SCRE96 F1 M1 - Revue des sciences sociales
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JEAN - MICHEL MEHL Femmes en jeux aux XIVe-XVIe siècles Remarques sur la participation féminine aux activités ludiques Depuis Huizinga, tout le monde s’accorde à considérer l’homo ludens comme une catégorie anthropologique fondamentale1. Le savant néerlandais avait mis en lumière «la part du jeu qui hante ou vivifie les manifestations essentielles de la culture»2. Jean - Michel MEHL UFR des Sciences Historiques Université des Sciences humaines, Strasbourg our lui, toute culture était d’abord jouée. De fait, parce qu’il ne prenait pas en compte le vieux problème de la classification des jeux, Huizinga n’envisageait que les jeux de compétition réglée, négligeant totalement les jeux de hasard. Parce que plus sociologiques, les définitions proposées par R. Caillois (jeux de compétition, jeux de hasard, jeux reposant sur le simulacre et jeux fondés sur le vertige) donnaient des pratiques ludiques une image plus large où il est facile de repérer les formes institutionnalisées ou corrompues3. Quel qu’en soit l’intérêt, les remarques de Huizinga et de Caillois imposent l’image d’un jeu éternel, échappant à l’histoire, sorte de jeu d’Adam et d’Eve. Or, derrière le caractère invariant de quelques attitudes ludiques, quelle multitude de formes, de représentations, de sens, toujours en mouvement! La distribution des jeux entre hommes et femmes (divergences ou convergences, séparation étanche ou perméabilité) est un élément qui, à travers les usages ludiques du temps, peut révéler «des scansions inaperçues» et conduire «à proposer de nouvelles découpes du passé»4. J’ai donc choisi de m’y intéresser en me plaçant au deux derniers siècles du Moyen Age et au XVIe siècle, temps durant lequel la perception des activités ludiques, de monolithique qu’elle était, se fait plurielle5. On passe du P Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1996, n° 23 10 jeu aux jeux. Il y a donc lieu d’évaluer les sources qui permettent cette approche, d’en dégager les enseignements, enfin, à partir de quelques exemples, de mesurer ce que disent les jeux sur les femmes. «Le Moyen Age est mâle, résolument» écrivait Georges Duby6. De fait, toute tentative pour apprécier la place des femmes dans les jeux de la société médiévale se heurte à une double difficulté. La première tient au fait que l’être humain est peu disert sur ses jeux, ce qui a pour conséquence de réduire les témoignages écrits à une peau de chagrin. Quant à la seconde, elle résulte du fait que la documentation disponible est presque exclusivement d’origine masculine. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’un ouvrage consacré aux femmes du Moyen Age, ouvrage qui les traque jusque dans leur vie quotidienne la plus intime, ne puisse qu’utiliser deux fois le terme «jeu», encore est-ce dans des contextes particuliers7. Quelques documents peuvent néanmoins dire deux ou trois choses des jeux de la femme. Laissons de côté tous les documents normatifs et réglementaires. En effet, qu’ils poursuivent ou qu’ils tolèrent la pratique des jeux ou de certains d’entre eux, ils ne distinguent jamais entre joueurs masculins et joueurs féminins. Les comptabilités domestiques princières, lorsqu’elles concernent quelque dame de haut rang peuvent parfois signaler des dépenses occasionnées par des activités ludiques, mais le plus souvent elles se contentent d’évoquer des débours «pour esbattre et joyer», sans autre précision8. Les sources littéraires, qu’elles relèvent du genre narratif, poétique, historique, didactique ou hagiographique, montrent peu de femmes en jeux. De plus, lorsqu’il leur arrive de mentionner des pratiques ludiques, ces passages relèvent le plus souvent de stéréotypes de convenance, traduisant davantage les savoirs livresques de l’auteur que des réalités sensibles. Seuls quelques textes didactiques, en général des manuels d’éducation ou des textes hagiographiques, du moins ceux qui évoquent l’enfance de telle sainte personne, là où ces femmes, ces femmes - enfants, peuvent avoir leurs chambres à elles, c’est-à-dire dans la cellule du couvent, livrent quelques lumières furtives sur les pratiques ludiques9. Pour la connaissance des jeux médiévaux, la documentation judiciaire présente le plus grand nombre