L`UNION FAIT LA FORCE
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L`UNION FAIT LA FORCE
RENCONTRE CHARLES LACHAUX, OLIVIER LAMY ET THOMAS BOULEY L’UNION FAIT LA FORCE Charles Lachaux, Olivier Lamy et Thomas Bouley sont des vignerons bourguignons qui partagent une vision commune de leur métier. Leur préoccupation première : la vigne, où ils mettent tout en œuvre pour respecter la plante et en tirer le meilleur. Rencontre avec trois collègues, devenus amis. Vous êtes respectivement vignerons à SaintAubin, Volnay et Vosne-Romanée. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Thomas Bouley : Nous avons un ami en commun, Nicolas Rossignol, avec qui ça a tout de suite accroché quand je me suis installé sur le domaine en 2002. On partage avec lui le goût de se remettre en permanence en question, pour mieux faire. Olivier Lamy : Je suis de la même génération que Nicolas Rossignol. On a commencé à goûter ensemble, Thomas était là. On s’est découvert des points communs sur le travail de la vigne, les vinifications. On parle le même langage, on veut aller dans le même sens, on se comprend. Charles Lachaux : Je suis le dernier de la bande, le petit jeune. C’est Olivier que j’ai rencontré en premier, car mon meilleur ami champenois était en stage chez lui. R E P È R ES Olivier Lamy 8 mars 1973 : Naissance. 1989-1993 : BTA Viti-Œno et BTS Commerce des Vins au lycée viticole de Beaune. 1995 : Stage de 3 mois chez Méo-Camuzet (Vosne-Romanée). 1996 : Premier millésime au domaine familial. 18,5 hectares aujourd’hui en Saint-Aubin, Puligny-Montrachet, Chassagne-Montrachet, Santenay et Criots-Batard-Montrachet. Vous échangez régulièrement sur votre métier. Est-ce que cela vous a fait évoluer dans vos pratiques ? TB : Bien sûr ! Je pense que l’on a perdu le sens de l’observation. On est dans un monde où l’on regarde en permanence sa montre, où la rentabilité prime. Dans notre métier, savoir observer est essentiel. Tout ce qui est pratique, plus rapide quand on travaille avec la nature, n’est valable que sur le court terme. OL : La Bourgogne se vend bien. C’est tentant de tomber dans la facilité, de vendre une appellation. Ce qui fait la différence entre le bon et le très bon, c’est le travail de la vigne. CL : La différence se joue à pas grand-chose. Le niveau qualitatif est remonté chez tout le monde. On a parfois l’impression de passer énormément de temps pour pas grand-chose. Quand on met le doigt dans ce que l’on pratique tous les trois aux vignes, c’est difficile de s’en sortir. C’est un engrenage vraiment passionnant. OL : Si on reprend l’exemple de l’esca* et du curetage des ceps, le vigneron avait la solution il y a 100 ans ! On n’a rien inventé. Grâce à l’œnologie, on peut ne plus faire de mauvais vins. Mais on ne fait pas de vins magiques. CL : Depuis seize ans, on a eu un seul millésime moyen, 2004. Avant, il y avait un seul grand millésime par décennie. La météo a fait évoluer le goût du vin et ce qu’on en attend. Les gens ont découvert un goût qui n’existait pas avant. Les vins prêts à boire rapidement, ça ne se faisait pas, à part dans le Beaujolais. TB : Les décennies 1970 et 1980 sont les pires de l’histoire de la Bourgogne. C’est le règne de la productivité. On a boosté les sols. Les gens qui disent qu’ils n’aiment pas les vieux vins ont l’image de ce qui se faisait à cette époque avec une couleur brique, un côté madérisé, des notes de sous-bois, de champignons. Un grand vieux vin, il y a du fruit ! Je pense que dans quinze ou vingt ans, quand on ouvrira nos bouteilles, on