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monde, sans espoir.” À l’image du papillon qui vient se brûler les ailes sur la flamme dispensatrice de lumière, la connaissance a un prix. Hafid Aggoune rappelle qu’“il n’y a qu’une liberté, et son nom sera toujours écrit avec les lettres du sacrifice et du deuil”. Et puisqu’il est question de prénoms dans ce livre, rappelons que le prénom Hafid signifie “protecteur”, celui qui, par sa connaissance du texte sacré, prend soin d’autrui, maintient les êtres dans l’existence. Sans aller jusque- là, Hafid Aggoune, comme Samuel dans le roman, ouvre un chemin, “une voie libre”, pour, d’une autre façon, échapper à cette “longue nuit d’inhumanité” : “Fuis, chasse la honte de ton corps, arrache la culpabilité de ta tête, griffe les remords, échappe-toi, pense à toi, protège l’amour qui te contient, que tu contiens, garde-le pour tes pas sur terre, donne-le aux visages dont tu ignores tout, préserve tes caresses pour la peau qui te rend la félicité.” M. H. Essais Le Livre de l’humour arabe Jean-Jacques Schmidt Actes-Sud/Sinbad, 2005, 221 pages, 23 euros “On dit à un pique-assiette : « Quelle est la sourate que tu préfères dans le Coran ? Il répondit : Celle de la Table ! » Un sage avait écrit sur la porte de sa maison : « Qu’aucun mal n’entre dans ma maison, si Dieu le veut ! Un autre sage lui dit : Par où entre ta femme ?» !” Disons le tout de go, une bonne partie des citations qui constituent ce livre est de cette eau-là. Pas de quoi déclencher une franche hilarité ni même parfois l’esquisse d’un sourire. Pour ne pas être injuste, il convient de préciser que dans ce recueil qui couvre les périodes anté-islamique et celle de la révélation coranique puis celles des dynasties omeyade et 䉴 158 abbasside se glissent quelques perles d’intelligence, de subtilité philosophique, d’irrévérence et aussi quelques grivoiseries. Ainsi : “On dit à ‘Umar Ibn al-Khattab : « Un tel ne connaît pas le mal. Il répondit : Alors il risque, plus qu’un autre, d’en être la victime ! »” Et pour l’irrévérence : “Des gens avaient parlé du qyâm [prière de la nuit]. Il y avait chez eux un Bédouin. « Est-ce que tu t’adonnes au qyâm, la nuit ? lui demandèrent-ils. – Oui, par Dieu ! répondit-il. – Et que fais-tu ? – Je vais pisser et ensuite je retourne me coucher ! »”. Ou encore celle-ci qui ne détonnerait pas chez quelques imams de banlieue par trop ignorants : “On raconte qu’un juriste de la campagne avait voulu être nommé dans un tribunal. Le juge lui ayant demandé s’il savait le Coran par cœur, il répondit : « Oui, et j’ai un magnifique Coran de la main de l’auteur ! »”. Côté politique un bon mot peut éviter bien des révoltes : “Mansûr dit à ses capitaines : « Il a dit vrai celui qui a dit : ‘Affame ton chien, il te suivra !’ ». Abû l-Abbâs at-Tûsi lui répliqua : « Commandeur des croyants ! Je crains que quelqu’un ne brandisse devant lui un morceau de pain : c’est lui qu’il suivrait et il te laisserait ! »”. Enfin, puisque le genre n’est pas absent : “On demanda à Ibn Masawayh : « Quel est celui qui connaît le mieux les maladies du cul ?, il répondit : une vieille ‘tapette’ » !” En fait, si le livre n’est pas à se tordre mais brille tout de même de bons mots et autres flèches drolatiques, il mérite aussi le détour pour l’érudition de son collecteur (pas moins de sept cents notes placées en fin d’ouvrage) qui rappelle que l’humour varie en fonction des temps et des latitudes : tribal et ironique avant la révélation, il devient avec la délivrance du message divin plus religieux, fraternel pour les musulmans, pinçant pour les autres. À Damas, sous les Omeyades, il se fait frondeur et urbain. À Bagdad, dans le “creuset” abbasside, l’humour prend des