d’avantages aux yeux des historiens. Quantitativement importante, faite de séries le plus souvent homogènes, couvrant la longue durée, miroir supposé fidèle d’une réalité quotidienne, ces archives judiciaires sont effectivement irremplaçables, même si elles risquent de privilégier le pathologique par rapport au normal, entraînant ainsi de nombreuses erreurs de perspective. Il suffit de songer à l’immense série des lettres de rémission (lettres de remise de peines accordées par les rois de France à une multitude de délinquants occasionnels, susceptibles de bénéficier de circonstances atténuantes). Cette série, qui va du XIVe au XVIe siècle et qui compte plus de 55000 pièces, gigantesque rubrique des faits divers du royaume de France, doit cependant être abordée avec de multiples précautions10. En effet, les possibilités d’accès à la grâce royale sont très largement dépendantes du lieu d’origine, du niveau social ou culturel, de la qualité des relations. De plus, ces lettres ne concernent qu’exceptionnellement des femmes. plupart n’y sont que de sages contemplatrices des jeux des hommes. Le Roman d’Alexandre, Oxford, Bodleian Library, Ms. Bodley 264/fol 212 Quant à elle, la documentation archéoLa masse des savoirs susceptibles d’être logique, beaucoup moins riche en la matière glanés dans un tel corpus est donc plutôt que ce qu’annoncent trop souvent les spé- réduite. Au Moyen Age, les jeux sont mascucialistes, elle ne peut pas distinguer entre lins, même si, deci - delà, les sources monhommes et femmes, réduite qu’elle est à trent des femmes en train de jouer. inventorier quelques rares instruments de Conclusion peu étonnante certes, mais plutôt jeu, à l’exception des dés, cubes aléatoires difficile à établir: les femmes jouent aussi! omniprésents mais dont les conditions Quels sont alors les jeux auxquels prend’usage ne peuvent être précisées. nent part les femmes ? Avec qui jouent-elles Plus nombreuses sont les scènes de jeux ? Il est possible de trouver des témoignages qu’offre l’iconographie. Il est cependant d’une participation féminine à pratiquement exceptionnel que des femmes soient repré- tous les jeux d’alors. Hormis les jeux sentées en train de jouer. Dans la plupart d’armes comme le tir à l’arc ou à l’arbalète des cas, elles ne sont que simples specta- ou les jeux du bouclier, de l’épée ou du trices d’activités ludiques, leçon instructive bâton, simples duels frontaux, simulacres en elle-même puisqu’elle montre que les des tournois aristocratiques, dans lesquels femmes ne sont pas exclues des jeux, à seule la force physique peut faire espérer la condition de n’y point prendre part directe- victoire, des exemples, souvent isolés, ment11. Il suffit de songer aux multiples concernent toutes les pratiques ludiques13. miniatures qui ornent le Libro del ajedrez, Le jeu de paume, jeu sportif par excelde los dados y de tablas du roi de Castille, lence qui nécessite autant de vigueur muscuAlphonse X le Sage (1283)12. Si quelques laire que de réflexes rapides et de jugement femmes y apparaissent en train de jouer, la et qui connaît un essor spectaculaire aux XVe 11 Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1996, n° 23 et XVIe siècles, est loin d’être négligé par la gent féminine. On connaît Margot, la jeune hennuyère, qui en 1427 stupéfia les Parisiens par la qualité de son jeu, car elle jouait «très puissamment, très malicieusement, très habilement» et qui triompha de nombreux hommes. Notre témoin, en l’occurrence Le bourgeois de Paris, éprouve cependant le besoin de rajouter qu’elle jouait «comme pouvait faire homme»! 14. Anne de Beaujeu qui, en compagnie de son mari Pierre, dirigea les affaires du royaume de France pendant la minorité de Charles VIII, était également une passionnée du jeu de paume, ce qui lui valut d’être insultée par le futur roi Louis XII: elle avait eu le tort de gagner contre lui15. La présence de femmes dans les jeux de hasard est chose plus rare qui s’explique par deux raisons. La première est documentaire: les femmes sont rares dans les lettres de rémission, source primordiale pour la connaissance de ce type de jeux, en particulier les dés. La seconde tient au fait que le lieu privilégié des parties de dés est la taverne, lieu dont la fréquentation vaudrait à celle qui s’y risquerait présomption de petite