retrouvera ça, avec de l’émotion, de la vibration. La conservation du vignoble et la lutte contre l’esca sont deux sujets qui vous préoccupent, entre autres. Olivier, c’est vous qui avez été un précurseur ? OL : J’ai appris à tailler à l’école, avec l’idée qu’il faut toujours rajeunir les pieds. On taillait le bout de bois à la scie, bien à ras, pour faire propre, « plus joli ». Au bout de cinq ans, ces pieds-là mourraient. On a saccagé beaucoup de jeunes vignes comme ça. Avec le sécateur électrique, on faisait de grosses cicatrices. Je me suis rendu compte qu’il y avait un problème et on a commencé à changer notre façon de faire. J’ai finalement rencontré François Dal, qui a énormément travaillé sur la taille et les maladies du bois, et j’ai trouvé la solution en taillant avec deux cornes. La démarche a cheminé dans ma tête et il a ensuite fallu expliquer aux employés une nouvelle façon de travailler. Désormais, on retaille tout de cette façon et d’autres vignerons du village viennent me voir et essayent sur leur domaine. Mais on n’a rien inventé, c’est simplement un retour en arrière, à d’anciennes pratiques. 14 BOURGOGNE AUJOURD’HUI - N°131 p14-17_renc131.indd 14 13/09/16 13:59 BOURGOGNE AUJOURD’HUI - N°131 p14-17_renc131.indd 15 15 13/09/16 13:59 RENCONTRE CHARLES LACHAUX Pour vous, l’essentiel du travail du vigneron se fait à la vigne ? TB : Oui, c’est la base de notre métier. L’homme est en union avec la vigne. La date de la taille, la formation du pied, c’est le vigneron qui la détermine, pas la nature. Vous mettez dix personnes pour tailler un même pied, il peut être taillé dix fois différemment. La plante est une liane qui ne doit jamais être coupée avant la fleur. Les anciens avaient une règle de base : ne jamais écimer une vigne avant la floraison. Cela va la fragiliser et la déstabiliser. CL : On a perdu le respect du cycle végétatif. J’ai vu des domaines en biodynamie avec des rangs et des plantes malades. Dès lors, on ne peut pas demander à la plante de s’en sortir toute seule. L’extrémisme n’est jamais bon. Une vigne qui a été désherbée pendant dix ou vingt ans et que l’on passera en culture bio va vivre un traumatisme. Il faut laisser le temps à nos vignes et à nos sols de « digérer » ce qu’on leur fait, y aller progressivement. Olivier, il m’est arrivé à plusieurs reprises d’entendre des vignerons vous citer en exemple. avezvous l’impression de faire figure de modèle pour certains ? OL : Je ne pense pas… Étant jeune, j’aimais aller voir d’autres domaines. J’ai eu la chance de ren- « Au prix où l’on vend les vins en Bourgogne, on se doit de faire mieux ! Dans bien d’autres régions, des vignerons fournissent un boulot qui n’est pas fait en Bourgogne alors que les bouteilles valent cinq à six fois moins cher », Charles Lachaux. R E P È R ES Charles Lachaux 20 mars 1989 : Naissance. 2007 : Bac STAE au lycée viticole de Beaune. 2009 : BTS Viti-Œno au lycée viticole de Beaune. Septembre à février en 2011 : Bachelor de commerce à l’INSEEC de Bordeaux, puis des stages à l’étranger et en France jusqu’à fin octobre 2011. Novembre 2011 : Retour sur le domaine familial de 14,5 hectares répartis sur 15 appellations sur les communes de Nuits, Vosne, Chambolle et Gevrey. écimés à un mètre du sol en début de fleur et pleine fleur ! Il faut m’expliquer comment se fait la photosynthèse. Le discours tenu est loin d’être en accord avec les pratiques du quotidien. Justement, aucun de vos domaines n’est certifié bio ou biodynamie. Pourquoi ne pas demander un label ? OL : On a essayé d’aller