ABC de l`Actu – Populisme

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ABC de l`Actu – Populisme
Jeunes cdH
ABC de l’actu – novembre 2014
Populisme, mais qui es-tu ?
Populisme, ce mot est devenu l’un des adjectifs à la mode dans le paysage politico-médiatique.
Politologues, adversaires politiques, journalistes, analystes, tous usent allègrement de ce terme dans
des situations parfois contradictoires, ce qui conduit à une confusion dans la compréhension de ce
vocable et peut lui faire perdre toute sa pertinence. Décryptage !
Brève histoire du populisme
«Wall Street possède le pays. Nous n’avons plus un gouvernement du peuple, par le peuple et pour
le peuple, mais un gouvernement de Wall Street, par Wall Street et pour Wall Street (…) Le peuple
est aux abois : que les limiers de l’argent qui nous harcèlent prennent garde»1. Nous sommes en
1890 lorsque Mary Ellen Lease, militante politique et conférencière, prononce ces propos dans
son discours durant la convention du People’s Party américain, fondé par les milieux paysans
américains dont la volonté est de réincarner le peuple fondateur de la démocratie américaine.
Durant la même période, en Russie, les Narodniki voulaient, en « allant au peuple », restaurer une
communauté perdue. Ce mouvement était animé par des jeunes intellectuels anti-tsaristes. La
nation révolutionnaire unanime des uns n’était pas plus réelle que la communauté slave
harmonieuse des autres2. Toutefois, cela a fait appel à un imaginaire collectif permettant à ces
partis de se revendiquer porte-parole d’un peuple.
Curieusement, la notion de populisme ne fera son apparition que quelques années plus tard malgré
les références claires faites au peuple par ces deux mouvements (People’s party = Parti du peuple ;
Narod = Peuple). Ce n’est que sous la plume de Léon Lemonnier qu’il entrera dans la littérature. En
effet, le Manifeste du roman populiste (La Centaine, 1930) et le populisme (Renaissance du livre,
1931) de Léon Lemonnier fondèrent la naissance du mouvement populiste3. Il s’agissait d’un
mouvement littéraire apolitique qui s’insurgeait contre le roman bourgeois et voulait « décrire
simplement la vie des petites gens »4.
Il entrera par la suite dans le domaine des sciences sociales, avec une certaine intention politique, en
créditant les cultures populaires d’une forme d’autonomie, en célébrant leur résistance et en
valorisant l’« excellence du vulgaire ». Le concept veut prendre le contre-courant d’une forme de
mépris d’une classe dominante qui renvoie les classes dominées (les gens d’en bas) à l’inculture et la
barbarie5.
Par la suite, ce terme fera progressivement son entrée dans le champ politique à travers un article du
sociologue argentin Torcuato Di Tella. Il utilisera ce terme en 1963 pour décrire les régimes latinoaméricains durant la Première Guerre Mondiale, en particulier ceux du Brésil, avec le président Gétulio
1
http://www.historyisaweapon.com/defcon1/marylease.html
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/02/09/une-notion-floue-et-polysemique_1641177_3232.html
3
http://www.fabula.org/actualites/romanciers-populistes_46614.php
4
Philippe Roger, « Le Roman du populisme », dans « Populismes », Critique, n°776-777, Paris, janvier-février
2012
5
Gerard Mauger, « populisme, itineraire d’un mot voyaguer », dans, Le Monde Diplomatique, Paris, Juillet
2014
2
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Vargas et surtout celui d’Argentine avec Perron6. Ce dernier reste encore à ce jour une des grandes
références pour ce type de pratiques politiques.
Populisme : un mot plein d’amalgames
Bien qu’il soit entré dans le champ politique, il faut reconnaitre que le populisme n’est pas un concept
précis des sciences politiques. Pierre Bouretz, historien des idées, a pu dénicher le terme
« popularisme » dans un dictionnaire du vocabulaire politique datant de 1842 évoquant l’usage
contemporain de ce mot. Il se définissait comme suit : « Déchéance du gouvernement populaire, cour
basse et servile faite au peuple pour capturer son affection »7, mais comme évoqué plus haut, c’est
bien plus tard que le terme populisme entrera dans la pratique courante.
