Régime de l`indemnité d`éviction

Transcription

Régime de l`indemnité d`éviction
DOSSIER DU MOIS
Lorsqu’un bail commercial arrive à expiration, le locataire a droit
à son renouvellement sauf si le bailleur lui donne congé avec
refus de renouvellement. Dans ce cas, il bénéficie, sauf
exceptions, d’une indemnité d’éviction.
Régime de l’indemnité d’éviction
Le statut des baux commerciaux se
caractérise principalement par le droit
qu’il confère au locataire d’obtenir le
renouvellement du bail à son terme. Le
propriétaire des locaux conserve néanmoins la faculté de refuser ce renouvellement, mais il doit alors, sauf exceptions,
verser au locataire une indemnité d’éviction, conformément aux dispositions de
l’article L 145-14, al. 1 du Code de commerce. Le régime de l’indemnité d’éviction est ainsi organisé de manière à
réparer le préjudice que lui cause le
défaut de renouvellement du contrat.
L’indemnité d’éviction
comporte un principal
et des accessoires
Modalités de calcul
L’indemnité d’éviction est constituée
d’une indemnité principale et d’indemnités accessoires.
L’indemnité principale correspond soit à
la perte du fonds de commerce, soit à la
valeur du droit au bail, selon que l’éviction entraîne la disparition du fonds de
commerce ou seulement son transfert.
Le premier cas de figure vise l’éviction
entraînant la perte de la clientèle attaché
au fonds soit parce que le locataire ne se
réinstalle pas, soit parce que ce dernier
14 L A LET TRE MENSUELLE DES AFFAIRES
ne peut se réinstaller à proximité des
locaux évincés. Dans ce cas, l’indemnité
dite de « remplacement » est calculée de
sorte qu’elle corresponde à la valeur du
fonds.
Les méthodes de valorisation employées
sont diverses : elles se fondent en
général sur le chiffre d’affaires et la rentabilité du fonds de commerce.
Une de ces méthodes s’appuie sur le
chiffre d’affaires moyen des trois derniers
exercices, généralement hors taxes,
auquel on applique un coefficient de 40
à 80 % selon l’activité. Mais cette
méthode présente l’inconvénient de ne
pas tenir compte de la rentabilité du
fonds de commerce.
Une autre méthode permet au contraire
d’intégrer ce paramètre : elle consiste à
déterminer l’excédent brut d’exploitation
(EBE) moyen des trois dernières années,
le cas échéant corrigé (par exemple en
réintégrant la part de la rémunération
des dirigeants excédant une rémunération « normale »), et à lui appliquer un
coefficient variant de 3 à 8 selon l’activité du fonds.
Quoi qu’il en soit, il est de jurisprudence
constante que la valeur du fonds de
commerce ne peut être inférieure à celle
du droit au bail traité ci-après.
Dans le second cas de figure, il n’y a pas
de perte du fonds de commerce car
celui-ci peut être transféré soit à
­ roximité, soit dans un nouveau secteur
p
sans perte de la clientèle compte tenu de
la notoriété du locataire ou de la spécificité de son activité. L’indemnité versée
(dite de « déplacement » ou de « transfert ») correspond alors à la valeur du
droit au bail.
L’indemnité principale est assortie d’indemnités dites accessoires.
Au rang de ces indemnités, vient l’indemnité de remploi : elle vise à couvrir les
frais d’acquisition d’un nouveau fonds de
commerce ou d’un nouveau droit au bail
(droits d’enregistrement, par exemple).
Cette indemnité correspond à un pourcentage de l’indemnité principale.
A cette indemnité peut s’ajouter une
indemnisation pour perte sur stock, une
indemnité pour trouble commercial à
titre de réparation du préjudice subi par
le locataire au cours de la période de
déménagement et de réinstallation ou
d’arrêt de l’exploitation (son montant
équivaut en général à trois mois d’EBE).
Les frais de licenciement du personnel
attaché au fonds sont indemnisables,
ainsi que les frais liés au changement
d’adresse tels que les formalités à
accomplir auprès du RCS par exemple
(radiation, etc.).
En cas de transfert du fonds, l’indemnité
principale est majorée d’une indemnité
pour frais de déménagement et de réinstallation (frais d’équipement ou d’aménagement des nouveaux locaux).
Le locataire peut aussi prétendre à une
indemnité de double loyer lorsqu’il doit
supporter deux loyers pendant la période
transitoire de déménagement et de réinstallation.
Le non-renouvellement
du bail peut être dommageable
pour le locataire
Pour apprécier le montant de ces
diverses indemnités principales et accessoires, il convient de se placer à la date
la plus proche de l’éviction du locataire.
Modalités de fixation
Dans le meilleur des cas, les parties sont
d’accord sur le montant de l’indemnité
d’éviction.
Conditions du droit
au renouvellement
Pour bénéficier du droit au renouvellement de son bail, le
locataire doit remplir, entre autres, les conditions suivantes :
être propriétaire du fonds de commerce et avoir exploité
celui-ci de manière effective au cours des trois années précédant la fin du bail. A défaut, il doit pouvoir justifier de
motifs légitimes de non-exploitation.
A noter que la condition tenant à la nationalité française du
locataire (C. com. art. L 145-13) a été jugée discriminatoire
par la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 9 novembre 2011
n° 10-30.291).
N° 309 - MARS 2013 15
DOSSIER DU MOIS
A défaut, elles doivent saisir le tribunal
de grande instance qui généralement
désignera un expert judiciaire à l’effet de
procéder à l’évaluation de cette indemnité, mais aussi de l’indemnité d’occupation des locaux que le bailleur est en
droit d’exiger pour le temps que le locataire y reste à partir de la fin du bail.
