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RÉVÉLATIONS
Le drôle de
de l’Eglise de
PHOTOS : G. ATGER POUR CAPITAL - AFP - REUTERS
Censé libérer l’âme de ses fidèles,
le mouvement fondé par Ron
Hubbard se montre surtout
efficace pour alléger leur
portefeuille. Zoom sur ses
méthodes de vente, musclées.
e bouquin n’est pas
remboursé par les
mutuelles, mais il
est clair qu’il devrait
l’être. A en croire
l’un des vendeurs
de la boutique de
scientologie de Paris, «ceux qui
ont lu “La Source de l’énergie
vitale” n’ont plus jamais besoin
de lunettes». L’argumentaire est
bien rodé, comme nous avons
pu le constater après avoir adhéré à l’Eglise de scientologie,
début mars, pour les besoins de
cette enquête (nous en sommes
sortis au bout de trois semaines). A 200 euros pièce, le livre
miracle n’est certes pas donné.
Pourtant, le commercial pousse
à la dépense : il nous a ainsi proposé avec insistance les œuvres
complètes du fondateur, Ron
Hubbard, soit 18 volumes et 14
CD, au prix sacrifié de 3 175
euros. «Regarde autour de toi
comme les gens sont heureux,
tous les ont achetées.» D’ailleurs, il était prêt à des arrangements pour faciliter les choses.
Notre compte est insuffisamment
provisionné ? «Pas de souci, tu
me fais un chèque et je l’encaisse
la semaine prochaine.» Nous
avions oublié notre chéquier à la
maison ? «Je t’accompagne chez
toi et tu me le signes.» Après
mûre réflexion, nous avons
quand même décliné l’offre.
Les employés de l’Eglise ont
été très déçus. Comme aux dizaines de nouveaux adeptes qui
croisent leur chemin tous les
mois, ils s’apprêtaient en effet
à nous refiler, dans le désordre
et dans la foulée : un électromètre (pour mesurer notre
«masse mentale»), des «vitamines de purification», une ceinture griffée «scientologie»,
ainsi qu’une série de cours sur
la dianétique (la fameuse méthode Hubbard) facturée,
112 Capital Mai 2009
comme le reste, à des tarifs prohibitifs. «Au total, les scientologues doivent débourser entre
45 000 et 76 000 euros s’ils veulent accéder à l’état suprême de
“Clair”», calcule Arnaud Palisson, l’ancien monsieur sectes
des Renseignements généraux.
Danièle Gounord, la porteparole de l’organisation en
France, ne conteste pas ce coût.
Mais, «pour en finir une fois
pour toutes avec le stress et découvrir son propre chemin», il
ne lui paraît pas tellement élevé.
L’avocat Olivier Morice n’est
pas de cet avis. Du 25 mai au 10
juin prochain, ce ténor du barreau parisien défendra une ancienne femme de ménage à qui
la scientologie a soutiré plus de
20 000 euros en six semaines. Et
il espère bien obtenir au passage
la dissolution de cette organisation qui compte entre 2 000 et
4 000 fidèles dans ses onze antennes françaises. «Son but principal est de capter la fortune des
adeptes», s’étrangle-t-il. «Pas du
tout, nous nous battons pour libérer les âmes», répondent en
chœur ses dirigeants.
Chaque jeudi, à 14 heures,
ceux-ci sortent néanmoins leur
calculette, selon un rituel immuable pratiqué dans le monde
entier. «On comptabilise tout,
les produits vendus, le chiffre
d’affaires, jusqu’au nombre de
personnes entrées dans la librairie», témoigne Roger Gonnet,
qui fut l’un des pontes du mouvement pendant huit ans avant
d’en claquer la porte et de
publier «La Secte» (Editions
Alban). Les vendeurs, eux, croisent les doigts, car leur paie
dépend directement des
recettes. Et s’ils enchaînent les
mauvais chiffres, ils risquent de
passer en «condition basse»,
antichambre de l’exclusion. On
comprend leur nervosité. Mais
les hauts dirigeants ne sont pas
non plus à l’abri des sanctions.
