SCRE96 F1 M1 - Revue des sciences sociales

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SCRE96 F1 M1 - Revue des sciences sociales
JEAN - MICHEL MEHL
Femmes en jeux
aux XIVe-XVIe siècles
Remarques sur la participation
féminine aux activités ludiques
Depuis Huizinga,
tout le monde s’accorde
à considérer l’homo ludens
comme une catégorie
anthropologique
fondamentale1. Le savant
néerlandais avait mis en
lumière «la part du jeu qui
hante ou vivifie les
manifestations essentielles
de la culture»2.
Jean - Michel MEHL
UFR des Sciences Historiques
Université des Sciences humaines,
Strasbourg
our lui, toute culture était d’abord
jouée. De fait, parce qu’il ne prenait
pas en compte le vieux problème de
la classification des jeux, Huizinga n’envisageait que les jeux de compétition réglée,
négligeant totalement les jeux de hasard.
Parce que plus sociologiques, les définitions
proposées par R. Caillois (jeux de compétition,
jeux de hasard, jeux reposant sur le simulacre
et jeux fondés sur le vertige) donnaient des
pratiques ludiques une image plus large où il
est facile de repérer les formes institutionnalisées ou corrompues3.
Quel qu’en soit l’intérêt, les remarques
de Huizinga et de Caillois imposent l’image
d’un jeu éternel, échappant à l’histoire,
sorte de jeu d’Adam et d’Eve. Or, derrière
le caractère invariant de quelques attitudes
ludiques, quelle multitude de formes, de
représentations, de sens, toujours en mouvement! La distribution des jeux entre
hommes et femmes (divergences ou convergences, séparation étanche ou perméabilité)
est un élément qui, à travers les usages
ludiques du temps, peut révéler «des scansions inaperçues» et conduire «à proposer
de nouvelles découpes du passé»4. J’ai donc
choisi de m’y intéresser en me plaçant au
deux derniers siècles du Moyen Age et au
XVIe siècle, temps durant lequel la perception des activités ludiques, de monolithique
qu’elle était, se fait plurielle5. On passe du
P
Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1996, n° 23
10
jeu aux jeux. Il y a donc lieu d’évaluer les
sources qui permettent cette approche, d’en
dégager les enseignements, enfin, à partir
de quelques exemples, de mesurer ce que
disent les jeux sur les femmes.
«Le Moyen Age est mâle, résolument»
écrivait Georges Duby6. De fait, toute tentative pour apprécier la place des femmes
dans les jeux de la société médiévale se
heurte à une double difficulté. La première
tient au fait que l’être humain est peu disert
sur ses jeux, ce qui a pour conséquence de
réduire les témoignages écrits à une peau de
chagrin. Quant à la seconde, elle résulte du
fait que la documentation disponible est
presque exclusivement d’origine masculine. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’un ouvrage consacré aux femmes
du Moyen Age, ouvrage qui les traque
jusque dans leur vie quotidienne la plus
intime, ne puisse qu’utiliser deux fois le
terme «jeu», encore est-ce dans des
contextes particuliers7.
Quelques documents peuvent néanmoins dire deux ou trois choses des jeux de
la femme. Laissons de côté tous les documents normatifs et réglementaires. En effet,
qu’ils poursuivent ou qu’ils tolèrent la pratique des jeux ou de certains d’entre eux, ils
ne distinguent jamais entre joueurs masculins et joueurs féminins. Les comptabilités
domestiques princières, lorsqu’elles
concernent quelque dame de haut rang peuvent parfois signaler des dépenses occasionnées par des activités ludiques, mais le
plus souvent elles se contentent d’évoquer
des débours «pour esbattre et joyer», sans
autre précision8.
Les sources littéraires, qu’elles relèvent
du genre narratif, poétique, historique,
didactique ou hagiographique, montrent
peu de femmes en jeux. De plus, lorsqu’il
leur arrive de mentionner des pratiques
ludiques, ces passages relèvent le plus souvent de stéréotypes de convenance, traduisant davantage les savoirs livresques de
l’auteur que des réalités sensibles. Seuls
quelques textes didactiques, en général des
manuels d’éducation ou des textes hagiographiques, du moins ceux qui évoquent
l’enfance de telle sainte personne, là où ces
femmes, ces femmes - enfants, peuvent
avoir leurs chambres à elles, c’est-à-dire
dans la cellule du couvent, livrent quelques
lumières furtives sur les pratiques ludiques9.
