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2. Matière, matériel, matérialité dans les films de
2. Matière, matériel, matérialité dans les films de Gunvor Nelson
2. Matière, matériel,
matérialité dans les
films de Gunvor
Nelson
Julie Savelli
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2. Matière, matériel, matérialité dans les films de Gunvor Nelson
Matière, matériel, matérialité dans les films de Gunvor Nelson
« Le flash, les couleurs qui filent comme des poissons sur la nappe d'eau où je les mets, voilà ce que
j'aime dans l'aquarelle. Le petit tas colorant qui se désamoncelle en infimes particules, ces passages
et non l'arrêt final, le tableau. En somme c'est le cinéma que j'apprécie le plus dans la peinture. » [1]
L'artiste américano-suédoise Gunvor Nelson compte parmi les cinéastes expérimentaux les plus
importants de sa génération. Ses films ont considérablement influencé le New American Cinema
dans les années soixante, tant par leurs thématiques (la femme, le corps, la mémoire...) que par leur
recherche formelle. Aujourd'hui âgée de plus de quatre-vingts ans, Gunvor Nelson continue de
filmer, élaborant une œuvre personnelle et poétique.
Ce cinéma déterminant a fait l'objet de prestigieuses rétrospectives en Europe et aux Etats-Unis notamment au MoMA à New York en 2006 - mais il n'en demeure pas moins secret, dans la tradition
non commerciale de l'underground [2]. C'est sans doute aussi sa très grande diversité qui empêche
cette œuvre d'être facilement appréhendée car il n'existe pas véritablement de style Nelsonien.
Depuis 1966, de la pellicule au numérique, Gunvor Nelson a réalisé vingt-six films de longueurs
variées [3] tournant aux États-Unis et en Suède. Son cinéma a démultiplié les modes de visibilité, en
salle comme au musée, et témoigne sur un demi-siècle de l'évolution des supports et des pratiques.
Il est certes possible, dans cette œuvre hétérogène, de distinguer différentes périodes caractérisées
par un thème commun ou par l'utilisation d'une technique spécifique, mais il n'empêche que chaque
film, autonome, demeure une expérience en soi. Car ce cinéma expérimental est d'abord «
personnel » [4], terme employé par la cinéaste pour qualifier son travail. Personnel au sens où
chaque film explore un rapport singulier au monde par une recherche qui lui est propre, pouvant
alors être considéré comme un recommencement ou une renaissance [5] dans l'œuvre.
Si le cinéma de Gunvor Nelson doit nécessairement être replacé dans le contexte historique et
esthétique du film expérimental auquel il appartient [6], ce n'est pas ici notre objet. Cet essai
s'intéresse à l'esthétique [7] matérielle qui anime une conscience créatrice à l'œuvre dans le temps.
Gunvor Nelson est cinéaste mais aussi peintre et photographe, ce qui explique peut-être la proximité
que son cinéma entretient naturellement avec les arts plastiques et l'espace du musée dans lequel il
s'expose [8] volontiers. Mais aussi cette attention particulière qu'elle porte au matériau, au matériel et
à la matérialité dans tous ses films et qui constitue l'architecture de l'œuvre et de sa réception. La
spécificité de ce cinéma réside bien dans la transformation explicite du matériau ou ce que l'on
pourrait appeler une esthétique de la matérialité.
Nous proposons de nous intéresser à cette conscience matérielle dans les films de Gunvor Nelson,
et plus précisément à la technique du collage qui porte la question poïétique à l'écran. Nous
étudierons pour ce faire trois formes de collage utilisées dans l'élaboration de la réalité filmée à
différentes périodes de l'œuvre : un collage haptique [9], un collage cognitif et enfin un décollage
imaginaire.
Toucher-coller. La main au travail
Dans la série de films tournée en 16 mm au Filmworkshop de Stockholm - Frame Line (1983, 22'),
Light Years (1987, 28'), Light Years Expanding (1988, 25'), Field Study #2 (1988, 8') - Gunvor Nelson
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interroge son rapport à la fois joyeux et mélancolique à la Suède, pays natal qu'elle a quitté dans les
années cinquante pour s'installer aux États-Unis. À pied d'œuvre, la cinéaste manipule le matériau
comme dans une sorte d'action-filming utilisant différentes techniques de collage pour mettre en
dialogue les couches d'images - à l'intérieur du plan mais aussi dans le film par un montage cut et
des superpositions récurrentes. Elle a recours à toutes sortes de procédés pour couvrir, recouvrir,
superposer les couches d'images sur un support préexistant - photographie, carte postale, prise de
vue réelle. Elle peint par exemple en transparence sur une plaque en verre, dessine et colle des
morceaux de papier dans l'image, tout cela en animation directe sous la caméra en même temps
qu'elle filme. Peu importe le support et la méthode, le processus de recouvrement reste quant à lui le
même : faire et refaire, indéfiniment, en même temps que le matériau continue de se transformer
sous nos yeux jusqu'à s'y perdre. La question sous-jacente du toucher vient alors comme un relais
de l'œil.
