Mise en page 1 - Equipes Populaires
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Bureau de dépôt : 5000 Namur mail. N° d’agréation : P 204078. © A. Van Assche Dossier pédagogique des Equipes Populaires Bimestriel n°157 • Juillet-Août 2013 Belgique - België P.P. - P.B. 5000 - Namur 1 BC 4854 Alcool et jeunes : Opération séduction es festivals d’été mettent la clé sous le paillasson pour un an. De plus en plus prisés par un nombre grandissant de jeunes, ils représentent des lieux de socialisation et de franche rigolade où l’alcool désinhibe nombre d’entre eux et les libère de la pression sociale, familiale, scolaire. Mais l’alcool est partout, pas seulement dans les sacs à dos des jeunes mais aussi dans le frigo de la plupart des familles. Ne stigmatisons pas les jeunes, leur consommation d’alcool est globalement contrôlée (90% n’ont pas de problème d’alcool) et n’augmente pas de manière significative. Ce qui inquiète davantage, c’est l’évolution de l’âge et des habitudes de consommation. De plus en plus jeune et de plus en plus vite : ce sont les deux grandes tendances observées qui posent un réel problème en termes de santé publique : des risques d’assuétudes accrus et des dégâts plus importants sur les neurones. Quand les jeunes font le buzz Mais qu’est-ce qui pousse donc les jeunes à consommer de l’alcool en toutes circonstances, y compris sur les terrains de sport ou à la sortie de l’école ? O T I D E Le dossier met clairement en évidence que ce sont les stratégies publicitaires des fabricants d’alcool qui ont une influence, davantage que le contexte familial ou la personnalité des jeunes. Leur stratégie de banalisation et de sur-valorisation de l’alcool est payante, puisque ce sont de plus en plus souvent les jeunes eux-mêmes qui véhiculent la publicité par toute une série de moyens allant de la distribution de gadgets en passant par Facebook ou l’organisation de soirées événements. Particulièrement dans le domaine de l’alcool, l’actuel système d’autorégulation du secteur publicitaire montre une fois encore toutes ses limites puisque c’est le JEP qui est juge et partie dans le contrôle des pratiques publicitaires. A terme, comme c’est déjà le cas pour le tabac, ce serait l’interdiction pure et simple de la publicité pour l’alcool qu’il faudrait obtenir. Cela peut paraître relever du bon sens, mais les intérêts économiques en jeu sont gigantesques et le combat n’est pas gagné… Monique Van Dieren 2 Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 © A. Van Assche Dans ce dossier, nous faisons le tour de l’évolution des modes de consommation d’alcool chez les jeunes et des stratégies publicitaires qui font Mouche. Nous donnons également la parole à un membre des Alcooliques Anonymes, qui fêtent leur 60e anniversaire dans quelques jours. Les jeunes consomment de l’alcool. Ce n’est pas nouveau. Ce qui inquiète les observateurs, c’est la tendance plus récente à boire plus, plus vite et plus jeune. A rechercher l’ivresse à tout prix dans les lieux festifs et même sportifs. Effets garantis sur la santé et la scolarité... Fiction ou réalité ? Préjugés et amalgames d’adultes en nostalgie d’une jeunesse perdue ou dangereuse évolution des comportements de nos adolescents ? « Ni l’un, ni l’autre », aurait-on tendance à répondre. Pas de généralisation hâtive ou excessive. La vérité est comme souvent entre les deux. Mais une chose est sûre : les études les plus récentes font apparaître que la consommation d’alcool chez les jeunes est en augmentation, même si ce sont les adultes qui restent les plus grands consommateurs ; que les garçons consomment davantage que les filles, même si l’on assiste à une féminisation du phénomène ; mais surtout que l’évolution la plus spectaculaire se situe au niveau des comportements abusifs, en d’autres termes la recherche de l’état d’ébriété. On commence tôt Mais prenons les choses par leur début. Qui « consomme » ? Ou plutôt, combien consomment ? Et surtout en quelle quantité ? L’enquête « Santé et bien-être des jeunes » (1) met en lumière que 90% des jeunes de l’enseignement secondaire ont déjà consommé une boisson alcoolisée au cours de leur vie. Pas vraiment surprenant. Mais attention, cette consommation commence parfois très tôt : 62% des enfants de 5e et 6e primaire sont dans le cas. C’est plus étonnant, même si ce chiffre est en recul. Ils étaient en effet 73% en 1994. La première expérience d’alcool commence donc fort tôt. Et en général dans le contexte familial. On © S. Demolder LEs ChIffrEs Pourvu qu’on ait l’ivresse… a vu se développer, cette dernière décennie surtout, des boissons mixtes : des limonades alcoolisées (« alcopops » ou « breezers »). Des boissons qui par leur goût sucré ont tendance à masquer celui de l’alcool, et ont ainsi pour effet de consommer de l’alcool sans s’en apercevoir… Il s’agit là de pratiques commerciales des alcooliers qui se sont intensifiées pour accroître les ventes du secteur. Le rôle du marketing est d’ailleurs abordé plus loin dans ce dossier. (voir pages 13 à 16) Au-delà des premières expériences de consommation, c’est évidemment la quantité qui interroge. Les jeunes consomment-ils beaucoup et à quel rythme ? Cette même enquête fait apparaître que moins de 30% des jeunes du secondaire ont une consommation au moins hebdomadaire. Ce chiffre est en régression : ils étaient 40% il y a 20 ans. Par contre, les chiffres des consommateurs plus réguliers sont relativement stables : 8% des jeunes boivent plus de 7 verres par semaine et 4% plus de 2 verres par jour. « Binge drinking » en vogue Là où les choses sont plus préoccupantes, c’est au niveau des abus d’alcool parmi les adolescents. C’est là que l’on constate les plus grandes évolutions. Alors que l’expérimentation de l’ivresse touchait 20% des adolescents du secondaire en 1980, elle en touche 30% aujourd’hui. Et le « binge drinking » régulier, ce comportement appelé aussi « biture express » et qui consiste à consommer au moins 5 verres en un soir a Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 3 LEs ChIffrEs a à au moins 3 occasions sur le mois (2), concerne 20% des jeunes interrogés dans cette enquête, alors qu’ils étaient 18% quatre ans plus tôt. En conclusion, les conduites d’expérimentation et d’usage régulier de l’alcool ont tendance à se stabiliser, voire à régresser. Mais par contre les comportements d’abus, eux, sont en augmentation. C’est ce que démontre également une étude de l’UCL réalisée en 2010 (3), donc un peu plus récente que celle dont il est question ci-dessus. Elle porte sur un panel d’environ 7000 étudiants de l’université, ce qui représente un très large échantillon de la population concernée, et forcément des jeunes plus âgés que ceux de l’enquête de l’ULB. Les phénomènes décrits plus haut apparaissent nettement accentués dans cette étude. Cela peut vouloir dire deux choses : d’une part que le phénomène prend de l’ampleur, et d’autre part (surtout sans doute) que la vie universitaire est un facteur incitant. Il faut dire que la vie estudiantine regorge d’occasions propices : les baptêmes, les cercles étudiants, les traditions festives genre 24 heures vélo ou Saint-Verhaegen, etc. Ainsi, parmi la population étudiante de l’UCL, un peu plus d’un étudiant sur 8 déclare boire au moins à quatre reprises sur la semaine, avec une consommation moyenne hebdo- Bitures express : le cerveau des ados trinque Comas éthyliques ou accidents de la route, les « bitures express » (le « binge drinking » des Anglo-Saxons) peuvent se terminer de façon dramatique. Mais ce type de pratiques peut aussi engendrer des conséquences néfastes à plus long terme bien plus sournoises et moins spectaculaires. Les publications scientifiques se multiplient sur le sujet. Elles vont toutes dans le même sens. La succession de séances de « binge drinking » abîme le cerveau encore en plein développement des adolescents : effets sur la concentration, l’attention, la mémoire et sur des fonctions exécutives (planification, prise de décision…). Des chercheurs de l’Académie des sciences américaines (PNAS) décrivent des lésions au niveau de l’hippocampe, une petite zone située à hauteur du lobe temporal et qui joue un rôle important dans les processus d’apprentissage : ils parlent de déficit dans la formation des neurones et dans leur développement. En France, on se préoccupe des impacts des bitures express sur le cortex frontal, qui pourrait subir des retards de maturation, ou encore une hyperactivité de l’amygdale (impliquée dans les émotions et les addictions). Chez nous, l’étude de l’UCL relate les travaux de médecins belges qui ont mis en évidence le rôle du binge drinking (bien davantage que le rôle d’une consommation quotidienne) sur les cellules du cerveau, entraînant un ralentissement de l’activité cérébrale. Pas jojo, tout cela… Sans compter que l’on suspecte fortement les alcoolisations précoces (surtout avant 18 ans) de favoriser l’alcoolisme chronique et de mener à d’autres addictions… 4 madaire de 15 verres par semaine. Si l’on regarde la totalité de la population