Pour la connaissance des jeux médiévaux, la documentation judiciaire présente
le plus grand nombre d’avantages aux yeux
des historiens. Quantitativement importante, faite de séries le plus souvent homogènes, couvrant la longue durée, miroir supposé fidèle d’une réalité quotidienne, ces
archives judiciaires sont effectivement
irremplaçables, même si elles risquent de
privilégier le pathologique par rapport au
normal, entraînant ainsi de nombreuses
erreurs de perspective. Il suffit de songer à
l’immense série des lettres de rémission
(lettres de remise de peines accordées par
les rois de France à une multitude de délinquants occasionnels, susceptibles de bénéficier de circonstances atténuantes). Cette
série, qui va du XIVe au XVIe siècle et qui
compte plus de 55000 pièces, gigantesque
rubrique des faits divers du royaume de
France, doit cependant être abordée avec de
multiples précautions10. En effet, les possibilités d’accès à la grâce royale sont très largement dépendantes du lieu d’origine, du
niveau social ou culturel, de la qualité des
relations. De plus, ces lettres ne concernent
qu’exceptionnellement des femmes.
plupart n’y sont que de sages contemplatrices des jeux des hommes.
Le Roman d’Alexandre, Oxford, Bodleian Library, Ms. Bodley 264/fol 212
Quant à elle, la documentation archéoLa masse des savoirs susceptibles d’être
logique, beaucoup moins riche en la matière glanés dans un tel corpus est donc plutôt
que ce qu’annoncent trop souvent les spé- réduite. Au Moyen Age, les jeux sont mascucialistes, elle ne peut pas distinguer entre lins, même si, deci - delà, les sources monhommes et femmes, réduite qu’elle est à trent des femmes en train de jouer.
inventorier quelques rares instruments de Conclusion peu étonnante certes, mais plutôt
jeu, à l’exception des dés, cubes aléatoires difficile à établir: les femmes jouent aussi!
omniprésents mais dont les conditions
Quels sont alors les jeux auxquels prend’usage ne peuvent être précisées.
nent part les femmes ? Avec qui jouent-elles
Plus nombreuses sont les scènes de jeux ? Il est possible de trouver des témoignages
qu’offre l’iconographie. Il est cependant d’une participation féminine à pratiquement
exceptionnel que des femmes soient repré- tous les jeux d’alors. Hormis les jeux
sentées en train de jouer. Dans la plupart d’armes comme le tir à l’arc ou à l’arbalète
des cas, elles ne sont que simples specta- ou les jeux du bouclier, de l’épée ou du
trices d’activités ludiques, leçon instructive bâton, simples duels frontaux, simulacres
en elle-même puisqu’elle montre que les des tournois aristocratiques, dans lesquels
femmes ne sont pas exclues des jeux, à seule la force physique peut faire espérer la
condition de n’y point prendre part directe- victoire, des exemples, souvent isolés,
ment11. Il suffit de songer aux multiples concernent toutes les pratiques ludiques13.
miniatures qui ornent le Libro del ajedrez,
Le jeu de paume, jeu sportif par excelde los dados y de tablas du roi de Castille, lence qui nécessite autant de vigueur muscuAlphonse X le Sage (1283)12. Si quelques laire que de réflexes rapides et de jugement
femmes y apparaissent en train de jouer, la et qui connaît un essor spectaculaire aux XVe
11
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et XVIe siècles, est loin d’être négligé par la
gent féminine. On connaît Margot, la jeune
hennuyère, qui en 1427 stupéfia les Parisiens
par la qualité de son jeu, car elle jouait «très
puissamment, très malicieusement, très habilement» et qui triompha de nombreux
hommes. Notre témoin, en l’occurrence Le
bourgeois de Paris, éprouve cependant le
besoin de rajouter qu’elle jouait «comme
pouvait faire homme»! 14. Anne de Beaujeu
qui, en compagnie de son mari Pierre, dirigea les affaires du royaume de France pendant la minorité de Charles VIII, était également une passionnée du jeu de paume, ce qui
lui valut d’être insultée par le futur roi Louis
XII: elle avait eu le tort de gagner contre lui15.