De fait, en cas de maintien de ce dernier
dans les lieux, il doit au bailleur une
Après avoir perçu
l’indemnité, le locataire
a trois mois
pour libérer les locaux
indemnité d’occupation qui correspond
généralement à la valeur locative de
renouvellement du bail, déduction faite
d’un abattement de précarité dont le taux
varie de 10 à 20 %.
Le locataire a droit au maintien dans les
lieux jusqu’au versement de l’indemnité
d’éviction.
Il peut toutefois partir à tout moment
sans préavis à compter de la date d’effet
du congé : ce départ ne lui fait aucunement perdre son droit à indemnisation.
Modalités pratiques
Après avoir perçu l’indemnité d’éviction,
le locataire dispose de trois mois pour
quitter les lieux.
Concernant les modalités de règlement
de l’indemnité, celle-ci peut être versée
au locataire directement ou entre les
mains d’un séquestre, auquel cas le
délai de trois mois visé ci-dessus ne
commence à courir qu’à partir de la notification au locataire du versement de
l’indemnité au séquestre.
16 L A LET TRE MENSUELLE DES AFFAIRES
Le séquestre ne se libérera de l’indemnité entre les mains du locataire que
lorsque ce dernier aura justifié auprès de
lui qu’il a bien quitté les locaux, s’est
acquitté des impôts, loyers et réparations
locatives et qu’aucun créancier n’a formé
d’opposition.
Lorsque le locataire ne libère pas les
lieux au terme du délai de 3 mois, après
avoir été mis en demeure, le séquestre
applique une pénalité de 1 % par jour de
retard sur le montant de l’indemnité et la
reverse au propriétaire.
Droit de repentir
Un droit de repentir est prévu par la loi
au profit du bailleur : celui-ci peut
renoncer à payer l’indemnité d’éviction
en revenant sur sa décision de nonrenouvellement du bail. Il peut exercer
cette faculté jusqu’à l’expiration d’un
délai de quinze jours à compter de la
date à laquelle la décision arrêtant le
montant de l’indemnité est passée en
force de chose jugée.
A défaut de précision légale sur le formalisme que doit respecter le droit de
repentir, il est plus prudent pour le bailleur de le notifier au locataire au moyen
d’un acte extrajudiciaire. La mise en
œuvre de ce droit suppose que le locataire soit toujours dans les locaux, et
n’en ait pas pris de nouveaux (location
ou achat) afin d’y poursuivre son activité.
Le bailleur qui exerce son droit de
repentir doit prendre à sa charge les frais
de procédure.
Cas de refus de renouvellement
du bail sans indemnité
d’éviction
L’article L 145-17, I du Code de commerce prévoit deux cas dans lesquels
le bailleur peut refuser de renouveler le
bail sans avoir à payer d’indemnité
­d’éviction  :
–l’existence d’un motif grave et légitime
à l’encontre du locataire.
Il en est ainsi lorsque le locataire n’a
pas rempli une des conditions exigées
par le statut des baux commerciaux
(défaut d’inscription au registre du
commerce et des sociétés, défaut
d’exploitation pendant une durée minimale de 3 ans…) ou a manqué à ses
obligations contractuelles, statutaires
ou extracontractuelles, un mois après
l’envoi d’une mise en demeure par
A défaut d’accord
entre le bailleur
et le locataire,
l’indemnité d’éviction
est généralement
fixée après une
expertise judiciaire.
acte extrajudiciaire de s’exécuter. Dans
la seconde hypothèse, l’appréciation
de l’existence d’un tel motif relève du
pouvoir souverain du juge. Il ressort
ainsi de la jurisprudence que le fait
pour le locataire de ne pas avoir procédé aux réparations lui incombant ou
au paiement des loyers constitue un
tel motif.
–l’état insalubre ou dangereux des
locaux loués.
Le bailleur n’est pas tenu au paiement
de l’indemnité s’il peut établir que
l’immeuble doit être totalement ou
partiellement démoli au vu de son état
d’insalubrité reconnue par l’autorité
administrative ou qu’il ne peut plus
être occupé sans danger en raison de
son état. En cas de reconstruction de
l’immeuble, le locataire bénéficie
néanmoins d’un droit de priorité pour
y louer des locaux dans la limite d’une
superficie équivalente à celle précédemment louée.
Enfin, il convient de citer le droit de
reprise du bailleur qui lui permet également en fin de bail de récupérer, en vue
d’y habiter lui-même ou d'y loger sa
famille, des locaux d’habitation accessoires aux locaux commerciaux sans
avoir à s’acquitter de l’indemnité d’éviction. Encore faut-il que les locaux en
question ne soient pas indispensables à
l’exploitation commerciale du locataire et
soient isolables des locaux commerciaux.
Le bailleur dispose également d’un droit
de reprise lorsque les locaux d’habitation
sont inutilisés et à condition de les
remettre sur le marché locatif.
Cet article a été rédigé en collaboration
avec Sébastien Legrix de La Salle, Avocat,
Cabinet DS Avocats.
Formalisme du congé
Le bailleur doit donner congé au locataire par acte extra­
judiciaire. Le congé doit contenir à peine de nullité soit une
offre d’indemnité d’éviction sans que le montant n’ait à être
précisé, soit un refus d’indemnité d’éviction suffisamment
motivé. L’acte doit en outre indiquer que si le locataire
­souhaite contester le congé ou demander une indemnité
d’éviction, il doit saisir le tribunal dans un délai de deux ans
à compter de la date d’effet du congé.
N° 309 - MARS 2013 17