Recruter des franchisés entrepreneurs: un risque ou un atout pour
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Recruter des franchisés entrepreneurs: un risque ou un atout pour
Session 15 - 1 Recruter des franchisés entrepreneurs: un risque ou un atout pour un réseau? Jacques BOULAY Professeur de Marketing, Doyen délégué à la Recherche ESSCA 1, rue Lakanal, 49000 Angers, France [email protected] Valentina STAN Professeur de Marketing ESSCA 1, rue Lakanal, 49000 Angers, France [email protected] Résumé De nombreux réseaux de franchise indiquent privilégier les candidatures d’entrepreneurs, suggérant qu’il s’agit là d’un moyen de se développer plus rapidement. Mais la réussite et la valeur d’un réseau reposant sur son homogénéité, le recrutement de profils entrepreneuriaux marqués ne risque t-il pas de se traduire par trop d’autonomie de la part de ces franchisés entrepreneurs, avec le risque qu’ils dévient de la formule initiale, en mettant en œuvre leurs propres méthodes de travail plutôt que celles préconisées par le réseau ? L’objectif de cette recherche est de contribuer à répondre aux différentes interrogations précitées en identifiant l’importance que les franchiseurs français accordent à l’orientation entrepreneuriale des candidats lorsqu’ils sélectionnent de nouveaux partenaires. Après un bref rappel de la littérature sur franchise et entrepreneuriat, les résultats de deux études qualitatives sont présentés qui permettent de proposer un modèle de recherche liant orientation entrepreneuriale, autonomie, opportunisme et performance des franchisés. Mots clés : Franchise, entrepreneuriat, autonomie, opportunisme, performance Abstract Many franchisors focus their selection process on recruiting franchisees with a high level of entrepreneurial orientation (EO), suggesting that it is a way to go more rapidly into the market. But based on the fact that, for a large part, the value of a franchise brand rests upon its uniformity, one can wonder whether recruiting franchisees with a high EO does represent a risk for a franchise chain. Such franchisees could turn out into being too much autonomous at work or opportunist. This paper aims at answering these questions by examining the importance franchisors give to the EO of the applicants to the franchise system. We first give a brief overview of the literature on franchising and entrepreneurship then pass on presenting the results of two successive qualitative studies that sustain the development of a research model about the potential influence of franchisees’ EO on their levels of autonomy, opportunism and performance. Keywords : Franchise, franchising, entrepreneurship, autonomy, opportunism, performance Session 15 - 2 Recruter des franchisés entrepreneurs : un risque ou un atout pour un réseau ? Si la franchise lie deux entreprises juridiquement indépendantes, choisir de rejoindre un réseau de franchise, c’est pour le franchisé accepter de respecter des règles, des standards et des procédures préétablies qui participent à la réussite d’un système collectif. A ce titre, il doit rétrocéder à son franchiseur une partie de son indépendance sur un certain nombre de décisions stratégiques (rythme de développement du réseau, positionnement, etc.) et opérationnelles (choix des produits ou services, politique tarifaire, publicité, etc.) [Falbe et Dandridge 1994]. En échange, le franchiseur lui offre un concept éprouvé (savoir-faire, produits ou services, marque) accompagné d’une formation, d’une aide au démarrage et d’une assistance, limitant les risques inhérents à tout projet d’entreprise en solo (Bates 1995). Cette obligation pour celui qui souhaite devenir son propre patron de devoir respecter des décisions impactant la conduite de son affaire et qui auront été prises par d’autres peut d’ailleurs représenter un frein à rejoindre la franchise. Knight (1984) montre ainsi que ceux qui ont fait le choix de se lancer à leur propre compte considèrent que la franchise offre moins d’indépendance que d’être à la tête de sa propre affaire, un résultat qui a été reproduit récemment par Paswan et John (2007). Dès lors, peut-on considérer qu’un franchisé est un réel entrepreneur ? La réponse à cette question varie selon la place et le rôle que les travaux reconnaissent à la prise de risque, à la contractualisation de la relation ou encore à l’indépendance des parties dans la relation de franchise1. Des travaux qui se contentent le plus souvent de dresser des typologies de franchisés-entrepreneurs et qui en comparent les caractéristiques à celles des entrepreneurs indépendants. Mais plutôt que de se focaliser sur la seule mesure des qualités plus ou moins entrepreneuriales des franchisés (ou des candidats à la franchise), nous considérons qu’il est aujourd’hui surtout important pour un réseau de s’interroger sur la question des bénéfices à attendre du recrutement de candidats présentant ces qualités. En effet, de nombreux réseaux indiquent privilégier les candidatures d’entrepreneurs, suggérant qu’il s’agit là d’un moyen de se développer plus rapidement, en particulier dans des marchés dynamiques (Ajayi-Obe, Kirby et Watson 2006 ; Tuunanen et Hyrsky 2001). Mais la réussite et la valeur d’un réseau reposant sur son homogénéité, le recrutement de profils entrepreneuriaux marqués ne risque til pas de se traduire par trop d’autonomie de la part de ces franchisés entrepreneurs, avec le risque qu’ils dévient de la formule initiale, en mettant en œuvre leurs propres méthodes de travail plutôt que celles préconisées par le réseau ? Acceptent-ils d’ailleurs de se plier aux règles, standards et procédures du réseau ? Enfin, sont-ils, comme semble l’indiquer la littérature managériale, plus performants que des franchisés dont le profil entrepreneurial est moins marqué ? Autant de questions stratégiques dans un réseau et dont les réponses doivent permettre au franchiseur de mieux identifier quels franchisés recruter. Cette recherche est une première étape dans un projet à plus long terme destiné à répondre aux différentes interrogations précitées. Son objectif est de comprendre la place qu’accordent 1 Les divergences observées peuvent aussi s’expliquer par la