle-ci24.
Cela explique bien pourquoi la procédure contentieuse engagée devant
la Cour l’a été contre l’Australie qui a accepté la juridiction de la Cour et
non pas contre l’Indonésie qui n’a pas, elle, accepté sa juridiction. Cela
explique aussi que le Portugal ne demande pas à la Cour de se prononcer
sur la validité du traité, car elle devrait, si telle requête lui était faite, se
prononcer sur des actes imputables à l’Indonésie, ce qu’elle ne pourrait
faire pour la raison mentionnée ci-dessus.
L’Australie soutint que si la Cour décidait de statuer sur la licité de ses
actes pour avoir négocié puis conclu le traité Timor Gap en excluant toute
négociation avec la puissance administrante, la Cour devrait
nécessairement examiner la validité du traité en démontrant que
l’Indonésie n’avait pas de droits exclusifs sur le territoire alors que le
Portugal en aurait. Elle devrait donc nécessairement se prononcer sur la
validité de l’entrée et de la permanence de l’Indonésie à Timor oriental, ce
qu’elle n’est pas en droit de faire sans le consentement de cette dernière.
L’Australie contesta donc la qualité pour agir du Portugal. Pour elle,
même si le Portugal continue d’être qualifié de puissance administrante de
Timor oriental, le fait qu’il ait perdu toute autorité effective sur le territoire
lui retirait sa capacité d’engager le litige dans la présente instance en nom
du peuple de Timor oriental. La question fondamentale qui se pose ici est
celle de la capacité pour agir d’une puissance administrante qui a perdu le
contrôle effectif du territoire placé sous son administration25.
23. Affaire contentieuse portée devant la Cour sur L’or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie
contre France, Royaume-Uni et États-Unis). Cette affaire porta sur une certaine quantité d’or
pris à Rome par les Allemands en 1943. Par la suite cet or fut récupéré en Allemagne et
reconnu appartenir à l’Albanie. L’accord concernant les réparations à recevoir de
l’Allemagne (1946) prévoyait que l’or monétaire récupéré en Allemagne serait réuni en une
masse commune pour être réparti entre les ayants droit. Le Royaume-Uni soutenait que l’or
devait lui être remis à titre d’exécution partielle de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire
du détroit de Corfou en 1949. L’Italie soutenait que l’or devait lui être remis à titre de
réparation partielle des dommages qu’elle prétendait avoir subis par suite d’un décret
albanais du 13 janvier 1945. Par la déclaration de Washington du 25 avril 1951, les
gouvernements français, britannique et américain, à qui était confiée l’exécution des
dispositions de l’accord concernant les réparations, décidèrent que l’or serait remis au
Royaume-Uni, à moins que dans un certain délai l’Italie ou l’Albanie n’eussent saisi la Cour
pour l’inviter à statuer sur leurs propres droits. L’Albanie n’intervint pas mais l’Italie saisit
la Cour d’une requête. Dans son arrêt du 15 juin 1954, celle-ci déclara qu’elle ne pouvait
connaître d’un différend entre l’Italie et l’Albanie sans le consentement de l’Albanie et
qu’elle ne pouvait donc statuer en l’espèce.
24. C’est-à-dire que les États, par un acte unilatéral, font une déclaration, prévue à l’article 36
alinéa 2, selon laquelle ils entendent reconnaître d’une manière obligatoire la juridiction de
la Cour.
25. La théorie des effectivités représente un penchant de la doctrine juridique, cependant
certains cas comme celui de la Rhodésie du Sud relèvent d’une autre acception du droit
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L’argumentation de l’Australie se fonde sur le fait qu’elle a
souverainement le droit de traiter avec l’Indonésie en tant qu’État qui
possède le contrôle effectif du territoire. Autrement dit, l’Australie
considère comme une prérogative de sa souveraineté de reconnaître
unilatéralement une situation de fait (c’est-à-dire la réalité de la présence de
l’Indonésie à Timor oriental) indépendamment du fait que cette situation ait
été créée en violation d’une règle de droit et que les résolutions des Nations
unies l’exhortent à ne pas le faire, ici en concluant un accord de délimitation
des frontières maritimes avec l’État côtier et elle-même.