vertu16. Bien entendu des femmes se laissent séduire par les appâts des jeux de hasard. Ainsi la duchesse Jeanne de Brabant en est une telle fanatique qu’elle n’hésite pas à déranger de nuit ses officiers afin qu’ils lui apportent sur le champ de quoi honorer ses dettes de jeu17. Lors du procès de réhabilitation en 1456, une des témoins, Marguerite la Touroulde, affirme que Jeanne d’Arc avait le jeu de dés en horreur, témoignage à décharge qui suffit à dire les faveurs dont bénéficiait ce jeu auprès de tous, hommes et femmes confondus18. Plus fréquentes sont les mentions de femmes prenant part à des parties d’échecs. Gardons toutefois en mémoire qu’elles sont presque exclusivement littéraires ou iconographiques, ce qui vient réduire leur valeur documentaire. Froissart rapporte un des rares exemples mettant aux prises deux personnages historiquement identifiés, respec- tivement homme et femme. Il s’agit du roi d’Angleterre Édouard III et de la comtesse de Salisbury. Indice révélateur, le roi fait exprès de perdre!19 En tout cas, Anne de France recommande à sa fille Susanne de s’adonner aux échecs20. Ce sont les jeux de cartes qui ont suscité le plus de ferveur auprès des femmes. Encore ne faut-il pas perdre de vue que ces jeux, d’invention récente, ne sont vraiment généralisés dans la société aristocratique, bourgeoise, voire rurale qu’à partir de la seconde moitié du XVe siècle21. Sans doute faut-il expliquer cet engouement par l’harmonieux équilibre entre la réflexion et le hasard qu’offrait ce divertissement d’intérieur. Les seuls jeux marquant une convergence complète entre hommes et femmes sont constitués par tous ces petits jeux de société, mal connus dans leur déroulement, divertissements badins ou coquins qui ont nom jeu des noix, du court festu, de la briche, du roi qui ne ment, du tiers, du propos, etc.22. Le seul point commun à tous ces jeux est d’être point de rencontre entre jeunes gens et jeunes filles. Il faudrait pouvoir citer quelques paroles de femmes venant décrire le déroulement d’un jeu, l’expliquer, le juger, dire en quoi elles le préfèrent à tel autre. Peine perdue! Le «mâle Moyen Age» a fait silence sur ces gestes ludiques. Dès lors, puisque les femmes ne parlent pas de leurs jeux, il faut inverser le questionnement et voir ce que tel ou tel jeu, suffisamment connu, peut dire des femmes. Je limiterai mon propos à trois exemples: le jeu d’échecs, le jeu de la soule et les petits jeux de société qui viennent d’être évoqués. Lorsque, aux alentours de l’an mil, le jeu d’échecs pénètre en Occident, il ne comporte aucune pièce féminine, mais une pièce dénommée fers, c’est-à-dire le vizir dans la nomenclature arabo-persane, occupe la place qui sera celle de la Dame. Très vite l’Occident féminise cette pièce, en faisant Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1996, n° 23 12 une regina ou, par rapprochement phonétique avec fers, une vierge. De fait, les pouvoirs de cette Dame sur l’échiquier sont limités et son efficacité au cours de la partie n’excède pas celle d’un simple pion. La Dame ou la Reine est en jeu, mais elle n’y joue aucun rôle23. Or, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle se produit une véritable révolution dans le monde échiquéen. Désormais la Dame et le Fou dont le mouvement se limitait à une case par coup et qui ne pouvait abattre un adversaire qu’en se trouvant sur la case adjacente peuvent traverser tout l’échiquier en une fois et occire ainsi un adversaire de loin24. La Dame qui, en plus, peut mener ce mouvement dans n’importe quelle direction est la grande bénéficiaire de cette modification qui en fait désormais la pièce essentielle sur les soixante-quatre cases. Ce bouleversement a deux causes essentielles. La première est interne au jeu. En effet, compte tenu des règles en usage, le jeu était comme frappé de langueur. Les parties semblent longues et ennuyeuses, tant les joueurs semblent obnubilés par la seule perspective du massacre systématique des pièces de l’adversaire. Point de stratégie d’ensemble et une simple tactique du coup par coup! Le contexte technique et culturel constitue l’autre facteur du changement. D’une part les transformations de l’art de la guerre avec l’introduction des armes à feu, c’est-à-dire la possibilité de tuer de loin, ne pouvaient être sans répercussion sur