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QUELLE LIBERTÉ DE RELIGION
ET D’ASSOCIATION POUR L’ÉGLISE
DE SCIENTOLOGIE?
Cour européenne des droits de l’homme
section), Eglise moscovite de scientologie
c. Russie, 5 avril 2007
(1re
par
Gérard GONZALEZ
Professeur à l’Université de Montpellier I
IDEDH EA 3976
Concluant son analyse des difficultés créées par les autorités russes pour l’immatriculation de l’Eglise de scientologie de Moscou au
titre de la «loi sur les Religions», la Cour européenne des droits de
l’homme «considère que l’ingérence dans le droit à la liberté de religion de la requérante n’était pas justifiée» (§98).
Voilà une petite phrase qui, sortie de son contexte, doit faire grincer bien des dents tant l’Eglise de scientologie concentre sur elle
l’ire des nombreux détracteurs des sectes. De son côté, le groupement en question, lui-même prompt à exploiter tout début de
reconnaissance, ne manquera pas d’en tirer fierté et de s’en vanter
à tout va (1). La logique la plus élémentaire voudrait en effet que
la liberté de religion bénéficiant à l’Eglise de scientologie, celle-ci
doive bien être considérée comme une religion dont les adeptes peuvent pleinement jouir de leur liberté de croyance, de réunion, de
culte et… du droit de se livrer à un prosélytisme dont il convient
néanmoins de vérifier qu’il n’a rien d’abusif (2).
Les faits sont complexes mais peuvent être résumés assez simplement pour éclairer ensuite la portée réelle qu’il convient d’attribuer
à cet arrêt et à sa conclusion.
(1) L’arrêt est présenté comme «historique» sur plusieurs sites web tels que
www.communique-de-presse.com ou www.libertedereligion.org .
(2) Cour eur. dr. h., 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce, F. Sudre, J.-P. Marguenaud, J. Andriantsimbazovina, A. Gouttenoire et M. Levinet, Les grands arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme (GACEDH), n° 54.
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En 1994, l’Eglise de scientologie de Moscou est enregistrée comme
association religieuse au titre de la loi sur les Religions de 1990.
Mais la nouvelle loi du 1er octobre 1997 impose une réimmatriculation des associations religieuses dotées de nouveaux statuts et
devant répondre à de nouveaux critères beaucoup plus stricts. La
requérante a déposé 11 demandes de réimmatriculation toutes rejetées pour des motifs divers (procédure pénale contre le président du
groupement, problème dans la rédaction des statuts, dossier incomplet, expiration du délai de réimmatriculation, défaut de production
d’une pièce établissant conformément à la nouvelle exigence posée
par la loi de 1997, la présence de l’Eglise à Moscou depuis au moins
quinze ans). L’absence de réimmatriculation expose le groupement
en état de vacuité à la dissolution.
Plusieurs décisions des tribunaux internes sanctionnèrent parfois
la motivation elliptique de plusieurs de ces refus mais avec pour
seule conséquence de provoquer un nouvel examen de la demande
de réimmatriculation et de nouveaux rejets. Une décision du tribunal de district de Nikulinskiy (Moscou) ayant néanmoins enjoint la
réimmatriculation de la requérante, le Présidium du Tribunal de
Moscou, saisi pour révision, confirma la position officielle au motif
de l’absence d’informations suffisantes dans le dossier de demande
sur «les principes de base des croyances et pratiques de la religion»
et, par une nouvelle décision le Tribunal de Nikulinskiy fut contraint à une volte-face. En réalité, l’opposition s’est focalisée essentiellement au niveau local alors même que l’Etat central avait fait
amende honorable, notamment à la suite de la décision de la Cour
constitutionnelle qui avait considéré contraire au principe d’égalité
l’exigence de la preuve de 15 années d’existence (décision n° 16-P du
23 novembre 1999, Association religieuse des Témoins de Jéhovah à
Yaroslavl et Eglise Chrétienne de la Glorification; décision n° 46-O
du 13 avril 2000, Région Russe Indépendante de la Société de Jésus;
décision n° 7-O du 7 février 2002, Branche de l’Armée du Salut de
Moscou). L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’était
d’ailleurs émue de l’incapacité du ministre fédéral de la Justice
d’imposer raison aux services locaux et régionaux sur ces points (3).
C’est dans ce contexte que la Cour a sanctionné la Russie pour
violation de l’article 11 combiné avec l’article 9 de la Convention,
d’abord à l’égard de la Branche de l’Armée du Salut de Moscou
(Cour eur. dr. h., arrêt du 5 octobre 2006), puis, en des termes à peu
(3) Résolution 1278 (2002).
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près identiques de l’Eglise de scientologie de cette même ville par
l’arrêt commenté.
