Les interconnexions d`Internet
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Les interconnexions d`Internet
Les interconnexions d’Internet Les propositions pour un nouveau modèle d’interconnexions par Internet ne suffisent pas La clé du succès et de la croissance continue de l’infrastructure globale des communications est de continuer à permettre à Internet d’évoluer en réponse aux changements de la technologie, à l’innovation et aux modes d’utilisation. Introduction De récentes contributions au débat qui entoure la révision des Règlements internationaux des télécommunications ont identifié deux problèmes d’interconnexion des réseaux. On pense que la meilleure manière de traiter ces problèmes passe par un nouveau règlement international. Ce nouveau règlement international serait implémenté dans les Régulations internationales des télécommunications révisées (un Traité exécutoire), et mis en place dans l’ensemble des juridictions légales et réglementaires des états membres de l’UIT (pays). Ces problèmes d’interconnexion Internet sont : 1 Faut-il déployer un mécanisme de livraison de la qualité de service de bout en bout avec des objectifs de performance de bout en bout prédéfinis, et ; 2 Faut-il établir un système d’acquittement réseau-expéditeur-payeur entre opérateurs de réseaux. Cet article fait le point sur la nécessité de traiter l’un ou l’autre de ces problèmes, qui sont en ce moment gérés par des accords privés commerciaux et techniques, dans un traité global et intergouvernemental tel que les Règlements internationaux des télécommunications. Selon notre évaluation, soumettre les fournisseurs d’infrastructure à des obligations d’interconnexion basées sur un traité n’est pas une manière constructive de progresser. De plus, nous concluons que la portée entière des impacts que ces propositions pourraient avoir n’a pas été correctement documentée. Selon nous, ce nouveau modèle d’interconnexion proposé implique un risque sérieux de fragmentation d’Internet. Synthèse www.internetsociety.org • Internet : un réseau de réseaux – Internet se compose de milliers de réseaux privés gérés et exploités indépendamment qui sont connectés entre eux au moyen d’une grille clairsemée. En utilisant l’infrastructure et les services de télécommunications sous-jacents, l’ensemble formé par l’interconnexion du client, du fournisseur, des relations de transit et d’appairage entre les opérateurs de réseaux permet le flux de trafic de bout en bout (E2E). • Le marché d’interconnexion par Internet est divers – Le marché pour les services d’interconnectivité entre opérateurs de réseau est divers et en évolution (voir BEREC). Rien n’empêche les fournisseurs de services Internet (ISP) de réaliser tous les accords d’interconnexion soutenables qu’ils désirent, du moment que l’autre ou les autres parties prenantes de la connexion en acceptent les termes. • Augmentation des coûts pour tous les ISP – Les mécanismes techniques requis pour prendre en charge une infrastructure d’acquittement généralisée de réseau-expéditeur-payeur pour Internet, dans laquelle on peut mesurer à la fois le volume et la destination du trafic, sont extrêmement complexes. De multiples composants de réseau supplémentaires et nouveaux seraient nécessaires pour envoyer, collecter et analyser les données du trafic [UIT] et la mise en place de ce réseau d’acquittement serait par conséquent très onéreuse. • Le système réseau-expéditeur-payeur sabote la compétition – La nomination d’un système réseau-expéditeur-payeur pour les acquittements entre les opérateurs de réseaux et parmi eux mettrait en danger la diversité et la compétition du marché des services de communications qui ont engendré l’Internet commercial dès le départ. Ce régime d’acquittements saboterait aussi la nature distribuée de l’infrastructure actuelle d’Internet en limitant les choix sur la manière d’envoyer du trafic et sur sa destination. • Une incertitude économique considérable – Il n’existe aucune analyse économique objective de la proposition des acquittements par le système réseau-expéditeur-payeur indiquant que ce système aurait un effet bénéfique sur la valeur économique d’Internet. Avec le couplage du système réseau-expéditeur-payeur à Internet, il n’y aurait aucun moyen de prévision des dépenses d’acquittement pour les fournisseurs de contenu, les fournisseurs de transit ou les ISP d’accès. • Implémentation de la qualité de service de bout en bout – Actuellement, il n’existe aucune barrière technique empêchant les ISP de déployer les services permis par la Qualité de service (QoS) à l’intérieur de leurs réseaux. Les obstacles au déploiement global de tels services entre réseaux sont de nature