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politique, de légèreté spirituelle, d’individualisme, de libertinage et de diversité culturelle (même si trop souvent elle se décline sur fond de chauvinisme proprement arabe au mieux empreint de condescendance pour les mondes perses et nord-africains). A contrario de quelques commentaires (cf. les notes 100 ou 256) par trop révérencieux et prudes de l’auteur, les citations et historiettes par lui rapportées donnent à voir des sociétés, à tout le moins des cercles, bien moins corsetées que le triste tableau auquel voudraient réduire aujourd’hui les sociétés de ce vaste et divers monde dit arabe quelques idéologues barbus et enturbannés du cru et autres esprits chagrins, observateurs extérieurs ceux-là, souvent bien peu au fait des débats en cours et de la profondeur historique et conceptuelle qui les sous-tendent. En picorant ici ou là quelques blagues du livre, le lecteur subodore que ce vaste monde arabe ne se réduit nullement aux dépêches d’agences. En sirotant quelques boissons, même fermentées, il pourrait même approcher ce que René R. Khawam appelait les “mystères de l’âme arabe” et les “secrets de l’arme qu’elle a toujours privilégiée, et qu’elle continue à l’évidence de privilégier, dès que vient l’heure de passer à l’action : la parole, qui pour elle a toujours prévalu sur le sabre”(1). M. H 1)- Dans l’introduction à Al-Qâsim al-Harîrî, Le Livre des Malins, traduit par René R.Khawam, Phébus, 1992. Considérations sur le malheur arabe Samir Kassir Actes-Sud/Sindbad, 2004, 102 pages, 10 euros Samir Kassir était journaliste au quotidien libanais An-Nahar et historien de formation. Cet artisan de la mobilisation contre la tutelle syrienne au Liban a été assassiné le 2 juin dernier. Dans ce revigorant opuscule, il donnait 䉴 Livres un texte qui tient à la fois de la mise en perspective historique de ce vaste et bigarré monde qualifié – non sans réductionnisme – d’arabe et de l’édito journalistique. L’avenir de ce continent, riche de vingt-deux contrées, passe aussi par une relecture-réappropriation de son passé. C’est du moins l’un des messages forts de ces Considérations qui commencent par égrener les sentiments d’impuissance qui étreignent des peuples ballottés par deux siècles de pénétration-domination et d’insatiables convoitises occidentales, victimes de la proximité historique et géographique de l’Europe, mais tous, à des degrés divers et de manière plus déterminante encore, écrasés par des systèmes politiques coercitifs et antidémocratiques ou, pour les mieux lotis, embarqués dans des transitions démocratiques encore incertaines (voir du côté de la Jordanie et du Maroc). Ces impuissances, comme le sentiment d’être privé de toute possibilité d’initiative qui puisse avoir prise sur l’évolution de leur société et du monde, ne sont pas, pour tous, synonyme de désespoir. Pour l’auteur, l’islamisme politique se nourrit de cette situation et entretient la position de victime. Samir Kassir ne tergiversait pas : l’islam politique est une illusion qui s’apparente à la montée des fascismes en Europe, une illusion qui loin d’offrir une porte de sortie au “malheur arabe” en est un des constituants. La négation de l’histoire par l’idéologie islamiste au profit exclusif d’un “âge classique”, limité à une quarantaine d’années d’un “islam pur”, en est le signe. “Or, c’est seulement en retrouvant cette histoire dans son entièreté et avec tous ses mécanismes qu’on pourra envisager un terme au malheur arabe.” Les retrouvailles auxquelles invitait Samir Kassir 159 conduisent à bousculer nombre d’idées reçues. Mais, pour montrer à la fois la diversité du passé arabe, son universalisme comme son apport à l’histoire universelle de la raison(1), il faut commencer par le libérer de “la prédestination religieuse” et de “la téléologie nationaliste”. Parcourant à grandes enjambées l’histoire arabe et musulmane, l’auteur relativise, conteste même l’antienne de “la décadence” qui se serait abattue sur cette immensité géographique et cette multitude démographique et culturelle après l’affaiblissement abbasside sous les Mamelouks et les Ottomans. À plusieurs reprises, il s’applique à montrer que la Nahda, la Renaissance, écho lointain des Lumières, ne peut se limiter à son interpré- 1)- Voir aussi la récente publication chez le même éditeur du livre d’Abdesselam Cheddadi, Les Arabes et l’appropriation de l’histoire, qui montre la parenté (mais aussi les spécificités) entre l’historiographie musulmane et l’historiographie grecque classique. 160 tation nationaliste c’est-à-dire à la simple et unique préfiguration d’un nationalisme et d’un patriotisme naissant. Pour Samir Kassir, la Nahda, libérée du corset nationaliste, a rayonné sur le monde arabe depuis le XIXe siècle jusqu’au début de la décennie quatrevingt du siècle dernier. Il en voyait la manifestation dans différents mouvements sociaux, à commencer par celui qui a conduit au dévoilement des femmes. Autre vecteur d’importance : la culture, avec en premier lieu la création littéraire puis artistique (arts plastiques, théâtre, chanson, cinéma…). Il insiste : la pensée arabe n’a jamais cédé “à la tentation d’un repli hors de l’universel” et ce malgré la création d’Israël, malgré l’hostilité d’Hassan el Banna et des Frères musulmans à toute modernisation synonyme d’occidentalisation, malgré aussi l’action régressive des États de la péninsule arabique “demeurés en marge de la culture arabe depuis des siècles”. Ainsi, à l’image de ces écrivains de l’entredeux-guerres (Taha Hussein, Tawfiq al-Hakim ou Ahmad Chawqi), écrivains “citoyens du monde” ou à l’instar d’Hoda