Plus que le contexte ubuesque de cette affaire qui, à certains
égards, évoque les méandres kafkaïens de l’administration russe,
c’est bien évidemment la personnalité de la requérante qui interpelle. Il est assez cocasse de relever que l’arrêt de la Cour fait suite
à une précédente condamnation de l’obstruction russe à l’égard de
l’Armée du salut qui, comme l’Eglise de scientologie aujourd’hui, fit
l’objet de critiques virulentes au milieu du XIXe siècle (4). La Secte
parmi les sectes aurait-elle réussi à atteindre le Graal européen d’un
début de reconnaissance ou de consécration juridictionnelle à
l’image des Témoins de Jéhovah (5)? De tous les combats menés en
justice en Europe, il s’agit là sans doute de la plus éclatante victoire
judiciaire de l’Eglise de scientologie qui, jusqu’ici, avait accumulé
plus de déconvenues que de satisfactions (I). La religion de la scientologie succède-t-elle pour autant, au-delà du cas d’espèce, à la secte
honnie? Rien n’est moins sûr (II).
I. – La secte de l’Eglise de scientologie,
l’administration et les juges
L’Eglise de scientologie est considérée dans la plupart des Etats
européens, et spécialement en France, comme une «secte
dangereuse» prise pour cible par les organismes administratifs chargés de rapporter sur l’activité des groupements sectaires, idée qui
n’est que rarement remise en cause par son activisme juridictionnel
(A). Jusqu’ici ses tentatives, ou celles de ses adeptes, devant les
juridictions européennes, n’avaient reçu que peu d’échos (B).
A. – La stigmatisation de l’Eglise de scientologie :
l’exemple français
La France est la championne des rapports parlementaires consacrés aux sectes car elle se veut, dans cette vigilance, à la pointe
de l’Europe, à la fois modèle et fer de lance. Pourtant, exception
(4) J.-F. Mayer, Une honteuse exploitation des esprits et des porte-monnaie? Les
polémiques contre l’Armée du Salut en Suisse en 1883 et leurs étranges similitudes avec
les arguments utilisés aujourd’hui contre les «nouvelles sectes», Les Trois Nornes, Fribourg, 1985.
(5) G. Gonzalez, «Le juge européen, le pluralisme religieux et les sectes», in
V. Fortier (dir.), Le juge, gardien des valeurs?, C.N.R.S. éd., Paris 2007, pp. 136150.
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faite de la Belgique (6), son exemple a été peu suivi. Quoi qu’il
en soit, dans les quatre rapports parlementaires français (7),
l’Eglise de scientologie est présentée sous son jour le plus sombre :
très riche, dangereuse et manipulatrice, un fléau pour la société
démocratique et les droits des individus. Cette inquiétude est
relayée par les institutions chargées de la vigilance à l’égard des
sectes. Ainsi la Mission interministérielle de lutte contre les sectes
dans son rapport pour l’année 2001 établit une typologie des sectes distinguant trois groupes : celui d’une nébuleuse de petits
mouvements peu connus et peu étudiés avec lesquels il faut appliquer le principe de précaution ; celui des groupements avec lesquels il est possible de discuter ; enfin celui des sectes absolues
dotées d’une « puissance de nuisance » dont l’archétype serait
l’Eglise de scientologie. La Mission interministérielle de vigilance
et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) qui a succédé à la Mission interministérielle de lutte contre les sectes en
novembre 2002, n’a guère atténué cette vision négative, comme
l’illustre encore son dernier rapport au Premier ministre qui souligne le rôle de la scientologie dans les domaines du droit économique et de la formation professionnelle (pp. 76 à 92 du rapport),
ou encore son exploitation des moyens juridiques (comme le droit
de communication des documents administratifs dont abuse
« quasi exclusivement la scientologie », p. 105) et médiatiques
(pp. 115 et s.).
Il est vrai que l’Eglise de scientologie, à l’instar d’autres groupements minoritaires, est plutôt active sur le plan juridictionnel. Parfois cependant, elle ferait bien l’économie de certains procès. Ainsi
lorsqu’elle-même, ou certains de ses adeptes, se retrouvent en position d’accusés, par exemple pour des actions de prosélytisme
menées par un formateur pendant un stage professionnel et entraînant la rupture du contrat de formation qui n’a pas été exécuté de
bonne foi (8), pour homicide involontaire, exercice illégal de la
(6) Enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre
les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et
pour les personnes particulièrement les mineurs d’âge, rapport du 28 avril 1997,
Chambre des Représentants, 1996-1997, nos 313/7 et 313/8.
(7) Rapport de M. Alain Vivien, Les Sectes en France : expression de la liberté
morale ou facteurs de manipulation, La Documentation française, 1983; rapport
Gest-Guyard, Les Sectes en France, Assemblée nationale, coll. «Documents
d’information», n° 2468, 1995; rapport Guyard-Brard, Les Sectes et l’argent, Assemblée nationale, coll. «Documents d’information», n° 1687, juin 1999; enfin rapport
Fenech, L’Enfance volée : les mineurs victimes des sectes», n° 3507, décembre 2006.