technique et commerciale. Il n’est pas nécessaire d’introduire un traité intergouvernemental qui, s’il était signé, fixerait une approche technique et commerciale particulière et donc limiterait le potentiel futur de l’infrastructure des communications. La clé du succès et de la croissance continue de l’infrastructure globale des communications est de continuer à permettre à Internet d’évoluer en réponse aux changements de la technologie, à l’innovation et aux modes d’utilisation. • Conséquences involontaires – Les contributions au débat ne sont pas suffisamment détaillées pour définir de façon totalement claire ce que pourraient être les impacts sur les utilisateurs si ces propositions étaient implémentées. Parmi les conséquences possibles n’ayant pas été suffisamment explorées, on compte une augmentation des coûts pour les utilisateurs, l’impact possible sur les flux d’information des sélections par contenu et par les fournisseurs de transit sur la destination de l’information, des incitations supplémentaires pour dérailler le trafic à des fins frauduleuses, la diminution des opportunités de connexion pour les pays en développement, et la fragmentation d’Internet. En bref, ces propositions n’ont pas considéré l’étendue des conséquences possibles, y compris la possibilité d’une « fracture numérique » bien plus profonde que celle que nous connaissons aujourd’hui, ce qui pourrait porter préjudice aux pays en développement. Étant donnés ces facteurs, nous ne pensons pas qu’un nouveau système de régulation global basé sur un traité visant à réglementer la gestion, l’architecture et la configuration des réseaux, et la manière dont les accords commerciaux entre opérateurs de réseaux devraient être conclus soit nécessaire ou approprié. En fait, l’introduction d’une réglementation dans tous ces domaines pourrait avoir des conséquences néfastes significatives et imprévisibles pour la croissance et l’évolution des réseaux. www.internetsociety.org 2 Interconnectivité – Compensation et accords commerciaux Internet se compose de milliers de réseaux privés gérés et exploités indépendamment qui sont connectés entre eux au moyen d’une grille clairsemée [PCH]. Les liens d’interconnexion se présentent sous l’une de deux formes, soit le transit soit l’appairage (voir Figure 1). Le transit est typiquement un accord bilatéral dans lequel un ISP fournit l’entière connectivité à Internet pour la transmission de trafic ascendant et descendant au nom d’un autre ISP ou d’un utilisateur, y compris une obligation d’acheminer le trafic vers des tiers. Les accords d’appairage sont les cas où deux fournisseurs de réseaux s’entendent pour échanger le trafic entre les clients de l’un et de l’autre (mais sans utiliser les connexions de transit de l’autre). L’appairage est l’action d’échanger du trafic avec un pair [Tinka]. L’appairage fournit aux opérateurs de réseaux un moyen de réduire le volume de trafic qu’ils doivent envoyer sur des liens de transit potentiellement plus onéreux. Les réseaux implémentent normalement l’appairage lorsque le coût de transmission du trafic par les pairs est inférieur à celui de la transmission par transit. Figure 1 : Interconnexion Internet (avec l’aimable autorisation d’Analysys Mason) : Internet est une collection de réseaux et un accord d’interconnexion n’est typiquement qu’une partie du chemin complet de bout en bout entre deux points terminaux. Par construction, il y a normalement au moins une relation d’appairage sur le chemin entre deux points terminaux. Alors que les accords de transit sont gouvernés par les contrats commerciaux normaux entre fournisseur et client, et peuvent contenir des garanties de service, les accords d’appairage sont typiquement des accords informels entre fournisseurs. Dans la grande majorité des cas, les accords d’appairage sont « sans acquittements » - sans échange de devises – parce qu’ils constituent un bénéfice commercial mutuel pour les deux parties à interconnecter. Dans certains cas, des termes d’appairage asymétriques s’appliquent, dans lesquels un partenaire compense l’autre pour l’acheminement du trafic soit dans le cadre d’un accord d’appairage rémunéré, soit dans le but d’honorer les obligations minimales d’appairage [PCH]. Aucun des partenaires d’un accord d’appairage n’est limité par règlementation aux termes qu’ils peuvent demander, et ils ne sont pas non plus obligés d’accepter des termes qu’ils trouvent désagréables. www.internetsociety.org 3 Les décisions de routage Internet se font paquet par paquet et il n’existe aucune hiérarchie de réseau de cheminement avant ou arrière permettant de prévoir les conséquences en matière de coût. Les accords commerciaux disponibles aux opérateurs de réseaux aujourd’hui sont donc divers et en évolution. 