difficulté de définir et par la même de mesurer la notion d’entrepreneur, ce qui se traduit par des études empiriques qui recourent à des échelles différentes pour mesurer l’orientation entrepreneuriale des franchisés, rendant délicate la comparaison des résultats obtenus. Hing (1995) l’approche à travers la notion de personnalité entrepreneuriale, Fenwick et Stronbom (1998) via celle de tendance entrepreneuriale, Tuunanen et Hyrsky (2001) évaluent les caractéristiques entrepreneuriales, enfin, Paswan et John (2007) interrogent sur la manière dont les franchisés se perçoivent entrepreneurs Session 15 - 3 les franchiseurs français à l’orientation entrepreneuriale (OE) des candidats lorsqu’ils sélectionnent de nouveaux partenaires. Elle débute par un rappel de la littérature sur franchise et entrepreneuriat qui suggère qu’on dispose aujourd’hui de peu d’information sur ce que savent réellement les franchiseurs de l’orientation entrepreneuriale des franchisés qu’ils recrutent. Pourtant, ainsi que le souligne les résultats d’une analyse des qualificatifs utilisés par les réseaux pour décrire leur profil idéal de candidat, le terme d’entrepreneur est mis en avant par le quart d’entre eux, loin devant celui d’investisseur et à égalité avec celui de commerçant, même si des disparités sectorielles existent. Une série d’entretiens a alors été menée auprès des responsables du développement de huit des principaux réseaux français de franchise. L’objectif est de mieux comprendre ce que recouvre cette notion d’entrepreneur appliquée au candidat à la franchise et d’identifier les avantages et les inconvénients que les franchiseurs reconnaissent à ce type de profil. Dans une troisième et dernière partie, nous proposons, basé sur les résultats obtenus au travers de ces deux travaux empiriques, un modèle de recherche liant orientation entrepreneuriale, autonomie, opportunisme et performance des franchisés. 1. LA LITTERATURE SUR FRANCHISE ET ENTREPRENEURIAT 1.1 Les franchisés sont-ils des entrepreneurs ? S’il n’existe pas de définition partagée et universelle de ce qu’est un entrepreneur, les travaux en franchise s’accordent en règle générale sur la présence chez un entrepreneur de la capacité à prendre des risques, à innover et à coordonner des ressources (Williams 1999). Il ne fait aucun doute que le franchiseur est un entrepreneur puisqu’il innove en proposant au marché un concept, produit ou service original qu’il choisit de distribuer via un système de distribution franchisé. Il prend des risques en investissant des ressources afin de développer sa marque tandis que le franchisé choisit de se rallier à un concept qui a déjà fait ses preuves, ce qui représente à priori moins de risque que de se lancer dans l’aventure de l’indépendance par soi-même (Kauffman et Dant 1998 ; Withane 1991). Enfin, le franchiseur coordonne ressources et acteurs afin d’installer son innovation sur le marché et de faire progresser son affaire. Au contraire du franchiseur, le franchisé n’innove pas puisqu’on lui demande d’abord d’appliquer des méthodes et standards éprouvés dans le cadre de la reproduction d’un concept. Il peut toutefois lui aussi être considéré comme un entrepreneur dès lors qu’il risque aussi de son coté des ressources pour développer son marché local (Kaufmann et Dant 1998). Bien souvent, il investit ses économies et fait un emprunt bancaire pour financer les droits d’entrées dans le réseau, son pas de porte ainsi que les équipements nécessaires au démarrage de son exploitation. Le fait de se rallier à une marque existante et à un concept ayant fait ses preuves est certes une sécurité mais en aucun cas l’assurance que la réussite sera au rendezvous. Cette ambiguïté du franchisé en tant qu’entrepreneur a bien été saisie par Brannen (1986) [in Koiranen, Hyrsky et Tuunanen 1997] qui, appliquant la distinction proposée par Baumol (1986), le qualifie d’entrepreneur imitateur, c'est-à-dire d’entrepreneur qui s’attache à diffuser une innovation une fois l’utilité de celle-ci démontrée par un entrepreneur initiateur. Ayant une connaissance plus poussée que la tête de réseau de sa clientèle locale, le franchisé est encouragé dans de nombreuses chaînes à adopter un comportement pro-actif, voire à innover quand cela se justifie2 (Ajayi-Obe, Kirby and Watson 2005). Comme Kaufmann et 2 Nous verrons toutefois dans la partie empirique de cette recherche que les franchiseurs n’acceptent pas qu’ils innovent dans tous les domaines. Session 15 - 4 Eroglu (1998) le notent, ils exercent parfois une pression sur leur franchiseur afin que celui-ci les autorise à tester des produits ou des démarches originales. Ils acceptent certes d’être contrôlés pour le bien du réseau mais espèrent aussi pouvoir disposer d’un volant d’autonomie et d’indépendance élevé quand cela leur est profitable (Koiranen, Hyrsky et Tuunanen 1997). A l’inverse, un autre courant de recherche, focalisé sur les aspects contractuels de la franchise, insiste sur l’existence au travers du contrat de franchise d’une relation de forte dépendance du franchisé vis-à-vis du franchiseur. Les nombreuses obligations imposées par contrat au franchisé conduisent à considérer que le statut de celui-ci s’apparente à bien des égards autant à celui d’un employé qu’à celui d’un entrepreneur indépendant. Le contrat est en effet généralement rédigé par les services juridiques du franchiseur et est proposé au franchisé sur un mode « à prendre ou à laisser », suggérant qu’il s’agit davantage d’un contrat d’adhésion que d’un contrat négocié (Stanworth 1995 ; Hunt 1972). Il contient toute une série d’obligations que le franchisé s’engage à respecter en matière de localisation géographique, d’emplacement du point de vente, d’offre commerciale, de politique de prix, etc. Il interdit souvent au même franchisé de transmettre son commerce à un tiers sans l’assentiment du franchiseur. Il peut également contenir une clause de non concurrence, limitant la possibilité pour le franchisé d’avoir, après la fin du contrat, dans le même point de vente ou en dehors, une activité identique à celle qu’il a eue précédemment (Lafontaine et Raynaud 2002 ; Felstead 1992 ; Hunt 1972). Il s’agit là d’une vision