(8) C.A. Versailles, 23 janvier 1998, n° 1995-9736.
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médecine, escroquerie et complicité d’escroquerie (9), pour entrave
au fonctionnement de la CNIL et traitement délictuel d’informations nominatives (10). D’autres fois, ses tentatives pour reprendre
l’initiative sur le plan judiciaire sont peu productives (11). L’appartenance à la scientologie est aussi parfois prise en compte dans les
litiges familiaux impliquant notamment des enfants (12). Devant le
juge administratif, la confrontation avec l’administration fait aussi
l’objet d’un contentieux nourri. Tel est le cas dans le domaine fiscal
par exemple à propos de l’assujettissement de l’Eglise à l’impôt sur
les sociétés (13).
Cette stigmatisation doit beaucoup à l’influence des différents
rapports parlementaires et à l’action des associations anti-sectes.
L’immunité qui couvre les rapports parlementaires, leur caractère
simplement informatif, les fait échapper à tout contrôle juridictionnel (14) et ne saurait engager la responsabilité de l’Etat (15). Ce dernier, compte tenu de cette fonction informative, peut soutenir
financièrement la publication d’un opuscule sur les sectes mettant
(9) Cass. crim., 11 avril 1991 (2 arrêts), Gounord et Mazier, nos 91-80414 et 9180415; C.A. Lyon, 28 juillet 1997, J.C.P., G., J. 10025, pp. 336-340, note MarieReine Renard; confirmé par Cass. crim., 30 juin 1999 (s’agissant des poursuites contre les responsables de l’Eglise de Lyon), Dalloz, 2000, n° 31, pp. 655-658, note Bénédicte Giard.
(10) Cass. crim., 28 septembre 2004, Actualité juridique droit pénal, 2004, n° 12,
p. 447 note Samantha Enderlin; voy. R. Gassin, «Les procédés de recrutement de
l’Eglise de scientologie et la loi informatique et libertés», Revue Lamy du droit immatériel, novembre 1997, n° 97, pp. 1-7.
(11) Cass. crim., 8 décembre 1987, Association Eglise de scientologie de Paris, no 8696533 : irrecevabilité d’une constitution de partie civile dans une procédure en diffamation contre Alain Vivien; Cass. crim, 15 novembre 1994, Association «Comité français des scientologues contre la discrimination» (CFSD), n° 93-84503, inédit : rejet
d’une constitution de partie civile par rapport à des poursuites contre des auteurs
de séquestration et coups et violences volontaires liée à des actions pour soustraire
des personnes à l’influence de l’Eglise.
(12) Par exemple Cass., 1re civ., n° 05-22119.
(13) C.A.A. Lyon, 6 décembre 1994, Association Eglise de scientologie de SaintEtienne, Droit fiscal 1995, nos 23-24, pp. 981-985, concl. D. Gailleton; C.E., 14 octobre 1985, Association de l’étude de la Nouvelle foi, Rec.; C.E., 8 juillet 1998, Association Eglise de scientologie de Paris, Droit fiscal, oct. 1998, n° 43, pp. 1341-1347, Conclusions G. Bachelier; Revue de Jurisprudence Fiscale (R.J.F.), oct. 1998, n° 895,
pp. 687-691.
(14) C.E., 30 mars 2001, Association du Vajra triomphant, Rec., T. 1079; Cour eur.
dr. h., décision du 6 novembre 2001 (irrecevabilité), Fédération chrétienne des
Témoins de Jéhovah de France.
(15) C.A.A. Nantes, 30 juillet 2003, Association L’Arbre au milieu, R.F.D.A.,
2005.578; Cour de cassation de Belgique, 2 juin 2006, infirmant sur ce point C.A.
Bruxelles, 4 septembre 2005.
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en cause les pratiques de l’Eglise de scientologie (16). Il peut également inciter les parquets à combattre les sectes par une circulaire
à laquelle est annexée la liste des mouvements sectaires émanant du
rapport parlementaire de 1995, le juge considérant que cette
méthode ne traduit pas «une volonté (du Garde des Sceaux) de se
réapproprier le contenu de cette liste» (17).
Parfois cependant, certaines défaites se transforment en demi-victoire lorsque par exemple quelques membres parmi les plus
influents sont exonérés de toute responsabilité dans un procès
pénal (18) et les juridictions pénales sont parfois amenées à constater que l’Eglise ne peut être tenue pour responsable de certains
actes commis par des personnes sur qui elle exercerait une
«influence extérieure» (19). Les adeptes de l’Eglise de scientologie
ont même obtenu satisfaction devant le juge administratif lorsqu’ils
se sont trouvés confrontés au refus de communication de documents
administratifs (20), spécialement des données les concernant contenues dans les fichiers des renseignements généraux (21), demande
que, en tant que personne morale, l’Eglise elle-même n’était pas
habilitée à formuler pour le compte de ses membres (22). Surtout, il
faut souligner que, dans le contexte particulier du droit associatif
alsacien-mosellan, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé
l’opposition du Préfet d’inscrire une association dont l’objet statutaire était «l’exercice du culte de la religion de scientologie» au
motif qu’il n’était pas établi que cette activité présentait «une
(16) C.E., 17 février 1992, Eglise de scientologie de Paris, Rec., p. 61; A.J.D.A.,
1992, p. 460, obs. C. Devès.