La réponse de la Cour internationale de justice
La Cour dans son arrêt du 30 juin 1995 s’est inspirée de la doctrine de
l’or monétaire pour rejeter la requête portugaise. Par quatorze voix contre
deux, les juges suivirent l’argumentation de l’Australie et dirent que
« la question fondamentale en l’espèce est en définitive de savoir qui, du
Portugal ou de l’Indonésie, avait, en 1989, le pouvoir de conclure pour le
compte de Timor oriental un traité concernant son plateau continental »26.
La Cour ajouta qu’« il ne lui est pas possible de porter un jugement sur
le comportement de l’Australie sans examiner d’abord les raisons pour
lesquelles l’Indonésie n’aurait pas pu licitement conclure le traité de 1989
alors que le Portugal aurait pu le faire » (§ 28). Ainsi qu’elle l’indique : « Les
droits et les obligations de l’Indonésie constitueraient dès lors l’objet même
d’un tel arrêt, rendu en l’absence du consentement de cet État » (§ 35).
La Cour ne retient donc pas l’argument présenté par le Portugal selon
lequel, s’agissant du droit d’un peuple à disposer de lui-même, en tant que
droit opposable erga omnes, la Cour pourrait statuer sur les obligations de
l’Australie, prise individuellement, sans avoir à juger des actes d’un État
tiers, en l’occurrence l’Indonésie. La Cour rejeta cette allégation en faisant
valoir qu’elle ne pouvait, dans l’affaire du traité Timor Gap, dissocier le
comportement de l’Australie de celui de l’Indonésie.
La Cour choisit donc de respecter la souveraineté des États en ne la
limitant ni sur les questions d’obligations erga omnes, ni sur la question du
jus cogens27. La Cour prit aussi soin de distinguer l’opposabilité erga omnes
du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la règle de consentement à
sa juridiction.
La Cour approuva cependant l’affirmation du Portugal selon laquelle le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit opposable erga
omnes. Mais elle rappela que « l’opposabilité erga omnes d’une norme et la
règle du consentement à la juridiction sont deux choses différentes » (§ 29).
Car pour les juges internationaux :
« Quelle que soit la nature des obligations invoquées, la Cour ne saurait
statuer sur la licité du comportement d’un État lorsque la décision à prendre
implique une appréciation de la licité du comportement d’un autre État qui
international. Dans cette affaire, malgré les allégations du gouvernement du Royaume-Uni
selon lesquelles il n’avait pas le pouvoir effectif sur le territoire de la Rhodésie du Sud
jusqu’à l’octroi de l’indépendance du Zimbabwe en 1980, les Nations unies ont traité le
Royaume uni en puissance administrante du territoire non autonome de Rhodésie du Sud.
26. COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Arrêt « Timor oriental », op. cit., § 27.
27. Une norme de jus cogens est une norme de droit impératif, hiérarchiquement supérieure aux
autres.
TIMOR ORIENTAL, LA DIFFICILE BATAILLE DU DROIT
45
n’est pas partie à l’instance. En pareil cas, la Cour ne saurait se prononcer
même si le droit en cause est opposable erga omnes » (ibid.).
En ce qui concerne l’identification du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes comme norme de jus cogens, là aussi la Cour resta prudente :
elle énonça qu’il s’agissait « d’un des principes essentiels du droit
international contemporain » (ibid.), mais elle ne fit pas mention du terme
jus cogens, ni ne parla pas d’un droit impératif.
L’opinion dissidente du juge Weeramantry
Une opinion dissidente jointe à l’arrêt souligna le manque d’effectivité
dont continuent à souffrir des principes juridiques tels que le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes. Bien que destinataires du droit en
question, les peuples n’ont pas la capacité juridique internationale qui leur
permettrait, dans des instances telles que la Cour internationale de justice,
de faire valoir leur droit.