Comme dans une vulgaire
chaîne de magasins, ils risquent
de voir leurs primes passées à la
guillotine si leur antenne ne
crache pas assez de profits. Pour
l’instant, celle de Paris s’en sort
bien : mi-février, le tableau que
nous avons pu consulter la plaçait en tête de toute l’Europe.
Choquant ? Peut-être, mais
cette âpreté au gain fait partie
intégrante de la sagesse scientologue. «Faites de l’argent, faites
plus d’argent, obtenez que les
autres produisent plus pour faire
plus d’argent», clamait dès 1972
Ron Hubbard dans une lettre à
ses collaborateurs. Plutôt que de
fidéliser les nouveaux arrivants,
les scientologues préfèrent donc
les tondre le plus vite possible,
quitte à les voir s’enfuir en
courant au bout de quelques
semaines. En France, au-delà du
noyau dur de pratiquants, ils
auraient ainsi allégé le portefeuille de 50 000 personnes.
Pour recruter de nouvelles
proies, la scientologie n’hésite
pas à avancer masquée. Ainsi,
sous couvert de lutte contre la
toxicomanie, ses adeptes distribuent régulièrement dans les
rues des fascicules de prévention qui renvoient vers l’antenne
la plus proche. Fin 2007, la
chaîne de télé pour enfants
Gulli et les salles de cinéma
commerce
scientologie
Des milliers de
scientologues
viennent suivre
une formation
dans ce palais,
situé à Clearwater,
en Floride. Ils y
croisent parfois
David Miscavige,
le pape de l’Eglise.
Le dépliant de
propagande :
25 euros
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Les adeptes doive
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d’accessoires à plusieurs milliers d’eu
Outre un DVD très court
résumant la bonne
parole de l’Eglise, ces
dépliants commerciaux
contiennent un bon de
commande : les fidèles
sont invités à acheter
des lots de petits livres à
distribuer au public.
Ces derniers peuvent
être facturés plusieurs
milliers d’euros.
Suite page 114 씰
L’électromètre :
3 800 euros
Relié au corps par deux électrodes,
cet appareil est censé mesurer «la
pression de la masse mentale liée à
un souvenir douloureux». Il est
conseillé de l’acquérir très vite. En
fait, il ne s’agit que d’un ohmmètre
rudimentaire, dont le prix de
revient ne dépasse pas 900 euros.
Mai 2009 Capital 113
RÉVÉLATIONS
Les recettes de la seule branche française atteindraient
PHOTOS : PH. SÉBIROT POUR CAPITAL - F. ALBERT POUR CAPITAL
Suite de la page 112
UGC se sont également fait
piéger en diffusant un clip sur
les droits de l’homme signé
d’une association gravitant
autour de la galaxie Hubbard.
Les combines sont tellement
bien montées que nos grandes
entreprises elles-mêmes finissent par tomber dans le panneau.
Ainsi Carrefour, la Société générale, SFR ou encore Novotel
ont-elles eu recours à Eagle’s
Flight pour former leurs cadres.
Se doutaient-elles que Guy Bergeaud, le patron de cette officine, était l’un des membres
d’honneur de l’Eglise française
de scientologie ? «Mon appartenance religieuse n’a rien à voir
avec mes formations», se défend cet homme de foi. Selon
nos informations, la société de
Guy Bergeaud est pourtant
adhérente à Wise, le réseau
mondial des entreprises scientologues. Et, comme les autres,
elle s’engage à «utiliser les méthodes de management de Ron
Hubbard» dans ses activités
professionnelles.
Selon la CGT, la banque BNP
Paribas s’est pareillement fait
berner par les toqués de la
dianétique. Le syndicat pointe
du doigt les séances animées
jusqu’en 2007 par André-Paul
Emmenecker, un ancien adepte
patenté de la scientologie.