Frame Line
Frame Line, le premier des films de cette série, s'ouvre sur des mains plongées dans une pâte
blanche dont la texture souple laisse penser qu'il s'agit de peinture. Mains qui réapparaîtront en bord
cadre ou encore filmées en très gros plan au cours du film. Sans doute est-ce une manière de
rappeler le programme ici mis en œuvre : malaxer, pétrir, faire monter la pâte de la réalité, quelle
qu'elle soit. Le corps de la cinéaste est donc soumis au même traitement plastique que les autres
matériaux. Gunvor Nelson entre à plusieurs reprises dans le film, pausant brièvement devant la
caméra. Le corps est saisi par morceaux (la main, le visage, et plus loin un pied), appréhendé selon
le principe du montage [10]. À aucun moment nous ne verrons ce corps en entier. Il n'y a donc pas
de totalité première. Le corps n'est pas représenté dans son ensemble, il est touché dans ses parties
distinctes, perçu en quelque sorte de l'intérieur. La cinéaste se montre en même temps qu'elle se
dissimule : le visage flashé par la surexposition ou inversement masqué par un bonnet de laine noire
- la peau est une surface sensible. Le corps demeure donc in-visible, il se dérobe explicitement à son
enveloppe et devient un matériau concret à travailler pour lui-même. Détaché du personnage et d'un
possible romanesque, il a pris son indépendance, s'est vidé de sa substance « psychologique ».
L'auteur s'incarne alors plastiquement : son corps porte l'empreinte du projet et trouve naturellement
place dans le grand collage animé du film. Le traitement des corps, quels qu'ils soient, renvoie donc
au travail matériel de la cinéaste. Le cache, technique explicitement utilisée pour filmer le visage
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comme le paysage, rappelle bien que le cadre est un cache mobile selon la formule d'André Bazin.
Ainsi la cinéaste manipule très consciemment les pièces d'un puzzle devant l'objectif tandis qu'elle
filme Stockholm. Impossible alors d'oublier la caméra et son action dans le film qui nous apparaît
bien comme une matière rêvée dont les règles du jeu sont fixées par Gunvor Nelson. Cette façon de
voir et de filmer le monde privilégie la sensation immédiate aux dépens d'une compréhension qui se
voudrait globale. L'expérience est ici perceptive.
Puis, les mains et le corps disparaissent complètement dans les films de la série. La matière et le
matériel sont les seuls acteurs à l'écran. Light Years Expanding, troisième film de collage, s'ouvre
sur un pinceau en action. Le travail du matériau est mis en scène avec une distance maîtrisée, à
mi-chemin entre le trivial et le sacré de sorte que la matière semble animée d'une vie propre. Des
tâches de peinture apparaissent et disparaissent sous nos yeux, certains plans sont « bruités »
(chants, cris, sons archaïques, sifflets), le montage s'agite à une vitesse effrayante dans un désordre
d'images... Seuls les outils et le matériel de l'artiste sont visibles dans le plan (caméra, pinceaux,
crayons, ciseaux, peinture) et non plus la personne. S'il s'agit ici de laisser la matière respirer, ce film
de collage n'en est pas moins habité par la figure de la main, invisible et pourtant sensible. Il rejoue
en quelque sorte la scène primitive de la main négative où l'homme dessine sur le mur de la grotte la
trace de sa main absente [11]. La sensation tactile ne se donne qu'en creux : dans l'intervalle entre
chaque image vue, on imagine la main de la cinéaste à l'œuvre. Le film est alors constitué des traces
laissées par ces mains invisibles comme en témoignent les manipulations explicites du matériau à la
prise de vue et au montage. Cette histoire que le film porte en lui demeure volontairement
inachevée. Les ratés, les impuretés du matériau, les flous et les multiples superpositions, participent
à la résistance de cette matière que la cinéaste semble vouloir laisser agir par elle-même.
La performance artistique prend matériellement forme dans les films de cette série qui garde la
mémoire de sa mise en œuvre et véhicule un peu de la personne qui l'a engendré. Comme si la
cinéaste travaillait encore à son achèvement dans une sorte de création-recherche où il s'agirait de
penser le cinéma en même temps que de le faire. La conscience tactile s'exprime ici dans une
relation déictique à l'image. Les empreintes physiques de la cinéaste sont autant de marqueurs
spatiaux-temporels renvoyant à l'élaboration du film. Le corps à la fois visible et invisible de la
cinéaste, ses mains fantômes, ont laissé les marques conscientes de leurs passages sur l'image et
le son. Et la matière s'en trouve exaltée comme dans une vision mentale, mise en relation avec
l'esprit d'où elle provient. Un esprit matériel, sensuel et concret, habité par des inspirations oniriques,
à la frontière du quotidien et du symbolique.