1 (pour un plus riche aperçu des interconnexions d’Internet dans la réalité, voir [Faratin]). En termes simples, cependant, les trois accords suivants sont communs : • payer un autre opérateur pour le transit ; • appairage non rémunéré avec d’autres opérateurs de réseaux, ou ; • appairage rémunéré dans lequel des obligations minimales pour une interconnexion sans acquittement ne peuvent pas être honorées. Les opérateurs de réseaux emploient typiquement un amalgame d’appairage et de transit pour développer la solution la plus efficace et la plus économique pour leurs besoins. La diversité changeante des options d’interconnexion et des accords commerciaux associés fournit aux opérateurs l’option de payer (et facturer) les connexions dont ils ont besoin pour le fonctionnement efficace de leurs réseaux et les tarifs commerciaux soutenus par un marché compétitif pour les services Internet. Comme nous l’avons dit plus haut, les accords d’appairage sans acquittements sont les types d’accords d’appairage les plus communs et sont une caractéristique bien établie de l’écosystème d’Internet. Ayant commandité l’enquête la plus complète de ce type jamais entreprise, l’OCDE a conclu que : « ...les termes et conditions du modèle d’interconnexion Internet font en général l’objet d’un tel consensus que 99,5 % des accords conclus ne comportent pas de contrat écrit. Le fait que ces « règles du jeu » sont si omniprésentes et utilisables indique un degré d’unanimité publique qu’un régulateur externe aurait beaucoup de mal à créer. Les partenaires de ces accords comprennent non seulement l’ossature d’Internet, l’accès et les réseaux de distribution de contenu, mais aussi les universités, les ONG, les départements d’états, les personnes privées, les entreprises et sociétés de toutes sortes – une universalité des constituants d’Internet qui s’étend bien au-delà des limites d’influence de n’importe quel corps législatif. » [OCDE] L’architecture d’Internet ignore les frontières entre pays. Nous pensons donc qu’une tentative de codifier un nouveau modèle international pour les arrangements et accords commerciaux dans le cadre d’un traité global qui impose ces frontières n’est pas la bonne approche. Cette approche met en danger la flexibilité et la diversité qui ont évolué dans le marché global des interconnexions Internet jusqu’à ce jour, dans lequel le trafic emprunte le chemin le plus efficace possible commercialement. Réseau-expéditeur-payeur Le modèle d’acquittement proposé de réseau-expéditeur-payeur est importé du modèle d’acquittement réseau-appeleur-payeur utilisé dans les réseaux téléphoniques. Dans le cas d’un réseau téléphonique, « l’expéditeur » est la personne qui effectue l’appel, ou son opérateur de réseau. En téléphonie, un « appel » initialise une réservation des ressources du réseau – le réseau réserve des ressources pour prendre en charge la communication qui va suivre entre celui qui démarre la réservation de ressources et l’appelé. En d’autres termes, celui qui requiert la réservation de ressources doit payer pour les ressources qui ont été réservées – l’appeleur paye pour effectuer l’appel. La provision des appels se fait souvent par des circuits définissables et ils sont visibles pour les réseaux de téléphonie grâce à l’instrumentation onéreuse des standards téléphoniques. Il est donc possible d’interagir avec des opérateurs téléphoniques pairs en 1 Du « Body of European Regulators for Electronic Communications » (BEREC, Corps des régulateurs européens pour les communications électroniques) - http://erg.eu.int/doc/consult/bor_12_33_ip_ic_assessment.pdf. « L’écosystème d’Internet a fait en sorte d’adapter les arrangements d’interconnexion IP pour refléter (entre autres) les changements dans la technologie, les changements dans la puissance commerciale (relative) des acteurs, les tendances de la demande et les modèles commerciaux. » www.internetsociety.org 4 utilisant cette notion « d’appel » comme monnaie pour l’interaction. Internet, cependant, n’a jamais été conçu pour fonctionner sur un système basé sur des circuits ou commuté par des circuits. Dans un réseau basé sur les paquets comme Internet, le réseau ignore simplement l’état des applications des niveaux supérieurs. Il n’y a aucune réservation de ressources associée à une communication Internet comme dans le cas d’un appel dans un réseau téléphonique, pas de circuit commuté, et pas de chemin fixe emprunté par les paquets. En fait, Internet ne sait pas si vous faites un appel vocal, si vous téléchargez une vidéo ou si vous envoyez un e-mail. Les paquets sont envoyés par « le meilleur effort », ce