Même si ce dernier l’a quittée,
les concepts qu’il développe
dans ses cours –
«quatrième voie», «outre-vie»,
«sixième sens» – fleurent bon
les élucubrations hubbardiennes. Certes, depuis l’alerte syndicale, il n’intervient plus chez
BNP. Mais, en une décennie de
prêche, combien de salariés de
la maison est-il parvenu à ramener dans ses filets ?
Dopées par ces techniques
marketing bien rodées, les recettes de la seule branche française de la scientologie atteindraient chaque année 10
millions d’euros. Une vraie fortune, au regard des coûts de
fonctionnement très faibles de
l’organisation. Les bouquins et
autres objets de culte sont en effet fabriqués au Danemark par
une société amie, New Era Publication, pour une bouchée de
pain, et de nombreux employés
œuvrent bénévolement. Comme
toutes les filiales du monde,
l’antenne parisienne peut donc
reverser une bonne partie de ses
gains à la maison mère, installée
sur Hollywood Boulevard, à Los
Angeles. Et lui permettre de
réaliser des investissements de
prestige à l’échelle internationale. Entre autres merveilles,
l’Eglise de scientologie s’est offert le «Freewinds», un paquebot de 134 mètres de long, le
magnifique manoir de SaintHill, en Angleterre, ainsi qu’un
impressionnant «centre spirituel» à Clearwater, en Floride.
Sans parler de l’achat, depuis
2006, de trois luxueux immeubles dans les beaux quartiers de
Londres, Montréal et Auckland,
pour 42 millions d’euros.
La filiale française cherche
aussi à déménager dans un
siège flambant neuf. Et ce n’est
pas une éventuelle dissolution
par la justice, à la suite du procès de mai prochain, qui l’en
dissuadera. «Même interdite,
elle parviendrait à renaître sous
d’autres formes, comme elle l’a
déjà fait», prévient Georges Fenech, le président de la Miviludes, la mission anti-sectes du
gouvernement. Afin d’essayer
de limiter les dégâts, cet empêcheur de s’enrichir en rond va
publier dans les prochains mois
un manuel de prévention à
l’égard des esprits vulnérables.
Espérons qu’il ne nous le
vendra pas 200 euros.
Gilles Tanguy
.
10 millions d’euros par an
La ceinture : 84 euros
Ornée du symbole de la dianétique, elle
est exposée dans la vitrine de la librairie
scientologue à Paris. Selon le syndicat
de la ceinture, qui l’a expertisée pour
Capital, elle coûterait à peine 7 euros à
fabriquer. «Au détail, on pourrait la vendre
25 euros», précisent ces professionnels.
Le stage de purification :
1 464 euros
La carte d’adhérent :
3 850 euros
En 2007, l’inscription annuelle à l’association internationale de scientologie
coûtait 385 euros. Mais il est très
fortement recommandé d’adhérer à
vie, pour 3 850 euros. L’adepte peut
aussi devenir sponsor pour 7 700 euros
et «crusader» pour 19 250 euros.
Pour «nettoyer son corps des drogues», les
scientologues doivent transpirer quatre
heures par jour dans les saunas de l’Eglise
pendant trois semaines et absorber
impérativement ces vitamines. Les membres
à vie ont droit à un discount de 20%.
L’heure d’audition :
400 euros
La collection de
livres : 3 175 euros
Quelques jours après son inscription,
il faut déjà s’acheter les fondements de
la scientologie : 18 livres rédigés par
Ron Hubbard et 14 CD audio de conférences. Et, à chaque réédition, il est
conseillé de renouveler toute la série.
Pilier de la dianétique, ce tête-àtête permet aux fidèles de
raconter un souvenir douloureux à
un conseiller. La séance d’une
heure avec un adepte expérimenté
coûte autour de 140 euros, mais
elle peut grimper jusqu’à 400 en
fonction du niveau de l’auditeur.
Mai 2009 Capital 115

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