La Renaissance espagnole par Véronique Gérard Powell

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La Renaissance espagnole par Véronique Gérard Powell
La Renaissance espagnole par Véronique Gérard Powell
Au temps des rois catholiques Avant 1492 et la reconquête complète de la péninsule Ibérique par les rois d’Espagne, le pays
est longtemps divisé entre plusieurs royaumes ou entités ou cultures. Au long des XIVe et XVe siècles, on trouve plusieurs entités
en présence : la Catalogne, liée au royaume d’Aragon, le royaume de Navarre, le royaume de Castille, le territoire maure de
Grenade, le royaume du Portugal et même un royaume de Majorque, qui englobe un temps le Roussillon. Le royaume d’Aragon
dominera des régions extérieures comme la Sardaigne, la Sicile ou le royaume de Naples. Ces divisions politiques évoluent au gré
des conquêtes, des successions, des mariages, des alliances. C’est avec le mariage, en 1469, de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de
Castille que se trouvent réunis les moyens d’une nouvelle puissance qui va donner de l’unité à la péninsule et constituer le royaume
d’Espagne. Cette puissance est concrétisée par la victoire de Grenade qui met un terme au morcellement de l’Espagne. Carte de
l’Espagne au XVe : Castille y Leon, Aragon, Navarre, Royaume de Grenade, Portugal. Isabelle sera un grand mécène. L’Espagne et
la Flandres sont très liés économiquement (commerce de la laine), puis dynastiquement et artistiquement. Les cours sont encore
itinérantes, en fonction des réunions parlementaires (Cortes) ou des fêtes religieuses. Juan de Flandes, Isabelle la Catholique, Ferdinand d’Aragon, 43 x 34, Museo de

Prado, Madrid
Evolution du mouvement gothique : La reconquête commence en 1212. Les cathédrales vont alors faire place à de nouvelles
constructions (gothique flamboyant)
Chartreuse de Miraflores, Burgos Gil de Siloé (certainement un artiste français) introduit un style décoratif. L’originalité du tombeau réside dans
la position du défunt. Pas de sarcophage mais une représentation agenouillée dans une niche. Le travail est naturaliste. Gil de Siloé, Tombe
d’Alphonse de Castille, Burgos, Miraflores
Le retable espagnol présente une typologie caractéristique locale. Tout en recevant des influences étrangères (Flandres et Italie), il
conserve des caractéristiques médiévales, notamment dans sa taille. Ils sont ou peints, ou sculptés. Gil de Siloé, retable, Miraflores, 1496-1499
L’utilisation du granit induit une structure solide. L’arc légèrement surbaissé est typique. Santo Tomas, Avila, cloître des Rois
Les influences italiennes et flamandes sont très importantes. Commerce avec les Flandres, mariage de Jeanne la Folle avec le fils de
Maximilien, présence de grandes familles en Italie. Tout concourt à apporter la nouvelle manière en Espagne, notamment dans les
tombeaux : présence d’allégories, plan avec sarcophage. Domenico Fancelli, Tombeau de l’infant don Juan, 1512/13, Avila
Le gothique évolue vers le décoratif. La pratique des artisans arabes demeurés en Espagne apporte un curieux mélange composé
d’art mudéjar et de gothique flamboyant. Juan Guas, c.1480 San Juan de los Reyes, Tolède
La pratique de peinture va commencer à s’imposer. Il existe là aussi une synthèse des éléments flamands et de la composition
rigoureuse italienne. La pala s’unifie, l’espace est maîtrisé, la lumière naturelle joue son rôle Fray Pedro de Salamanca, La Vierge des Rois Catholiques, vers 1494,
Museo del Prado. On voit arriver le portrait, développé dans le milieu de la cour. La mise en page est flamande mais avec une douceur
italienne Juan de Flandes, Portrait d’une infante, Catherine d’Aragon?, vers 1496, 31 x 22, Thyssen, Madrid ou Juan de Flandes, Jeanne de Castille, 36 x 25, Vienne, K.M. L’artiste fait preuve dans un
polyptique de 48 éléments, démembré rapidement, de sa capacité à synthétiser les éléments péruginesques et pittoresques flamands.