Le juge Weeramantry énonça, dans son opinion individuelle, que la
Cour aurait dû statuer et rejeta l’applicabilité de la doctrine de l’or monétaire
à la présente affaire. Selon lui la Cour s’arrête pour ainsi dire « au seuil de
l’affaire »28, c’est-à-dire qu’en déclarant la requête du Portugal irrecevable,
elle n’étudie pas la qualité du Portugal pour introduire l’instance au nom
du peuple de Timor oriental, n’étudie pas l’effet juridique des résolutions
des Nations unies, n’étudie pas les droits du peuple de Timor oriental à
l’autodétermination et à la souveraineté permanente sur ses ressources
naturelles, n’examine pas, enfin, les obligations des États en application du
principe d’autodétermination. Il rappelle à toutes fins utiles que dans
l’affaire en cause l’Australie reconnaît que Timor oriental est un territoire
non autonome, que l’ONU considère le Portugal comme puissance
administrante et qu’à ce jour l’Organisation n’a reconnu à aucun autre État
l’autorité sur le territoire. Il note cependant que l’Australie malgré ceci
« n’a demandé à l’Organisation des Nations unies ni instruction ni
autorisation avant de conclure ledit traité29, bien que Timor oriental demeure
un territoire non autonome et que l’ONU n’en ait pas reconnu
l’incorporation à l’Indonésie » (Traité de Timor Gap, p. 9, pt. n).
Toute la pertinence de l’exposé du juge reposait sur les remarques
suivantes : d’une part, « jamais le peuple de Timor oriental n’a consenti au
traité, directement ou par l’intermédiaire d’un mandataire dûment
désigné » (ibid., pt. q), d’autre part, « l’Australie a conclu un traité qui
pourrait entraîner pour le peuple de Timor oriental la perte définitive de
ressources naturelles non renouvelables » (ibid., pt. s). Il insiste aussi sur un
point fondamental : il n’incombe pas qu’à la puissance administrante de
protéger les biens d’un territoire qui n’a pas encore accédé à l’autonomie,
mais à l’ensemble de la communauté internationale, à chaque membre de
cette communauté pris individuellement, de le faire. Il mentionne que :
« le droit d’un peuple non autonome à la souveraineté permanente sur ses
ressources naturelles a pour caractéristique essentielle que la communauté
internationale est tenue de protéger ses biens pour lui » (ibid.).
28. « Opinion dissidente du juge Weeramantry et du juge ad-hoc Skubiszewski,… », in Arrêt «
Timor oriental », op. cit., introduction.
29. Traité du Timor Gap.
46
Lurdes MARQUES SILVA
La puissance administrante a le devoir de faire respecter les droits d’un
peuple placé sous son administration, c’est une obligation juridique. Pour le
reste de la communauté, il s’agit certes d’une obligation juridique (celle de
se conformer aux prescriptions de la Charte) mais aussi, et peut-être dironsnous surtout, d’une obligation morale. Ainsi qu’il l’indique fort justement,
« si le peuple de Timor oriental a le droit erga omnes à disposer de luimême, il existe à la charge de tous les États membres une obligation de
reconnaître ce droit. Soutenir le contraire revient à vider le droit de son
contenu essentiel et, par là, à nier son existence même » (op. cit., p. 54) :
« La Charte a été ainsi conçue que les intérêts des territoires n’ayant pas droit
de parole dans les instances internationales seraient sauvegardés par un
Membre de l’Organisation des nations unies chargé de veiller à leur bienêtre, qui posséderait la compétence nécessaire à cette fin. En vertu de la
philosophie qui l’inspire à l’égard des territoires dépendants, la Charte a
voulu éviter de les laisser sans voix et sans défense dans un ordre mondial
ne leur ayant pas encore reconnu un statut indépendant » (op. cit., p. 31). « …
Avancer que la Charte imposerait ces lourdes responsabilités aux puissances
administrantes tout en leur refusant le droit de représenter le territoire,
revient à priver ces dispositions de la Charte de toute signification pratique »
(op. cit., p. 39).
Le cas de la décolonisation de Timor oriental est un cas exceptionnel de
par sa complexité et de par les importants points de droit international qu’il
soulève. À cet égard, et dans une perspective plus diplomatico-politique, il
est intéressant de se pencher sur l’attitude des pays qui ont partagé la
même expérience coloniale que Timor oriental et d’examiner leur
comportement vis-à-vis de l’affaire de Timor.
L’attitude des PALOP : quelle solidarité ?