La présence de femmes dans les jeux de
hasard est chose plus rare qui s’explique par
deux raisons. La première est documentaire: les femmes sont rares dans les lettres
de rémission, source primordiale pour la
connaissance de ce type de jeux, en particulier les dés. La seconde tient au fait que le
lieu privilégié des parties de dés est la
taverne, lieu dont la fréquentation vaudrait
à celle qui s’y risquerait présomption de
petite vertu16. Bien entendu des femmes se
laissent séduire par les appâts des jeux de
hasard. Ainsi la duchesse Jeanne de Brabant
en est une telle fanatique qu’elle n’hésite
pas à déranger de nuit ses officiers afin
qu’ils lui apportent sur le champ de quoi
honorer ses dettes de jeu17. Lors du procès
de réhabilitation en 1456, une des témoins,
Marguerite la Touroulde, affirme que
Jeanne d’Arc avait le jeu de dés en horreur,
témoignage à décharge qui suffit à dire les
faveurs dont bénéficiait ce jeu auprès de
tous, hommes et femmes confondus18.
Plus fréquentes sont les mentions de
femmes prenant part à des parties d’échecs.
Gardons toutefois en mémoire qu’elles sont
presque exclusivement littéraires ou iconographiques, ce qui vient réduire leur valeur
documentaire. Froissart rapporte un des
rares exemples mettant aux prises deux personnages historiquement identifiés, respec-
tivement homme et femme. Il s’agit du roi
d’Angleterre Édouard III et de la comtesse
de Salisbury. Indice révélateur, le roi fait
exprès de perdre!19 En tout cas, Anne de
France recommande à sa fille Susanne de
s’adonner aux échecs20.
Ce sont les jeux de cartes qui ont suscité
le plus de ferveur auprès des femmes. Encore
ne faut-il pas perdre de vue que ces jeux,
d’invention récente, ne sont vraiment généralisés dans la société aristocratique, bourgeoise, voire rurale qu’à partir de la seconde
moitié du XVe siècle21. Sans doute faut-il
expliquer cet engouement par l’harmonieux
équilibre entre la réflexion et le hasard
qu’offrait ce divertissement d’intérieur.
Les seuls jeux marquant une convergence complète entre hommes et femmes
sont constitués par tous ces petits jeux de
société, mal connus dans leur déroulement,
divertissements badins ou coquins qui ont
nom jeu des noix, du court festu, de la
briche, du roi qui ne ment, du tiers, du propos, etc.22. Le seul point commun à tous ces
jeux est d’être point de rencontre entre
jeunes gens et jeunes filles.
Il faudrait pouvoir citer quelques paroles
de femmes venant décrire le déroulement
d’un jeu, l’expliquer, le juger, dire en quoi
elles le préfèrent à tel autre. Peine perdue!
Le «mâle Moyen Age» a fait silence sur ces
gestes ludiques. Dès lors, puisque les
femmes ne parlent pas de leurs jeux, il faut
inverser le questionnement et voir ce que tel
ou tel jeu, suffisamment connu, peut dire
des femmes.
Je limiterai mon propos à trois
exemples: le jeu d’échecs, le jeu de la soule
et les petits jeux de société qui viennent
d’être évoqués.
Lorsque, aux alentours de l’an mil, le jeu
d’échecs pénètre en Occident, il ne comporte aucune pièce féminine, mais une pièce
dénommée fers, c’est-à-dire le vizir dans la
nomenclature arabo-persane, occupe la
place qui sera celle de la Dame. Très vite
l’Occident féminise cette pièce, en faisant
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12
une regina ou, par rapprochement phonétique avec fers, une vierge. De fait, les pouvoirs de cette Dame sur l’échiquier sont
limités et son efficacité au cours de la partie n’excède pas celle d’un simple pion. La
Dame ou la Reine est en jeu, mais elle n’y
joue aucun rôle23.