(17) C.E., 18 mai 2005, Association spirituelle de l’église de scientologie d’Ile-deFrance, A.J.D.A., 2005, p. 1506, concl. F. Donnat; Gaz. Pal., 12 mars 2006, n° 71,
pp. 15-16, note J.-Luc Pissaloux; Droit administratif, 2005, n° 7, pp. 19-20.
(18) Par exemple dans l’affaire de Lyon jugée par la chambre criminelle de la Cour
de cassation (arrêt du 30 juin 1999 précité) est confirmée la relaxe de certains membres de l’Eglise de scientologie de Lyon et de Paris (outre le débat lancée par cette
affaire sur la qualification de «religion», débat sur lequel nous reviendrons).
(19) Voy. par exemple cass. crim., 4 octobre 2006, Marc X., Assoc. spirituelle de
l’Eglise de scientologie d’Ile de France et UNADFI, Gaz. pal., 8 avril 2005, n° 98,
pp. 38-40, note A.C. (meurtre de sa mère par un individu ayant suivi des cours de
développement personnel).
(20) Nathalie Rubio, La liberté d’accès aux documents administratifs à l’épreuve de
l’activisme sectaire, J.C.P., Administrations et collectivités territoriales, novembre
2006, n° 46, pp. 1455-1459, à propos de T.A. Marseille, 14 juin 2006, Commission des
citoyens pour les droits de l’homme c. Centre hospitalier spécialisé Edouard-Toulouse.
(21) Plusieurs dizaines d’affaires. Par exemple C.E., 30 juillet 2003, Monsieur R.,
A.J.D.A., 2003, n° 39, pp. 2101-2105, concl. Christine Maugüe; C.E., 21 novembre
2003, M., n° 242817; C.E., 28 juillet 2004, Patrick X., n° 243417.
(22) C.E., 15 février 1991, Eglise de scientologie de Paris, n° 68639, Rec., T.
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menace pour l’ordre public» (23). Cette formulation doit être replacée dans le contexte du droit local mais elle donne satisfaction à
l’association concernée sur le fondement du trouble à l’ordre public,
un concept qui va aussi être au cœur d’un contentieux mettant en
œuvre le dialogue des juges nationaux et communautaires.
B. – L’échec relatif des recours précédents
devant les juridictions européennes :
Cours de Luxembourg et de Strasbourg
L’Eglise de scientologie est à l’origine du revirement de jurisprudence de la Commission qui, pour la première fois, accepte le principe qu’un organe ecclésial introduise, en tant que tel, une requête
en vertu de la Convention car ainsi il agit «au nom des fidèles» et
il «faut admettre qu’un tel organe est capable de posséder et d’exercer à titre personnel, en tant que représentant des fidèles, les droits
énoncés à l’article 9, paragraphe 1» (24) qui garantit la liberté de
pensée, de conscience et de religion. Mais cette brèche ouverte, qui
a profité depuis à bien d’autres groupements religieux, s’est vite
refermée devant la requérante qui a vu sa demande déclarée finalement irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Il est vrai
que la requête mêlait commerce (une publicité pour le E mètre) et
religion, deux objectifs peu compatibles avec l’esprit de la Convention (25). Quelques années plus tard, dans un contexte beaucoup
plus sensible mettant en cause l’attitude de diverses autorités administratives d’Allemagne à l’égard de l’Eglise de scientologie et de ses
adeptes, c’est l’empressement de la première qui la conduisit à
l’échec dès le stade de la recevabilité pour avoir négligé la règle de
l’épuisement des voies de recours internes (26).
L’Eglise de scientologie a aussi été l’objet des attentions de la
Cour de Luxembourg. Sur question préjudicielle de la High
Court of Justice d’Angleterre, la Cour de justice des Communautés européennes était saisie du cas d’une ressortissante néerlandaise s’étant vu refuser l’autorisation d’entrée au Royaume-Uni
(23) T.A. Strasbourg, 16 juin 1998, Association «City Office de Mulhouse»,
n° 972342.
(24) Comm. eur. dr. h., 5 mars 1979, X. et Eglise de scientologie c. Suède, D.R.,
16, p. 75.
(25) Voy. G. Gonzalez, «Religions et marchands, marchands de religions, arbitrages à la lumière de la C.E.D.H.», Mélanges Yves Serra, Dalloz, 2006, pp. 217-228.
(26) Commission, déc. du 7 avril 1997, Scientology Kirche Deutschland c. Allemagne, D.R., 89 B, p. 164.