De Bandung…
À Bandung déjà (1959), un futur dirigeant angolais ne cachait pas sa
déception de ne pas trouver, dans ce haut symbole de la libération des
peuples, un représentant timorais. Aussi, les PALOP (Pays africains de
langue officielle portugaise) ont-ils manifesté leur solidarité avec le peuple
maubère. De la douzaine d’États qui reconnurent la déclaration
d’indépendance de la RDTL, ils furent les premiers à l’accueillir avec
enthousiasme. Même après l’annexion, Samora Machel continua à accepter
comme fait consommé l’indépendance de Timor oriental en mentionnant la
RDTL dans les plus hautes instances de l’ONU. Auparavant déjà, il avait
convié le Fretilin à assister aux cérémonies de l’indépendance du
Mozambique en juin 1975. C’est également dès 1975 que le dirigeant du
Fretilin, puis futur président de la RDTL, Nicolau Lobato fut reçu à Luanda
et à Lourenço-Marques (Maputo).
Le Fretilin ouvrit immédiatement un bureau de représentation dans la
capitale mozambicaine ainsi qu’à Luanda où ce bureau fut promu en juillet
1984 au rang d’ambassade (Embaixada de Timor leste). Alors que la
représentation de Maputo resta jusqu’en 1993 assimilé au Fretilin, dès 1984
celle de Luanda chercha à devenir plus amplement représentative.
Depuis leur indépendance, les PALOP n’avaient donc en principe
ménagé aucun effort pour que la résolution de la question de Timor oriental
ne soit pas renvoyée aux calendes grecques de la vie internationale. Ils ont
TIMOR ORIENTAL, LA DIFFICILE BATAILLE DU DROIT
47
été symboliquement, idéologiquement mais aussi financièrement, les
premiers solidaires de la cause maubère. Aux Nations unies par exemple,
ils ont tout naturellement mis à la disposition des dirigeants timorais en exil
leurs représentations diplomatiques. Les documents du Fretilin adressés au
secrétaire général, au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale
transitaient tout naturellement comme des documents officiels par le biais
des représentations des Cinq.
Arrière-garde de la bataille diplomatique du peuple maubère, les Cinq
ont donc été depuis leurs indépendances d’un soutien crucial pour les
dirigeants timorais dans leur lutte pour la construction d’une nation. En
effet, la signature, entre le gouvernement mozambicain et la RDTL, d’un
protocole établissant des relations diplomatiques, ainsi que l’existence
d’une ambassade de Timor oriental à Luanda créèrent un authentique
cafouillis juridique mais furent aussi des actes hautement symboliques.
Inscrits dans l’ordre juridique intérieur des deux États africains, ils ne
produisirent certes d’effets qu’à l’intérieur de leurs frontières, mais
marquèrent symboliquement la non-reconnaissance de l’incorporation du
territoire à l’Indonésie. Situation kafkaïenne, mais acte sublime d’une nation
souveraine accueillant dans son espace national la représentation
diplomatique d’une « nation » en exil ?
… à l’Organisation de la conférence islamique
Cependant ces jeux diplomatico-politiques brillèrent souvent par leur
complexité. Ainsi tout en soutenant la cause maubère, les PALOP n’en
adoptèrent pas moins des positions des plus ambiguës. Sur les cinq, deux
déjà ont rétabli des relations diplomatiques avec le régime de Djakarta – la
Guinée-Bissau et le Mozambique. Maputo a repris en 1992 les relations
diplomatiques rompues en juillet 1976 par Samora Machel, et a effectué un
très controversé rapprochement avec l’Indonésie en acceptant la
nomination, en 1996, d’un ancien guérillero du Frelimo comme consul
honoraire de l’Indonésie au Mozambique. Que dire en outre des
importations massives de riz indonésien en Guinée-Bissau, de la vente de
produits indonésiens sur le marché angolais via les importateurs libanais ou
encore de l’excédent commercial brésilien vers l’Indonésie…
Officiellement, bien sûr, le Mozambique et la Guinée-Bissau prennent
soin de rappeler que l’établissement de relations diplomatiques avec
l’Indonésie n’implique pas leur reconnaissance de l’incorporation de Timor
oriental à celle-ci. Qu’est-ce qui a donc motivé ce rapprochement ? Le
Mozambique et la Guinée-Bissau, deux pays à forte population musulmane,
avancent par exemple que le rapprochement avec l’Indonésie s’inscrit dans
l’établissement de relations cordiales dans le cadre de l’Organisation de la
conférence islamique.