qui signifie qu’il n’y a aucune garantie que les paquets arriveront dans un certain délai, ou même qu’ils arriveront. En d’autres termes, la différence entre un appel téléphonique et une session Internet peut être décrite ainsi : • Dans un appel téléphonique commuté par un circuit, le circuit est établi et maintenu tel quel pour toute la durée de l’appel. Donc, même si les correspondants ne se disent rien, le circuit est établi et les ressources sont réservées. C’est pourquoi les gens payent souvent les appels téléphoniques à la minute : il y a un coût pour chaque minute pendant laquelle la connexion circuit est établie, même si les correspondants ne se parlent pas. • Dans une session Internet, cependant, il n’y a pas de circuit. Les paquets n’utilisent les ressources du réseau que pendant le temps nécessaire à leur transmission sur le chemin vers leur destination. Les chemins avant et arrière pris par les paquets relatifs à une session pour une application spécifique ne sont pas nécessairement symétriques. Les paquets voyagent généralement dans trois à cinq réseaux pour atteindre leur destination. Pour cette raison, on voit que sur Internet un « appel » est une notion abstraite – il peut être une propriété de l’application (par ex. une session dans une requête Web) ou l’application pourrait même ne jamais avoir la notion d’un appel (par ex. les applications basées sur les transactions comme le DNS). De plus, comme il n’y a pas de circuit établi, les décisions de routage d’Internet se font paquet par paquet et il n’y a aucune hiérarchie de réseau pour les chemins avant ou arrière permettant de rendre les tarifs prévisibles. La politique par laquelle un réseau passe le trafic à d’autres réseaux à la première occasion est appelée le « routage de la patate chaude » [Tinka]. Dans l’exemple de la Figure 2, un utilisateur connecté par un ISP à la dorsale 1 demande du contenu à un fournisseur de contenu connecté par un autre ISP à la dorsale 2. Les étapes suivantes surviennent : 1 La dorsale 1 échange la requête avec la dorsale 2 au point d’échange Internet (IXP) le plus proche, qui est IXP 1. 2 La dorsale 2 transmet alors ce trafic au fournisseur de contenu. 3 Le trafic en retour est alors transmis à la dorsale 1 par l’IXP le plus proche (IXP2). 4 Finalement, la dorsale 1 transmet le trafic en retour à l’utilisateur www.internetsociety.org 5 Figure 2 : Routage de la patate chaude (avec l’aimable autorisation d’Analysys Mason) – Le routage de la patate chaude est le scénario par lequel un opérateur de réseau veut transmettre le trafic à d’autres réseaux le plus vite possible. Ceci est surtout typique des petits réseaux qui veulent limiter leurs coûts en gardant le trafic à distance autant que possible. C’est aussi avantageux pour les grands réseaux qui veulent trouver la sortie la plus proche et la plus rapide pour le trafic qui finira par sortir de leur réseau pour atteindre sa destination. L’inverse est le routage de la patate froide [Tinka]. Dans un contexte de réseau-expéditeur-payeur, il n’y aurait aucun moyen permettant aux fournisseurs de contenu, aux fournisseurs de transit ou aux ISP d’accès de prévoir de manière fiable leurs dépenses d’acquittement. Si un hôte sur un réseau qui impose des tarifs relativement élevés pour la réception de trafic demande du contenu Internet à un réseau distant, tous les opérateurs de réseau sur les chemins de retour pourraient avoir à payer. Parce que le modèle bilatéral réseau-expéditeur-payeur ou « expéditeur-payeur » qui est commun dans les systèmes d’acquittement en téléphonie traditionnelle ou mobile- ne s’accommode pas facilement du système de réseau de transit à partenaires multiples d’Internet, il ne peut pas être décalqué sur Internet tel qu’on le connait. En termes simples, installer un régime « expéditeurpayeur » sur Internet n’est pas possible sans des changements considérables de l’infrastructure globale d’Internet. De plus, le modèle « expéditeur-payeur » pourrait avoir un impact négatif sur les environnements technique et commercial dans les pays en développement qui ont besoin de développer leurs réseaux. Au mieux, les pays utiliseraient des mécanismes qui marchent bien dans leurs environnements locaux plutôt que des termes autorisés globalement qui ne sont pas bien adaptés au contexte local. Finalement, comme pour tout écosystème économique, ces arrangements d’interconnexion ont réussi parce que les intérêts mutuels parmi les entreprises, les utilisateurs d’Internet, les législateurs et la société civile aident à réduire les coûts d’interconnexion. Les propositions par un petit nombre d’opérateurs de changer ce modèle pourraient avoir l’effet négatif d’altérer l’esprit