Shaarâwi, cette militante féministe qui la première, publiquement, en gare du Caire, retira son voile en 1922, les Arabes, dans leur totalité et diversité, appartiennent à l’histoire universelle. Pourtant, un mélange des “restes fossilisés du nationalisme” et d’un “nationalisme” islamique constitue l’idéologie du moment. Cette idéologie, non majoritaire mais douée d’un effet d’entraîne- ment certain, conduit à refuser l’universel et cela au prix d’une logique victimaire, d’une complaisance au malheur et d’une culture de la mort. “Le culte de la victime pose que les Arabes sont la cible première de l’Occident.” Et Kassir de délivrer un message d’importance et d’actualité à lire les commentaires après la tragédie londonienne : il faut, sans détour et sans taire les injustices, bien réelles, se détourner du “totem de la victime” pour retrouver, urbi et orbi, les chemins de l’universel. Plutôt Lévi-Strauss et une humanité une, dès lors qu’elle repose sur un fond anthropologique commun, que Huttington. Samir Kassir, à l’affût d’une nouvelle renaissance multiforme, en distinguait les prémisses dans l’émergence depuis une vingtaine d’années d’un champ homogène et surtout pluriel de la culture arabe, comme dans l’intégration de cette culture dans ce “toutmonde”, pour reprendre Édouard Glissant, via la musique, l’Internet, les satellites et autres réseaux de financement et de coproduction d’initiatives culturelles. Peut-être, mais il est plus convaincant (et peut-être en a-t-il lui-même payé le prix) lorsqu’il pointe du doigt les blocages politiques et les entraves des sociétés à toute évolution démocratique des procédures de décision, comme lorsqu’il s’inquiète de “l’absence d’interface entre la culture de création et la culture sociale”. Vaste chantier. Aussi, serait-il “urgent” “que les Arabes abandonnent le fantasme d’un passé inégalable pour voir enfin en face leur histoire réelle. N° 1256 - Juillet-août 2005 En attendant de lui être fidèles.” Revisiter l’histoire, se réapproprier son passé, l’objectiver pour mieux s’en saisir, s’adonner à un vrai travail de connaissance et de mémoire, c’est-à-dire en tirer toutes la substance vitale, voilà à quoi invitait l’historien et jour- naliste libanais. Cela passe, une fois de plus, par les bancs des écoles et l’éducation des plus jeunes. Cela, un autre journaliste, un romancier algérien assassiné lui aussi, en 1992, l’avait compris. Les islamistes aussi. M. H. Sociologie des “quartiers sensibles” Cyprien Avenel Armand Colin, 2004, 128 p, 9 euros 䉴 Cyprien Avenel se propose d’éta- blir, dans le cadre des exigences de la collection 128, “l’état des savoirs et des travaux sociologiques accumulés sur les « quartiers sensibles »”, de mettre au jour la nature des problématiques engagées, les points de débats, les principaux résultats mais aussi les limites… Interrogeant les expressions le plus souvent utilisées, comme celles de ghetto, quartiers difficiles ou de violences urbaines, il reprend cette question devenue une constante de l’actualité depuis vingt ans pour esquisser un paysage des travaux qui lui ont été consacrés. Prenant soin de restituer la construction sociale du problème, celui des “banlieues”, il approche ces “territoires” par les diverses questions qui nourrissent le débat public de ces dernières décennies. Il souligne ainsi la succession des thématiques et la chronologie aléatoire qui s’en dégage lorsqu’on se réfère à des expressions comme “nouvelle pauvreté”, “intégration”, etc. L’auteur cite bon nombre de travaux pour rappeler les points de vue et ana- Livres lyser les phénomènes tels qu’ils se donnent à voir à partir de notions comme “l’exclusion”, la “ségrégation”, les “jeunes”, la “discrimination”… À chaque fois, le stéréotype et la représentation médiatique sont écartés par le rappel des enseignements tirés des recherches pour complexifier les phénomènes considérés (le peuplement, la violence, les bandes, les rapports de genre…). La manière de nommer, de saisir est ainsi questionnée pour mieux restituer cette urbanité avec ses multiples facettes. L’auteur note justement la relative constance dans la perception de la “banlieue” comme problème d’ordre public et de symbole “de l’extériorité sociale et culturelle”, pour mieux inviter à “sortir… de ces quartiers pour une analyse plus générale des transformations de la société française”. Les données chiffrées pour situer ces territoires n’en sont alors que plus utiles pour inscrire les difficultés sociales et économiques que connaissent les populations dans le cadre d’une société française en difficile dépassement de l’ordre industriel. Certes, il convient de prendre en considération les processus de socialisation en de tels lieux et surtout en de telles conjonctures et les ambivalences qui marquent le rapport des habitants à ces quartiers, mais aussi de tenir compte des mutations relatives à l’emploi, aux politiques de logement et aux situations migratoires. Les discriminations, comme les violences et la délinquance, ne sont évidemment pas ignorées et font l’objet là aussi d’utiles rappels et d’une analyse distanciée. On apprécie d’autant mieux l’esquisse d’approche comparative avec les USA. Bien d’autres points de cette actualité récurrente sont rappelés avec chaque fois les travaux les plus saillants (l’ethnicité, l’islam, les intervenants sociaux issus du milieu, les mobilités et le rapport au territoire, les cultures “émergentes”, l’action publique et notamment la politique de la ville…), invitant de la sorte à poursuivre l’effort de déconstruction pour renouveler le regard que l’on porte sur cette France urbaine. Abdelhafid Hammouche 161