Il faut reconnaitre qu’il y a une extrême dispersion et une pluralité des points de vue sur la notion
de populisme8. Ceci rendant peu rigoureux, d’un point de vue scientifique, l’usage de ces termes, c’est
une des faiblesses de chaque analyse sur la question. En effet, aux États-Unis, le populisme fait partie
intégrante du champ politique dit « acceptable ». Opposer le sentiment ou la revendication populaire
aux élites est une arme dont l’usage par un politicien ne choque personne, car le peuple peut avoir
d’autres intérêts que celles des puissances économiques, des autorités administratives ou judiciaires,
des gouvernants. Il revient aux grands partis et à leurs candidats, soit de capter ces attentes et d’y
répondre, soit de les neutraliser9 . Le jeu est donc tout à fait clair et accepté par la
scène
politique
et
l’opinion
publique
américaine.
Par contre, en Europe, c’est une tout autre histoire. Être qualifié de populiste relève pratiquement
de l’insulte. Cette perception trouve sa source dans l’histoire européenne du XXe siècle. Cela
s’explique notamment par le fait que les totalitarismes, qui ont mis l’Europe à feu et à sang, ont
disqualifié le populisme. Comme l’explique bien le politologue Laurent Bouvet, « La promotion des
peuples, résultant à la fois de la diffusion de la démocratie et de l'affirmation des nationalités, au
XIXe siècle, a débouché, après la Première Guerre Mondiale, sur celle des masses, supports du
communisme en Russie et des fascismes en Europe occidentale. Les désastres qui en ont résulté vingt
ans plus tard ont amené les citoyens des démocraties victorieuses à se détourner de la croyance dans
les bienfaits de la multitude unie, pour s’intéresser plutôt à ceux du progrès économique et de
l'épanouissement individuel ».10 Ceci explique donc bien le caractère péjoratif de ce terme tel que
perçu en Europe.
Populisme en Europe : Comment expliquer la percée des partis
populistes?
6
7
Arénilla Louis. Histoire, Politique étrangère, 1997, vol. 62, n° 4, pp. 697-698
http://www.slate.fr/story/71963/populiste-injure-politique-partis
Neira Hugo. Populismes ou césarismes populistes ?. In: Revue française de science politique, 19e année, n°3,
1969. pp. 536-573.
9 http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/02/09/l-alerte-populiste-un-defi-democratique_1640774_3260.html
8
10
http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/02/09/l-alerte-populiste-un-defi-democratique_1640774_3260.html
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Nous constatons depuis plusieurs années une percée de partis dits « populistes » un peu partout en
Europe. Un rapide coup d’œil sur les résultats des dernières élections européennes suffit pour se
rendre compte que celles-ci ont été marquées par une poussée des partis populistes et europhobes11.
Malgré l’échec de Marine Le Pen, présidente du Front National français, dans sa tentative de
constitution d’un groupe europhobe au sein du parlement européen12, il faut bien reconnaitre que le
phénomène est bien réel et peut véritablement inquiéter.
l’UKIP, parti de Nigel Farage (Grande Bretagne), le FN de Marine Le Pen (France), le Parti Populaire
Danois (Danemark), JOBBIK (Hongrie), Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo (Italie), Parti de la liberté
(Autriche), Parti pour la Liberté de Gert Wilders (Pays-Bas), Aube Dorée (Grèce) et NV-A (Belgique) sont
les principaux partis populistes ayant performé lors de ce scrutin. Il existe des différences
programmatiques profondes entre ces partis, mais nous remarquons qu’ils utilisent le même type de
stratégies populistes. On reconnait ce type de stratégies grâce à la mobilisation de plusieurs facteurs :
Dénonciation d’une élite, culte du peuple, exaltation des valeurs démocratiques, rejet de la
mondialisation, rejet de l’Union Européenne et présence d’un leader charismatique13, on peut aussi
ajouter le fait que ces partis dénoncent les partis traditionnels de gauche ou de droite, ont une bonne
dose de nationalisme et flirtent souvent avec le racisme et la xénophobie…14 Selon les pays, la
proportion de ces ingrédients varie. Il est par exemple intéressant de signaler que la NV-A est le seul
parti populiste à ne pas être ouvertement europhobe. En effet, dans son reportage « Populisme,
l’Europe en danger » la chaine ARTE qualifie la NV-A comme un parti « nationaliste, séparatiste, libérale
(…) qui se caractérise avant tout par son combat pour l'indépendance flamande. Libéral sur le plan
économique, c'est le seul parti populiste en Europe à ne pas s'affirmer eurosceptique »15. Plusieurs
facteurs permettent d’expliquer la percée électorale de ces partis.