Juan de Flandes, La tentation du Christ, 21 x 15, v.1500-1504, Washington, NG - Christ couronné d’épines, Detroit Institute of Arts, 21 x 16 - Christ couronné d’épines, Detroit Institute of Arts, 21 x 16 Memling, Van des
Weyden, Van Eyck sont connus et parfois venus. Memling les saintes femmes - D. Bouts, Vierge à l’enfant, Grenade –
La Renaissance espagnole est histoire de cathédrale. A la différence du gothique français, les cathédrales espagnoles présentent des
parois très importantes. L’élévation intérieure est traditionnelle. Voute à nervures, organisation par travées, mais chaque travée est
différente de l’autre. Il y a un rythme renaissant dans une structure gothique. Juan Gil Rodrigo Gil de Hontañon, Cathédrale de Ségovie 1520 -1580
L’époque développe les universités (comme en Angleterre). Le décor se plaque sur le mur. Valladolid, Façade du Colegio San Gregorio, c 1488-1496
L’aristocratie construit aussi dans le gout italien avec bossage, axe central, bifore… comme à Ferrare... Façade du palais de Cogolludo ( avant 1502)
Le sud espagnol est le dernier lieu de reconquête, on y bâti des châteaux encore fortifié, d’extérieur défensif, mais dont la cour
intérieure est très proche du cortile italien (mais les arcs retombent directement sur les colonnes) La Calahorra (montagnes de Grenade), 1509/1512
Les deux foyers picturaux importants sont ceux de Castille et de Valence. Pedro Berruguete (1450 -1503) a fait un séjour en Italie
entre 1472 et 1482. Il est documenté à Urbino, où il se met au service du duc Federico da Montefeltro, le constructeur d’Urbino et
du Palais ducal (studio d’étude-portraits d’hommes célèbres de l’Antiquité et des temps modernes & allégories des arts libéraux).
Avec Piero della Francesca, Juste de Gand il constitue, le triangle reconstitué des influences croisées : Italie-Flandres-Espagne. À la
mort du duc d’Urbino, en 1482, il repart vers l’Espagne. En 1483, il est de retour à Tolède, puis il travaille à Burgos, Palencia,
Burgos, Ségovie, Avila, Tolède… Les connaissances qu’il importe établissent sa réputation.
Pedro Berruguete (c.1450-1503 Vierge à l’Enfant, après 1483 Musée Municipal, Madrid On retrouve, dans ce panneau peint à l’huile, le réalisme flamand, une certaine
raideur des corps d’Enguerrand Quarton ou de Dirk Bouts et une densité sévère propre à Piero della Francesca. Berruguete a
atteint un haut niveau d’expression qui, compte tenu de son parcours, en fait autant un peintre européen qu’un peintre espagnol. À
la fin du XVe siècle, les échanges étaient nombreux entre les différentes contrées d’Europe, et les artistes n’ignoraient rien de ce qui
se faisait au loin. Les voyages et surtout la circulation des œuvres et des gravures, entretenaient la conscience de faire partie d’une
même entité artistique et de pensée : la chrétienté européenne.
Valence, foyer indépendant, est marquée par la présence de Fernando Yáñez de la Almedina qui a travaillé avec Léonard à la
bataille d’Anghiari. Il apporte le dessin italien, la ligne florentine, la subtilité de la mise en page, l’élégance des coloris. Fernando Yáñez de la
Almedina (c.1465-1536) Sainte Catherine, 1505/10 212 x 112, Prado.
La sculpture mortuaire reprend l’idée d’arc de triomphe adossé, mais avec une spécificité : le mort est allongé dans un geste de
mélancolie. Giovanni da Nola, Tombeau de Ramón Folc de Cardona, 1524 Bellpuig (Lerida)
 Charles Quint au cœur du siècle Elevé à Bruxelles, il arrive en Espagne en 1517. Reparti en 1536, il revient 20 ans plus tard
pour finir ses jours à Yuste. Pour ces monarques qui vivent entre Espagne, Italie et Flandres, le goût est ouvert sur tous les pays.