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Couper-coller. Penser le monde à vue
Le cinéma de Gunvor Nelson est animé par une forme sauvage de la pensée. Claude Lévi-Strauss
définit cette « pensée sauvage » ou « mythique » [12] à la fois par une dévorante ambition
symbolique et par une attention scrupuleuse entièrement tournée vers le concret. Cette pensée se
distingue en ce qu'elle cherche à saisir le monde selon des combinaisons variées où chaque
élément, autonome, existe pour lui-même sans être complètement absorbé par le tout. Elle classifie,
multiplie les catégories et les oppose, établissant des règles de transformation de l'une à l'autre pour
appréhender l'univers. Dans l'œuvre de Gunvor Nelson, les images et les sons sont autant de
fragments disparates mis en dialogue selon un système personnel et complexe de significations, de
sorte qu'ils entretiennent de nouvelles relations et participent à une autre architecture du monde.
Gunvor Nelson « bricole », elle assemble sur le principe du patchwork des morceaux de son histoire
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(dessins, peintures, photographies, cartes postales, prises de vue et de son réelles) pour leur
(ré)découvrir du sens indépendamment de leurs ensembles respectifs, tels les chiffons de Walter
Benjamin [13]. Et le quotidien, qu'il soit familial, culturel ou social, devient le matériau concret d'un
travail exploratoire. La cinéaste crée de nouvelles correspondances qui participent à une pensée
poétique de la réalité.
My name is Oona
Dans le triptyque autobiographique qu'elle réalise entre 1969 et 1991 - My Name is Oona (1969, 10',
16mm), Red Shift (1984, 50', 16mm), Time Being (1991, 8', 16mm) - Gunvor Nelson repense
l'environnement quotidien pour creuser le familier et mettre ainsi en valeur son caractère
énigmatique, sa complexité. Les fragments arrachés au temps de la vie ordinaire sont autant de
parties distinctes qui se voient renouvellées par le collage sensible de la pensée.
Portrait court et intense, My Name is Oona s'ouvre sur le visage riant d'une enfant filmée en noir et
blanc, Oona, la fille de la cinéaste. Petit être constamment en mouvement, elle occupe
instinctivement l'espace argentique : une chorégraphie contrastée se déploie dans une série de
fragments brefs nous faisant éprouver ce corps d'enfant. La mosaïque de la pensée symbolique
s'opère ici par la surimpression des images qui crée d'autres images par transparence. La cinéaste
peint un double portrait, physique et psychique, révélant la puissance primitive d'Oona sur le mode
du palimpseste. Les longs cheveux blonds de la petite amazone se confondent avec la crinière de
l'animal qu'elle chevauche au ralenti. Le visage de l'enfant devient paysage. Le grain de sa peau se
confond avec celui de la pellicule. Cette métamorphose est achevée par le traitement de la voix,
d'abord légèrement réverbérée, puis violemment distordue. À la manière d'un jeu, Oona répète
inlassablement son prénom, égrène les jours de la semaine. La fillette ressent un plaisir certain dans
le rythme de l'énonciation mais la répétition lancinante renvoie aussi aux difficultés de
l'apprentissage et à la fonction autoritaire du langage. À cette redite des mots fait écho celles des
mouvements et des fondus au noir. Coupes et découpes viennent alors dire la différence de la
répétition dans le nouvel assemblage. Galopant avec grâce et assurance, Oona transcende sa
propre existence par l'évocation des cavalières de la mythologie nordique. Et le film se clôt sur un
chant scandinave, peut-être celui de la mère-cinéaste hors champ, vers laquelle l'enfant tend son
visage attentif.
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Gunvor Nelson explore à nouveau le monde de l'enfance en revenant sur les relations familiales
dans Red Shift. La cinéaste joue son propre rôle aux côtés de ses proches, notamment Oona et sa
mère. Le film se déroule dans un univers domestique et met en scène les contradictions propres aux
relations mère-fille : « She's my mother, but we're not related » dit Gunvor Nelson en même temps
qu'elle filme la peau ridée du visage maternel en très gros plan. Les corps et les choses, saisis par
bribes, sont juxtaposés dans le film. Le monde est incomplet, lacunaire, instable. Et pourtant ces
fragments existent pour eux-mêmes, entièrement, même s'ils sont séparés du tout. Gunvor Nelson
articule, relie les différentes parties les unes aux autres créant de nouvelles unités par son art du
montage. Le film flotte alors comme dans un rêve, gouverné par une autre dépendance. Nous
sommes bercés par les chuchotements des voix dont les mots s'entremêlent étrangement tandis que
par intermittence Gunvor Nelson lit les lettres de Calamity Jane à sa fille [14]. Le contrepoint sonore
est une constante dans ce travail de découpage et de relecture de la réalité. Gunvor Nelson cherche
à trouver d'autres correspondances pour dire la complexité du monde, pour défendre un rapport
libre, vivant, un rapport organique d'éloignement et de proximité entre l'image et le son. Cette
libération audio-visuelle [15] du récit est essentielle, elle traverse plus largement toute l'œuvre de la
cinéaste.