étudiante, la consommation moyenne hebdomadaire est de 11 verres. L’étude mesure par exemple le niveau de « surconsommation ». On entend par là une consommation qui dépasse les normes définies par l’Organisation mondiale de la Santé (14 verres par semaine pour les femmes et 21 verres pour les hommes). On remarque que près d’un étudiant masculin sur 3 est en surconsommation. Et environ 1 étudiante sur 6. Le phénomène est le plus marqué dans les premières années d’études (surtout la 2e et la 3e) et lorsqu’on est en kot. C’est pire à l’univ Les comportements de « binge drinking » sont eux aussi marquants. Ils concernent un peu plus d’un étudiant sur 4 (plus de 25%).Le phénomène est ici mesuré en tenant compte d’une consommation de 5 à 6 verres au moins « en une occasion » ou pendant deux heures. Il est décrit comme « une pratique qui vise à ingérer en un court laps de temps une quantité importante d’alcool avec l’intention délibérée d’atteindre rapidement un état d’ébriété ». Les garçons sont plus friands de ce genre de comportement que les filles : 42,2% d’entre eux contre 18,5% pour les filles, s’y adonnent au moins une fois par semaine. On remarque que ce sont dans les premières années universitaires que le phénomène est le plus marqué : 30% jusqu’à 22 ans, 29% à 23-24 ans, et 14% au-delà de 25 ans. Ceux qui sont en kot sont 34% à être concernés, alors que ce pourcentage retombe à 20% pour les étudiants qui résident chez leurs parents. Enfin, le phénomène « ville universitaire » n’y est pas étranger : 36% des étudiants Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 Elle est même déterminante à l’adolescence. Les sages et les fous © S. Demolder Si l’on veut résumer le parcours qui précède, on doit d’abord souligner qu’une majorité de jeunes, quel que soit leur âge ou leur sexe, ont une consommation d’alcool raisonnable et maîtrisée. Ce qui n’enlève rien à l’inquiétude à avoir face à la multiplication des comportements excessifs voire à risque. On constate que, jusqu’à 25 ans environ, plus les jeunes avancent en âge, plus ils sont sujets à ces conduites excessives. résidant à Louvain-la-Neuve, contre 16% de ceux de Louvain-en-Woluwé… A très gros traits, le profil le plus exposé au risque pourrait se dessiner comme suit : l’étudiant de sexe masculin, âgé de 18 à 20 ans, résidant dans un kot, et participant activement au folklore estudiantin. sport, fêtes et pairs Cette enquête très intéressante sur l’univers étudiant ne doit cependant pas faire croire que le phénomène s’y cantonne. Les contextes qui favorisent la consommation d’alcool sont nombreux et diversifiés (4). Le sport, par exemple. C’est un paradoxe. Le sport et l’alcool ont toujours entretenu des rapports d’amour-haine… Etrange histoire d’attraction et de rejet que celle-là. On y observera d’ailleurs l’intérêt massif du monde des alcooliers pour le sponsoring sportif, surtout dans les sports collectifs comme le football. Et les milieux sportifs sont d’abord et avant tout fréquentés par les jeunes. Le milieu festif y est tout aussi propice. L’alcool y est communément perçu comme le moyen de renforcer les liens, de faire tomber les inhibitions, de favoriser la convivialité, de « casser la glace »… La non-consommation y est souvent associée à la nonparticipation. Et ne négligeons pas le milieu familial. Il joue régulièrement un rôle d’initiateur. Dans les familles où l’on consomme de l’alcool, les jeunes consomment plus également : parents plus permissifs, comportements de reproduction, association alcool-fête plus répandue, etc. Plus largement, l’entourage, les amis, les « pairs » c’est-à-dire ceux qui font partie des mêmes groupes que ceux auxquels les jeunes appartiennent (l’équipe sportive, la troupe scoute, la bande, la classe, etc.) ont également une influence notoire. S’il « faut que jeunesse se passe », est-ce vraiment à ce prix ? Car l’excès répété d’alcool est dangereux. Aussi bien par l’effet qu’il produit sur la santé, que par les risques liés à l’état d’ivresse. On pense aux accidents de la route bien sûr, mais aussi aux relations sexuelles non protégées ou regrettées ensuite, à l’impact sur les études, etc. Le pavé cicontre (« le cerveau des ados trinque ») est assez explicite sur les désagréments voire purement et simplement sur les problèmes de santé qui menacent les jeunes adeptes de la biture à répétition… Jean-Michel Charlier (1) Favresse D., De Smet P., Tabac, alcool, drogues et multimédias chez les jeunes en Communauté française de Belgique, SIPES (ESP-ULB), Bruxelles 2008 (2) Cette définition est celle adoptée par l’enquête de l’ULB, mais elle varie selon les études. (3) L’alcool en milieu étudiant, UCL, Louvain-la-Neuve, 2011 (4) Norro M, Vlaeminck N, L’alcool et les jeunes, Infor-drogues, 09 Valérie, 23 ans : L’alcool me donne du pep’s Valérie se définit comme une consommatrice régulière d’alcool. Elle boit surtout dans le cadre de soirées estudiantines et après le sport (la 3e mi-temps… “même les femmes savent pourquoi !”). Combien de verres par semaine en moyenne ? “Ouh là là… difficile à dire. Entre vingt et trente, je dirais. Surtout le week-end, moins en semaine. Je bois quand même à peu près tous les deux jours…” A la question de savoir si Valérie est une adepte du binge drinking, elle répond sans hésitation : Oui ! “Pour le plaisir d’être bourrée, pour mieux profiter de la soirée. Je me sens moins fatiguée, ça me donne plus de pep’s, ça me met plus à l’aise”. Elle s’inquiète quand même pour son foie et se force à passer de temps en temps une soirée sans boire d’alcool. “Ce n’est pas un challenge mais ça me rassure”. Ton pire souvenir avec l’alcool ? “Mon pire souvenir, c’est à chaque fois mes lendemains de soirée. Surtout celles où je ne me souviens plus de la fin. Ça devrait me motiver à arrêter, mais on est à chaque fois emporté par ses amis…” Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 5 AnALysE Une drogue soci es jeunes consomment de l’alcool. Ce n’est pas nouveau. Ce qui inquiète les observateurs, c’est la tendance plus récente à boire plus et plus vite, à rechercher l’ivresse et même à la valoriser. L’alcool, un lubrifiant social Ont-ils des problèmes particuliers, ces jeunes qui boivent trop ? Qu’est-ce qui les pousse à rechercher l’ivresse ? Médecin et journaliste, Marina Carrère d’Encausse est l’auteure d’un ouvrage, fruit d’une enquête réalisée en France, Alcool : les jeunes trinquent. Selon elle, la consommation excessive ne masque pas de souffrances vécues par les jeunes qu’elle a rencontrés. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a aucune. Mais il faut chercher ailleurs les facteurs majoritaires de ce phénomène collectif. Et d’abord dans la banalisation de l’alcool. C’est que l’alcool est largement toléré dans notre société. « C’est notre drogue culturelle par excellence » (1) note Martin de Duve, directeur 6 d’Univers Santé. Présente sur le site de Louvain-laNeuve, l’association est en première ligne pour observer les évolutions de comportements, et elle a créé un groupe de travail « Jeunes, alcool et société » (2). L’alcool est un lubrifiant social : il joue un rôle facilitateur, désinhibe, favorise la convivialité, le contact. Selon les jeunes interrogés pour l’étude de l’UCL, il permet de faire plus facilement connaissance (65% des répondants) ; d’engager davantage la conversation (60%) ; de blaguer de façon plus aisée (54%). On constate que le fait de vivre en kot augmente la consommation. Ces espaces restreints favorisent la socialisation, la prise de contact. Mais avec le temps, ils sont aussi devenus un lieu où l’on se donne rendez-vous avant d’aller en soirée. On y vient avec des bouteilles et… on est déjà saouls avant la fête. L’enquête de l’UCL montre aussi que l’alcool est associé dans l’esprit des jeunes à un relaxant, sa consommation permettant de faire baisser le stress, de gérer les inquiétudes. Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 alement valorisée En matière d’alcool, trois tendances s’observent : davantage de femmes, davantage de jeunes et davantage de comportements à risques. faut-il y voir une plus grande fragilité psychologique ? Ou bien le résultat de pratiques de marketing qui visent en particulier les jeunes et les femmes ? Une drogue banalisée L’alcool est bien sûr aussi associé étroitement à la fête. « Comme toute drogue, l’alcool permet de faire la fête, de s’éclater pour oublier notre condition de mortel, explique le docteur Raymond Gueibe, de l’association Moderato (3). C’est vrai pour les adultes comme pour les jeunes. Mais Martin de Duve constate que la place de l’alcool a changé : il devient le centre de la fête et non plus une des composantes : « on ne se dit plus ‘je vais passer une bonne soirée et peut-être que je vais boire un peu trop’, mais ‘Je vais boire trop, donc je passerai une bonne soirée’ ». © S. Demolder Pour Raymond Gueibe, l’alcool est une drogue dure. Mais on ne l’associe pas aux drogues et on en a banalisé l’usage au point que c’est un sujet que l’on aborde peu avec les jeunes. Cette tolérance est d’autant plus grande dans des pays comme la Belgique et la France, gros producteurs respectivement de bière et de vin. C’est le plus souvent en famille que l’on boit son premier verre, comme on passe une épreuve initiatique de l’âge de l’enfance à l’âge adulte. Plus que banalisé, l’alcool est même valorisé. Et entre eux, semble-t-il, les jeunes n’en parlent pas tellement non plus. En effet, un élément déterminant qui ressort de diverses études est que les jeunes ont tendance à surestimer ce que leurs pairs consomment. Or on boit aussi pour « être dans le coup », pour faire comme les autres, au point que certains non buveurs se plaignent de se sentir marginalisés, ce que note Marina Carrère d’Encausse. Mais on boit d’autant plus que l’on croit que le voisin boit beaucoup lui-même. Résumons-nous. Banal(isé), festif, facilitateur de contacts, valorisé dans la culture… l’alcool a globalement une image plutôt positive. C’est pourtant une drogue dont il faut connaître la nature et les effets, ce dont on parle trop peu. La bonne nouvelle, c’est que la majorité des jeunes ont une consommation raisonnable. La mauvaise, c’est que les comportements à risques augmentent : on commence à boire plus tôt ; on boit plus et plus vite ; plus de femmes boivent. Ce n’est plus seulement l’alcool lui-même mais l’ivresse qui est valorisée. La publicité : un facteur collectif majeur Et pour des associations comme Univers Santé et Moderato, qui agissent depuis des années sur ce terrain, l’explication majeure de cette tendance est à rechercher du côté des pratiques commerciales et de marketing. Rappelons que les sociétés belge et française (notamment) sont d’autant plus tolérantes vis-à-vis de l’alcool qu’elles sont d’importants pays producteurs. L’enjeu économique est un facteur déterminant ! Et pour les tendances qui nous occupent, on observe une correspondance étroite entre d’une part la féminisation et le rajeunissement chez les consommateurs d’alcool et d’autre part l’augmentation de la publicité pour alcools auprès des femmes et des jeunes tout particulièrement (voir article page 13). Les alcooliers ont en effet constaté ce que les études démontrent aussi : globalement, la population boit de moins en moins. Même la consommation de bière diminue en Belgique : on en buvait en moyenne 121 litres par an il y a vingt ans contre 81 litres en 2009. Pour faire remonter leurs ventes, ils ont diversifié leurs méthodes de marketing, leurs produits ; et ciblé les femmes et les jeunes. Martin de Duve : « Il y a dix ans, nous avions déjà l’impression que les comportements se modifiaient, qu’ils évoluaient vers une banalisation de l’ivresse, voire vers une valorisation. Des pratiques commerciales agressives émergeaient. Les produits se diversifiaient, avec l’apparition d’alcopops, ces mélanges d’alcool et de boissons sucrées ». Les alcopops ont davantage de succès auprès des jeunes filles et des femmes. Toute une gamme de produits nouveaux, plus sucrés, plus colorés ou étiquetés « light » ont été mis sur le marché pour séduire le public jeune et féminin. Les publicitaires font preuve d’imagination pour dorer le blason de l’alcool : parmi les nombreuses techniques éprouvées, le sponsoring d’événements estudiantins et populaires est une façon d’y parvenir et d’associer a Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 7 AnALysE a plus étroitement encore la boisson aux festivités. Exemple récent, les « apéros urbains » à Bruxelles : un moment après le boulot en été pour aller boire un verre « en famille », associé ici à des jeux pour enfants, là à des animations musicales… Sous prétexte de se détendre, de se lier avec d’autres, de sortir les enfants, tout est invitation à boire. Ce n’est pas pour rien que les associations qui font de la prévention et ont depuis longtemps engagé un dialogue avec les jeunes (et les adultes) à propos de la consommation d’alcool, pointent avec force l’influence de la publicité, la puissance du lobbying des producteurs d’alcool et demandent que la Communauté française et le gouvernement fédéral s’emparent de la question. Car non seulement la publicité pour les alcools est omniprésente, mais elle est régie par des règles que le secteur des alcooliers a lui-même rédigées, et non pas par des lois. « Nous sommes favorables à une interdiction des publicités pour l’alcool, affirme Martin de Duve. C’est le seul psychotrope pour lequel la publicité est autorisée. Alors que son impact sanitaire et social est énorme. » Certes, d’autres facteurs que les pratiques commerciales et de marketing peuvent entrer en ligne de compte dans les comportements et les représentations que l’on se fait de l’alcool. Mais il faut se montrer prudent, circonspect et rigoureux dans leur analyse car ces facteurs sont multiples (d’ordre personnel, familial, socio-économique, culturel…) et ils interagissent fortement. Ce qui fait que les études donnent lieu a des résultats très nuancés, parfois contradictoires. D’autres éléments qui interagissent Le niveau socio-économique, par exemple, peut avoir une influence. Des études montrent que certains jeunes sont plus vulnérables que d’autres : ainsi les garçons le seraient plus que les filles ; les jeunes issus de l’enseignement technique et professionnel et ceux issus de milieux défavorisés seraient plus vulnérables aussi. Mais en même temps, d’autres études montrent, comme nous l’avons vu que les comportements à risques existent aussi dans l’enseignement universitaire. Autre exemple, le facteur religieux : certaines religions prohibent la consommation d’alcool. Par ailleurs, la pratique religieuse semble avoir, selon certaines études de l’ICAP (Centre international des politiques en matière d’alcool) un effet restrictif. Mais parallèlement, l’ICAP observe aussi qu’aux Etats-Unis, les fraternités et sororités établies au sein de lycées et d’universités peuvent conduire à des comportements de consommation à risques. 8 Le lobby des industries de l’alcool Il est d’ailleurs assez remarquable que là où les associations de terrain belges mettent en évidence des facteurs économiques et culturels qui ont une incidence collective dans les tendances observées, l’ICAP (4), pour sa part, s’intéresse de près aux éléments d’ordre plus individuels et familiaux. Concernant l’influence de la pub auprès des jeunes, dans une publication de synthèse de ses études, l’ICAP ouvre le débat, notant que « certains estiment que la famille, les pairs et la culture de consommation générale sont les bases déterminantes de l’alcoolisation », tandis que « d’autres se concentrent sur les influences telles que la disponibilité et le marketing de l’alcool ainsi que leur impact sur le façonnement des comportements de consommation ». Le document de synthèse passe alors en revue tous les déterminants examinés, s’attarde sur les prédispositions génétiques, les caractéristiques individuelles, les facteurs socioéconomiques et contextuels (comme la culture du pays). Et à propos de l’impact de la pub ? Pas un mot ! L’ICAP se contente d’évoquer la « disponibilité de l’alcool », ce qui se réfère à d’éventuelles lois restrictives : « Quand les jeunes perçoivent l’alcool comme fortement disponible, ils peuvent avoir tendance à percevoir que la société approuve mieux l’alcoolisation. Ces perceptions ont une corrélation avec l’augmentation des niveaux de consommation ». Ce qui n’empêche pas l’ICAP de conclure que « des études révèlent que la publicité n’a, au mieux, qu’un effet modeste sur la consommation » ! Au fait, qu’est-ce que c’est que ce « Centre international des politiques en matière d’alcool » ? Tout simplement un asbl soutenue par les principaux producteurs de boissons alcoolisées à l’échelle internationale. Produire des études qui noient le poisson fait partie de leur panoplie de lobbyistes. Mieux vaut le savoir. Christine Steinbach 1 L’alcool, les jeunes, la pub : petit cocktail détonnant, interview de Martin de Duve par Cédric Vallet, in Alter Echos n°358, avril 2013 2 Pour en savoir plus sur l’association, son travail et ses analyses, consulter www.univers-sante.be 3 « L’alcool à l’école secondaire et dans le supérieur » Exposé du Dr Raymond Gueibe du 25 février 2010, à l’occasion de la journée d’étude de l’Observatoire de la Santé du Hainaut « L’alcool, notre drogue culturelle ? ». Pour en savoir plus : Association Moderato : www.siss.be/repertoire/moderato 4 Facteurs déterminants de l’alcoolisation, ICAP – International center for alcohol policies, 2009 www.icap.org Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 InTErVIEw Alcoolique Abstinent… et heureux de l’être ! nous l’appellerons Guy. Accro dès l’âge de vingt ans, il préfère -et il doit- garder l’anonymat puisqu’il est membre actif des Alcooliques anonymes. Il parle peu des raisons qui l’ont amené à devenir alcoolique (il ne les connaît pas vraiment lui-même d’ailleurs), mais explique comment les AA l’accompagnent dans sa démarche d’abstinence ainsi que le travail d’information qu’il effectue notamment dans les écoles. Un cheminement qui a complètement