Or, à la fin du XVe et au début du XVIe
siècle se produit une véritable révolution
dans le monde échiquéen. Désormais la
Dame et le Fou dont le mouvement se limitait à une case par coup et qui ne pouvait
abattre un adversaire qu’en se trouvant sur
la case adjacente peuvent traverser tout
l’échiquier en une fois et occire ainsi un
adversaire de loin24. La Dame qui, en plus,
peut mener ce mouvement dans n’importe
quelle direction est la grande bénéficiaire de
cette modification qui en fait désormais la
pièce essentielle sur les soixante-quatre
cases. Ce bouleversement a deux causes
essentielles. La première est interne au jeu.
En effet, compte tenu des règles en usage,
le jeu était comme frappé de langueur. Les
parties semblent longues et ennuyeuses,
tant les joueurs semblent obnubilés par la
seule perspective du massacre systématique
des pièces de l’adversaire. Point de stratégie d’ensemble et une simple tactique du
coup par coup! Le contexte technique et
culturel constitue l’autre facteur du changement. D’une part les transformations de
l’art de la guerre avec l’introduction des
armes à feu, c’est-à-dire la possibilité de
tuer de loin, ne pouvaient être sans répercussion sur le jeu d’échecs, jeu de la guerre,
qui jusqu’ici reproduisait le corps à corps
féodal. D’autre part, cette modification
venant conjointement d’Italie et d’Espagne,
il est tentant d’y voir l’image d’un pouvoir
tenu de main de fer par telle ou telle
duchesse italienne ou, dans le cas de
l’Espagne, par la reine elle-même, Isabelle
la Catholique. Les règles du jeu d’échecs
seraient ainsi le miroir d’un pouvoir croissant des femmes. En même temps, ce «nou-
veau» jeu est appelé «jeu de la dame enragée», sans doute par des hommes!
La soule est l’ancêtre de nombreux jeux
de ballon actuels, tels que le rugby, le football, le hockey sur gazon, voire le polo. Il
consiste à se disputer la possession d’un
«ballon», bille de bois ou boule de cuir remplie d’étoupe, de mousse ou de son, appelée éteuf. En général au début du carême,
deux équipes, pouvant réunir plusieurs
dizaines de joueurs, se font face, prêtes à en
découdre à travers prés, champs et bois25.
Inutile de dire qu’une violence extrême préside à ce jeu, occasion de vider quelque
vieille querelle, sans grand risque d’être
inquiété par la justice puisque tous les coups
sont permis26. Le rapport entre la soule et les
femmes n’est pas évident, cela d’autant plus
que ces dernières n’y participent pas, si ce
n’est comme spectatrices.
La plupart des parties de soule de cette
époque prennent place à carême - prenant et
parmi les diverses interprétations de cette
pratique ludique, l’une d’elles rapproche de
la féminité puisque ce jeu ne serait autre
chose qu’un rite de fertilité. Cela ne reste
toutefois qu’une hypothèse. Par contre,
donnée parfaitement établie, de nombreuses
parties opposent à l’intérieur d’une même
communauté villageoise les nouveaux
mariés de l’année aux jeunes hommes
encore célibataires, bref ceux qui ont le
droit de procréer et ceux qui ne le peuvent
pas27. La signification symbolique de
l’éteuf s’impose alors d’elle-même28. Les
femmes sont bien l’enjeu de la soule. Le fait
que le seigneur du lieu, qui avait autrefois
droit de regard sur le mariage des habitants
de sa seigneurie, préside souvent à la soule
et impose aux nouveaux mariés, à titre de
redevance, la fourniture de l’éteuf renforce
cette interprétation. A la fin du Moyen Age,
le seigneur n’est plus le maître du mariage,
mais il fait reconnaître symboliquement ses
droits dans ce domaine, d’où cette redevance ludique. En 1789, certains cahiers de
doléances réclament encore l’abolition de
cette «soule du devoir».