et la coopération de bonne foi qui existent depuis le début d’Internet. En bref, les propositions de cette sorte visant à changer ce modèle auraient de vastes implications qui doivent être entièrement comprises par toutes les parties prenantes et évaluées par rapport à la perte de l’esprit de coopération et de bonne foi qui existent depuis les débuts d’Internet. Il y a aussi d’importantes considérations de politique publique si le système de règlementation impose un système d’acquittement semblable à la téléphonie sur Internet. Par exemple, un modèle réseau-expéditeur-payeur pourrait faire que le coût d’envoi de trafic vers des destinations aux coûts élevés et aux revenus faibles soit prohibitif pour les fournisseurs de contenu. En théorie, certains fournisseurs de contenu pourraient déterminer que certaines destinations sont simplement trop chères pour leur envoyer du trafic. En fait, l’obligation pour les fournisseurs de contenu, où qu’ils se trouvent, de prévoir le bilan coût/bénéfice pour le déploiement d’une www.internetsociety.org 6 nouvelle application ou d’un nouveau service dans des régions spécifiques aurait pour effet de congeler les types d’innovation attendus par les utilisateurs de l’époque moderne des communications. Cela pourrait signifier que les destinations les plus isolées – et les pays qui développent encore leur infrastructure – seraient affectées de manière négative parce que certains contenus pourraient leur être simplement inaccessibles. De même, les petits fournisseurs de contenu pourraient constater que le coût de lancer un contenu en ligne pour atteindre une audience globale est très élevé. Donc, un modèle réseau-expéditeur-payeur pourrait mener à la fragmentation internationale et régionale du réseau en régions à bas prix et riches en contenu et en régions à haut prix et pauvres en contenu. Le modèle réseau-expéditeur-payeur pourrait donc renforcer et empirer considérablement la « fracture numérique » existante, avec le potentiel d’isoler certains pays en développement à cause de coûts prohibitifs. De plus, ces propositions ne semblent pas avoir évalué la possibilité et les conséquences de l’importation dans Internet des programmes de compensation, arnaques et arbitrage dont le modèle de fonctionnement traditionnel des télécommunications est la proie. Nous pensons que les conséquences pourraient aggraver les défis économiques, creuser la fracture numérique et empirer l’incertitude économique. Finalement, parce qu’il existe des myriades de manières d’implémenter la provision de Règlements internationaux des télécommunications gouvernant les accords d’interconnexion d’Internet à travers les 193 pays membres de l’UIT, cette infrastructure proposée risque d’imposer un tsunami de lois et règlements incohérents, imprévisibles et potentiellement impraticables à un marché global d’Internet qui fonctionne aujourd’hui précisément grâce au fait que des milliers de réseaux s’interconnectent au moyen d’accords informels et de normes ouvertes facilitant cette interconnexion. Le modèle réseauexpéditeur-payeur pourrait donc renforcer et empirer considérablement la « fracture numérique » existante. www.internetsociety.org Réseaux de livraison de contenu Des études récentes [IXP] [UNESCO] ont montré le lien entre la croissance économique et le développement de l’infrastructure et du contenu local. Une tendance récente dans l’architecture des réseaux est de rendre le contenu disponible localement, en général au moyen d’un système quelconque de duplication et de distribution de contenu comme le Réseau de distribution de contenus (CDN) (voir Figure 3). Ce modèle s’est révélé bénéfique pour réduire la nécessité de transmission et retransmission de contenu sur des liens à grande distance onéreux. Les CDN améliorent également la performance des applications en raison de la réduction du temps de latence dans la transmission. 7 Figure 3 : Réseau de distribution de contenus (avec l’aimable autorisation d’Analysys Mason) Une conséquence particulièrement néfaste du régime d’acquittement du modèle réseauexpéditeur-payeur est le fait qu’il peut créer des démotivations financières pour l’investissement par les réseaux dans l’équipement de réseau requis pour la mémoire cache locale de contenu. 