Charles Quint s’attachera deux grands artistes, l’Italien Titien et le Flamand Anthonys Mor (ou Moro). Titien (Tiziano) (1489-1576) Charles V (1500-1558)
avec un chien1533 194 x 111 Prado
Conquis par Grenade son palais représente un moment d’architecture idéale, avec plan centré, réalisé par des italiens et des
Espagnols. Proche des réalisations de Raphaël (villa Madame), de Jules Romain (palais du Té), de Fontainebleau, cet endroit
juxtapose plan carré, grand cortile, usage du bossage, travées, utilisation parfaite de l’ordre dorique…. Alhambra et Palais Royal Tombeau des Rois
Catholiques, de Philippe le beau et Jeanne la Folle par Ordoñez et Fancelli / Pedro Machuca Luis de Vega? Plan Palais Royal de Grenade. Diégo de Siloé fait évoluer le plan de la cathédrale à
Grenade Enorme sanctuaire de plan centré, imitant le saint sépulcre. Edifice moderne, d’un type étranger à l’Italie. On joue avec les
ordres : Ordre corinthien mais pilier masqué. Plan centré mais sur pendentif. Herrera utilise la pierre blanche de Grenade. Grenade, La
cathédrale et la Chapelle royale - Cathédrale de Grenade (Diego de Siloé, 1528)
A Madrid, Charles V s’installe à l’Alcazar puis à Tolède. Wyngaerde, Vue de Madrid vers l’Alcazar, 1559, Vienne
L’époque voit palais, cathédrales, universités mais aussi des hôpitaux. Financé par le cardinal de Tavera, il est organisé autour de
deux cours, l’église étant dans l’axe central. C’est un type d’architecture sui generis. On adopter l’harmonie de la renaissance et le
rythme avec un système de travée égale, on maintient la pose de l’arcade directement sur la colonne. La façade est simple et
l’architecture savante. Covarrubias, Bustamante, Hopital Tavera, Tolède, 1541
Mais il existe des éléments autochtones selon les régions. Luis de Vega, Rodrigo Gil de Hontañon, Façade de l’Université d’Alcala de henares, 1537 très unifiée et bien
structurée, elle présente un décor d’arc de triomphe et une grande travée centrale dans la quelle s’imbrique un second arc
triomphal. La galerie supérieure est un élément espagnol, comme l’héraldique en placage de décor.
Rodrigo Gil de Hontañon, Palais de Monterrey, Salamanque présente un côté pittoresque. Le décor est relégué au niveau supérieur, en élévation.
La sculpture est issue des influences française et italienne. A Berruguete (fils du peintre) est envoyé jeune à Florence où il est
reconnu comme promoteur du début du maniérisme. Il devient sculpteur du roi. Les bas reliefs des stalles montrent une certaine
liberté dans la représentation du nu et l’usage de la ligne serpentine. Alonso de Berruguete (1489-1561), stalles du chœur de Tolède 1537/39 - Eve, 1539/43
La sculpture polychrome est un élément du goût espagnol qui perdurera. Les peintres de statues sont des spécialistes. Expressivité
forte et élongation des formes (maniériste) sont caractéristiques Berruguete St Sébastien, Abraham (retable San benito el real) c. 1550 Valladolid museo San Gregorio
Berruguete, tombeau du cardinal de Tavera, Tolède 1552
Peintre aventurier venu de Bruxelles en passant par l’Allemagne, l’Italie, Peeter de Kempeneer, apporte un style alors inconnu. Pedro
Il apporte un certain réalisme expressionniste que regardera la génération suivante des Zurbaran… de Campaña, (1503-80) Descente de Croix, 1547
cathédrale, Séville.
Le règne de Philippe II En 1527, il était à Valladolid, il quitte l’Espagne à 10 ans et voyage en Europe. Il rentre en 1560 en
Espagne définitivement. Grand connaisseur des arts, il a des projets qui vont changer l’art espagnol. Il n’existe pas encore d’école
locale, et moins d’artistes étrangers (la rigueur de la religion) Anthonys Mor, Philippe II en armure, 186 x 82 1557 Escorial - Isabel de Valois c.1560 104 x 84 coll. Varez Fisa C’est ici
que met en place les bases du portrait de cour : somptuosité des costume, expressivité douce (Velázquez, Goya)
Philippe II installe la cour à Madrid dans l’alcazar, c’est la fin de l’itinérance. Wyngaerde, L’alcazar de Madrid, vers 1562, Vienne, B.N
Le reste de l’Espagne continue la construction des cathédrales comme à Jaén au nord de Grenade. La cathédrale de Jaén, 1560-70 la zone
centrale est divisée en 2 niveaux. Les tours sont ajourées, les volumes cubiques sont nets et proportionnés. La stéréotypie intérieure
est d’une grande qualité. On conserve la voûte sur pendentif, mais les nervures ne sont plus structurelles. On utilise la baie
palladienne pour la lumière. La sacristie est un bijou de pierre faite de 3 arcades, Alonso de Vandelvira Sacristie de la cathédrale de Jaén, 1560-70
Andrés de Vandelvira, Palacio Medina de los Cobos, Ubeda, 1562 la sobriété des ordres scandant les niveaux est relevé par un décor au dessus des baies et des
atlantes en attique, l’élégance de l’œil de bœuf adoucit la façade.
Palacio Hernando Pizarro, Trujillo, 1562 Terre des conquistadors, Trujillo bénéficie des apports en argent et se peuple de palais. La fenêtre d’angle est
un trait vernaculaire. A la fin du siècle, l’architecture continue et en même temps se réveille une école de peinture à Valence et sur
un modèle italien.