La plupart des petits divertissements de
société mentionnés plus haut et qui regroupent jeunes gens et jeunes filles tournent
autour de l’amour et des aveux amoureux.
Ainsi le jeu du roi qui ne ment. Un membre
du groupe est désigné comme roi et, à ce
monarque improvisé, hommes et femmes
posent de multiples questions auxquelles il
n’est pas en droit de se dérober29. Le jeu se
fait alors le plus souvent occasion pour le
jeune homme déclarer sa flamme à une
compagne de jeu. Froissart par exemple se
sert du jeu pour dire sa passion à sa voisine30. Des remarques identiques peuvent
être faites à propos de la plupart des autres
petits jeux de société, points de rencontre
entre hommes et femmes.
En dépit d’une documentation réduite, la
participation des femmes aux pratiques
ludiques peut donc être établie sûrement.
Certains jeux traduisent même une valorisation du rôle de la femme, comme si
l’époque reconnaissait aux femmes le droit
d’être en jeux. Attention cependant à ne pas
verser dans les clichés traditionnels qui veulent que la lumière paraisse avec la
Renaissance. Le Roi, l’homme, reste au
centre de l’échiquier. Il est la condition de
la société. Dans la soule, c’est davantage la
femme-objet qui est au centre du rite cristallisé dans le jeu. Quant aux relations qui
se nouent dans le roi qui ne ment, elles sont
à sens unique. Etre en jeux reste une illusion, jeu de mots que suggère déjà la seule
étymologie.
Sur le registre inférieur du panneau droit
du Jardin des délice (1503 - 1504) Jérôme
Bosch représente l’Enfer31. Une femme
totalement dénudée porte un immense dé
sur la tête. Elle surplombe un homme écrasé
par une table de jeu, le corps transpercé par
une épée, la main tranchée. Les objets du
péché deviennent les instruments démesurés du châtiment. Cette femme est bien en
jeu, mais les chemins du jeu l’ont conduite
13
aux Enfers, en même temps que l’homme
qu’elle a entraîné.
Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1996, n° 23
PAUL HOFFMANN
Notes
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
HUIZINGA, Johan. Homo ludens. Essai sur la
fonction sociale du jeu . traduction française par
SERESIA Cécile, Paris, 1951.
CAILLOIS, Roger. Les jeux et les hommes,
Paris, 1958, p. 31.
CAILLOIS, Roger. op. cit., passim .
CORBIN, Alain. L’Avènement des Loisirs, 1850
- 1960, Paris, 1995, p. 415
MEHL, Jean - Michel. Les jeux au royaume de
France, Paris, 1990, passim .
DUBY, Georges. Mâle Moyen Age. De l’amour
et autres essais, Paris 1988, p. 7
DUBY, Georges et PERROT, Michèle. Histoire
des femmes, t.2, Le Moyen Age, t . 2, Paris, 1991,
(FRUGONI Chiara, «La femme imaginée” p.
393: évocation de la papesse Jeanne sur le tarot
des Visconti Sforza, 1451-1452 p. 423: la petite
Claire de Montefalco obtient de la Vierge le
droit de jouer avec l’enfant Jésus. Dans ce dernier cas, il s’agit simplement d’atténuer la douleur de l’enfant arraché à son milieu contre son
gré. C’est le jeu de l’enfant plus que le jeu de la
femme).
cf. BRUCHET, Max. Le château de Ripaille,
Paris, 1907, p. 320.
Voir par ex. Les Enseignements d’Anne de
France, duchesse de Bourbonnais et
d’Auvergne à sa fille Susanne de Bourbon, éd.
CHAZAUD, A. M., Moulins, 1878 ou Le Livre
du chevalier de la Tour Landry pour l’enseignement de ses filles, éd. de MONTAIGLON,
Anatole, Paris, 1854. - Pour l’hagiographie, cf.
FRUGONI, Chiara. art. cit., p.423, à propos de
la petite Claire de Montefalco. Voir aussi le cas
d’Élisabeth de Hongrie dans Jacques de VORAGINE, La Légende dorée, trad. ROZE, J. B. M.,
Paris, 1967, t. 2, p.349.