Ce populisme est tout d’abord une réaction à la crise économique et financière qui secoue l’Europe
depuis 2008 et qui touche de profondément les classes populaires. Pascal Perrineau, Professeur des
Universités à Sciences Po, souligne que cette crise « montre les fragilités des sociétés post-industrielles
et développe un profond malaise dans les couches populaires touchées de pleins fouets par le chômage,
les délocalisations et les problèmes de pouvoir d’achats. Le discours de protectionnisme économique
avancé par les forces nationales-populistes rentre parfois en harmonie avec les inquiétudes de ces
couches populaires»16. Elle est donc un terreau fertile pour ce genre de discours à la fois simpliste et
démagogique. Cette affirmation prend d’autant plus de sens à la lumière des propos du politologue
Laurent Bouvet lorsque celui-ci affirme que « la gauche a nourri elle-même cet ennemi mortel de ses
renoncements et de ses insuffisances, en délaissant des aspirations populaires telles que le travail, bien
sûr, mais aussi l'identité nationale, le modèle d'autorité social-familial, le sens de l'appartenance et de
11
http://info.arte.tv/fr/la-vague-populiste-aux-elections-europeenens
http://www.lemonde.fr/europeennes-2014/article/2014/06/24/le-fn-echoue-a-creer-un-groupe-auparlement-europeen_4443940_4350146.html
13
Biard Benjamin, « Variétés de populismes, mais pas de groupe à l’Europe », dans Le Soir, 30 Juillet 2014
14
http://fr.myeurop.info/2014/03/31/europe-vague-populisme-fn-xenophobe-13506
15
http://www.levif.be/actualite/belgique/la-n-va-un-parti-populiste-dangereux-selon-arte/article-normal71825.html
12
16
Perrineau, Pascal, « La montée du national populisme en Europe », Fondation Albert Schuman, Entretien
d’Europe n°53, janvier 2011
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la protection collectives, etc.»17. Le sentiment des couches populaires de se sentir abandonnées par la
classe politique est un élément important. Lorsque Marine Le Pen affirme que « c’est bien l’étranger
qui est l’un des principaux responsables du chômage en France. La preuve, les 300.000 emplois low cost
constituent "une arme de destruction massive" qui sont autant de postes que n’occupent pas les
travailleurs français »18. Cela trouve écho auprès d’une classe populaire fortement touchée par le
chômage.
On note également, comme autre facteur explicatif, « une crise [profonde] de la légitimité politique
affectant l’ensemble du système de représentation »19. En effet, nous constatons un peu partout en
Europe une défiance par rapport aux gouvernements et plus largement par rapport au monde
politique. Ces partis au tempérament protestataire arrivent à politiser ce rejet de la politique20.
L’articulation de l’agenda politique est aussi un facteur clé de la percée de ces partis. En effet, les sujets
chers aux partis populistes tels que l’identité, l’insécurité et l’immigration sont des thématiques qui
sont à la une de l’agenda politique aujourd’hui. On peut également ajouter la dénonciation de la
construction européenne et le rejet de la mondialisation dans le lot. L’Europe et les musulmans étant
aujourd’hui deux des boucs-émissaires favoris des partis populistes.
Comment lutter contre les populismes ?