transformé sa vie… an Vous êtes bénévole aux AA ? o C’est un mot que je n’aime pas…. Nous sommes « au service ». Nous sommes des serviteurs, c’est un mot plus juste. Nous ne sommes pas rémunérés, notre seule rémunération c’est notre abstinence et c’est déjà une très belle rémunération. Je ne vais pas dire que le mouvement m’a sauvé… JE me suis sauvé…. et le mouvement m’accompagne. C’est-à-dire que les amies et amis qui sont là peuvent m’apporter des informations, peuvent m’accompagner…. Si j’ai un souci, je peux leur expliquer… Je trouverais une personne qui a peut-être vécu la même chose et qui me dit « dans ce cas de figure, j’ai réagi comme ça ! » Les AA et, c’est mon avis personnel, c’est comme une chaîne d’amour. Nous sommes réellement liés par notre destin d’alcoolique. Je n’ai pas trouvé de structure qui me convenait avant que je ne connaisse le mouvement des AA. J’ai arrêté plusieurs fois de boire en me disant que ce n’était vraiment pas bon pour moi, mais est-ce que je le faisais réellement pour moi ou est-ce que je le faisais parce que mes proches me le reprochaient et me menaçaient ? Peut-être aussi parce qu’un employeur me menaçait de me mettre dehors. J’arrêtais donc de boire par contrainte et j’étais malheureux comme une pierre. ! Si l’abstinence rend malheureux, il vaut mieux recommencer à boire alors. Avec les AA, c’est différent, je suis TRES heureux même dans l’abstinence ! n Dans les groupes, la parole est libre, chacun dit ce qu’il a envie de dire. Il y a 12 étapes à suivre… Est-ce qu’il y a autre chose qui est proposé pour aider les gens dans leur cheminement ? o L’alcoolisme est une maladie physique. On n’intervient pas là-dessus ! Le rétablissement qui nous occupe est celui du psychique. Boire me permettait d’être quelqu’un d’autre pendant un certain temps. Mais je n’étais pas moi-même ! Il aurait mieux valu, si cela avait été possible pour moi, que je me découvre en dehors de l’alcool. C’est ce que je fais dans l’abstinence. Le processus des 12 étapes se base sur une découverte de soi. Et si je me découvre moi, automatiquement je découvre l’autre. Dans une réunion, on est parfois vingt personnes autour d’une table, des hommes, des femmes, de toutes conditions sociales. L’alcoolisme n’épargne personne. Je peux avoir à mes côtés, un chirurgien, un ministre... Ça touche tous les niveaux. Participer aux réunions implique beaucoup d’humilité et une grande ouverture d’esprit. Parce que si j’ai un sta- a Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 9 InTErVIEw a tut social à défendre en dehors des AA, chez les AA, j’ai exactement le même statut que tous les autres : je suis alcoolique, un point c’est tout. n Les AA se définissent comme un mouvement apolitique et non confessionnel. Pourtant, les 12 étapes que vous proposez pour sortir de la dépendance à l’alcool font sans cesse référence à Dieu… o Il y a une recherche de ma spiritualité, de LA spiritualité. Je ne peux pas nier que le mouvement des AA a été créé aux Etats-Unis où la foi chrétienne est très présente. Beaucoup de personnes qui viennent nous voir sont dans un premier temps interpellées par la référence à Dieu dans notre programme en 12 étapes. Le « Dieu » auquel on fait référence n’est pas nécessairement celui de la religion catholique, musulmane ou bouddhiste ! C’est Dieu tel que chacun le conçoit. Pour certaines personnes, il peut s’incarner dans la dynamique de groupe. La recherche de la spiritualité est avant tout une découverte de soi, de ses capacités… C’est essayer de s’accepter tel qu’on est… On n’est pas « quelqu’un de bon ou de mauvais » mais on « est » avant tout ! Chaque réunion se termine par la récitation d’une prière mais libre à chacun de ne pas le faire. Nous ne jugeons personne et ne faisons de morale à personne ! En réalité, je prends chez les AA ce qui me convient et Les alcooliques anonymes Le mouvement des AA est une association de bénévoles qui partagent leur force, leur expérience et leurs espoirs dans le but de devenir ou de rester abstinents. Il a été créé par deux américains en 1935. Les AA sont présents partout dans le monde (2 millions de membres, 116.000 groupes dans 150 pays). Il y a environ 200 groupes en Communauté française et germanophone Les groupes se réunissent généralement une à deux fois par semaine. Il existe deux types de réunions : - Les réunions ouvertes, où des conférenciers et des témoins accueillent les parents, amis et toute autre personne intéressée. - Les réunions fermées réservées aux alcooliques. Ils échangent et se soutiennent mutuellement pour devenir ou rester abstinents. Il se trouve toujours un membre pour aider l’autre à solutionner un problème ! Ils suivent généralement un cheminement en 12 étapes, dans lesquelles la foi chrétienne occupe une place importante pour trouver la force de s’en sortir. La première étape de ce programme est l’acceptation de la maladie (pour les AA, l’alcoolisme se définit en effet comme une une maladie). Les al-Anon et Alateen sont des structures complémentaires ; l’une pour les familles ou les proches, l’autre pour les adolescents qui ont des parents alcooliques. Pour en savoir plus : Permanence téléphonique (7j/ 7 – 24h /24) : 078 15 25 56 www.alcooliquesanonymes.be 10 je laisse tout le reste. Je ne prends que ce qui me permet de rester abstinent et de me découvrir, de devenir heureux et meilleur. n Aux AA, on s’occupe de soi mais aussi des autres ? o Pour moi, un alcoolique, c’est quelqu’un de très égoïste. C’est un mot qui pourrait fâcher ou qui pourrait être très interpellant mais j’ai dit au tout début de mon abstinence qu’il fallait que je sois égoïste. Dans le sens où si je suis égoïste, je m’occupe de moi. Avant, je m’occupais surtout des autres…et surtout du fait qu’ils ne me faisaient pas du bien! Ca me donnait des occasions de me plaindre et ça me donnait aussi des excuses pour boire… J’aide évidemment l’autre s’il me montre l’envie d’arrêter de boire mais je ne vais pas aller le chercher dans la rue et je ne vais certainement pas rentrer dans un café et lui faire la morale. Je n’ai pas à m’immiscer dans la consommation de quelqu’un d’autre, il doit d’abord se prendre en main. Et toute cette dynamique fait que s’occuper de soi, ça apporte aussi beaucoup à l’autre. Ce n’est pas un programme d’une journée, c’est un programme de toute une vie qui se vit au jour le jour…. 24h à la fois comme on dit aux AA ! Cela apporte beaucoup sur le plan personnel, parce que nous sommes abstinents mais nous sommes surtout heureux de l’être. Certains vont même jusqu’à dire qu’ils sont heureux d’avoir été alcooliques ! En tout cas, moi je le suis, parce que si je n’avais pas été alcoolique, je ne serai pas abstinent, et si je n’étais pas abstinent, je ne saurais pas aujourd’hui tout ce que je sais sur moi-même ! Aujourd’hui, je peux affronter beaucoup de situations… Avant, ça me semblait impossible. En vivant un jour à la fois, je réduis le temps à l’instant présent et avec lui l’angoisse et le stress et finalement, c’est beaucoup plus simple pour moi de me dire : « aujourd’hui et rien qu’aujourd’hui, je ne bois pas ». Le rapport au temps est modifié : je pense une journée à la fois donc 24h et si je compte mes heures de sommeil, il ne reste que 17h… à ne pas boire, ce n’est pas grave, ce n’est pas insurmontable. Mais au début de l’abstinence, il y a des personnes qui doivent tenir une minute à la fois ! n Qu’est-ce qui vous a mené vers l’alcoolisme ? o Je ne vais jamais chercher où ça a commencé, et ce n’est pas l’important ! Mais je peux vous dire que j’aimais ça, j’aimais l’alcool ! J’aimais boire ! J’ai commencé à boire dans mon adolescence, à 14, 15 ans. C’était à peu près l’âge légal ! J’ai côtoyé l’alcool, je n’avais pas de contrainte, ni de Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 pour moi…. Je n’étais pas alcoolique, moi !!