2 Avec un modèle réseau-expéditeur-payeur, l’ISP final peut maximiser les revenus découlant du trafic acheminé de manière inefficace mais ayant un volume entrant plus élevé. En conséquence, les fournisseurs de contenu peuvent être encouragés à filtrer les destinations isolées à tarifs élevés. Ceci mènerait à un cercle vicieux qui paralyserait le développement de réseaux dans les pays en développement où la nécessité d’investissement dans une meilleure connectivité et plus de contenu local est la plus forte. Si nous imaginons un monde dans lequel un régime réseau-expéditeur-payeur est en place, les réseaux dans lesquels les serveurs de contenu Internet sont les plus fréquents auraient à payer des frais d’acquittement aux réseaux dans lesquels ces serveurs sont moins fréquents. Dans la pratique ceci diminuerait les incitations à construire une infrastructure locale ce qui réduirait le volume de trafic entrant et les revenus qui en découlent. Nous pensons que cela produirait un résultat très négatif pour la santé du développement des réseaux et la croissance du secteur des communications... Comme nous l’avons déjà identifié, il n’y a aujourd’hui aucune règle dans le marché d’interconnexion d’Internet qui empêche les opérateurs d’Internet de négocier des accords commerciaux dans le but d’assurer une compensation équitable pour les services rendus. En définissant les termes de négociation pour l’interconnexion Internet dans le traité lui-même, le régime réseau-expéditeur-payeur réduirait en fait les options de négociation disponibles, éliminerait la flexibilité et diminuerait la diversité du marché de l’interconnexion d’Internet. Nous pensons que cela constituerait un résultat très négatif pour la santé du développement des réseaux et la croissance du secteur des communications, sans compter les défis techniques qu’il faudrait surmonter afin d’implémenter de tels changements. Le trafic Internet est d’un caractère fondamentalement différent du trafic de téléphonie commuté par circuit et une tentative d’installer le régime de comptabilité du monde de la téléphonie à Internet est, à notre avis, incompatible avec la nature de l’interconnectivité d’Internet et avec l’efficacité inhérente aux arrangements 2 Remarque : un cache est un serveur de réseau dédié qui stocke les contenus Internet (par ex., les pages Web ou les contenus vidéos) sélectionnés par les utilisateurs afin de répondre plus rapidement aux demandes futures pour les mêmes données. La première fois qu’un utilisateur demande un contenu, comme par exemple une vidéo sur YouTube, celle-ci est acheminée depuis le serveur international vers l’internaute, et, en même temps, il est stocké dans le cache local – les futurs utilisateurs seront donc servis à partir du cache, ce qui permettra de faire des économies sur le coût et le temps de latence lors de l’accès au serveur international. www.internetsociety.org 8 commerciaux existants. Donc, nous pensons qu’il n’y a aucun avantage à incorporer un régime d’acquittement réseau-expéditeur-payeur dans les textes des Règlements internationaux des télécommunications. Service Internet du meilleur effort Comme nous l’avons mentionné plus haut, Internet dépend du concept de livraison des paquets au meilleur effort. Ceci implique qu’il n’y a aucune garantie pour des considérations telles que le temps de latence et la perte de paquets. Cela ne veut pas dire qu’un réseau individuel qui fait partie d’Internet n’est ni conçu ni géré pour atteindre des objectifs de performance. Comme un réseau de réseaux, les réseaux individuels qui comprennent Internet acceptent de faire de leur mieux pour échanger, acheminer et livrer les paquets qui leur sont présentés étant données les ressources disponibles. Lorsque les ressources sont saturées, des paquets sont abandonnés, et les hôtes terminaux traitent les paquets abandonnés comme un signal pour envoyer moins de données de manière à empêcher un effondrement dû à la congestion du réseau. Pour la plupart des applications, l’abandon de paquets n’est pas un problème parce qu’ils peuvent être simplement renvoyés avec pas ou peu de conséquences. Par exemple, si un utilisateur envoie un e-mail qui a « perdu » des paquets en route, les systèmes se le signalent mutuellement et « s’auto-guérissent », c’est-à-dire que les paquets sont renvoyés. Concrètement, cela pourrait signifier que la livraison d’un e-mail prend plus de temps qu’avant (à cause du besoin de renvoyer certains paquets), mais en pratique cela se fait automatiquement sans aucune action de la part de l’utilisateur. Bien que les clients tolèrent une baisse de la qualité en échange de meilleurs tarifs, il a été dit que la livraison de paquets au meilleur effort est insuffisante pour les applications sans souplesse qui ont un faible niveau de tolérance pour la perte de paquets ou pour un temps de latence long ou variable. Les exemples de telles applications comprennent la téléphonie par Internet, les conférences vidéo, et le streaming audio et vidéo. Cependant, nous avons vu au fil du temps des avances considérables dans la qualité des réseaux avec l’augmentation de la