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pour y occuper un emploi de secrétaire auprès de l’Eglise de
scientologie. Cette décision motivée par le danger social représenté, selon les autorités du Royaume-Uni, par l’Eglise de scientologie posait problème au regard du principe communautaire de
libre circulation des travailleurs. La Cour, conformément aux
conclusions de l’avocat général, va valider le recours à la réserve
d’ordre public qui permet de faire échec à l’exercice d’une liberté
communautaire à l’égard d’un travailleur « affilié à un groupe ou
à une organisation dont les activités sont considérées par l’Etat
membre comme constituant un danger social sans pour autant
être interdites » (27).
Il n’est pas du tout certain qu’aujourd’hui, la Cour de Luxembourg adopterait le même raisonnement. Quoi qu’il en soit, elle s’est
à nouveau penchée sur l’invocation de la réserve d’ordre public par
rapport à certaines activités de l’Eglise de scientologie en France
dans le domaine de la libre circulation des capitaux cette fois.
L’Eglise de scientologie, comme beaucoup de groupements religieux
aujourd’hui, appartient à une structure multinationale au sein de
laquelle les échanges, notamment financiers, sont courants. Deux
investissements des Eglises américaine et anglaise au profit de la
branche française de l’Eglise de scientologie ayant été ajournés par
les autorités françaises, celle-ci avait demandé au Conseil d’Etat
l’abrogation de certaines dispositions réglementaires à l’origine de
cet ajournement. Un décret du 29 décembre 1989 établissait en effet
un régime d’autorisation préalable des investissements étrangers
directs afin d’assurer éventuellement la sauvegarde de l’ordre
public, autorisation tacitement acquise faute de rejet exprès dans
un délai de un mois. Interrogée par le Conseil d’Etat français, la
Cour de Luxembourg va répondre que le traité n’autorise pas un
régime d’autorisation tel que le prévoit la réglementation française
«qui se limite à définir de façon générale les investissements concernés comme des investissements de nature à mettre en cause l’ordre
public et la sécurité publique, de sorte que les intéressés ne sont pas
en mesure de connaître les circonstances spécifiques dans lesquelles
une autorisation préalable est nécessaire» (28). Le juge administratif
fera application de cette interprétation de la Cour en abrogeant les
(27) C.J.C.E., 4 décembre 1974, Yvonne Van Duyn c. Home Office, affaire 41-74,
Rec., p. 1337.
(28) C.J.C.E., 14 mars 2000, Association Eglise de scientologie de Paris, Scientology
International Reserve Trust, Aff. C-54/99 Europe, 1er mai 2000, p. 15, note Laurence
Idot; Gaz. Pal., 7 juin 2000, n° 159/160, pp. 50-51, note M. Nicolella; J.T. – Droit
européen (Larcier), 1er mai 2000, n° 69, pp. 122-123.
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dispositions concernées (29). Il ne faut pas exagérer la portée de
cette première victoire contentieuse européenne de l’Eglise de scientologie. Tout d’abord, il s’agit d’un contentieux de l’abrogation de
dispositions réglementaires, c’est à dire générales et impersonnelles,
au motif de leur incompatibilité avec la libéralisation résultant du
droit communautaire. N’importe quel requérant aurait donc pu
obtenir un résultat identique. D’autre part, si la réserve d’ordre
public est, en droit communautaire, entendue strictement, elle
n’interdit pas des mesures dûment motivées, restreignant la liberté
de circulation. Comme le soulignait l’avocat général Saggio dans ses
conclusions, «dans un cas comme le cas d’espèce dans lequel une
association religieuse est appelée à répondre d’escroquerie et d’évasion fiscale, l’Etat membre peut, par une mesure ad hoc, soumettre
à un contrôle préalable les investissements destinés à la financer dès
lors qu’il existe un risque que l’association viole les dispositions
internes, surtout de nature pénale» (§21 de ses conclusions). La Cour
n’a pas repris cette remarque qui faisait référence au motif des
investissements ajournés, savoir éponger les dettes de l’association
française suite à certaines condamnations pénales de ses dirigeants
et à des redressements fiscaux (voy. ci-dessus A).
En définitive, l’arrêt de la Cour européenne du 5 avril 2007 est
bien la première consécration de la violation de la liberté de religion
de l’Eglise de scientologie en tant qu’organe ecclésial. Mais les apparences, encore une fois, sont souvent trompeuses.
II. – L’ambiguïté
de la dichotomie religion-secte :
une substitution en trompe-l’œil
L’arrêt de la Cour européenne délaisse le discours convenu sur les
sectes et fait application de sa jurisprudence classique sur la liberté
collective de religion (A). L’Eglise de scientologie, comme tous les
groupements religieux minoritaires, bénéficie de la forte garantie
accordée à cette liberté mais les effets de cet arrêt sur son statut
«européen» demeurent, pour l’instant, limités (B).