jusqu’au bout mais on a finalement abandonné. Je ne suis pas prêt à être contrôlé et m’entendre dire ce que je dois faire. En 2012, on a pris beaucoup de mildiou et on a perdu pas mal de récolte. En 2013, ça recommençait, ça ne servait à rien de continuer avec du cuivre. Si je suis malade, je prends de l’homéopathie. Si je suis très malade, je prends un médicament ou un antibiotique. Je vois les choses de la même façon pour la vigne. CL : Les certifications d’aujourd’hui n’englobent pas les bonnes pratiques. Il ne s’agit que de phytosanitaire. On ne parle pas de labours, d’écimage, etc. TB : On a tué les sols pendant des années. Les plantes ont été mal taillées. On est dans un environnement malsain avec des sols déséquilibrés contrer des gens pointus, qui m’ont beaucoup appris. Mon père m’a toujours laissé faire. J’ai commis des erreurs, qui m’ont finalement servi pour faire mieux. CL et TB : Olivier est devenu une référence bien sûr, techniquement, à la vigne et en cave ! Il est trop modeste pour le reconnaître. Est-ce que vous avez, si ce n’est des modèles, des vignerons ou vigneronnes que vous admirez ou qui vous inspirent ? CL : On a tous les trois le même modèle je crois… Lalou Bize-Leroy. Avec les pratiques culturales qu’elle utilise depuis quarante ans, il y a un monde d’écart aujourd’hui entre ses vins et les autres. TB : Pour faire des vins de caractère, il faut avoir du caractère. Elle en est le meilleur exemple. Il ne faut pas porter attention à ce que les autres pensent. Elle a su le faire il y a longtemps. Il faut écouter ses convictions et s’y tenir. Et savoir accepter ses erreurs aussi. Moralement, ça n’est pas toujours évident mais heureusement, les copains sont là. Et je suis convaincu que ce qu’on fait aujourd’hui, ça paiera dans vingt ans, trente ans… 16 BOURGOGNE AUJOURD’HUI - N°131 p14-17_renc131.indd 16 13/09/16 13:59 OLIVIER LAMY THOMAS BOULEY Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la Bourgogne viticole ? OL : On a fait de gros progrès en Bourgogne. Les sols n’étaient pas travaillés il y a vingt ans. La qualité est meilleure, les gens travaillent de mieux en mieux. TB : Le niveau moyen n’a jamais été aussi élevé c’est clair ! Avec les années compliquées que l’on a eues, on produit de bons vins. Il faut aussi rappeler que les domaines phares d’aujourd’hui ont de gros patrimoines, avec des parcelles de grandes surfaces. C’est plus facile de produire de grands vins quand tu n’as que des grands crus plutôt que des bourgognes. Le prix du foncier vous préoccupe ? TB : Aujourd’hui, un vigneron qui travaille bien n’a même pas les capacités pour racheter les vignes qu’il fait en location. Depuis 2012, le prix des fermages a augmenté de 60 % alors qu’à Volnay et Pommard, on tourne autour de quinze hectolitres par hectare de rendement moyen ces dernières années. Il ne faut pas oublier que la majorité des domaines ne sont pas propriétaires à 100 % des vignes qu’ils exploitent. OL : Les parcelles valent très cher car ce ne sont plus les vignerons qui achètent, mais des gens extérieurs, des investisseurs, qui ont gagné de l’argent dans d’autres secteurs d’activité. Pour eux, c’est un placement. La question va se poser de comment pérenniser les domaines. Charles, lors d’une précédente rencontre, vous avez évoqué quelques souvenirs de dégustation où vous avez pu être déçu par certains grands crus, pas au niveau… CL : Je suis peut-être trop exigeant, mais j’ai déjà goûté des villages ou des premiers crus qui m’ont donné bien plus d’émotions que des grands crus. Au prix où