bande passante et les nouvelles technologies de réseau à accès « bande large » ont été déployées. Nous avons aussi appris que beaucoup de ces applications inélastiques marchent en fait raisonnablement bien sur un réseau au meilleur effort [RFC5290]. En même temps, un certain nombre de ces applications ou services a été fourni sur des réseaux IP gérés et privés, avec QDS activée, qui utilisent la même technologie IP qui sous-tend Internet, mais qui ne sont pas interconnectés avec Internet. Ces services, connus sous le nom de « Internet premium services », se sont avérés onéreux à la fois pour la mise en place et la gestion. Le manque de garanties de QDS de bout en bout sur Internet peut être considéré comme une caractéristique positive – diverses applications peuvent être prises en charge sans les dépenses et la complexité de gestion supplémentaires. En outre, les options de gestion de réseaux deviennent de plus en plus sophistiquées. Il n’y a aucun obstacle technique qui empêche un opérateur de réseau d’utiliser les mécanismes de Qualité de service (QDS) pour implémenter différentes classes de service à l’intérieur de son 3 réseau aujourd’hui. En vérité, cette technologie est standardisée, implémentée et déployée dans des environnements de réseautage fermés depuis de nombreuses années. Le défi lorsqu’il s’agit de reproduire cette expérience sur Internet vient du fait qu’il faut tenter de déployer les mécanismes QDS dans une topologie inter-fournisseurs où se trouvent de nombreux acteurs différents, comme illustré dans la Figure 4 et la Figure 5 ci-dessous. [Huston] [QoSFiction]. 3 Les principes de l’Internet Society en matière de gestion des réseaux et de l’utilisation ouverte d’Internet peuvent se trouver ici : http://www.internetsociety.org/open-inter-networking-getting-fundamentals-right-access-choice-and-transparency www.internetsociety.org 9 AS3356 AS3561 AS38229 AS9329 AS1273 AS2497 AS3491 AS1668 AS3257 AS3549 AS6762 AS1239 AS6453 AS174 AS1299 AS7018 AS6939 AS6461 AS2914 AS701 Figure 4 : Complexité de l’Interconnexion (avec l’aimable autorisation de Hurricane Electric) : Dans la pratique, les arrangements d’interconnexion peuvent être extrêmement complexes. Le premier exemple montre une relation IP (transit ou appairage) Sri Lanka Education & Research Network (Réseau d’éducation et de recherche du Sri Lanka), NREN le 19 juillet 2012 (http://bgp.he.net/AS38229). Les lignes rouges indiquent les relations de transit ; les lignes vertes indiquent les relations d’appairage. AS209 AS5511 AS701 AS12956 AS174 AS1239 AS3561 AS4755 AS2914 AS7018 AS6453 AS1299 AS9829 AS6939 AS3356 AS3257 AS1273 AS3549 AS1668 AS18101 AS15412 AS6461 AS6762 AS2497 AS3320 Figure 5 : Complexité de l’Interconnexion (avec l’aimable autorisation de Hurricane Electric) : Dans la pratique, les arrangements d’interconnexion peuvent être extrêmement complexes. Cet exemple montre les relations IP (transit ou appairage) pour Bharat Sanchar Nigam Ltd en Inde le 19 juillet 2012 (http://bgp.he.net/AS9829). Les lignes rouges indiquent les relations de transit ; les lignes vertes indiquent les relations d’appairage. www.internetsociety.org 10 La clé est de continuer à permettre à Internet d’évoluer en réponse aux changements de la technologie, à l’innovation et aux changements des tendances des utilisateurs. Les Règlements internationaux des télécommunicatio ns ne sont pas le bon véhicule pour refaire l’architecture et la définition des interconnexions d’Internet. Fournir un service « premium » basé sur des objectifs de performance de bout en bout exigerait des garanties de fournisseurs multilatéraux la livraison des bénéfices aux utilisateurs. De telles garanties ne sont pas une caractéristique générale d’Internet aujourd’hui en raison de la difficulté de conclure un accord sur les paramètres QDS entre un si grand nombre de fournisseurs et de l’énorme complexité des mécanismes techniques impliqués. Alors qu’une adaptabilité, une flexibilité et une robustesse incroyables constituent le cœur d’Internet, il évolue par phases à mesure que les opérateurs individuels prennent des décisions commerciales individuelles (voir la Figure 5 ci-dessus). La clé est de continuer à permettre à Internet d’évoluer en réponse aux changements de la technologie, à l’innovation et aux changements des tendances des utilisateurs. Si les clients exigent la QDS, les divers acteurs qui construisent et exploitent Internet ont prouvé qu’ils peuvent répondre sans avoir besoin de la permission ou du règlement d’un gouvernement global. Étant donnés les complexités actuelles et les défis techniques sous-jacents de la livraison de la QDS sur Internet, il nous semble qu’imposer des obligations