très juridique de la relation franchiseur-franchisé que la réalité relativise toutefois. En effet, le contrat reste bien souvent dans un tiroir une fois la relation de franchise démarrée et il n’y est plus fait référence qu’en fin de contrat ou en cas de situation conflictuelle. Stanworth (1995) souligne ainsi que 80% des franchisés signalent que leur franchiseur ne mentionne jamais le contrat dans leurs relations quotidiennes. En outre, face à une jurisprudence qui jusque récemment ne leur a guère été favorable (du moins dans le contexte français), les franchiseurs veillent à s’assurer que la relation d’affaire qu’ils développent avec leurs franchisés ne puisse être, en cas de conflit, requalifiée en lien de subordination. Le risque serait alors qu’ils soient condamnés par les tribunaux à verser des indemnités de rupture de contrat ou des arriérés de salaire. Il s’agit donc pour eux de s’assurer que les clauses contractuelles mais aussi le management du réseau (et en particulier leur degré d’immixtion dans l’activité du franchisé) ne se traduisent pas par une dépendance trop forte de ce dernier. Un troisième groupe de travaux s’attache à réconcilier ces deux visions du franchisé - preneur de risque et indépendant d’un coté versus dépendant et ne faisant qu’appliquer des instructions de l’autre - en le considérant à la frontière du manager salarié et du petit patron en termes de prise de décision stratégique, d’indépendance et d’autorité opérationnelle (Tuunnanen et Hyrsky 2001). Clarkin et Rosa (2005) soulignent ainsi que dans les réseaux qu’ils ont étudiés, malgré les restrictions imposées par le contrat, les franchisés sont engagés dans une activité qui peut être qualifiée d’entrepreneuriale. Nous pensons que cette vision entre-deux du franchisé est appelée à dominer la recherche sur le lien entre entrepreneuriat et franchise en se voulant la plus proche de la réalité organisationnelle : l’ambiguïté est en effet propre à ce type de relation et il semble difficile de qualifier de manière irrévocable d’entrepreneur ou de non-entrepreneur un franchisé. D’autant plus que la question se pose de savoir si cette qualité d’entrepreneur peut toujours lui être appliquée au-delà de la période de démarrage de son activité (Judd et Justis 2008). Le défi qui se pose à tout réseau est de parvenir à un savant équilibre entre le contrôle du réseau afin de préserver la valeur de sa marque et l’autonomie qu’il faut laisser à son Session 15 - 5 franchisé afin que celui-ci puisse s’adapter aux spécificités locales (Pizanti et Lerner 2003). Le franchiseur doit en effet veiller à ce que cette autonomie ne se traduise pas par des comportements opportunistes, chacun décidant de la manière de conduire son activité une fois le contrat signé. A ce titre, le processus de recrutement représente un mécanisme qui permet de limiter le risque que ne se produisent à terme des comportements de ce type. Nous nous interrogeons sur l’opportunité de recruter dans les réseaux des profils entrepreneuriaux marqués. De nombreux franchiseurs disent en effet chercher chez les candidats à la franchise des qualités d’entrepreneurs (prise de risque, pro-activité, etc.). Mais de telles qualités ne risquent-elles pas de se traduire par des comportements au travail trop autonomes, voire par l’accueil dans le réseau de cavaliers libres qui prendraient dans la franchise ce qui les intéresse et agiraient d’abord pour leur propre profit plutôt que pour celui du système dans son ensemble ? Bref, les franchisés les plus entrepreneurs sont-ils réellement ceux qu’il faut recruter ? 1.2 Ce que les franchiseurs connaissent de l’orientation entrepreneuriale de leurs franchisés Le processus de sélection des candidats à l’entrée dans le réseau représente un mécanisme fort afin de s’assurer de l’adhésion des futurs franchisés aux valeurs de la marque. On s’étonne alors du peu d’intérêt des chercheurs pour ce thème. Les rares travaux sur le recrutement dans les réseaux de franchise s’attachent en effet avant tout à mesurer l’importance de critères comme l’expérience du candidat, leur niveau de formation, leurs compétences marketing et commerciales, leur engagement vis-à-vis du réseau ou encore leur croyance envers les produits proposés par le réseau (Forward et Fulop 1993). Et quand on demande aux franchiseurs de décrire leur franchisé idéal, on obtient une liste de traits de personnalité tels que vigoureux, coopératif, persistant…ou encore bien portant (healthy) (Edens, Self et Grider 1976). A notre connaissance, la littérature de recherche en franchise est encore plus avare sur les impacts de l’orientation entrepreneuriale des franchisés alors que dans le même temps, la presse professionnelle se fait l’écho de franchiseurs à la recherche de candidats motivés, proactifs et qui acceptent de prendre des risques, autant de critères que l’on retrouve dans les échelles de mesure classiques de l’orientation entrepreneuriale des individus (Lumpkin et Dess 1996). A la question « les franchiseurs recherchent-ils réellement des entrepreneurs ? », aucune réponse claire n’a donc encore été apportée par la recherche en franchise. Afin de contribuer à l’avancée du débat, deux recherches empiriques de type qualitatif ont été successivement réalisées. 2. UNE DOUBLE RECHERCHE EMPIRIQUE Dans un premier temps, une typologie des réseaux membres de la Fédération Française de la Franchise a été réalisée à partir de la description du profil de candidat qu’ils recherchent. Cette étude souligne l’importance accordée par les réseaux (dans certains secteurs davantage que dans d’autres) à l’orientation entrepreneuriale des candidats. Afin de mieux comprendre ce que les réseaux entendent par le terme d’entrepreneur et les raisons qui peuvent expliquer qu’ils valorisent – ou non – ce type de profil, une série d’entretiens auprès des responsables du développement de huit réseaux a ensuite été conduit. Session 15 - 6 2.1 Typologie des réseaux Encadré 1 : Méthodologie L’annuaire de la franchise qui est éditée chaque année par la Fédération Française de la Franchise (FFF) permet aux réseaux membres de la FFF de se présenter (historique, dirigeants, nombre de points de vente, conditions contractuelles, etc.). 