48
Lurdes MARQUES SILVA
Timor oriental et la CPLP
Le 17 juillet 1996 fut officiellement instituée à Lisbonne la Communauté
des pays de langue portugaise (CPLP). Coïncidence, celle-ci vit en effet le
jour précisément à la date du vingtième anniversaire de l’annexion officielle
du territoire par l’Indonésie30.
La CPLP laissa cependant en suspend, lors de cette inauguration, la
question du statut de Timor oriental, qui fit pourtant sa demande
d’adhésion, officiellement, à la réunion préparatoire d’avril 1996 à Maputo.
La CPLP pourrait, si un statut d’observateur est accordé à Timor oriental,
devenir un forum de concertation et d’action entre les sept plus un31 dans la
résolution du problème.
Le droit à l’autodétermination défendu par les bénéficiaires
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes donne l’idée généralement
acceptée qu’un processus d’autodétermination conduit logiquement à
l’indépendance nationale. Or le droit international nuance fortement cette
acceptation. En effet, en ce qui concerne les territoires non autonomes, la
résolution 1541 (XV) de l’Assemblée générale de 1960 retient en son
principe IV qu’un territoire non autonome a atteint la pleine autonomie soit
lorsqu’il est devenu un État indépendant et souverain, soit lorsqu’il s’est
associé librement à un État indépendant, soit enfin lorsqu’il s’est intégré à
un État indépendant : indépendance, association, intégration. Ce processus
d’autodétermination « classique » d’un territoire non autonome au sens du
chapitre XI de la Charte des Nations unies est réalisable entre autres si,
d’une part, la puissance administrante remplit ses responsabilités afin de
favoriser le droit du peuple qu’elle a sous son administration à disposer de
lui-même et si, d’autre part, les conditions générales sont réunies (comme
par exemple la question du contrôle effectif du territoire). Dans l’affaire de
Timor oriental aucune des conditions nécessaires à un tel processus n’a été
remplie. De 1960 à 1974 le Portugal, puissance administrante, s’est refusé à
considérer le droit du peuple de Timor oriental à disposer de lui-même, et à
partir de 1975 l’invasion indonésienne a figé un processus
d’autodétermination mis en place par la loi 7/75.
Ni le droit international (sans cesse limité par la souveraineté des États)
ni les relations internationales (encadrées par des intérêts mercantilistes et
géopolitiques) n’ont à ce jour apporté une réponse constructive au
problème du peuple maubère. Face à cette double démission, c’est donc au
peuple en question qu’il revient d’apporter ses propres solutions.
Comment y arrive t-il ? En construisant une structure politique (la
Résistance) et en proposant des solutions politiques (un plan de paix), dont
les axes officiels sont décrits ci-dessous.
Structure de la résistance timoraise
La résistance maubère se structure autour de deux ossatures parallèles,
« l’intérieur » et « l’extérieur ».
30 ; C’est le 17 juillet 1976 que le Parlement indonésien ratifie l’annexion du territoire.
31. Les cinq PALOP, le Brésil et le Portugal, plus Timor oriental.
TIMOR ORIENTAL, LA DIFFICILE BATAILLE DU DROIT
49
Tous les mouvements de libération nationale se sont exprimés autour
d’une structure politico-militaire, de l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP) au Front Polisario et bien d’autres. Cette structure assume
plusieurs fonctions, catalyseur des volontés et élément de légitimation de
l’existence des peuples. Mais avant tout, elle permet aux mouvements en
question d’acquérir une certaine crédibilité sur la scène internationale en
tant que reflet d’une conscience collective. Au sein des organisations
internationales, certains mouvements de libération nationale se sont vu
reconnaître, notamment aux Nations unies, des statuts d’observateurs32.
Pour d’autres, dans le cas spécifique de la décolonisation, il s’agit de
légitimer la lutte d’un peuple indépendant. C’est ainsi que les représentants
de Timor oriental ont pu à plusieurs reprises être écoutés en qualité de
pétitionnaire dans le cadre du comité des vingt-quatre.