(29) C.E., 8 décembre 2000, Association Eglise de scientologie de Paris, Scientology
International Reserve Trust, Rec. Lebon.; Droit administratif, mars 2001, n° 72, p. 30;
Europe, mars 2001, n° 3, p. 21, obs. P. Cassia; aussi C.A.A. Paris, 16 décembre 2004,
Min. de l’Economie, des finances et de l’industrie, n° 02PA00260.
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A. – L’arrêt Eglise de scientologie de Moscou :
une application de la liberté collective de religion
Comme dans l’affaire relative à La branche moscovite de l’armée
du salut c. Russie, la Cour place son contrôle sous l’angle de
l’article 11 de la Convention combiné avec l’article 9, observant que
«la nature religieuse de la requérante n’a pas été mise en question
au niveau national et qu’elle avait été officiellement reconnue
comme organisation religieuse depuis 1994» (§64). Cette posture est
curieuse puisque la Cour, in fine, conclut que «l’ingérence dans le
droit à la liberté de religion de la requérante n’était pas justifiée»
(§98), d’autant que la jurisprudence pertinente citée par la Cour
relative à des groupements religieux concerne des cas de violation
de l’article 9 de la Convention (30). Il eût été plus pertinent de contrôler le respect de l’article 9 de la Convention, ici lex specialis,
interprété en combinaison avec l’article 11. Il semble d’ailleurs que
ce soit cette logique qui guide l’ensemble du raisonnement de la
Cour et l’on pourrait croire à une erreur de plume si sa conclusion
ne levait toute équivoque en constatant une «violation de
l’article 11 de la Convention combiné avec l’article 9». Il y a là, nous
semble-t-il un problème de cohérence, mais la démarche n’est peutêtre pas innocente (31).
Après avoir constaté que la requérante peut se prétendre
«victime» au sens de l’article 34 de la Convention (§80) et qu’il y a
bien eu ingérence dans ses droits «en vertu de l’article 11 de la Convention combiné avec l’article 9», reproduisant le libellé de l’arrêt
La branche moscovite de l’armée du salut, la Cour contrôle la justification de cette ingérence. Elle n’a pas de difficultés à relever
«l’absence de ‘base légale’ des motifs successifs invoqués pour refuser la réimmatriculation de l’Eglise (§96), tout en soulignant l’incohérence des arguments de l’administration russe et son arbitraire.
Dans cette partie de l’arrêt, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé,
notamment dans l’affaire Carmuirea spirituala a musulmanilor din
Republica Moldova (32), «que le refus d’immatriculation en raison
du défaut de communication d’informations sur les principes fondamentaux d’une religion peut être justifié au cas particulier où il
(30) Cour eur. dr. h., 13 décembre 2001, Eglise métropolitaine de Bessarabie c. Moldavie notamment qui concerne un cas de figure semblable de refus de
«reconnaissance». On peut admettre une nuance entre refus de «reconnaissance» et
refus de «réimmatriculation», il n’empêche que dans les deux cas la nature religieuse
des groupements concernés n’était pas contestée.
(31) Voy. infra B.
(32) Décision d’irrecevabilité du 14 juin 2005, req. 12228/02.
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apparaît nécessaire de déterminer si la religion recherchant sa
reconnaissance présente un danger pour une société démocratique».
Mais en l’espèce, «la requérante avait déposé un ouvrage explicitant
les prémisses théologiques et les pratiques de la scientologie» et le
tribunal national qui a jugé ces informations incomplètes n’a pas
été suffisamment explicite sur ce point (§93).
Surtout, à l’appui de la disproportion du refus contesté, la Cour
observe que «la requérante existait légalement et opérait à Moscou
comme communauté religieuse indépendante depuis trois ans» et
qu’il «n’a pas été allégué que la communauté collectivement ou ses
membres individuellement auraient violé la loi ou les règlements
régissant leur vie associative et activités religieuses. Dans ces conditions, la Cour considère que les motifs de refus de la réimmatriculation auraient dû être particulièrement graves et impérieux»
(§96). Ainsi «les autorités moscovites n’ont pas agi de bonne foi et
ont méconnu leur devoir de neutralité et d’impartialité à l’égard de
la communauté religieuse de la requérante» (§97).
S’agit-il bien là de la reconnaissance pleine et entière de l’Eglise
de scientologie en tant que religion et de la fin des déboires de la
secte si souvent décriée. Faut-il que chaque Etat tire les conclusions
de cet arrêt en donnant à l’Eglise de scientologie le plein exercice
de la liberté de religion qu’elle revendique? Notamment cet arrêt
sonne-t-il «la fin de l’exception française» et de la «vision crispée
d’une laïcité de combat» (33)? Oui et non, mais plutôt non que oui.