83 des 120 adhérents (chiffres 2008) en profitent également pour détailler le profil de candidat qu’ils recherchent. A partir des données disponibles dans l’annuaire, une base a été construite qui retient une quinzaine de variables : les caractéristiques du réseau (nombre d’unités en propre et en franchise / âge de la société et du réseau / durée du contrat / droit d’entrée dans le réseau) ; le profil recherché (entrepreneur / investisseur / commerçant) ; les compétences recherchées (commerciales / de gestion / managériales) ; l’expérience (expérience du secteur ou métier / ancien cadre). Quatre secteurs ont été distingués : alimentaire, équipement de la personne, maison-loisirs, services. A partir des données ainsi collectées, une série d’analyses a été conduite dont les résultats sont présentés ci-après. Les profils des franchisés les plus recherchés sont les profils entrepreneuriaux (entrepreneur, créateur, chef d’entreprise) et commerçants puisque le quart des réseaux annoncent cibler des candidats présentant ces caractéristiques, le profil « investisseur » n’arrivant que loin derrière (15%). Les compétences commerciales (le sens du commerce) sont aussi très demandées (41%), suivies des compétences managériales (33%) puis des compétences en gestion (31%). Enfin, si la connaissance ou l’expérience du secteur sont importantes pour 39% des réseaux, le fait d’être un ancien cadre importe peu (seuls 16% des franchiseurs appartenant à l’échantillon recherchent ce type de profil). Une typologie des franchiseurs a ensuite été réalisée3 qui a permis d’identifier trois groupes de réseaux : Le premier groupe (43%) réunit principalement des franchiseurs qui préfèrent des candidats avec des compétences commerciales (v-test=3,86), en gestion et en management. Le profil entrepreneur / créateur d’entreprise / chef d’entreprise est également ciblé (v-test=2,12) tandis que l’expérience du secteur / du métier ainsi que le statut antérieur (ancien cadre) importent moins Dans le deuxième groupe (41%), on trouve principalement des réseaux du qui recherchent des franchisés ayant une connaissance ou une expérience du secteur / métier (v-test=4,98) et qui sont des commerçants Enfin, le troisième groupe comprend 13 franchiseurs (16%) qui recherchent des franchisés qui sont des anciens cadres ou des cadres en reconversion (v-test=7,86) Le premier groupe est celui des réseaux à la recherche d’entrepreneurs-commerçants, des types de profils susceptibles de s’adapter à la réalité. Lancer sa propre affaire requiert en effet dynamisme, volonté et opiniâtreté. Même si la franchise « rassure », elle n’est en aucun cas une assurance tous risques. Une fois le point de vente ouvert, il s’agit de le faire fonctionner. Une expérience dans la distribution évite les surprises : les premiers mois ou années, la charge 3 Méthode de classification hiérarchique sous SPAD avec recherche automatique des meilleures partitions [méthode PARTI-DECLA] qui a permis de déterminer le nombre optimal de classes à retenir. Session 15 - 7 de travail est particulièrement importante (présence horaire). Le management d’équipe fait également partie du quotidien du franchisé dans de nombreux réseaux. Autant d’éléments que ceux qui sont déjà passés par le secteur du commerce ne découvrent pas. Ils disposent en général d’une expérience assez complète dans les différents domaines qui relèvent de la direction d’une PME, qu’il s’agisse de la gestion d’un compte d’exploitation de point de vente, du commerce vis à vis de la clientèle ou de l’animation d’équipe. Le second groupe est celui des réseaux à la recherche de connaisseurs. Ici, la connaissance du métier et du secteur priment dans les attentes exprimées par la tête de réseau. On pense bien entendu aux enseignes pour lesquelles un diplôme technique sanctionnant la maîtrise d’un savoir-faire est indispensable (coiffure, esthétique, etc.), voire une condition pour que les organismes financiers acceptent de soutenir la création du point de vente. Le troisième groupe est celui des réseaux à la recherche de novices. Il s’agit de réseaux qui accordent moins d’importance à l’expérience antérieure du candidat pour se focaliser avant tout sur son statut actuel (cadre). On peut émettre l’hypothèse que certains réseaux cherchent volontairement des profils qui ne disposent pas d’expérience antérieure dans l’activité afin de pouvoir plus facilement les former au concept. Le profil « cadres » peut également correspondre à un profil de candidats qui disposent d’une assise financière plus large. Afin de compléter les résultats issus de l’analyse typologique, une série d’entretiens semidirectifs centrés a été conduite auprès de huit responsables du développement de réseaux de franchise français. 2.2 L’enquête auprès des franchiseurs Encadré 2 : Méthodologie Les réseaux ont été sélectionnés selon un critère de taille. Il nous a en effet semblé important d’interroger des réseaux disposant de suffisamment de recul en matière de recrutement et de développement. Les huit réseaux interrogés font ainsi partie des 5% des réseaux les plus importants par le nombre d’unités en franchise (présent sur le marché depuis plusieurs dizaines d’années). Les entretiens ont d’abord porté sur des thématiques liées au(x) profil(s) recherché(s), aux qualités attendues chez les candidats et au processus de recrutement : - Pouvez-vous me décrire votre franchise ? - Quels éléments mettez-vous en avant pour attirer des candidats ? - Dans votre réseau, quel est le profil « idéal » d‟un candidat à la franchise ? - Les qualités recherchées ont-elles évoluées avec l‟avancée en âge du réseau ? - Comment se passe le processus de recrutement ? Une seconde partie abordait directement la notion de l’orientation entrepreneuriale du franchisé. Nous nous attachions dans un premier temps à identifier si le réseau considérait que ses franchisés étaient des entrepreneurs et si oui dans quelles limites : - Un franchisé est-il un entrepreneur ? - Que mettez vous derrière ce terme de franchisé-entrepreneur ? - Quels sont les avantages à recruter un franchisé avec une orientation entrepreneuriale marquée ? - Quels sont les risques ? - Pensez vous que les qualités entrepreneuriales d‟un franchisé perdurent avec le temps ? Session 15 - 8 Il a ensuite été procédé à une analyse de contenu (découpage des verbatim en catégories selon des éléments de discours récurrents et de même sens, classement afin de faire apparaître des thèmes majeurs) dont l’objectif a été « d‟apprécier l‟importance des thèmes dans le discours plutôt que de la mesurer » (Thiétart 2006 ; Manzano 2000). Les résultats présentés ci-dessous se concentrent sur notre question centrale de recherche, à savoir « les franchiseurs recherchent-ils réellement des entrepreneurs » ? Répondre à cette question passe par une revue des définitions qu’ils donnent de la notion de franchiséentrepreneur ainsi que des avantages et des inconvénients qu’ils reconnaissent à ce type de profil. Six des huit réseaux disent rechercher avant tout des candidats entrepreneurs et ne pas déroger à cette règle : S‟il n‟est pas entrepreneur, il n‟est pas sélectionné. Nous voulons tout sauf des salariés déguisés. Nous voulons de vrais entrepreneurs C‟est indispensable. Cet esprit entrepreneurial, on l‟a en soi ou on ne l‟a pas Oui [on cherche des entrepreneurs]. On établit un rapport entre ce qu‟on appelle le coefficient des deux E. Le premier E c‟est sa capacité à être un entrepreneur, divisé par le deuxième E, sa capacité à être un e… Ne pas recruter un candidat qui a l‟esprit d‟entreprise c‟est presque voué à l‟échec dès le départ Les deux autres réseaux disent également rechercher des entrepreneurs mais attirer plutôt des personnes entreprenantes que de réels entrepreneurs : C‟est au travers des successions et créations que l‟on va pouvoir attirer des profils de personnes qui sont de véritables entrepreneurs Aujourd‟hui, ce sont des entreprenants mais pas forcément des entrepreneurs Cette distinction interpelle sur ce que la notion de « franchisé-entrepreneur » recouvre concrètement. Lorsqu’ils sont questionnés sur le sujet, les franchiseurs ne sont pas avares de qualificatifs. On retrouve plusieurs des critères des échelles de l’orientation entrepreneuriale proposées par la littérature en management (Matsuno, Mentzer et Ozsomer 2002 ; Lumpkin et Dess 1996), à savoir : La prise de risque : - C‟est quelqu‟un qui sait prendre des risques, qui va engager son patrimoine et qui ensuite va créer de la richesse - Un franchisé entrepreneur c‟est quelqu‟un qui a cette vocation à entreprendre et derrière cette vocation à entreprendre, il y a cette vocation à prendre des risques - [C‟est un entrepreneur] parce qu‟il faut aller défricher des territoires qui aujourd‟hui n‟ont pas été entrepris Naturellement, dans le même temps, les réseaux soulignent que la prise de risque est limitée puisqu’ils rejoignent un concept éprouvé. Des preneurs de risque plutôt que des risque-tout, voilà ce que cherchent les réseaux : « moi cela me ferait presque peur d‟avoir en face de moi un candidat qui aime trop le risque. Il faut quand même qu‟il soit réfléchi dans sa démarche, c‟est quand même un véritable projet de vie. Il faut beaucoup s‟impliquer les deux premières années. Quelqu‟un qui va se jeter à l‟eau sans prendre tout cela en compte, moi cela me fait presque peur ». Session 15 - 9 La pro-activité : - Un entrepreneur, c‟est quelqu‟un qui va être réactif sur l‟exploitation, qui va s‟adapter systématiquement à son client, et qui va accepter de changer et de se mettre au goût du jour systématiquement - Des gens capables de prendre une décision à l‟instant sans attendre que cela soit le franchiseur qui la prenne L’esprit de compétition est également recherché car la concurrence est rude dans de nombreux marchés : - il faut qu‟il l‟ait [l‟esprit de compétition]. Il faut qu‟il ait faim. Il faut quelqu‟un qui ait envie, la gagne cela fait partie de son business sinon il va s‟endormir - oui, même entre eux [ils doivent l‟avoir]. D‟ailleurs, des challenges sont organisés L’autonomie est enfin recherchée car une fois dans leur point de vente, et malgré l’assistance du franchiseur, ils sont d’abord seuls : - Un entrepreneur (…) qui va pas attendre qu‟on l‟assiste sur quinze mille choses - Un franchisé, un bon franchisé il est autonome. Il est autonome, il a d‟abord un caractère d‟autonomie et d‟entreprenant volontaire - […] on fait pas de l‟assistanat chef d‟entreprise. On fait du business avec des gens qui ont l‟entreprise dans l‟âme et des gens qui sont autonomes. Toutefois, ici encore, point trop n’en faut. Il ne faut pas en particulier que l’autonomie rime avec indépendance (« Si on sent que cela l‟embête d‟être pilotée, qu‟elle ne peut pas choisir ses produits, que ça lui convient moins bien, donc là on écarte très vite » ; « Souvent lors des premiers entretiens, on me demande, est ce que j‟ai le droit de mettre les prix que je veux, est ce que j‟ai le droit de changer ma vitrine. La réponse est très claire, c‟est non »). Lié au point précédent, on ne cherche pas à recruter des candidats dont la créativité a besoin de s’exprimer à tout prix. On acceptera qu’ils innovent (puisqu’on leur laisse une marge d’autonomie) mais dans des limites bien définies. Ils ne doivent en aucun cas remettre en question les fondamentaux marketing et commerciaux du réseau (« innovateur oui mais dans son champ d‟action, c'est-à-dire s‟il a des bonnes idées en management et en gestion, pas de souci » ; « je ne lui demande pas d‟innover sur le concept » ; « il faut qu‟il puisse s‟épanouir dans le réseau, ça veut dire certes, il a une autonomie mais les barrières sont posées aussi, et elles sont posées dès le départ »). Si on devait déduire de la série d’entretiens un classement des qualités à caractère entrepreneurial recherchées chez un candidat à la franchise, ce serait donc le suivant (cf. tableau 1) : Tableau 1 - Hiérarchie des critères de profil du franchisé-entrepreneur Critères 1. Preneur de risque (limité) 1. Pro-actif 2. Autonome au quotidien (mais pas indépendant) 3. Ayant l’esprit de compétition (vis-à-vis de l’externe comme de l’interne) 4. Innovateur (dans un champ limité) Session 15 - 10 Avantages et inconvénients de recruter des franchisés entrepreneurs Si le candidat entrepreneur semble être au cœur des stratégies de