Juan de Juanes (1510-1579), La Cène, 1562, Prado le modèle de Léonard est utilisé mais avec un mélange subtile d’italianisme et de flamand. L’Espagne
synthétise les éléments. Les têtes sont réalistes, l’expressivité est poussée un cran plus loin. La nature morte flamande est reprise
(coupe). C’est un des premiers tableaux de la dernière cène où Judas n’est pas l’acteur principal. Il s’agit ici de glorifier l’Eucharistie.
Le concile de Trente est terminé et ses préceptes commencent à être appliqués. Le portait montre toujours un désintérêt pour le
corps, soutien de vêtement. Seul le visage est détaillé. Juan de Juanes, Luis de Castela, c.1560, Prado & Copie par Pantoja d’un original att. À Sofonisba Anguissola (c.1532-1625) Isabel de
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Valois tenant le portrait de Philippe II 1561, 206 x 123 - Sanchez Coello, L’archiduc Rodolphe (1567) et l’Archiduc Ernest, (1568), HMQ
L’Escorial est situé à 40 Km au nord de Madrid dans une région très isolée. Projeté par Philippe II à partir de 1562 et qu’il voit
achevé (il meurt en 1598). La consécration de la basilique a lieu en 1588 Hubert Sattler (1817-1904), Escorial 1867 Salzbourg Le but était d’en faire un
panthéon pour Charles V, puis d’un palais et d’un panthéon pour toute la famille. Le plan va être agrandi. C’est un plan unifié, les
divers éléments ne sont pas dispersés. La façade fait 260 m de long. Le plan comporte un couvent, un panthéon central, un collège,
un petit palais et une très grande bibliothèque. C’est la meilleure adaptation du vocabulaire antique à l’architecture chrétienne.
Perret/Herrera, Perspective de l’Escorial, 1587, pl.VII - section longitudinale de la Basilique de l’Escorial, 1587 Dépouillement et énormes proportions sont liés. La structure est
claire (cf. le cloître). La hiérarchisation vers le sommet de la coupole s’allie à la recherche de pureté des lignes. La géométrie est
rigoureuse, montrant un goût pour la ligne aigue. Les tombeaux se trouvent dans la basilique. Il y a contraste entre la partie grise
qui présage de la gloire divine traitée avec or, marbres et jaspe. Le décor des fresques ne fut pas achevé. Herrera/ Trezzo/ Leoni retable et tombeaux de
l’Escorial (1574/1598) L’artiste milanais Leo Leoni puis Pompeo Leoni reprend l’idée du défunt agenouillé. Trezzo/ Leoni Monument funéraire de Philippe II et Felipe
II/Isabel de Valois/ Ana de Austria/ Carlos
Le Greco est un artiste crétois passé par Rome et Venise et attiré par le chantier de l’Escorial, Philippe III cherchant un peintre à
fresque pour le décor. Tolède va l’accueillir et les dignitaires de cette ville très active lui commandé ses chefs d’œuvre. Philippe
collectionna le Greco mais ne l’utilisa pas pour l’Escorial, jugeant sans doute le style de ses peintures inadapté. E style de Greco est
maniériste porté à l’élongation des corps et des visages. Les couleurs stridentes, primaires. L’expressionnisme ouvre la voie aux
peintres du XVIIe. Domenico Theotokopoulos, El Greco (1541-1614) L’Expolio cathédrale de Tolède 1577 - Retable de Santa Domingo el Antigo, 1577-79 Tolède - Greco, Annonciation, retable de Dona Maria de Aragon,
Madrid 1597 1600 Prado - Greco, Chevalier avec la main sur la poitrine, 1580 Prado - Francisco de Pisa, 1590, Kimbell art M - Greco, Enterrement du comte d’Orgaz, 1586/88 santo Tomé, Tolède
L’Adoration du nom de Jésus renvoie à la glorification de la victoire de Lépante sur les Turcs. Philippe II est entouré du doge de
Gênes, du Pape Farnèse. L’enfer fait face au paradis. Le type de couleur appartient à Venise et la fougue est la signature du Greco.
Si le Roi refuse St Maurice, il le conserve néanmoins dans ses collections. Une évolution singulière se produit dès lors dans la
manière de l'artiste. Son dessin devient plus aigu, plus tourmenté; les corps de ses personnages s'amincissent et s'allongent, ses
figures s'émacient; son coloris devient sobre et austère jusqu'à la monochromie. Greco est un point de départ. Greco est un
novateur, ses œuvres sont magistrales et animées d'une vie intense et mystérieuse. Il y a une force spirituelle et émotionnelle dans sa
peinture, un style maniériste qui sert à forger la peinture du siècle d’or. Le décor peint à l’Escorial n’est pas d’une très grande qualité
mais la collection de peintures rassemblées par le roi permettra à la génération des Velázquez et Goya de se former.

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