Une chose est claire, il n’existe pas de formule magique toute faite qu’il suffit d’appliquer pour
éradiquer la montée des partis populistes. De plus, les populismes s’expriment de façons différentes
d’un pays à un autre. En Belgique, il prend la forme d’un nationalisme identitaire, là où aux Pays-Bas
par exemple, il est teinté de xénophobie et joue sur la peur de l’autre (Musulman).
Dès lors, comment réagir ? Certains pensent que faire participer ces partis au pouvoir conduit à leur
normalisation, d’autres défendent la diabolisation de ceux-ci, d’autres encore tentent de récupérer
leur discours. Les réponses sont diverses et les résultats le sont tout autant. Cela n’est pas sans rappeler
le débat qui a eu lieu en Belgique sur la stratégie à adopter vis-à-vis de la NV-A durant les négociations
fédérales. Le cdH ayant fait le choix de ne pas s’associer avec la NV-A, considérant que mettre un parti
nationaliste au pouvoir serait un mauvais signal 21 alors que d’autres partis ont fait le choix contraire.
Dans certains cas, l’alliance a permis de banaliser, de faire reculer et de diviser les partis populistes
(Autriche). Dans d’autres cas, elle a permis aux partis de s’affirmer (Ligue du Nord en Italie), ce qui
démontre que rien n’est fixé d’avance.
Selon nous, la meilleure façon de faire face à cette montée du populisme est d’encourager le monde
politique à se saisir réellement des problématiques portées par ces partis (immigration, sécurité,
17
http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/02/09/l-alerte-populiste-un-defidemocratique_1640774_3260.html
18
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/977779-chomage-racisme-les-theories-tordues-de-marine-le-pensur-rtl.html
19
Taguieff. P-A, Le populisme et la science politique. Du mirage conceptuel aux vrais problèmes, Vingtième
Siècle. Revue d’histoire, No. 56, Numéro spécial : Les populismes (Oct. - Dec.,1997)
20 20
21
Perrineau, Pascal, Ibid.
http://www.sudinfo.be/1097521/article/2014-09-08/benoit-lutgen-cdh-avec-la-n-va-on-aurait-ungouvernement-comprenant-un-parti-all
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vivre-ensemble, chômage, etc) en y apportant des réponses crédibles, sérieuses et dénuées de
toutes formes de xénophobie et de repli sur soi. Il importe aussi d’envisager d’autres pistes
complémentaires, comme la prévention via des campagnes de sensibilisation, l’éducation dans les
écoles aux fondements de la démocratie, à la lutte contre le racisme, à l’apprentissage du vivre
ensemble …
Néanmoins, on peut s’accorder sur une chose, l’installation de ces partis sur la scène politique a
malheureusement conduit au raidissement des discours sur les enjeux identitaires et les réponses de
type nationale-populistes ont progressé. Il arrive de plus en plus que des hommes politiques de partis
plus traditionnels utilisent des stratégies populistes pour séduire l’électorat.
Il importe donc d’agir sur ces sujets, mais il faut accompagner cela d’un discours tout aussi fort sur les
avantages d’une société ouverte sur le plan économique, social, culturel et politique et ce discours se
doit d’être offensif et enthousiasment et non pas défensif.
Nous conclurons en relevant qu’il faut garder à l’esprit que « le populisme n’est qu’un moment dans
l’histoire politique d’un pays. Les réponses à la crise politique dont le populisme est un symptôme sont
à chercher dans des changements du côté de la représentation, mais aussi du côté de la démocratie
participative, ou délibérative. (…)Le populisme, c’est un grondement, un souffle critique, mais qui ne
porte pas en lui-même un regain de la démocratie. Le jour où les forces politiques au pouvoir
apporteront des réponses fortes aux questions économiques, sociales, culturelles et
environnementales, des réponses tournées vers l’avenir, l’abstention régressera, le vote (populiste)
aussi, ainsi que tous les extrémismes »22.
22
http://www.la-croix.com/Actualite/France/Michel-Wieviorka-Le-populisme-est-le-symptome-d-une-crisepolitique-2013-09-05-1007802

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