recrutement des réseaux interrogés, ces derniers sont toutefois sensibles aux avantages et inconvénients de ce type de profil (cf. tableau 2). Il s’agit d’un profil idéal lorsque le réseau se développe en ce sens que les franchisés-entrepreneurs sont plus enclins à aller de l’avant (à prendre des risques) avec en contrepartie un niveau d’exigence qui sera plus élevé vis-à-vis de la tête de réseau. On est en effet face à des franchisés qui, eu égard aux risques qu’ils sont prêts à prendre, font dépendre leur fidélité à l’enseigne du retour sur investissement qu’ils obtiennent. Il faut noter à ce propos que cinq des huit réseaux interrogés nous ont signalé vouloir éviter à tout prix de recruter des investisseurs qui ne géreraient pas en direct leur point de vente, et ceci même si l’investissement d’entrée peut représenter plusieurs centaines de milliers d’euros (« on ne veut pas du tout ce genre de profil. On cherche un commerçant qui soit derrière son comptoir dans son magasin »). Tableau 2 - Avantages et inconvénients de recruter des franchisés-entrepreneurs Avantages Accélération du développement « L‟intérêt [de recruter ce type de profil] c‟est l‟accélération. Cela permet d‟aller sur des surfaces plus grandes, avec des personnes qui seront moins frileuses sur les investissements, qui seront aussi plus exigeantes sur le management » « C„est plus facile et rapide de se développer pour l‟enseigne si vous avez des entrepreneurs avec vous » «Quelqu‟un qui sera un entrepreneur sera quand même plus efficace pour faire bouger et avancer son affaire». Motivation au travail et performance « Des gens adaptables, réactifs, plus débrouillards, plus performants » « Des gens responsables de ce qu‟ils ont entrepris, tenaces, persévérants et qui savent donner du sens à ce qu‟ils font » « [Un entrepreneur] a une obligation de réussite plus forte qu‟un salarié » « […] et le fait de rechercher une certaine rentabilité, tout ça dans le but de faire progresser le réseau» « C‟est aussi des gens qui vont de façon tenace encourager leurs équipes, motiver leurs équipes, leur donner le sens…» Inconvénients Exigence forte vis-à-vis du réseau « Ce type d‟entrepreneur, ils sont beaucoup plus exigeants…c'est-à-dire le jour où cela ne va pas, ils ont beaucoup plus les moyens de se passer de nous pour faire simple » Autonomie / Indépendance trop forte visà-vis de la tête de réseau « Il faut éviter qu‟ils sortent du concept, qu‟il y ait des degrés d‟autonomie trop important. Eviter ce qu‟on appelle les barons qui à force veulent ne faire qu‟à leur façon » « Attention à ce que l‟esprit d‟entreprise ne soit pas l‟esprit d‟individualité, profitant de la notoriété de la marque sans s‟impliquer dans le réseau ou ne pas en suivre les directives » « Il va chercher à faire son propre business au détriment de l‟esprit réseau » « C‟est qu‟il estime qu‟avec le savoir faire que vous lui transmettez et qu‟il est capable d‟acquérir au fur et a mesure, il puisse se passer de vous » Session 15 - 11 L’avantage également reconnu à un franchisé-entrepreneur est celui d’une performance plus élevée, performance liée à la fois aux qualités qu’on lui reconnait et à une quasi-obligation de résultat. En revanche, cette réussite peut le conduire à faire preuve d’indépendance dans la manière de gérer son activité et à dévier de la formule de l’enseigne. Le franchiseur doit donc veiller à ce que l’autonomie qu’il laisse à ses franchisés ne se transforme pas en indépendance qui se traduirait à terme par des comportements opportunistes, les franchisés profitant des externalités du réseau tout en poursuivant leurs seuls objectifs. Il est donc important de s’interroger sur le degré d’orientation entrepreneuriale des candidats à la franchise que l’on souhaite recruter et ceci même si de nombreux franchiseurs disent privilégier ce type de profil. Bref, les franchisés les plus entrepreneurs sont-ils réellement ceux qu’il faut recruter ? 3. PROPOSITION D’UN MODELE DE RECHERCHE Répondre à cette question conduit à tester un modèle de recherche sur l’existence et le sens d’un lien entre l’OE des franchisés et leur degré d’autonomie, d’opportunisme et de performance. En effet, au regard du discours des franchiseurs, si ces derniers confient rechercher des entrepreneurs, ils souhaitent dans le même temps que ces derniers agissent dans le respect des règles édictées par le système. Il convient donc de vérifier si cela est possible. Nous pensons en outre que l’intensité des liens entre les différentes dimensions précitées peut varier selon l’étape du cycle de vie du franchisé dans le réseau (la qualité d’entrepreneur peut-elle toujours s’appliquer au franchisé au-delà de la période de démarrage de son activité ?). Figure 1 – Modèle de recherche Etape du cycle de vie du franchisé Autonomie OE Opportunisme Performance 3.1 Le lien entre OE et autonomie Dans les réseaux de franchise, les méthodes de travail sont généralement développées par le franchiseur (son savoir-faire) et transmises aux franchisés sous formes de procédures, de standards et de règles. Le franchiseur fixe également les critères permettant d’évaluer l’activité du franchisé. Comme nous l’avons signalé précédemment, un degré minimum Session 15 - 12 d’autonomie doit toutefois être laissé au franchisé afin qu’il puisse adapter (à la marge) l’offre du réseau à son marché local. L’autonomie est un concept complexe qui est régulièrement confondue avec celle d’indépendance dans les travaux sur la franchise. La littérature en ressources-humaines a pourtant depuis longtemps déjà montré que travailler en totale indépendance ne signifiait pas être autonome. Inversement, le fait d’être dépendant ne veut pas dire ne pas être autonome (Breaugh 1985). Ainsi, un franchisé dépend généralement du franchiseur, par exemple en ce qui concerne l’agencement du point de vente, l’assortiment ou encore la politique tarifaire….ce qui ne l’empêche pas, au quotidien, d’être autonome et de disposer d’une grande liberté d’action dans la conduite de son affaire. C’est ce que Dant et Gundlach (1998) suggèrent lorsqu’ils caractérisent la franchise comme un système organisationnel marqué à la fois par une forte dépendance et une forte autonomie des acteurs. La littérature en franchise considère généralement l’entrepreneur comme le seul patron dans son entreprise, disposant d’une totale autonomie dans l’organisation, la planification et l’évaluation de son activité. Ce postulat a été récemment validé par plusieurs études empiriques qui ont montré que l’autonomie était l’un des bénéfices non financiers d’une OE élevée (Luke, Verreynene et Kearins 2007; Davidson 2006). On peut donc penser qu’un franchisé-entrepreneur sera plus enclin à vouloir appliquer ses propres méthodes de travail plutôt que celles qui lui sont imposées par la tête de réseau, à organiser son activité comme il l’entend et à se reposer sur ses propres critères pour évaluer celle-ci. H1: Plus le franchisé fait preuve d‟une orientation entrepreneuriale forte, plus il fait preuve d‟autonomie dans son travail. 