l’on vend ces vins en Bourgogne, on se doit de faire mieux ! Dans bien d’autres régions, des vignerons fournissent un boulot qui n’est pas fait en Bourgogne alors que les bouteilles valent 5 à 6 fois moins cher chez eux. Si nous ne sommes pas capables de mettre les moyens pour aller plus loin techniquement, à la vigne et en vinification, quelle autre région dans le monde peut se le permettre ? Personne. TB : C’est cela que j’admire chez Lalou BizeLeroy. Elle met les mêmes moyens pour produire un auxey-duresses blanc ou une romanée saintvivant grand cru et extraire le meilleur du terroir. Je comprends que les gens se plaignent des prix. Le vin n’est pas toujours au niveau, il faut le dire. Pour finir, racontez-nous votre plus beau souvenir de dégustation. TB : On a gouté ensemble un savigny-lès-beaune premier cru Narbantons 2006 de Lalou. J’ai dit à Charles, si tu veux faire des grands vins, il faut que tu goûtes ça. On était une dizaine autour de la table, plus ou moins connaisseurs, et tout le monde s’est tu. Ça, ça n’a pas de prix. Il y a des bouteilles à 1 000 ou 2 000 euros qui ne font pas passer le même message. On s’en souviendra toute notre vie de cette bouteille. D’ailleurs, à chaque fois qu’on se retrouve avec ceux qui étaient là, on reparle de ce moment-là. CL : Avant ça, on a bu un Ruchottes-Chambertin 2007 de chez Mugneret-Gibourg. C’était très grand… Mais Leroy était au-dessus. Ça a été pour moi une révélation. Ça me guide vraiment dans ce que je veux faire. OL : J’ai raté cette soirée, dommage. J’ai goûté récemment un Grand-Échezeaux 1978 de la Romanée-Conti qui était extraordinaire. J’ai eu la chance d’être plusieurs fois invité à la Paulée de New York et San Francisco. On y goûte beaucoup de « grosses étiquettes », qui peuvent être impressionnantes comme décevantes. *Esca : maladie du bois. Propos recueillis par : Élisabeth Ponavoy Photographies : Thierry Gaudillère REPÈ R E S Thomas Bouley 13 mai 1982 : Naissance. 1998 à 2002 : BEPA Viti-Œno, puis BTA Commerce des Vins et Spiritueux à la maison familiale et rurale de Grandchamps. 2002 : Installation sur le domaine familial de 8,6 hectares en Beaune, Volnay et Pommard, pour un total de 13 appellations. DÉGUSTER, ENCORE ET TOUJOURS Pour nos vignerons, l’époque où chacun gardait précieusement les clés de sa cave et sa façon de faire est bien loin. « On a pris l’habitude d’aller goûter les uns chez les autres mais aussi ailleurs, en Bourgogne ou en France. On y va tous ensemble et on discute. Bon, parfois on nous dit que nous ne sommes pas faciles, un peu pénibles. On peut débattre pendant des heures d’un vin ! », raconte avec le sourire Charles Lachaux. « On est franc », ajoute Olivier Lamy. « S’il y a un vin qui ne se goûte pas bien dans la cave, on se le dit. Ça fait avancer beaucoup plus vite. Parfois, ce que j’ai entendu ne m’a pas fait plaisir mais un an après, on se rend compte que le copain avait raison ». « Nous sommes allés ensemble en Champagne, en Allemagne. C’est le temps qui nous manque pour en faire plus », regrette Thomas Bouley. « On a appris certaines choses, mais on se pose toujours des questions pour chercher à faire mieux. On est rarement contents de ce qu’on fait, de ce qu’on goûte », résume simplement Olivier Lamy. Une philosophie qu’ils partagent avec d’autres vignerons comme David Croix (Beaune), Sylvain Pataille (Marsannay-la-Côte) ou Vincent Dureuil (Rully). « On se comprend, on parle le même langage et on a la même ambition ». BOURGOGNE AUJOURD’HUI - N°131 p14-17_renc131.indd 17 17 13/09/16 13:59