(rire). Je n’y allais pas vraiment pour moi donc c’était prévisible que je n’allais pas rester ! J’ai refranchi la porte une deuxième fois, plusieurs années après. n Vous dites que quand vous étiez jeune, boire un verre de bière était tout à fait normal et qu’à l’époque, l’alcool était banalisé. Aujourd’hui il l’est toujours, non ? peine de cœur, ni de problèmes financiers. Le seul problème apparent que j’avais, c’était mes résultats scolaires … et je peux dire que si j’avais des résultats médiocres, c’est parce que je ne crachais pas sur un verre, je préférais m’amuser ! A ce momentlà, je ne sais pas si j’étais déjà alcoolique et je n’ai pas envie de penser que j’étais prédestiné. Je pense que je suis tombé dedans insidieusement, sans m’en rendre compte et le moment où je bascule réellement, je ne le perçois pas du tout. Il n’y a pas eu de raisons particulières qui m’ont poussé à boire mon premier verre. L’alcool est festif, il permet de s’intégrer plus facilement dans la société, dans la fête. J’étais quelqu’un de très timide et j’ai vite remarqué que quand j’avais bu une bière ou deux, j’étais beaucoup plus franc… Je ne pense pas que mon histoire soit l’exception, c’est une histoire que j’entends souvent. Je n’ai jamais évalué les risques. Je suis devenu alcoolique sans m’en rendre compte. C’est arrivé vers mes 20 ans … Très jeune quand même. Tout était prétexte à boire. Je recevais une facture et je ne savais pas comment j’allais pouvoir la payer. Hop…. une bière ! Un faire-part de décès, un examen, un rendez-vous auquel on n’a pas envie d’assister parce qu’on n’est pas sûr de soi… Tout ça me donnait pleins de raisons de boire… n A quel âge avez-vous poussé la porte des AA? o La première fois, j’avais 25 ans. Mais j’ai suivi quelques réunions et j’ai pensé que ce n’était pas o Je n’ai pas l’impression que les jeunes boivent plus aujourd’hui qu’hier ! Il y a 25, 30, 50 ans, l’alcool était déjà vraiment intégré à nos habitudes de consommation. Ce qui fait une différence aujourd’hui, c’est que les moyens d’information permettent de conscientiser très vite, partout et très fort ! L’ampleur du phénomène d’information augmente aussi la réaction, non pas de panique, mais de prise de conscience qu’en réalité, il n’y a pas grand-chose qui change depuis des années. C’est une pompe à fric, ça me semble malheureusement irréversible. Mais tous ceux qui boivent de l’alcool ne deviendront pas des alcooliques ! Cependant, il y a un risque certain, certaines statistiques estiment que cela concerne 10% des consommateurs, les 90% restants peuvent boire « normalement ». n A quel moment n’est-on plus dans la « normalité »? o Les comportements dans la consommation d’alcool sont différents : l’apparition des « défonces express » ou « binge drinking » traduisent l’envie de relever un défi, celui de se mettre en danger sans se rendre compte des risques ou… en ayant conscience ? Les jeunes ne sont pas si naïfs. Ils font des expériences et essayent de voir comment ils vont réagir. C’est ce que j’ai fait en pensant que j’allais savoir me contrôler… je n’étais pas du tout conscient que je n’y arriverais pas. L’alcoolisme, c’est une nongestion de la consommation, une perte totale de maîtrise. Les fameuses « 12 questions des AA » aident à savoir où on en est par rapport à sa consommation d’alcool (voir encadré). n Vous dites que c’est aux gens de faire la démarche de venir vous voir. Vous menez pourtant des actions de sensibilisation, notamment dans les écoles ? o Je fais partie du comité « info public ». Quand on va dans les écoles, on s’adresse aux élèves à partir de la 2ème année c’est-à-dire aux enfants à partir de 13-14 ans. Le message que nous voulons transmettre aux jeunes est un message d’espoir. Nous leur expliquons qu’un jour ou l’autre, ils pourraient être confrontés à une dépendance à l’alcool, comme nous l’avons été nous. Nous ne voulons pas leur faire la morale ni leur faire peur. a Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 11 InTErVIEw a Nous témoignons de notre expérience. Et géné- ralement, il y a vraiment une très grande attention qui est portée à nos histoires de vie. J’ai toujours été interpellé par l’intérêt que les jeunes portent à notre témoignage. On parle vrai et ils sont interloqués du courage qu’on affiche de venir se raconter devant eux, à eux. Face à certains témoignages, l’émotion qui déborde de l’auditoire est souvent très palpable parce que des jeunes s’y retrouvent. J’aurais pu également penser « Ils ne se tracassent pas trop », mais c’est faux, les jeunes sont bien plus impliqués dans cette problématique qu’il n’y paraît. On pourrait se demander pourquoi ils boivent sans réfléchir… Moi je sais que quand j’étais jeune, c’était difficile de dire non parce que je n’avais pas envie d’avoir l’air idiot ! J’avais seulement envie de jouer à l’homme … Ce sont des comportements somme toute humains. Nous sommes également présents dans les universités, les hautes écoles. La consommation d’alcool devient un réel problème. Des nouvelles normes imposent aux écoles d’informer les jeunes à ce sujet. Donc, ça nous amène à penser que nous allons avoir beaucoup plus de sollicitations ! Notre message trouve également un large écho dans des entreprises, dans des mouvements, dans des hôpitaux, en prison… Mais c’est aussi aux parents de conscientiser les jeunes. Le comportement parental par rapport à l’alcool est aussi très important. J’ai certainement fait beaucoup de mauvaises choses par rapport à l’éducation de mes enfants avec mon comportement à l’alcool. C’est clair, je ne m’en suis jamais caché. n Les mesures proposées par le gouvernement, notamment l’interdiction de vente de tous les types d’alcool en-dessous de 18 ans, ciblent particulièrement les plus jeunes. Qu’en pensez-vous ? o Ce n’est pas de la prévention que l’on veut faire au travers de ces mesures mais de la répression. La prévention et l’éducation sont beaucoup plus profitables. Mais c’est toujours des matières difficiles. Malgré toute la prévention que l’on fait autour du sida, on observe une recrudescence de jeunes qui ne se protègent pas ! C’est incompréhensible. L’alcool sera toujours là même si on l’interdit ! Pour moi, ce genre de loi risque de donner envie de défier beaucoup plus. On sait très bien qu’il y aura un grand frère, ou un oncle… qui ira le chercher. D’un autre côté, est-ce que je peux dire que ça ne sert à rien : non ! Car un jeune, plus il boit jeune, plus il risque de devenir dépendant. Il faut protéger les jeunes, mais je ne sais pas si c’est dans la répression qu’il faut le faire ou dans l’information. Propos recueillis par Claudia Benedetto Les 12 questions qui interpellent Les 12 questions des AA permettent de déterminer si on a un problème avec l’alcool. Ce sont des questions tout à fait simples du style “Vous est-il arrivé au cours de la dernière année de devoir prendre un verre le matin pour vous lever ?” Ces questions permettent aux personnes de vérifier si elles sont alcooliques. On a coutume de dire aux AA que si on répond positivement à 3 ou 4 de ces questions, c’est qu’on a sans doute un problème relationnel avec l’alcool. 12 Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 Pub, alcool and rock’n roll mArkETInG Les jeunes, cibles des stratégies publicitaires Une belle villa, une piscine, un « top model » dansant lascivement. Un barman qui prépare soigneusement un cocktail au rythme de la “mojito song”. Images idylliques et dangereuses à la fois, qui s’adressent de plus en plus aux jeunes. Les publicitaires ne reculent devant aucun sacrifice pour les séduire... égu ste jus qu’ à la e os h r r ci No t re sav oirfair e se d Publicité pour le whisky Jameson transformée par les éleves de l’école St-Servais Les grandes marques d’alcool offrent du rêve pour vendre leurs produits. Elles touchent à notre imaginaire et cristallisent des images idylliques. Plus le message est court, plus il est impactant. Elles se basent donc sur des clichés et stéréotypes pour faire passer leur message. Les grandes marques utilisent entre autres un type de marketing bien adapté aux jeunes : « le marketing tribal ». Cela consiste à utiliser les comportements sociaux de certains groupes de consommateurs (tribus) pour promouvoir un produit ou un service. Les industriels de l’alcool ont recours à différentes techniques pour toucher leur public-cible. Ils utiliDe l’alcool dans votre smartphone Les alcooliers usent de multiples ruses et astuces pour accroître leur public. Pour ce faire, elles s’insèrent dans tous les marchés susceptibles de les intéresser. Les applications de téléphones mobiles n’y échappent pas. Par exemple, la marque Eristoff permet de préparer un cocktail étape par étape virtuellement. On place son téléphone au-dessus du verre qui apparait sur l’écran d’ordinateur et, magie… magie…, il en sort des glaçons, ensuite un sirop et ainsi de suite… Une invention qui doit avoir un certain coût. Qu’importe… rien n’est trop beau pour séduire la cible ! sent l’humour (souvenez-vous des brasseurs Jef et Jos et leur accent à couper au couteau qui font la promo d’une fameuse bière belge), l’émotion, les images choc… et jouent ainsi sur les besoins, désirs, manques, obsessions, phobies des gens. Afin de coller le mieux possible aux attentes de leurs clients potentiels, les annonceurs étudient leur style de vie, analysent les tendances, pratiquent du marketing sur mesure. Ils vont même jusqu’à imaginer des stratégies pour que leur message soit le plus possible intégré. Depuis 40 ans, la vente des produits du secteur est en constante diminution. Les grandes marques ont dû adapter leur communication en conséquence. Désormais, elles s’attellent à fidéliser un public plus jeune et donc tentent de le toucher le plus tôt possible afin d’assurer la vente de leurs produits. Les teenagers en ligne de mire L’arrivée des pré-mix (ou alcopops) est représentative de la volonté des alcooliers de conquérir un nouveau marché, celui des 12-17 ans. Ces boissons colorées au goût sucré sont bon marché et ont comme particularité qu’elles goûtent peu l’alcool et font penser à une limonade alors qu’elles en contiennent. Les grandes marques envahissent l’espace des jeunes, s’informent sur leurs modes de consommation, sur ce qu’ils