3.2 Le lien entre OE et opportunisme La question liée est de savoir si, au-delà de favoriser des comportements autonomes au travail, le recrutement de franchisés avec une orientation entrepreneuriale forte ne se traduirait pas également par la survenance de comportements opportunistes. L’existence de comportements opportunistes est facilitée par de nombreux facteurs de différenciation structurels et comportementaux qui caractérisent la relation franchiseurfranchisé : dispersion géographique, information imparfaite et asymétrique, conflits d’objectifs, jeux de pouvoir (Bourdiaux 1993). Un franchisé peut ainsi avoir la tentation d’agir de manière totalement indépendante de la tête de réseau, en cherchant à tirer partie des avantages du système tandis que les autres membres (le franchiseur mais aussi les autres franchisés) en supporteront les soucis et les coûts. La littérature en entrepreneuriat est toutefois encore plus avare en travaux sur le lien entre orientation entrepreneuriale et opportunisme qu’elle ne l’était sur celui entre orientation entrepreneuriale et autonomie. En effet, et si on reprend la définition de l’opportunisme de Williamson (1985) “…the incomplete or distorted disclosure of information, especially to calculated efforts to mislead, distort, disguise, obfuscate, or otherwise confuse”, il peut de prime abord sembler absurde de s’interroger sur l’opportunisme d’un entrepreneur car qui pourrait-il tromper d’autre que lui-même ? La question est évidemment différente au regard du statut entrepreneurial ambiguë d’un franchisé. La volonté de réussir rapidement en prenant des risques ou encore un fort sentiment d’autonomie lié à une orientation entrepreneuriale marquée peuvent le conduire à faire preuve de davantage d’opportunisme vis-à-vis du franchiseur. Session 15 - 13 H2 : Plus le franchisé fait preuve d‟une orientation entrepreneuriale forte, plus il est opportuniste. Autonomie et opportunisme Cochet, Dormann et Ehrmann (2005) soulignent que l’autonomie des franchisés contribue certes à l’adaptabilité du système franchise mais que dans le même temps, elle favorise l’émergence de problèmes d’agence. Pizanti et Lerner (2003) suggèrent de leur coté que si trop de contrôle peut avoir un effet contre-productif et négatif, un excès d’autonomie aussi. Ce qui sous-entend un lien de causalité dans le sens d’un risque accru d’opportunisme du franchisé lié à une plus grande autonomie au travail de celui-ci. En effet, dés lors qu’il applique ses propres méthodes plutôt que celles du franchiseur, qu’il organise et qu’il évalue comme il l’entend son activité, il y a de fortes chances pour voir émerger chez lui des comportements opportunistes. H3 : Plus le franchisé fait preuve d‟autonomie dans son travail, plus il est opportuniste. 3.3 Le lien entre OE et performance A l’inverse des deux points précédents, s’il y a un thème abondamment traité par la littérature en entrepreneuriat, c’est bien celui du lien entre orientation entrepreneuriale et performance. Si l’entrepreneuriat est si souvent mis en avant, c’est bien parce qu’on le lie à une performance accrue. Il existe ainsi de nombreuses études empiriques et dans de nombreux pays qui établissent un lien positif entre l’orientation entrepreneuriale des individus et des variables aussi diverses que le chiffre d’affaires, l’évolution des ventes, la profitabilité, etc. (Chow 2006 ; Wilkins et Shepherd 2003 ; Smart et Conant 1994 ; Zahra 1993). Même la littérature en franchise s’est intéressée au sujet. Fenwick et Stronbom (1998) ont ainsi étudié dans quelle proportion la tendance entrepreneuriale d’un franchisé pouvait avoir une influence sur la performance de son point de vente. Ils retiennent une mesure duale de la tendance entrepreneuriale via l’échelle de la compétence entrepreneuriale de Chandler et Hans (1994) et celle de l’orientation entrepreneuriale de Smart et Contenant (1994) tandis que la performance des franchisés est approchée par des données relatives aux ventes et aux retours sur investissements sur une période de trois années ainsi qu’à leur évolution entre les années 1 et 3. Les auteurs constatent que la compétence entrepreneuriale n’est pas liée significativement aux ventes mais qu’en revanche, elle est liée négativement et significativement aux retours sur investissement ainsi qu’à l’évolution de ces derniers. L’orientation entrepreneuriale n’est quant à elle liée qu’avec l’évolution des ventes d’une année sur l’autre (mais pas avec leur volume annuel). Ce qui conduit les deux auteurs à conclure à l’absence de lien entre tendance entrepreneuriale et performance du point de vente. Ce résultat peut paraître surprenant dès lors qu’il contredit l’essentiel de la littérature en entrepreneuriat sur le sujet. Il faut dire que les deux auteurs ont rencontré des difficultés avec leurs échelles de la compétence et de l’orientation entrepreneuriale (en termes de validité de construit) qui les ont conduit à ne pouvoir en utiliser au final que des versions simplifiées. Ils recommandent d’ailleurs de les affiner. Nous n’avons pas identifié d’autres travaux empiriques sur la mesure du lien entre orientation entrepreneuriale et performance des franchisés et dont les résultats pourraient venir confirmer ou infirmer les résultats de Fenwick et Stronbom (1998). Au regard des questionnements des auteurs