formes plus cosmopolites, raffinées et littéraires. Enfin, et ce n’est pas le moins important, ce recueil donne à lire, une fois de plus, une tradition arabe d’irrévérence, religieuse et N° 1256 - Juillet-août 2005 politique, de légèreté spirituelle, d’individualisme, de libertinage et de diversité culturelle (même si trop souvent elle se décline sur fond de chauvinisme proprement arabe au mieux empreint de condescendance pour les mondes perses et nord-africains). A contrario de quelques commentaires (cf. les notes 100 ou 256) par trop révérencieux et prudes de l’auteur, les citations et historiettes par lui rapportées donnent à voir des sociétés, à tout le moins des cercles, bien moins corsetées que le triste tableau auquel voudraient réduire aujourd’hui les sociétés de ce vaste et divers monde dit arabe quelques idéologues barbus et enturbannés du cru et autres esprits chagrins, observateurs extérieurs ceux-là, souvent bien peu au fait des débats en cours et de la profondeur historique et conceptuelle qui les sous-tendent. En picorant ici ou là quelques blagues du livre, le lecteur subodore que ce vaste monde arabe ne se réduit nullement aux dépêches d’agences. En sirotant quelques boissons, même fermentées, il pourrait même approcher ce que René R. Khawam appelait les “mystères de l’âme arabe” et les “secrets de l’arme qu’elle a toujours privilégiée, et qu’elle continue à l’évidence de privilégier, dès que vient l’heure de passer à l’action : la parole, qui pour elle a toujours prévalu sur le sabre”(1). M. H 1)- Dans l’introduction à Al-Qâsim al-Harîrî, Le Livre des Malins, traduit par René R.Khawam, Phébus, 1992. Considérations sur le malheur arabe Samir Kassir Actes-Sud/Sindbad, 2004, 102 pages, 10 euros Samir Kassir était journaliste au quotidien libanais An-Nahar et historien de formation. Cet artisan de la mobilisation contre la tutelle syrienne au Liban a été assassiné le 2 juin dernier. Dans ce revigorant opuscule, il donnait 䉴 Livres un texte qui tient à la fois de la mise en perspective historique de ce vaste et bigarré monde qualifié – non sans réductionnisme – d’arabe et de l’édito journalistique. L’avenir de ce continent, riche de vingt-deux contrées, passe aussi par une relecture-réappropriation de son passé. C’est du moins l’un des messages forts de ces Considérations qui commencent par égrener les sentiments d’impuissance qui étreignent des peuples ballottés par deux siècles de pénétration-domination et d’insatiables convoitises occidentales, victimes de la proximité historique et géographique de l’Europe, mais tous, à des degrés divers et de manière plus déterminante encore, écrasés par des systèmes politiques coercitifs et antidémocratiques ou, pour les mieux lotis, embarqués dans des transitions démocratiques encore incertaines (voir du côté de la Jordanie et du Maroc). Ces impuissances, comme le sentiment d’être privé de toute possibilité d’initiative qui puisse avoir prise sur l’évolution de leur société et du monde, ne sont pas, pour tous, synonyme de désespoir. Pour l’auteur, l’islamisme politique se nourrit de cette situation et entretient la position de victime. Samir Kassir ne tergiversait pas : l’islam politique est une illusion qui s’apparente à la montée des fascismes en Europe, une illusion qui loin d’offrir une porte de sortie au “malheur arabe” en est un des constituants. La négation de l’histoire par l’idéologie islamiste au profit exclusif d’un “âge classique”, limité à une quarantaine d’années d’un “islam pur”, en est le signe. “Or, c’est seulement en retrouvant cette histoire dans son entièreté et avec tous ses mécanismes qu’on pourra envisager un terme au malheur arabe.” Les retrouvailles auxquelles invitait Samir Kassir 159