aiment, leurs codes et modes d’expression… On joue sur le packaging des bouteilles : couleur, esthétique originale… On reprend les codes des ados en utilisant des Tetrapak ou des recharges type jus de fruits ou encore des tubes de sauce. Certaines marques vont même jusqu’à utiliser l’image de leurs consomma- a Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 13 mArkETInG a teurs sur leurs bouteilles. Par ailleurs, elles ont développé un merchandising impressionnant : verres, vaisselle, t-shirt… Crioc, plus d’un tiers des clips musicaux montrent des jeunes consommant de l’alcool. Le type de marques consommées a une importance auprès des jeunes. « Ça le fait d’avoir du whisky Jack Daniels parce que c’est prestigieux et ça fait bien auprès des filles ». Certains arborent même fièrement leur trophée dans leurs chambres, ils collectionnent et exposent les bouteilles au même titre que tout autre objet déco. Les alcooliers le savent, c’est pourquoi ils travaillent leur image afin de rester « dans le coup ». Ils pénètrent la sphère musicale via le placement de produits dans les clips. Le rappeur Booba par exemple fait référence au célèbre whisky dans plusieurs de ses chansons et apparait souvent dans ses concerts la bouteille à la main. Ou encore, le fameux breuvage Cointreau apparait dans les clips de Jennifer Lopez, Ja Rule ou Eminem. D’après le “5 festivals sur 10 ne respectent pas l’interdiction de vente d’alcool aux mineurs” Les grandes marques sont visibles dans les festivals. Et certaines d’entre elles organisent même des concerts surprises; c’est le concept des concerts Maes music box. Le principe est simple : un container débarque dans une ville et un groupe surprise y joue gratuitement pour le public présent. Cette année, ce concept est étendu à un cargo qui se déplace dans les grandes villes. Même les manifestations sportives ne sont pas épargnées. Rafaël Nadal, célèbre tennisman est le nouveau visage de la campagne de Bacardi « Champions drink responsibly ». Des marques comme Jupiler, par exemple, sponsorisent la La publicité « autorégulée » par le secteur commercial À côté de la vente, la publicité portant sur l’alcool et les boissons alcoolisées n’est pas encadrée par une législation mais par un “code de conduite” qui pose question... Le secteur (producteurs d’alcool, grande distribution…) a néanmoins pris l’initiative de se doter d’un code de conduite en la matière. Ainsi, le 12 mai 2005, une convention « Arnoldus » en matière de bonne conduite et de publicité des boissons contenant de l’alcool a vu le jour. Elle a été signée également par les associations de consommateurs (Crioc et Test-Achats), et le Jury d’éthique publicitaire (JEP) et le ministre de la santé de l’époque Rudy Demotte. En 2012, suite aux dérives observées depuis plusieurs années sur le marché et l’absence de volonté de certaines parties de vouloir protéger efficacement les consommateurs, la ministre de la Santé Laurette Onkelinx a décidé de remettre toutes les parties autour de la table afin de renégocier et d’actualiser ce texte. Cette nouvelle convention signée début 2013 a par ailleurs le mérite d’être institutionnalisée via l’adoption d’un arrêté royal. Mais la Ministre de la Santé l’a clairement annoncé : en cas de nouvel échec de cette convention : « d’autres mesures plus contraignantes 14 devront être envisagées ». Cette volonté est d’ailleurs confirmée dans le nouveau Plan Alcool 2014-2018. Pour un Conseil fédéral de la publicité Faute de mieux et souhaitant toutefois agir dans le sens d’une meilleure protection des consommateurs, le Crioc a signé cette convention malgré de sérieuses réticences, notamment vis-à-vis du rôle du JEP qui fonctionne dans un système d’autorégulation, c’est-àdire une régulation au sein du secteur commercial, sans contrôle public contraignant. Le « contrôle » effectué par cet organe privé n’est ni satisfaisant, ni efficace, en raison de nombreuses lacunes et imperfections. Depuis plusieurs années, le Crioc, en collaboration avec le Conseil de la Jeunesse, Univers santé et plus de 60 autres associations de la société civile (dont les Equipes Populaires) demandent la mise en place d’un Conseil Fédéral de la Publicité en Belgique afin de mieux encadrer les pratiques commerciales et promotionnelles. Seul un contrôle public permet de garantir au citoyen un niveau de protection élevé et effectif face à l’imagination débordante et envahissante de certains publicitaires. Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 « Jupiler pro league » et associe son image à des sports d’homme. Sur son site, on peut poster des vidéos d’ambiance de matchs… Les marques sont bien évidemment présentes dans le monde de la nuit. Elles utilisent les techniques de base de promotion comme l’affichage, du merchandising qui attire le regard comme une énorme pompe à bière. Mais elles profitent aussi des formules happy hour (deux verres pour le prix d’un), des open-bar (forfait boisson pour la soirée), des promotions qui s’adressent à un groupe d’individus comme les Ladies night… Et ce n’est pas tout ! Leur imagination débordante les amène à engager des comédiens dont la mission est de se fondre dans les soirées et de promouvoir la marque qui les envoie en se faisant passer pour un simple clubber. C’est ce que les pros du « milieu » appellent le marketing undercover. Pour le lancement de leur produit phare du moment, les industriels organisent des soirées-évènements à l’esthétique plus qu’attractive. Ils parrainent également des soirées étudiantes et proposent aux organisateurs toute une série d’« avantages » : bouteilles et fûts gratuits, prêt de tout l’attirail de promotion : salon lounge, tables hautes, transats… à l’effigie de la marque évidemment. Certaines marques comme Maes organisent des jeux-concours où le participant doit présenter son projet de soirée et le gagnant voit débarquer gratuitement la Maes mobile en personne… à sa soirée. Les grandes marques polluent les lieux de sortie insidieusement à coups de distribution gratuite d’objets promotionnels. De sympathiques hôtesses distribuent des gadgets aux effigies de la marque : lunettes, décapsuleurs, chapeaux, éventails… Tout est prétexte à faire passer le message. Cette stratégie de marketing relationnel est efficace et permet un bon retour sur investissement : les clubbers font souvent des photos de leurs folles nuits et les diffusent sur les réseaux sociaux. Ce qui apparait comme un geste tout à fait anodin permet aux grandes marques d’avoir une grande visibilité sans débourser grand-chose. Les clubbers deviennent en quelque sorte les promoteurs de la marque. © S. Demolder Apéro all night Le marketing “Jeunes” en trois mots Le marketing viral ou Buzz marketing : repose sur le principe du bouche-à-oreille et instrumentalise le consommateur en agent de promotion. Les réseaux sociaux en sont infestés. Le marketing tribal : consiste à imposer un produit que tout le monde doit posséder sous peine d’exclusion du groupe social. Ce procédé est particulièrement efficace chez les mineurs, en quête d’appartenance et d’identification à un groupe. L’undercover marketing : c’est l’ensemble des techniques utilisées par un annonceur afin d’approcher le consommateur dans son environnement, sans qu’il ait conscience d’une démarche commerciale. Partout, tout le temps... D’autres techniques plus simples utilisent le même principe : participer à des jeux concours, s’inscrire à des applications, envoyer des e-cards… Toutes ces actions semblent anodines et pourtant… elles renseignent les sociétés de marketing sur les modes de consommation de la personne, ses lieux de sorties, ses préférences en goûts… L’exemple typique, c’est quand la participation à certains concours est conditionnée par l’envoi d’un mail promo à ses amis… La rue n’échappe pas à ces « chasseurs » de consommateurs potentiels. La distribution de boissons alcoolisées en rue est interdite en Belgique. Mais l’ingéniosité dont ils font preuve pour détourner la loi est sans limite. On vend par exemple des t- shirt à 10 euros sur les campus, celui-ci faisant office de bon pour l’achat de sept verres de pastis. On multiplie la visibilité en rue en étant présent sur des stands de « dégustation », aux très en vogue « apéros urbains ». L’alcool a peu à peu gagné dans nos sociétés, une connotation positive dont convivialité et branchitude en sont les maîtres-mots. La consommation d’alcool est banalisée. Les grandes marques d’alcool sont visibles dans les manifestations festives et sportives, on commercialise des bières non a Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 15 mArkETInG a alcoolisées, on associe alcool et loisir, on lance des études “scientifiques” pour prouver les bienfaits de l’alcool, on développe leur popularité sur le net et les réseaux sociaux. La communication des entreprises se cache dans ce qui apparait être une information objective : c’est par exemple le cas des publi-reportages. Autre stratégie porteuse : le placement de produits dans les films et séries. En regardant sa