sur la validité de leurs mesures et en nous appuyant sur la littérature en entrepreneuriat, il paraît donc à ce stade délicat de poser une hypothèse autre que celle d’un lien positif entre orientation entrepreneuriale du franchisé et performance de ce dernier. Session 15 - 14 H4 : Plus le franchisé fait preuve d‟une orientation entrepreneuriale forte, plus il est performant. Autonomie et performance L’autonomie d’un franchisé doit lui permettre de mieux répondre aux attentes du marché local en adaptant aux spécificités de sa clientèle le concept développé par le réseau. On peut émettre l’hypothèse qu’un franchisé ne s’engagera dans une telle démarche que s’il y trouve un intérêt, et en particulier parce qu’il considérera que cela lui permet d’être plus performant. Ce qui conduit à poser l’hypothèse suivante : H5 : Plus le franchisé fait preuve d‟autonomie dans son travail, plus il est performant. Opportunisme et performance On peut penser qu’un franchisé est opportuniste parce qu’il y trouve un plus grand bénéfice, en particulier en matière de performance. Or, Bidwell, Yard et Siloé (2007) ont montré récemment qu’il n’en était rien. Ils ont analysé le lien entre les comportements de cavaliers libres dans la franchise et la performance des franchisés. Leurs résultats montrent que l’observation de ce type de comportements est liée à une moindre performance (à la fois perçue par les acteurs mais aussi mesurée en termes de ventes). Ce qui conduit à poser l’hypothèse suivante : H6 : Plus le franchisé fait preuve d‟opportunisme, moins il est performant 3.4 Cycle de vie du franchisé Un réseau peut avoir intérêt à se reposer sur des profils entrepreneuriaux marqués à certains moments de son histoire. Cela peut être le cas en phase d’expansion rapide, dans le cadre d’une stratégie de développement à l’international via des masters franchisés ou encore dans des environnements caractérisés par une incertitude forte. A d’autres moments, le même réseau cherchera plutôt à s’attacher les compétences de franchisés avec des profils moins entrepreneuriaux mais plus managériaux. Il s’agira alors davantage de faire vivre et de faire évoluer le réseau que de le construire. Le franchisé peut également faire preuve d’une orientation entrepreneuriale d’autant plus marquée qu’il est en phase de démarrage de son réseau, les compétences managériales et de gestion prenant alors le dessus une fois cette phase passée. Il apparaît donc important que le modèle de recherche proposé intègre ces aspects temporels. Si la validation empirique du modèle s’oriente vers une analyse multi-réseaux, c’est le cycle de vie du réseau qui importera principalement. Si l’analyse porte sur les franchisés d’un seul réseau, l’étape du cycle de vie du franchisé dans le réseau devra être prise en compte en posant l’hypothèse que : H7 : Le lien entre l‟OE d‟un franchisé et ses niveaux d‟opportunisme, d‟autonomie et de performance varie selon l‟étape du cycle de vie du franchisé dans le réseau. Session 15 - 15 CONCLUSION Rechercher l’existence et le sens d’un lien entre orientation entrepreneuriale, autonomie au travail, opportunisme et performance des franchisés présente un intérêt au plan managérial pour les responsables de réseaux mais aussi pour les candidats à la franchise. Du coté des franchiseurs, l’interrogation principale n’est pas seulement d’identifier si les franchisés qu’ils recrutent sont ou non des entrepreneurs mais de savoir s’ils ont intérêt à recruter des franchisés entrepreneurs. Connaître les avantages et les inconvénients de tel ou tel profil est utile pour sélectionner les candidats idoines au regard de la stratégie et du management du réseau. Le processus de recrutement peut à cet égard être considéré comme un mécanisme de pré-contrôle qui limite les risques de survenance de comportements déviants dans les réseaux. Une meilleure connaissance des bénéfices et des coûts liés à l’orientation entrepreneuriale des franchisés offre dès lors la possibilité d’anticiper certaines situations et d’aménager en conséquence sa stratégie de management de réseau, en particulier dans son volet contrôle. Car il s’agira bien de maximiser, le cas échéant, les bénéfices attendus d’une orientation entrepreneuriale forte (plus de performance) en minimisant les coûts éventuels (une trop forte autonomie et des comportements opportunistes). Du coté des candidats à la franchise, on peut penser qu’un entrepreneur fera le choix de la franchise avec l’objectif d’une plus grande performance, même s’il sait qu’il devra déléguer une part de son indépendance au franchiseur. L’établissement d’un lien entre l’orientation entrepreneuriale des franchisés et leur performance peut ainsi aider ceux dont le choix balance entre rejoindre un réseau de franchise et se lancer seul dans l’aventure de l’entreprise indépendante, à prendre une décision en connaissance de cause. Les deux analyses empiriques menées ont permis de valider la pertinence de ces interrogations. Les entretiens seront poursuivis afin d’interroger des réseaux de moindre ancienneté que ceux jusqu’ici retenus ainsi que des réseaux étrangers qui se sont développés en France. Cette étape permettra en particulier de valider l’intérêt de retenir une perspective temporelle. La décision de se focaliser sur un ou plusieurs réseaux pour le test du modèle s’appuiera sur les éléments ainsi obtenus. Il apparaît en effet important de pouvoir disposer d’un nombre suffisant de répondants aux différents stades du cycle de vie du franchisé dans le réseau pour s’assurer de la qualité des résultats obtenus. Session 15 - 16 Références bibliographiques Ajayi-Obe L., Kirby D. et Watson A. (2006), “The franchise system as a context for entrepreneurship: some preliminary findings”, Proceedings of the 20th ISOF Annual Conference, Palm Springs, California. Ajayi-Obe L., Kirby D. et Watson A. (2005), “Entrepreneurship: the entrepreneurial paradox”, Proceedings of the 19th ISOF Annual Conference, University of Westminster. Bates T. (1995), “A comparison of franchise and independent small business survival rates”, Small Business Economics, Vol. 7, pp.377-388. Bourdiaux P. 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