B. – Une consécration toute relative
de la «religion» de l’Eglise de scientologie
Déjà la cour d’appel de Lyon avait provoqué l’émoi en soulignant
«que dans la mesure où une religion peut se définir par la coïncidence
de deux éléments, un élément objectif, l’existence d’une communauté
même réduite et un élément subjectif, une foi commune, l’Eglise de
scientologie peut revendiquer le titre de religion et développer en
toute liberté, dans le cadre des lois existantes, ses activités y compris
ses activités missionnaires, voire de prosélytisme», alors même qu’elle
reconnaissait qu’il était «vain de s’interroger sur le point de savoir si
l’Eglise de scientologie constitue une secte ou une religion, la liberté
de croyance étant absolue». Cet obiter dictum a éclipsé du coup la
grande sévérité de l’arrêt pour une partie des inculpés et pour le mou(33) Selon
l’auteur
de
l’article
paru
Analyse_de_la_decision_de_la_CEDH.pdf.
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www.libertedereligion.org/
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Rev. trim. dr. h. (72/2007)
vement lui-même dans cette affaire, alors même qu’il était immédiatement tempéré par l’affirmation que «si la liberté religieuse est
totale, il est permis de concevoir que certains individus utilisent une
doctrine religieuse, en soi licite, à des fins financières ou commerciales
pour tromper des tiers de bonne foi; qu’une Eglise régulièrement
constituée pourrait, dans certains cas, dissimuler une entreprise financière ou commerciale; que l’exercice ou la pratique d’un culte peut
donner lieu à des manœuvres frauduleuses de la part de certains
membres de cette religion; que l’appréciation de ces manoeuvres à
travers une pratique religieuse n’implique pas un jugement de valeur
sur la doctrine professée par cette religion, mais concerne seulement
la licéité des moyens employés» (34). La Cour de cassation qui a rejeté
le pourvoi n’a d’ailleurs pas manqué de réparer l’outrage en soulignant que la Cour d’appel avait justifié sa décision «abstraction faite
d’un motif inopérant mais surabondant, dépourvu en l’espèce de
toute portée juridique, relatif à la qualité de religion prêtée à l’église
de scientologie» (35).
En réalité, sans le savoir, la Cour d’appel appliquait la même
réserve compréhensive que la Cour européenne des droits de
l’homme, et avant elle la Commission, à l’égard de qui revendique
le bénéfice de la liberté de religion. Cette réserve est la manifestation, de la part des organes de contrôle, d’une perception objective
de la liberté de la religion. Il n’est pas question de remettre en cause
le for interne, inviolable, de celui qui la revendique au titre d’une
foi quelconque, dès lors que certaines manifestations de cette foi,
individuelles ou collectives, en attestent la réalité concrète et effective. Ainsi, dans la seule affaire où la Commission a refusé à un
requérant l’invocation de la liberté de religion, elle a noté que le
requérant n’a exposé «aucun fait permettant d’établir l’existence»
de la religion Wicca (36). Mais, dès lors qu’est en cause le statut
juridique d’un groupement religieux, la Cour européenne admet que
l’Etat concerné impose de fournir des renseignements suffisamment
précis pour déterminer la nature exacte, authentique, de l’organisation qui revendique sa reconnaissance comme religion, et donc le
statut privilégié attaché à cette reconnaissance, afin de déterminer
qu’elle ne présente aucun danger pour la démocratie (37). Telle est
(34) L’affaire Vic déjà évoquée, C.A. Lyon, 28 juillet 1997 précité; voy. Louis de
Naurois, «Qu’est-ce qu’une église?», Gaz. pal., 14 mars 1999, n° 73, pp. 2-8.
(35) Cass. crim., 30 juin 1999, op. cit.
(36) Décision 4 octobre 1977, X. c. Royaume-Uni, D.R., 11, p. 56.
(37) Telle est la substance de la décision d’irrecevabilité du 14 juin 2005, Carmuira
spirituala a musulmanilor précitée.
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la conséquence du respect de la conviction individuelle, du for
interne, et de la nécessité de sauvegarder la démocratie et l’ordre
public, d’autant plus prégnante que sont en cause des agissements
collectifs orchestrés par une organisation structurée dont l’appréciation relève avant tout de l’Etat concerné en application du principe
de subsidiarité. Cependant ces restrictions sont d’interprétation
stricte aussi bien dans le cadre de la liberté de religion que de la
liberté d’association. La Cour d’appel de Lyon n’a rien fait d’autre
que d’appliquer, sans doute inconsciemment, cette grille de lecture.
En l’espèce, la Cour européenne est déchargée de ce problème
puisque, d’emblée, elle «observe que la nature religieuse de la
requérante n’a pas été mise en question au niveau national et
qu’elle avait été reconnue comme organisation religieuse dès 1994 »
(§64). Elle fait donc l’économie d’une débat sur la distinction entre
sectes et religions. A ce débat d’ailleurs elle ne mêle pas sa
voix (38) mais elle ne l’interdit pas, reconnaissant même «que le
débat touchant aux organisations qualifiées de ‘sectes’ est d’intérêt
général» (39) et que le parlement lui-même peut y prendre part
dans un cadre informatif, voire législatif (40). Elle veille néanmoins
à ce que, dans ce cadre, l’Etat demeure neutre et impartial et
n’intervienne que dans la mesure de ce qui est «nécessaire dans un
société démocratique».