de service « premium » à tous les opérateurs de réseaux au moyen de règlements internationaux comporte un sérieux risque d’introduire d’énormes inefficacités en matière de coût dans le secteur des communications sans un bénéfice clairement identifié pour les utilisateurs d’Internet. C’est pourquoi il est critique que ces changements se produisent de manière à permettre aux décisions techniques et de gestion de réseaux d’être prises par les entités qui exploitent ces réseaux, et en réponse à la demande des utilisateurs dans un environnement commercial, et non au moyen d’une intervention globale et sans précédent des gouvernements. De ce point de vue, l’introduction dans les Règlements internationaux des télécommunications de textes relatifs aux mécanismes de livraison de qualité de service de bout en bout est hautement indésirable et pourrait avoir de sérieuses conséquences involontaires pour le développement d’opérateurs économiques qui essayent de déployer des réseaux au meilleur prix. Conclusion Internet se compose de plus de 40 000 réseaux échangeant sur plus de 425 000 routes globalement uniques, avec 2,2 milliards d’utilisateurs et 500 000 nouveaux utilisateurs chaque jour 45. Avec 600 millions de sites Web 6 et plus de 600 milliards de dollars de commerce électronique annuel, nous vivons dans un monde où vous pouvez trouver une masse d’informations sans précédent. 7 En 20 ans à peine, Internet est devenu essentiel à la fois pour la production économique de nombreux pays et pour la vie quotidienne de milliards de gens, et notez que toute cette croissance extraordinaire s’est produite avec la gouvernance d’Internet dans les mains de ceux qui en sont les propriétaires, le gèrent, le développent et l’utilisent, par l’intermédiaire de nombreux groupes de parties prenantes multiples. Nous ne voyons aucune preuve ou analyse suffisante pour démontrer que l’autorisation du déploiement d’un mécanisme de livraison d’une qualité de service de bout en bout résulterait en un quelconque bénéfice net pour les consommateurs ou l’économie. Des mécanismes techniques existent pour permettre aux opérateurs qui sont en mesure d’établir un argument commercial pour un déploiement QDS de le faire. Un traité intergouvernemental comme les Règlements internationaux des télécommunications n’est donc pas le bon véhicule pour codifier ou imposer des modèles ou technologies commerciaux, particulièrement ceux qui entrainent le risque de fragmenter les réseaux ou de pénaliser les pays qui demandent des contenus que certains réseaux refusent de livrer. Les Règlements internationaux des télécommunications ne sont simplement pas le bon véhicule pour tenter de refaire l’architecture et de redéfinir l’interconnexion d’Internet. Les décideurs politiques, 4 potaroo.net internetworldstats.com netcraft.com 7 JP Morgan, 2009 5 6 www.internetsociety.org 11 en collaboration avec leurs parties prenantes d’Internet, devraient plutôt se concentrer sur le développement d’infrastructures politiques appropriées qui favorisent la compétition et soutiennent la croissance continue et l’évolution d’Internet dans leurs pays. Ceci permet aux pays d’établir des politiques qui reflètent les conditions locales des marchés plutôt que d’imposer une approche réglementaire globale, la même pour tout le monde, qui pourrait avoir de vastes conséquences involontaires. Références [ITU] Recommendation ITU-T D.50 – Supplement 1: General considerations for traffic measurement and options for international internet connectivity PCH] Woodcock, B., et V. 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Gilmore, "The Growing Complexity of Internet Interconnection", Communications & Strategies, numéro 72, 4e trimestre 2008 Internet Society 1775 Wiehle Avenue, Suite 201 Reston, VA 20190-5108 U.S.A Tél. : +1-703-439-2120 Fax : +1-703-326-9881 Galerie Jean-Malbuisson 15 CH-1204 Genève Suisse Tél. : +41 22 807 1444 Fax : +41 22 807 1445 e-mail : [email protected] http://www.internetsociety.org www.internetsociety.org bp-interconnectionproposals-201208-fr À propos de l’Internet Society L’Internet Society (ISOC) est une organisation à but non lucratif qui a été fondée en 1992 pour assurer le leadership dans les domaines des normes, de l'éducation et des politiques liées à Internet. Avec des bureaux à Washington D.C., à Genève et dans 10 autres pays, l’Internet Society se consacre au développement, à l’évolution et à l’utilisation ouverts d’Internet dans l’intérêt des personnes du monde entier. L'Internet Society est la base organisatrice du Groupe de travail en ingénierie Internet ou l’Internet Engineering Task Force (IETF), le premier organisme de normalisation technique d'Internet. 12