Pour reprendre la typologie d’Edmond Jouve, les mouvements de
libération nationale ont trois fonctions principales : une fonction militante,
une fonction représentative et une fonction anticipatrice33.
La fonction militante et représentative
Le mouvement de libération nationale de Timor oriental revêt une
double fonction militante et représentative. La première correspond à la
lutte armée et elle agit à l’intérieur du territoire, la seconde correspond à la
bataille diplomatique et déploie ses activités à l’extérieur du territoire. La
lutte armée de la résistance du peuple maubère agit à l’intérieur par le biais
d’une structure dualiste composée d’un front armé (Frente armada) mené
par les Falintil (Forças armadas de libertação de Timor Leste) et d’un front
clandestin (Frente clandestina) qui regroupe les organisations estudiantines
et de la jeunesse.
La fonction représentative est symbolisée par le front diplomatique qui
agit à l’extérieur du territoire. Celui-ci a pour organe centralisateur la
Commission coordinatrice du front diplomatique (Comissão coordenadora da
frente diplomática), creuset où se rejoignent tous les courants politiques, qui
adopte les positions communes et dessine les stratégies. Cette commission
est composée de cinq membres : le chef de la délégation extérieure du
Fretilin (DEF-Delegação externa da Fretilin), le président de l’UDT (União
democrática Timorense), le vice-chef et responsable des Relations extérieures,
le vice-président et responsable des Relations internationales de l’UDT et le
représentant spécial du CNRM (Conselho nacional da resistência maubère)34. Le
CNRM est dirigé à l’intérieur par Xanana Gusmão et à l’extérieur par son
représentant spécial, José Ramos-Horta.
La fonction anticipatrice
La résistance a établi un plan de paix, connu sous le nom de plan de paix
du CNRM (qui a été pour la première fois présenté au Parlement européen
le 22 avril 1992). Il est composé de phases distinctes devant conduire à
32 . Ce statut d’observateur octroie le droit, pour le mouvement en question, d’assister aux
débats le concernant.
33. JOUVE 1992, pp. 39-43.
34. Le CNRM avait été fondé en 1986 par Xanana Gusmão ; il devait en principe faire fonction
d’« umbrella organization », mais ni le DEF, ni l’UDT ne l’ont intégré.
50
Lurdes MARQUES SILVA
terme à un processus d’autodétermination : phase humanitaire, phase
d’autonomie, phase d’autodétermination.
La phase humanitaire est conçue comme une phase préparatoire et
transitoire. Elle répond à un souci pratique et ses objectifs sont d’établir des
« confidence-building measures », c’est-à-dire d’effectuer un travail de
reconsolidation de la société civile. La condition sine qua non de ce travail de
recomposition passe par la résolution du problème militaire. Il s’agit de
réduire la présence militaire indonésienne dans le territoire et la présence
de tout matériel belligérant. Cette étape de démilitarisation inclut la
libération inconditionnelle de tous les prisonniers politiques. Un autre
versant de cette phase s’attacherait à la « remaubérisation » des activités
civiles du territoire. Ceci se traduirait par une réduction de moitié des
fonctionnaires indonésiens dans l’administration du territoire, dont la
présence est résulte de la politique de transmigration35 appliquée depuis
vingt ans par le gouvernement indonésien. Dans cette optique de
remaubérisation,
diverses
mesures
d’accompagnement
seraient
souhaitables comme la réalisation d’un recensement de la population36.
D’autres points ont trait aux libertés fondamentales et à la défense des
droits de l’homme. Le plan prévoit à ces fins l’établissement d’une
commission des droits de l’homme sous le patronage de l’Église catholique.
Les libertés fondamentales, l’indépendance des médias ainsi que la liberté
des activités politiques devraient aussi être garanties.
Cette phase a donc pour principal objectif de permettre l’établissement
des conditions matérielles
nécessaires à un authentique processus
d’autodétermination de la population en garantissant sa neutralité par la
présence d’observateurs internationaux.
Après l’étape nécessaire de reconsolidation de la société civile, la phase
d’autonomie aurait pour mission de préparer les bases d’une future
autodétermination politique.