Les autorités nationales sont donc autorisées à mettre en question
la nature religieuse de la requérante mais dans un cadre qui
demeure sous contrôle européen. Ainsi, «le devoir de neutralité et
d’impartialité de l’Etat défini par la jurisprudence de la Cour est
incompatible avec tout pouvoir de la part de l’Etat d’évaluer la
légitimité des croyances religieuses» (41). C’est donc en s’appuyant
sur des faits concrets que la nature «authentique» de l’organisation
concernée peut être contestée dans le but de déterminer le statut
(38) Voy. G. Gonzalez, La Convention européenne des droits de l’homme et la
liberté des religions, Paris, Economica, 1997, pp. 52 et s.
(39) Cour eur. dr. h. , 22 décembre 2005, Paturel c. France, §32, qui concerne la
liberté d’expression. Voy. aussi C.A. Amsterdam, 4 septembre 2003, Eglise de scientologie c. divers : l’Eglise est déboutée de ses poursuites en contrefaçon contre des personnes physiques et morales qui avaient reproduit des passages d’ouvrages de la
scientologie pour en souligner les pratiques abusives. L’arrêt est analysé par
J.-M. Bruguiere et M. Vivant (Chron.), Propriétés Intellectuelles, juillet 2004, n° 12,
p. 834.
(40) Cour eur. dr. h., décision du 6 novembre 2001 (irrecevabilité), Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France.
(41) La Cour cite Eglise métropolitaine de Bessarabie, §§118 et 123, et Hassan et
Tchaoush c. Bulgaria [GC], 26 octobre 2000, §62.
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Rev. trim. dr. h. (72/2007)
juridique qui lui est applicable pour sa vie collective, de le lui refuser, de le lui retirer, d’en prononcer la dissolution sur des motifs qui
ne peuvent être que très précis et prouvés. Mais cela n’empêche nullement l’organisme qui le revendique, ses adeptes, de bénéficier de
leur liberté de religion. La distinction doit être faite entre le bénéfice de cette liberté d’accès libre et le bénéfice d’un statut privilégié
qui, sur le plan interne, procure avantages et privilèges. Il suffit que
le mouvement concerné puisse disposer d’un cadre juridique lui permettant a minima de défendre ses intérêts collectifs et il est donc
tout à fait concevable d’avoir, sur le plan interne, plusieurs formes
associatives par exemple qui procurent, selon les cas, grande ou
petite personnalité juridique (42). De ce point de vue, la combinaison des articles 9 et 11 est pleinement justifiée et le fait que la Cour
privilégie le contrôle sur le fondement de l’article 11 interprété à la
lumière de l’article 9 de la Convention, et non l’inverse, est révélateur de cette réserve de la Cour qui n’a pas ici, et ne souhaite pas
en général, s’engager trop avant dans la réduction de cette marge
d’appréciation des Etats. Loin de sonner le glas de la laïcité, la Cour
européenne en absorbe les valeurs essentielles (43). La neutralité de
l’Etat, son impartialité, les obligations positives qui pèsent sur lui
sont régulièrement mis en avant et la laïcité, dans un certain contexte, peut même être de combat si la pressante nécessité l’impose
absolument (44).
L’arrêt du 5 avril 2007 ne consacre donc pas à proprement parler
la reconnaissance de la religion de l’Eglise de scientologie, ce qui
n’empêche nullement cette organisation et ses adeptes de revendiquer le bénéfice des libertés de religion, d’expression et d’association. Les Etats quant à eux doivent avoir une démarche cohérente
et utiliser les moyens juridiques qui sont à leur disposition pour préserver l’ordre public et la démocratie s’ils estiment que ceux-ci sont
menacés, sous l’emprise de la Convention et le contrôle éventuel de
la Cour européenne. La reconnaissance ou la consécration requièrent
plus qu’un simple arrêt de chambre de la Cour européenne condamnant les agissements outranciers d’une administration encore empe(42) Par exemple Comm. eur. dr. h., déc. 10 janvier 1992, Iglesia Bautista «El
Salvador» c. Espagne; Cour eur. dr. h., déc. 14 juin 2001, José Alujer Fernandez et
Rosa Caballero Garcia c. Espagne; Cour eur. dr. h., 27 juin 2000, Association cultuelle
Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France.
(43) Sur cet aspect voy. G. Gonzalez (dir.), Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l’homme, Nemesis/Bruylant, 2006, coll. Droit et justice,
n° 67.
(44) Cour eur. dr. h., 13 février 2003, Refah Partisi et a. c. Turquie, GACEDH,
n° 55.
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sée de lourdeur et d’arbitraire. Le chemin est encore long pour
l’Eglise de scientologie et sans doute semé d’embûches. Un arrêt
intéressant donc, plus par ce qu’il suggère que par ce qu’il dit explicitement, sans plus…
✩