MEHL, Jean - Michel. «Les lettres de rémission
françaises: une source pour l’histoire des jeux
médiévaux» dans Espai i temps d’oci a la historia, Palma de Majorque, 1993, pp. 33 - 45.
Il y a bien sûr des exceptions, comme par
exemple ces deux femmes en train de jouer aux
marelles, sur la bordure d’un manuscrit du
Roman d’Alexandre,, élaboré entre 1338 et 1344
en Flandre ( Oxford, Bodleian library, Ms.
Bodley, 264/ fol. 60).
ALPHONSE X le Sage, Juegos de acedrex,
dados y tablas con sus explicaciones ordenados
per mandato del rey Alfonso el Sabio, repod.
HIERSMANN, W. Leipzig 1913. - cf. également KELLER J. E., Alfonso X El Sabio, NewYork, 1967, p.147.
Il est possible de repérer quelques femmes tirant
à l’arc, mais il s’agit toujours de femmes en train
de chasser. ( cf. par ex. FARENC, Evelyne. Jeux
en Angleterre au XIVe siècle, dactylographié,
thèse Paris IV, 1987, p.173). En revanche, il n’y
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
27.
28.
29.
30.
31.
a pas trace d’une participation féminine à des
concours de tir à l’arc, a fortiori de tir à l’arbalète.
Journal d’un bourgeois de Paris, texte présenté
et commenté par BEAUNE, Colette. Paris,
1990, p. 239.
LABANDE - MAILFERT, Yvonne. Charles
VIII et son milieu. Paris, p. 143.
MEHL, Jean - Michel, op. cit., pp. 245-253.
UYTTERBROUCK, A. Le Gouvernement du
duché du Brabant au bas Moyen Age, 13551430, Bruxelles, 1975, t.I, p.33.
QUICHERAT, Jules. Procès de condamnation
et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, Paris,
1841-1849, t.III, p.87.
FROISSART, Œuvres complètes, éd. KERVYN de LETTENHOVE, t. III, Bruxelles,
1869, pp. 458 - 459. La différence des mises
entre l’homme et la femme souligne encore
davantage l’inégalité: le bijou mis en jeu par
Edouard III a plus de valeur que celui engagé
par la comtesse.
Les Enseignements d’Anne de France..., op. cit.
p. 9.
Anne de Bretagne, femme de Charles VIII, puis
de Louis XII, fut une joueuse de cartes acharnée. cf. Archives Nationales, KK 83/ 22 - 24.
Pour des essais de description de tous ces jeux,
cf. MEHL, Jean - Michel. op.cit., passim .
Sur l’histoire ancienne du jeu d’échecs et ses
premiers siècles en Europe occidentale, cf.
MURRAY, H. J. R. A History of Chess, Oxford,
1962.
cf. GOLOMBEK, Harry. A History of Chess,
Londres, 1976, pp. 81-94 et EALES, Richard.
Chess. The History of a game, Londres 1985,
pp.71-80.
cf. MEHL, Jean - Michel. Les jeux au royaume
de France, op. cit., pp. 68-75 et 600-601 pour la
bibliographie.
C’est à cause de ces déferlements de violences
que les préfets du siècle dernier finiront par
interdire la pratique de ce jeu.
Par ex. Archives Nationales JJ 189/327 ( 1459
), 194/114 ( 1467 ) ou 195/804 ( 1472 ).
Il faut rapprocher ce fait de la remarque de
DOLTO, Françoise: «Tous les jeux avec une
balle sont des jeux avec un foetus, toujours.
C’est pourquoi ce ne sont pas des jeux de
femmes», cité par De SAUVERZAC, JeanFrançois, Françoise Dolto, itinéraire d’une psychanalyste, Paris, 1993.
MEHL, Jean - Michel. op. cit. pp. 109-110.
FROISSART. Le Joli Buisson de Joneec, éd.
FOURRIER, Anthime, PARIS, 1975, p. 202.