série préférée, on « consomme » de la pub sans s’en rendre compte : l’héroïne principale boit un soda bien reconnaissable ou porte des baskets à la marque identifiable... Le célèbre fabricant de lunettes Ray-Ban a vu ses ventes exploser lors de la sortie du film Men in black. On s’est tous un jour ou l’autre identifié à une star et cette identification est d’autant plus importante quand on est jeune. L’industrie de l’alcool sponsorise des célébrités comme Dita Von Teese, célèbre pour ses strip-teases, et qui a représenté une marque de cognac connue en s'effeuillant dans un verre géant. Quand ce ne sont pas des personnalités publiques qui agitent la bouteille, ce sont des mascottes qui les remplacent : on associe la marque à un loup, un serpent et tout ceci dans le but que le public-cible mémorise la marque qui lui est associée. Les salles obscures sont également investies par les industriels de l’alcool : 8% des pubs diffusées au cinéma vendent de l’alcool. C’est un secteur très porteur car même si la législation est stricte quand à la publicité qui entoure les films pour enfants, les publicités programmées lors de la projection de films grand public passent entre les mailles du filet. Au total, 2.306.965 € sont investis en 2011 par le secteur alcool dans la publicité au cinéma. jeunes s’informent, s’organisent essentiellement sur le net. Le potentiel de diffusion sur les réseaux sociaux est sans précédent. Les grandes marques sont très actives sur ces derniers, invitant les internautes à « liker » des photos, à partager des évènements… elles proposent même des nouvelles recettes de cocktails à faire chez soi entre amis. Tous les moyens sont bons pour attirer l’attention : on crée des applications spécifiques à ce média : décapsuleur virtuel. On utilise la technique du « buzz marketing » ; c’est l’internaute qui devient, sans le vouloir, l’ambassadeur de la marque. Eloignons-nous du fabuleux monde des alcooliers un instant : chaque année, dans le monde, 320.000 jeunes des 15-29 ans décèdent de causes liées à l’alcool. Et c’est prouvé : plus on consomme tôt, plus on a des risques de tomber dans la spirale des assuétudes. En Belgique, un jeune sur quatre a déjà bu de l’alcool à 10 ans. Il est important de protéger les jeunes de la publicité intempestive sur l’alcool et ce dans les différents domaines qui touchent à leur vie mais il est tout aussi capital d’intensifier l’éducation aux médias en déconstruisant le marketing des alcooliers, tant à l’école que dans le cercle familial. Quand l’alcool fait le buzz La publicité papier et électronique est également bien développée. Le magazine gratuit destiné aux étudiants Guido, par exemple, propose des coupons- avantages : une boisson plus une gratuite ou plus un verre gratuit… Le web, quant à lui, est la cible privilégiée des principales marques parce les Pour en savoir plus : Les publicitaires savent pourquoi, média animation, 2013 16 Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 Claudia Benedetto LéGIsLATIOn Une nouvelle législation en chantier Alors qu’en matière de tabagisme, la législation est relativement avancée, claire et presque respectée, c’est tout l’inverse en matière d’alcool, tant en ce qui concerne la vente que la publicité pour l’alcool. Le nouveau Plan Alcool proposé par les ministres de la santé devrait permetttre de clarifier et compléter la législation actuelle. Il est actuellement soumis à la consultation des acteurs de terrain. Actuellement, il existe une réglementation en matière de vente d’alcool, mais pas en matière de publicité pour l’alcool. Une législation floue et incomplète Toute la réglementation concernant la vente et le service d’alcool aux mineurs a été regroupée dans la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs. Par ailleurs, depuis le 10 janvier 2010, la loi interdit de vendre, servir ou d’offrir toute boisson alcoolisée ayant une alcoométrie supérieure à 0,5% aux jeunes de moins de seize ans et des boissons spiritueuses aux jeunes de moins de 18 ans. La première vise principalement les bières et le vin tandis que la deuxième vise les boissons plus fortes telles que le rhum, l’eau de vie, la vodka, les alcopops… mais encore faut-il le savoir ! Le Crioc regrette en effet le flou entourant certains termes qui ne sont par ailleurs pas définis par la loi. Précisons également qu’il appartient à la personne qui prétend avoir l’âge requis par la loi de le prouver généralement à l’aide de sa carte d’identité. Si cette preuve ne peut être donnée, les commerçants/vendeurs ont le droit de refuser la vente, ce qui ne semble pas toujours être le cas notamment dans le cadre des fêtes locales et des festivals (1). Autre précision importante : cette interdiction concerne tous les canaux de distribution à savoir les supermarchés, les organisateurs de soirée, les distributeurs automatiques, les débits de boisson ou restaurants mais aussi le cercle privé. À côté de la vente, la publicité portant sur l’alcool et les boissons alcoolisées n’est quant à elle pas encadrée par une législation. Il existe cependant un code de conduite appelé Convention Arnoldus signé par les producteurs d’alcool, le Jury d’éthique publi- citaire et les organisations de consommateurs. (voir encadré pages 14-15) Un plan Alcool ambitieux Face à ces lacunes et imprécisions législatives, le Plan Alccol 2014-2018 a pour objectifs de réduire l’usage nocif de l’alcool et de conscientiser la population quant aux problèmes sanitaires, sociaux et économiques qu’il engendre. Les jeunes, qui représentent un groupe à risques dans la problématique de la consommation d’alcool, sont particulièrement ciblés par le Plan. Dix domaines d’action sont prévus, notamment : la sensibilisation, des mesures de lutte contre l’alcool au volant, des mesures qui modulent l’accès et la disponibilité de l’alcool, le marketing et l’étiquetage des boissons alcoolisées, l’amélioration de la qualité des soins… Ainsi, le Plan prévoit d’augmenter les contrôles d’alcoolémie sur la route, de réformer la législation actuelle en matière de vente d’alcool aux mineurs pour la simplifier, d’interdire la vente d’alcool dans les distributeurs automatiques et dans les points de vente le long de l’autoroute, de renforcer la prévention et la rendre plus présente dans toutes les composantes de la société (famille, école, loisirs, lieu de travail,…). Avec des objectifs relativement précis, chiffrés et planifiés dans le temps. Il prévoit également une évaluation de la nouvelle Convention en matière de publicité pour l’alcool. Dans le tableau ci-après, nous passons en revue quelques points de ce plan qui concernent plus spécifiquement les jeunes ainsi que l’avis du Crioc. Le Crioc soutient globalement les mesures proposées mais défend l’idée que la voie prohibitive n’est pas la meilleure approche pour résoudre un problème sociétal que représente l’assuétude à l’alcool. Une approche éducative peut, en revanche, affronter le problème de face et éclairer les consommateurs des dangers cachés de l’alcool. Mieux vaut prévenir que guérir... Monique Van Dieren, avec Morgane Caminiti et Caroline Sauveur (Crioc) (1) L’une des priorités du service d’inspection Tabac et Alcool du SPF Santé publique est le contrôle de l’interdiction de la vente d’alcool à des jeunes lors des festivals de l’été. Près de la moitié des festivals ne respectent pas cette interdiction. Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 17 LéGIsLATIOn Quelques propositions Enrayer le phénomène de l’hyperalcoolisation (binge drinking) Situation actuelle : Cette pratique du binge drinking tend à se répandre en particulier chez les jeunes et a des impacts préoccupants sur la santé mais aussi sur la scolarité des jeunes. Proposition du Plan Alcool : Diminution de 5% +/- 35.000 personnes d’ici 2018 Avis du Crioc : Le binge drinking augmente,tout en restant un phénomène ponctuel. De plus, une définition unique de la notion n’est pas arrêtée, ce qui fausse les tendances. Par conséquent, il est difficile d’évaluer ce phénomène. Le Crioc demande de mettre au point une définition unique du binge drinking et organiser des sondages annuels complémentaires. réformer la législation en matière de vente d’alcool aux mineurs Situation actuelle : Il est actuellement interdit de vendre, de servir ou d’offrir des boissons alcoolisées aux jeunes de moins de 16 ans et de vendre, de servir ou d’offrir des boissons spiritueuses aux jeunes de moins de 18 ans. La différenciation des boissons interdites aux moins de 16 ans et aux moins de 18 ans n’est pas claire. Cela implique que la législation est difficile à expliquer, qu’elle est mal comprise, difficile à contrôler et donc mal appliquée. Proposition du Plan Alcool : Introduction d’une nouvelle législation. Deux options sont possibles : - Fixer un taux d’alcool pour différencier les boissons autorisées au - dessus de 16 ans et les boissons autorisées au-dessus de 18 ans (par exemple : 15%) - Fixer un seul âge pour toutes les boissons alcoolisées (par exemple : 18 ans) Avis du Crioc : Le Crioc constate