La formation d’une Assemblée territoriale démocratiquement élue en
serait le résultat final. Le processus électoral devrait inclure, dans une
perspective d’instauration d’un État de droit, la légalisation de tous les
partis politiques. L’Assemblée territoriale serait élue avec l’assistance
technique des Nations unies qui superviseraient le déroulement du
processus électoral. Seuls les Timorais identifiés comme tels auraient le
droit de voter et seraient éligibles. L’Union européenne serait également
présente et installerait une délégation à Timor oriental avec un chef de
délégation portugais37. Ces premiers pas se traduiraient donc par une
appropriation progressive de prérogatives de souveraineté38. En
conséquence, cette étape marquerait aussi la fin du processus de
35. La politique de transmigration a pour objectif général de décongestionner l’île de Java
surpeuplée, mais plus particulièrement en ce qui concerne Timor oriental, elle implique de
rendre plus effective (par un transfert de population) l’intégration du territoire à la
République d’Indonésie.
36. Le déroulement général de ce processus serait garanti selon le plan de paix par la présence
d’agences spécialisées des Nations unies (le plan de paix cite les noms de l’UNICEF, du
PNUD, de la FAO, de l’OMS… ), ainsi que par la nomination d’un représentant-résident du
Secrétaire général de l’organisation mondiale.
37. L’esprit du plan de paix réserve une place toute particulière au Portugal. Déjà la phase
humanitaire prévoyait la fin de l’interdiction du portugais et la création d’un centre culturel
portugais.
38. Le plan cite expressément la capacité de conclure des échanges commerciaux, de
promouvoir un code sur l’investissement, sur le droit de propriété, l’immigration, etc…
TIMOR ORIENTAL, LA DIFFICILE BATAILLE DU DROIT
51
désengagement total des troupes indonésiennes. Le nombre des
fonctionnaires indonésiens serait à nouveau réduit. Le territoire ne se
doterait pas d’une armée, stigmate des années de présence militaire, mais
seulement d’une force policière entraînée par les Nations unies et placée
sous l’autorité du gouverneur (ce dernier serait élu par l’Assemblée
territoriale pour cinq ans).
Last but not least, le Portugal et l’Indonésie normaliseraient leurs
relations diplomatiques.
Cette phase donneraient aux Timorais les conditions optimales leur
permettant d’acquérir un certain degré de maturité politique. Dans ce
schéma, le désengagement de l’appareil militaire indonésien est la condition
vitale du succès de l’entreprise.
Enfin, dans la phase d’autodétermination, le stade ultime du plan de
paix serait atteint. Si les conditions sont réunies et que les parties en
présence (Indonésie, Portugal, Nations unies) sont d’accord, les préparatifs
du référendum d’autodétermination39 ou d’un processus de consultation de
la population sont mis en œ uvre.
Dans sa fonction anticipatrice, le plan de paix comporte aussi une vision
future de ce que devrait être un Timor oriental indépendant.
Perspectives futures
Le plan de paix du CNRM se concentre sur la politique étrangère et les
droits de l’homme.
En matière de relations extérieures, il entend tenir compte de sa triple
composante culturelle : la culture mélanésienne du Pacifique sud, la culture
malaise-polynésienne et la culture latino-catholique, fruit de la colonisation
portugaise. Les liens privilégiés avec le Portugal seront maintenus, mis à
profit dans le cadre de l’ASEAN (Association of South East Asian Nations) et
de ses relations avec les États-Unis, l’Afrique et l’Amérique latine. Un
Timor oriental indépendant devrait aussi devenir membre de l’APEC (Asia
Pacific Economic Conference) et des liens spéciaux être établis avec l’Australie
où se trouvent le plus grand nombre de réfugiés timorais. Enfin, Timor
oriental resterait armé et aurait un statut neutre.
Les documents de la Résistance présentent naturellement Timor oriental
indépendant comme un État de droit. Une attention toute particulière sera
donnée aux références sur les droits de l’homme, tous les traités concernés
seront ratifiés et adoptés. Un programme spécial sur la question introduit
dans les programmes scolaires. Un travail accentué sera poursuivi en
collaboration avec les Organisations non gouvernementales et les médias
dans le sens de renforcer la pratique des Nations unies en matière de
protection des droits de l’homme.