De TOLNAY, Charles, Jérôme Bosch, Paris,
1967, pp. 202-204 - CHAILLEY Jacques,
Jérôme Bosch et ses symboles. Essai de décryptage, Bruxelles, 1978, p.184.
L’Héritage des Lumières
Mythes et modèles
de la féminité au XVIIIe siècle
En hommage à Monsieur Paul
HOFFMANN qui nous a envoyé son texte
accompagné d’une lettre peu avant son
décès.
Voici un extrait de cette lettre :
«Vous m’invitez à collaborer au prochain
numéro de la Revue des Sciences
Sociales de la France de l’Est.
La confiance d’André Rauch et de
Freddy Raphaël m’honore!
Il y a assez longtemps que
j’ai abandonné mes recherches sur
la femme au XVIIIe siècle. Il me serait
difficile de m’y remettre aujourd’hui.
Comment faire aussi bien que ce
que je viens de relire et qui, sous la forme
d’une synthèse de mes recherches
d’alors, avait paru, en 1976,
dans la revue Romantisme?»
Avec nos remerciements
à la Revue Romantisme
Paul HOFFMANN
Faculté des Lettres de Strasbourg
Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1996, n° 23
14
a femme, qui est le sujet de notre
recherche1, n’est pas celle qui, à l’âge
classique, a été appelée à vivre d’une
façon hasardeuse et précaire les péripéties
d’une existence soumise aux aléas des
préjugés et des moeurs. Mais une femme
confrontée, dans les discours scientifique et
philosophique, à une définition normative
d’elle-même, qui s’inscrit en faux contre
l’histoire, contre son histoire; qui la lie, par
décret, à une nature singulière qui est pensée
par rapport à celle de l’homme dans une
situation de différence. La pesée de la
tradition judéo-chrétienne2, combinée avec
celle de l’aristotélisme, a fait que cette
notion de différence a tendu à se diluer en
celles d’inégalité et d’infériorité. Les moralistes féministes eux-mêmes, lors même
qu’ils refusaient l’idée de différence, n’ont
pas laissé de faire paraître une secrète
défiance à l’égard de la féminité, qu’ils ont
identifiée à la masculinité, qui fournit à leur
système son modèle de référence. La femme
est apparue à la mentalité occidentale,
imprégnée du dogme de la Chute, comme
celle qui, la première, a été induite à désobéir
au commandement divin; comme celle par la
faute de qui le péché est survenu. Elle s’est
trouvée chargée de toute la responsabilité de
cette forme par excellence du mal qu’est la
concupiscence; frappée pour cela de sanctions
exemplaires. Elle est un être dont la littérature
et particulièrement le roman, s’est plu à
L
15
évoquer la vocation au pathétique3. Une
seule faute, un seul fléchissement de ses
défenses entraînent pour elle la sanction
d’un malheur total, comme si la totalité du
temps était suspendue à ces moments où elle
se situe, comme nécessairement, sur le
passage des grandes forces qui commandent
à notre condition. La fonction du roman est
d’amplifier à l’extrême aussi bien la faute que
le châtiment; de renvoyer la femme à un ordre
immanent, dont elle n’eût jamais dû dévier,
et dont comme fatalement elle s’écartera; de
faire d’elle une figure pitoyable et coupable,
dont la chute est prévisible, immanquable,
attendue, étant comme l’effet d’une nature
peccamineuse.
C’est cette nature, précisément, que les
médecins, les moralistes, les philosophes de
l’âge classique ont tenté de démythifier, fûtce en créant de nouveaux mythes de la féminité. Pour les médecins, la condition de la
femme est balisée de signes non équivoques
et son bonheur est bien plus sûr que celui de
l’homme, pourvu qu’elle ait su se garder de
l’imaginaire. Les modèles d’elle-même
qu’ils lui ont proposés (modèles mécaniste,
animiste, vitaliste, idéologique) sont des
structures intelligibles, cohérentes, signifiantes, où les lois du corps sont définies de
façon normative; où la fonction de maternité est citée comme une référence irrécusable. Les aliénistes de la fin du siècle ont
découvert dans les symptômes vaporeux le
Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1996, n° 23