le jeu d’échecs, jeu de la guerre, qui jusqu’ici reproduisait le corps à corps féodal. D’autre part, cette modification venant conjointement d’Italie et d’Espagne, il est tentant d’y voir l’image d’un pouvoir tenu de main de fer par telle ou telle duchesse italienne ou, dans le cas de l’Espagne, par la reine elle-même, Isabelle la Catholique. Les règles du jeu d’échecs seraient ainsi le miroir d’un pouvoir croissant des femmes. En même temps, ce «nou- veau» jeu est appelé «jeu de la dame enragée», sans doute par des hommes! La soule est l’ancêtre de nombreux jeux de ballon actuels, tels que le rugby, le football, le hockey sur gazon, voire le polo. Il consiste à se disputer la possession d’un «ballon», bille de bois ou boule de cuir remplie d’étoupe, de mousse ou de son, appelée éteuf. En général au début du carême, deux équipes, pouvant réunir plusieurs dizaines de joueurs, se font face, prêtes à en découdre à travers prés, champs et bois25. Inutile de dire qu’une violence extrême préside à ce jeu, occasion de vider quelque vieille querelle, sans grand risque d’être inquiété par la justice puisque tous les coups sont permis26. Le rapport entre la soule et les femmes n’est pas évident, cela d’autant plus que ces dernières n’y participent pas, si ce n’est comme spectatrices. La plupart des parties de soule de cette époque prennent place à carême - prenant et parmi les diverses interprétations de cette pratique ludique, l’une d’elles rapproche de la féminité puisque ce jeu ne serait autre chose qu’un rite de fertilité. Cela ne reste toutefois qu’une hypothèse. Par contre, donnée parfaitement établie, de nombreuses parties opposent à l’intérieur d’une même communauté villageoise les nouveaux mariés de l’année aux jeunes hommes encore célibataires, bref ceux qui ont le droit de procréer et ceux qui ne le peuvent pas27. La signification symbolique de l’éteuf s’impose alors d’elle-même28. Les femmes sont bien l’enjeu de la soule. Le fait que le seigneur du lieu, qui avait autrefois droit de regard sur le mariage des habitants de sa seigneurie, préside souvent à la soule et impose aux nouveaux mariés, à titre de redevance, la fourniture de l’éteuf renforce cette interprétation. A la fin du Moyen Age, le seigneur n’est plus le maître du mariage, mais il fait reconnaître symboliquement ses droits dans ce domaine, d’où cette redevance ludique. En 1789, certains cahiers de doléances réclament encore l’abolition de cette «soule du devoir». La plupart des petits divertissements de société mentionnés plus haut et qui regroupent jeunes gens et jeunes filles tournent autour de l’amour et des aveux amoureux. Ainsi le jeu du roi qui ne ment. Un membre du groupe est désigné comme roi et, à ce monarque improvisé, hommes et femmes posent de multiples questions auxquelles il n’est pas en droit de se dérober29. Le jeu se fait alors le plus souvent occasion pour le jeune homme déclarer sa flamme à une compagne de jeu. Froissart par exemple se sert du jeu pour dire sa passion à sa voisine30. Des remarques identiques peuvent être faites à propos de la plupart des autres petits jeux de société, points de rencontre entre hommes et femmes. En dépit d’une documentation réduite, la participation des femmes aux pratiques ludiques peut donc être établie sûrement. Certains jeux traduisent même une valorisation du rôle de la femme, comme si l’époque reconnaissait aux femmes le droit d’être en jeux. Attention cependant à ne pas verser dans les clichés traditionnels qui veulent que la lumière paraisse avec la Renaissance. Le Roi, l’homme, reste au centre de l’échiquier. Il est la condition de la société. Dans la soule, c’est davantage la femme-objet qui est au centre du rite cristallisé dans le jeu. Quant aux relations qui se nouent dans le roi qui ne ment, elles sont à sens unique. Etre en jeux reste une illusion, jeu de mots que suggère déjà la seule étymologie. Sur le registre inférieur du panneau droit du Jardin des délice (1503 - 1504) Jérôme Bosch représente l’Enfer31. Une femme totalement dénudée porte un immense dé sur la tête. Elle surplombe un homme écrasé par une table de jeu, le corps transpercé par une épée, la main tranchée. Les objets du péché deviennent les instruments démesurés du châtiment. Cette femme est bien en jeu, mais les chemins du jeu l’ont conduite 13 aux Enfers, en même temps que l’homme qu’elle a entraîné. Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1996, n° 23 PAUL HOFFMANN Notes 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. HUIZINGA, Johan. Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu . traduction française par SERESIA Cécile, Paris, 1951. CAILLOIS, Roger. Les jeux et les hommes, Paris, 1958, p. 31. CAILLOIS, Roger. op. cit., passim . CORBIN, Alain. L’Avènement des Loisirs, 1850 - 1960, Paris, 1995, p. 415 MEHL, Jean - Michel. Les jeux au royaume de France, Paris, 1990, passim . DUBY, Georges. Mâle Moyen Age. De l’amour et autres essais, Paris 1988, p. 7 DUBY, Georges et PERROT, Michèle. Histoire des femmes, t.2, Le Moyen Age, t . 2, Paris, 1991, (FRUGONI Chiara, «La femme imaginée” p. 393: évocation de la papesse Jeanne sur le tarot des Visconti Sforza, 1451-1452 p. 423: la petite Claire de Montefalco obtient de la Vierge le droit de jouer avec l’enfant Jésus. Dans ce dernier cas, il s’agit simplement d’atténuer la douleur de l’enfant arraché à son milieu contre son gré. C’est le jeu de l’enfant plus que le jeu de la femme). cf. BRUCHET, Max. Le château de Ripaille, Paris, 1907, p. 320. Voir par ex. Les Enseignements d’Anne de France, duchesse de Bourbonnais et d’Auvergne à sa fille Susanne de Bourbon, éd. CHAZAUD, A. M., Moulins, 1878 ou Le Livre du chevalier de la Tour Landry pour l’enseignement de ses filles, éd. de MONTAIGLON, Anatole, Paris, 1854. - Pour l’hagiographie, cf. FRUGONI, Chiara. art. cit., p.423, à propos de la petite Claire de Montefalco. Voir aussi le cas d’Élisabeth de Hongrie dans Jacques de VORAGINE, La Légende dorée, trad. ROZE, J. B. M., Paris, 1967, t. 2, p.349. MEHL, Jean - Michel. «Les lettres de rémission françaises: une source pour l’histoire des jeux médiévaux» dans Espai i temps d’oci a la historia, Palma de Majorque, 1993, pp. 33 - 45. Il y a bien sûr des exceptions, comme par exemple ces deux femmes en train de jouer aux marelles, sur la bordure d’un manuscrit du Roman d’Alexandre,, élaboré entre 1338 et 1344 en Flandre ( Oxford, Bodleian library, Ms. Bodley, 264/ fol. 60). ALPHONSE X le Sage, Juegos de acedrex, dados y tablas con sus explicaciones ordenados per mandato del rey Alfonso el Sabio, repod. HIERSMANN, W. Leipzig 1913. - cf. également KELLER J. E., Alfonso X El Sabio, NewYork, 1967, p.147. Il est possible de repérer quelques femmes tirant à l’arc, mais il s’agit toujours de femmes en train de chasser. ( cf. par ex. FARENC, Evelyne. Jeux en Angleterre au XIVe siècle, dactylographié, thèse Paris IV, 1987, p.173). En revanche, il n’y 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. a pas trace d’une participation féminine à des concours de tir à l’arc, a fortiori de tir à l’arbalète. Journal d’un bourgeois de Paris, texte présenté et commenté par BEAUNE, Colette. Paris, 1990, p. 239. LABANDE - MAILFERT, Yvonne. Charles VIII et son milieu. Paris, p. 143. MEHL, Jean - Michel, op. cit., pp. 245-253. UYTTERBROUCK, A. Le Gouvernement du duché du Brabant au bas Moyen Age, 13551430, Bruxelles, 1975, t.I, p.33. QUICHERAT, Jules. Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, Paris, 1841-1849, t.III, p.87. FROISSART, Œuvres complètes, éd. KERVYN de LETTENHOVE, t. III, Bruxelles, 1869, pp. 458 - 459. La différence des mises entre l’homme et la femme souligne encore davantage l’inégalité: le bijou mis en jeu par Edouard III a plus de valeur que celui engagé par la comtesse. Les Enseignements d’Anne de France..., op. cit. p. 9. Anne de Bretagne, femme de Charles VIII, puis de Louis XII, fut une joueuse de cartes acharnée. cf. Archives Nationales, KK 83/ 22 - 24. Pour des essais de description de tous ces jeux, cf. MEHL, Jean - Michel. op.cit., passim . Sur l’histoire ancienne du jeu d’échecs et ses premiers siècles en Europe occidentale, cf. MURRAY, H. J. R. A History of Chess, Oxford, 1962. cf. GOLOMBEK, Harry. A History of Chess, Londres, 1976, pp. 81-94 et EALES, Richard. Chess. The History of a game, Londres 1985, pp.71-80. cf. MEHL, Jean - Michel. Les jeux au royaume de France, op. cit., pp. 68-75 et 600-601 pour la bibliographie. C’est à cause de ces déferlements de violences que les préfets du siècle dernier finiront par interdire la pratique de ce jeu. Par ex. Archives Nationales JJ 189/327 ( 1459 ), 194/114 ( 1467 ) ou 