également que la loi est mal appliquée. Une modification en vue de sa clarification est nécessaire. Des campagnes d’information devront suivre pour rendre la mesure efficace. Les professionnels de l’éducation et de la prévention doivent être impliqués dans la discussion et dans la réalisation de cette mesure. Enfin, il faudra davantage de contrôles et des sanctions sévères. Interdire la vente d’alcool dans les distributeurs automatiques Situation actuelle : La vente de boissons alcoolisées (hors spiritueux) est toujours possible dans les distributeurs automatiques si un lecteur de carte d’identité électronique est installé. Mais nombre d’entre eux sont défaillants. De nombreuses communes ainsi que des écoles demandent également à ce que ce problème de la vente par automates soit réglé. Proposition du Plan Alcool : Interdire toute vente de boissons alcoolisées dans les automates. Avis du Crioc : Le Crioc est favorable à cette mesure. Un distributeur, même s’il est muni d’un lecteur de carte d’identité, peut permettre l’accès aux boissons alcoolisées par des mineurs s’ils se procurent la carte d’identité d’un adulte. Interdire la vente de spiritueux dans les magasins de nuit et sur les autoroutes Situation actuelle : La disponibilité des boissons alcoolisées dans notre pays est très élevée. Il est possible de se procurer des boissons alcoolisées à toute heure, notamment via l’achat dans les magasins de nuit et les stations-services. Cela entraîne des problèmes de santé publique, des débordements sur la voie publique et des problèmes de sécurité routière. Proposition du Plan Alcool : Interdire la vente de spiritueux durant la nuit ainsi que dans les stations-services des autoroutes. Une plage horaire spécifique devra être définie quel que soit le type de commerce. Avis du Crioc : Le Crioc est favorable à ces mesures. Pour les magasins des nuit, il faut une définition claire de la boisson spiritueuse et que cette interdiction soit clairement définie (types d’alcool, horaires, lieux). Il estime cependant que restreindre l’accès pour un temps aux boissons spiritueuses n’empêchera pas les débordements sur la voie publique ni les problèmes de sécurité routière dans la mesure où l’accès aux boissons alcoolisées est toujours permis. 18 Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 du Plan Alcool 2014-2018 soutenir le développement du Label “Quality nights” Situation actuelle : Le label de la fête Quality Nights est né il y a 5 ans et rassemble aujourd’hui une trentaine de lieux festifs partout en Belgique (discothèques, salles de concert...) qui prennent soin de leur public en mettant en place des services utiles à leur santé ; la mise à disposition de bouchons d’oreille, de préservatifs, d’eau gratuite, retour à domicile... Proposition du Plan Alcool : Labelliser un maximum de lieux de loisirs. Avis du Crioc : Le Crioc est favorable à cette mesure. C’est une autre manière de responsabiliser les jeunes tout en leur permettant de s’amuser. Interdire les offres d’alcool à prix forfaitaire et les offres promotionnelles temporaires Situation actuelle : Le prix des boissons alcoolisées est un facteur important quant à la quantité de boissons alcoolisées consommée. Il est donc possible de moduler leur consommation via une régulation des pratiques commerciales qui encouragent la consommation nocive d’alcool. Proposition du Plan Alcool : Interdire de proposer dans les soirées de l’alcool à volonté contre une somme forfaitaire et interdiction des pratiques de type « happy hours » (réduction temporaire des prix ou offre de type 2+1 gratuit). Avis du Crioc : Les pratiques “happy-hours” et offres promotionnelles d’alcool peuvent effectivement mener à une surconsommation d’alcool. La mesure est intéressante pour les consommateurs problématiques. Or, la mesure risque de pénaliser une partie de la population qui n’a aucune assuétude à l’alcool. De plus, le Crioc souhaite attirer l’attention sur le fait que si la législation existante était respectée, cette mesure n’aurait en principe pas lieu d’être (interdiction de servir des boissons enivrantes à une personne manifestement ivre ; interdiction d’offrir ou de servir des boissons spiritueuses aux moins de 18 ans, interdiction d’offrir ou de servir toute boisson ayant un taux d’alcool supérieur à 0,5% aux jeunes de moins de 16 ans). Force est de constater que cette législation n’est pas bien respectée. Le Crioc souhaite le respect effectif de cette législation ou sa modification en vue d’obtenir une seule loi qui clarifierait les responsabilités de tous les acteurs, avant de prendre des mesures supplémentaires. Evaluer la Convention en matière de publicité et de commercialisation des boissons contenant de l’alcool Situation actuelle : La publicité a des impacts sur la consommation d’alcool de la population. Afin d’éviter que celle-ci aboutisse à une consommation irréfléchie et problématique, une nouvelle Convention en matière de publicité et de commercialisation des boissons contenant de l’alcool a été signée en janvier 2013. Elle est d’application depuis avril 2013. Cette Convention a été signée par les producteurs d’alcool, COMEOS (Fédération de la grande distribution), l’Horeca, le Conseil de la publicité, Test-achats et le Crioc. Elle est basée sur le principe d’autorégulation et son contrôle est de la compétence du Jury d’éthique publicitaire (JEP). Proposition du Plan Alcool : En 2016, suivi et evaluation de la Convention afin d’estimer si l’application de celle-ci est suffisante pour contrôler efficacement la publicité pour les boissons alcoolisées et éviter les abus en la matière. Si la Convention s’avère insuffisante, prise de mesure de réglementation de la publicité en conséquence. Avis du Crioc : Le Crioc plaide pour une interdiction de la publicité sur l’alcool. Par le passé, le Crioc a déjà pu constater l’inefficacité de la Convention. De plus, à de nombreuses reprises, le Crioc a dénoncé l’autorégulation du JEP et a toujours recommandé la création d’un Conseil fédéral de la publicité dans lequel d’autres partenaires que le JEP et les signataires de la Convention doivent être impliqués, à savoir des professionnels de la prévention et de l’éducation ainsi que les pouvoirs publics. Monique Van Dieren et Caroline Sauveur Alcool et jeunes Contrastes - Equipes Populaires - Juillet-Août 2013 19 E r I A m sOm 3 POUrVU QU’On AIT L’IVrEssE… 6 UnE 9 ALCOOLIQUE ABsTInEnT… Les jeunes consomment de l’alcool. Ce n’est pas nouveau. Ce qui inquiète les observateurs, c’est la tendance plus récente à boire plus, plus vite et plus jeune. A rechercher l’ivresse à tout prix dans les lieux festifs et même sportifs. Effets garantis sur la santé et la scolarité... DrOGUE sOCIALEmEnT VALOrIséE En matière d’alcool, trois tendances s’observent : davantage de femmes, davantage de jeunes et davantage de comportements à risques. Faut-il y voir une plus grande fragilité psychologique ? Ou bien le résultat de pratiques de marketing qui visent en particulier les jeunes et les femmes ? ET hEUrEUx DE L’êTrE ! Nous l’appellerons Guy. Accro dès l’âge de vingt ans, il préfère -et il doit- garder l’anonymat puisqu’il est membre actif des Alcooliques anonymes. Il parle peu des raisons qui l’ont amené à devenir alcoolique (il ne les connaît pas vraiment lui-même d’ailleurs), mais explique comment les AA l’accompagnent dans sa démarche d’abstinence ainsi que le travail d’information qu’il effectue notamment dans les écoles. Un cheminement qui a complètement transformé sa vie… 13 PUB, ALCOOL AnD rOCk’n rOLL Les jeunes sont les cibles des stratégies publicitaires. Une belle villa, une piscine, un « top model » dansant lascivement. Un barman qui prépare soigneusement un cocktail au rythme de la “mojito song”. Images idylliques et dangereuses à la fois, qui s’adressent de plus en plus aux jeunes. Les publicitaires ne reculent devant aucun sacrifice pour les séduire... 17 UnE nOUVELLE LéGIsLATIOn En ChAnTIEr Alors qu’en matière de tabagisme, la législation est relativement avancée, claire et presque respectée, c’est tout l’inverse en matière d’alcool, tant en ce qui concerne la vente que la publicité pour l’alcool. Le nouveau Plan Alcool proposé par les ministres de la Santé devrait permetttre de clarifier et compléter la législation actuelle. Il est actuellement soumis à la consultation des acteurs de terrain. 19 QUELQUEs PrOPOsITIOns DU ep Equipes Populaires PLAn ALCOOL 2014-2018 Contact : Equipes Populaires, 48 rue de Gembloux, 5002 - Namur 081/73.40.86 [email protected] Equipe de rédaction : Claudia Benedetto, Jean-Michel Charlier, Monique Van Dieren, Christine Steinbach, Muriel Vanderborght Rédactrice en chef : Monique Van Dieren Mise en page : Hassan Govahian Editeur responsable : Christine Steinbach, 48 rue de Gembloux, 5002 - Namur Tél : 081/73.40.86 - Fax : 081/74.28.33 Courriel : [email protected] Prix au n° : 2 € Pour s'abonner (Contrastes+La Fourmilière) : Versez 15 € au compte BE46 7865 7139 3436 des Equipes Populaires, avec la mention : "Abonnement à Contrastes" + votre nom.