Reste le problème de l’avenir des Timorais travaillant dans
l’administration indonésienne. Tirant les leçons des erreurs du passé et des
traumatismes qu’a laissés la courte période de guerre civile de 1975, la
Résistance propose une phase de réconciliation et de dialogue. Quant aux
émigrants indonésiens venus à Timor oriental comme résultat de la
39. Ce référendum ne serait qu’une option facultative en cas de doutes sérieux sur la volonté du
peuple maubère. Aux yeux des rédacteurs du plan de paix, il est évident qu’en 1975, la
majorité des Timorais souhaitaient l’indépendance.
52
Lurdes MARQUES SILVA
politique de transmigrasi instaurée par le régime de Suharto, ils seront
invités à rester dans le territoire si tel est leur souhait.
Conclusion
La naissance d’une nation est un processus complexe. Cependant,
depuis la vague d’indépendance des années soixante en passant par la
dissolution du bloc de l’Est, la multiplication des entités souveraines a
atteint une proportion étonnante au cours de ce demi-siècle.
Le droit international s’est donc attaqué à la question de la légitimité du
peuple et de son identité. Qu’est ce qu’un peuple ? Comment le définit-on ?
Quels droits possède t-il ? Est-il un sujet de droit international ? Les divers
courants doctrinaux donnent des réponses contradictoires. Cela explique
qu’à un droit universellement consacré (le principe du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes est cité à deux reprises dans la charte des Nations
unies) correspond une application sélective.
Le droit du peuple de Timor oriental à disposer de lui-même est
unanimement reconnu. L’affaire du Timor Gap l’a réaffirmé : l’Australie
reconnaît ce droit, elle laisse simplement entendre que celui-ci relève à
présent, indépendamment du fait qu’aucun processus de décolonisation
validé n’ait eu lieu, de la compétence nationale de l’Indonésie. Mais
l’internationalisation de cette affaire est vitale pour sa résolution.
La Cour internationale de justice de La Haye dans son arrêt du 30 juin
1995 a adopté une position prudente, ne passant pas outre le sacro-saint
respect de la souveraineté des États, quelle que soit la normativité du droit
invoqué (norme de droit impératif) ou son opposabilité (erga omnes). La
Cour n’aurait-elle pu suivre l’argumentation du Portugal et se déclarer
compétente pour juger du litige à elle présenté ? S’agissant d’un droit erga
omnes, elle aurait pu se prononcer sur les actes de l’Australie pour avoir
méconnu le droit du peuple de Timor oriental à disposer de lui-même, que
l’Australie a, par la nature même de ce droit, un intérêt juridique à
protéger.
Il reste donc au peuple maubère à se faire entendre, même si les
soutiens, timides mais bienvenus, sont mesurés à l’aune d’un univers qui
dépasse bien souvent les philosophies solidaristes (comme dans le cas des
PALOP). Alors, pour atteindre la reconnaissance internationale, la
Résistance maubère a édifié sa propre structure politique et ses
propositions, preuve de son savoir-faire organisationnel et politique.
L’observateur averti n’aura pas trop de difficulté à noter que les solutions
qu’elle avance sont faites pour nous être familières (État de droit, respect
des libertés civiques et individuelles, respect des droits de l’homme… ).
Mais dans une Asie tentée de mettre en exergue une « conception
asiatique » des libertés fondamentales, les pays occidentaux devraient, en
toute logique, prêter plus d’attention à cette voix du peuple maubère. À
moins qu’ils n’y préfèrent d’autres intérêts ?
Bruxelles, 13 février 1997
Lurdes MARQUES SILVA
TIMOR ORIENTAL, LA DIFFICILE BATAILLE DU DROIT
53
Adaptation et révision par M. Cahen.
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« Opinions dissidentes du juge Weeramantry et du juge ad-hoc Skubiszewski », in
Arrêt Timor oriental, 30 juin 1995, 64 p. + 42 p.
« Opinions individuelles des juges Oda, Shahabuddeen, Ranjeva, Vereschtin », in
Arrêt Timor oriental (Portugal c. Australie), 30 juin 1995, 10 p. + 8 p. + 4 p. + 4 p.