195/804 ( 1472 ). Il faut rapprocher ce fait de la remarque de DOLTO, Françoise: «Tous les jeux avec une balle sont des jeux avec un foetus, toujours. C’est pourquoi ce ne sont pas des jeux de femmes», cité par De SAUVERZAC, JeanFrançois, Françoise Dolto, itinéraire d’une psychanalyste, Paris, 1993. MEHL, Jean - Michel. op. cit. pp. 109-110. FROISSART. Le Joli Buisson de Joneec, éd. FOURRIER, Anthime, PARIS, 1975, p. 202. De TOLNAY, Charles, Jérôme Bosch, Paris, 1967, pp. 202-204 - CHAILLEY Jacques, Jérôme Bosch et ses symboles. Essai de décryptage, Bruxelles, 1978, p.184. L’Héritage des Lumières Mythes et modèles de la féminité au XVIIIe siècle En hommage à Monsieur Paul HOFFMANN qui nous a envoyé son texte accompagné d’une lettre peu avant son décès. Voici un extrait de cette lettre : «Vous m’invitez à collaborer au prochain numéro de la Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est. La confiance d’André Rauch et de Freddy Raphaël m’honore! Il y a assez longtemps que j’ai abandonné mes recherches sur la femme au XVIIIe siècle. Il me serait difficile de m’y remettre aujourd’hui. Comment faire aussi bien que ce que je viens de relire et qui, sous la forme d’une synthèse de mes recherches d’alors, avait paru, en 1976, dans la revue Romantisme?» Avec nos remerciements à la Revue Romantisme Paul HOFFMANN Faculté des Lettres de Strasbourg Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1996, n° 23 14 a femme, qui est le sujet de notre recherche1, n’est pas celle qui, à l’âge classique, a été appelée à vivre d’une façon hasardeuse et précaire les péripéties d’une existence soumise aux aléas des préjugés et des moeurs. Mais une femme confrontée, dans les discours scientifique et philosophique, à une définition normative d’elle-même, qui s’inscrit en faux contre l’histoire, contre son histoire; qui la lie, par décret, à une nature singulière qui est pensée par rapport à celle de l’homme dans une situation de différence. La pesée de la tradition judéo-chrétienne2, combinée avec celle de l’aristotélisme, a fait que cette notion de différence a tendu à se diluer en celles d’inégalité et d’infériorité. Les moralistes féministes eux-mêmes, lors même qu’ils refusaient l’idée de différence, n’ont pas laissé de faire paraître une secrète défiance à l’égard de la féminité, qu’ils ont identifiée à la masculinité, qui fournit à leur système son modèle de référence. La femme est apparue à la mentalité occidentale, imprégnée du dogme de la Chute, comme celle qui, la première, a été induite à désobéir au commandement divin; comme celle par la faute de qui le péché est survenu. Elle s’est trouvée chargée de toute la responsabilité de cette forme par excellence du mal qu’est la concupiscence; frappée pour cela de sanctions exemplaires. Elle est un être dont la littérature et particulièrement le roman, s’est plu à L 15 évoquer la vocation au pathétique3. Une seule faute, un seul fléchissement de ses défenses entraînent pour elle la sanction d’un malheur total, comme si la totalité du temps était suspendue à ces moments où elle se situe, comme nécessairement, sur le passage des grandes forces qui commandent à notre condition. La fonction du roman est d’amplifier à l’extrême aussi bien la faute que le châtiment; de renvoyer la femme à un ordre immanent, dont elle n’eût jamais dû dévier, et dont comme fatalement elle s’écartera; de faire d’elle une figure pitoyable et coupable, dont la chute est prévisible, immanquable, attendue, étant comme l’effet d’une nature peccamineuse. C’est cette nature, précisément, que les médecins, les moralistes, les philosophes de l’âge classique ont tenté de démythifier, fûtce en créant de nouveaux mythes de la féminité. Pour les médecins, la condition de la femme est balisée de signes non équivoques et son bonheur est bien plus sûr que celui de l’homme, pourvu qu’elle ait su se garder de l’imaginaire. Les modèles d’elle-même qu’ils lui ont proposés (modèles mécaniste, animiste, vitaliste, idéologique) sont des structures intelligibles, cohérentes, signifiantes, où les lois du corps sont définies de façon normative; où la fonction de maternité est citée comme une référence irrécusable. Les aliénistes de la fin du siècle ont découvert dans les symptômes vaporeux le Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1996, n° 23