Plus tard, dans Time Being, la cinéaste décrira cette fois la disparition de sa mère par la juxtaposition
de trois longs plans fixes dans une chambre d'hôpital. La cinéaste se tient d'abord au plus près de la
bouche qui respire encore puis prend progressivement de la distance en même temps que la vie s'en
va, que le lien entre elles est coupé. Le coucher de soleil que l'on aperçoit par la fenêtre à la fin du
dernier plan est le fait d'un hasard magnifique. Comme toujours la cinéaste s'est laissée guidée par
le matériau au moment du filmage, étape décisive, à la fois minutieuse et intuitive, dans l'écriture du
film. Dans cette série de films de famille, chaque détail concret du quotidien est une révélation qui
participe à la dimension symbolique de la réalité filmée.
Ce caractère sauvage de la pensée a aussi une dimension clairement politique dans les films de
Gunvor Nelson. La cinéaste a conscience de vivre en cinéma et veut interroger, sous forme de clins
d'œil, de citations, de détournements, les images que produit la société. C'est une réalité sociale très
concrète qu'elle soulève dans son premier film, Schmeerguntz (Nelson & Wiley, 1966, 15', 16mm),
un classique du film d'avant-garde. Gunvor Nelson repense ici sa relation au monde dans une
approche féministe où l'expérimentation et le politique cohabitent avec humour au moyen d'un
découpage d'images de différentes natures qui, une fois assemblées les unes avec les autres,
dialoguent sur la base d'oppositions et de combinaisons diverses. La cinéaste, et sa co-réalisatrice
Dorothy Wiley, proposent une réflexion sur la place de la femme dans la société américaine à partir
d'un montage d'images télévisées (actualités, feuilletons, jeux), de publicités découpées dans des
magazines féminins et de plans crus tournés en noir et blanc - une femme vomit, enlève son tampon,
nettoie les fesses sales d'un nourrisson, récure un évier... Ce film de collage sans concession tourne
la société des années soixante en dérision, même si la plupart des images télévisées proviennent
pourtant d'un stock de pellicule qui date de la décennie précédente. Par leur travail de coupe et de
colle, les deux jeunes cinéastes repensent les images collectives de la société médiatique pour
mettre en lumière un décalage certain avec le quotidien de la femme dénonçant ainsi une inégalité
trop familière [16].
Gunvor Nelson se réapproprie le monde sous une forme primitive à travers un « bric à broc »
d'images et de sons, traces infimes d'événements extraits d'une histoire personnelle et pourtant bien
collective. En assemblant des fragments disparates, la cinéaste leur confère un caractère autre,
manifestant en eux, par l'acte de voir et celui de faire voir, un nouvel ensemble. La chose, dès lors
qu'elle est sacralisée par les moyens du cinéma, devient différente sans cesser toutefois d'être
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elle-même et de participer à son milieu environnant. Elle acquiert un caractère ontologique [17],
révèle sa dimension existentielle et donne à penser la poésie du monde.
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Décoller du réel. L'imaginaire du matériau
L'approche de Gunvor Nelson est transformative et non pas narrative ou seulement descriptive. Il
s'agit d'explorer les matériaux et les procédés spécifiques au cinéma - caméra, enregistrement,
pellicule, développement, montage, etc. - mais aussi de mettre le cinéma en relation avec les arts
plastiques pour créer d'autres formes, un nouveau mode d'expression audio-visuel qui va se révéler
au tournage puis au montage. L'exploration très concrète de la matière se double chez Gunvor
Nelson d'une dimension abstraite laquelle pénètre progressivement le film en même temps que le
matériau se transforme. Cette dynamique alternant le concret et l'abstrait véhicule un
questionnement esthétique simple portant sur la nature de l'image. Car une image n'est jamais juste
une image dans le cinéma de Gunvor Nelson. Elle est forcément manipulée, retravaillée, se révélant
être une image qui pense et se réfléchit en tant qu'objet. Le film interroge cette image en lui donnant
une texture, du rythme et de la profondeur. L'image est alors traversée par un « flux » [18], flux de
l'image et flux contenus dans l'image. Et le monde se métamorphose sous nos yeux par le biais d'un
voyage matériel dans l'image et le son, comme si Gunvor Nelson cherchait à saisir une autre réalité
dont la forme nouvelle se trouverait à l'intérieur même de la matière.
True to Life
Dans les années quatre-vingt-dix, Gunvor Nelson quitte les États-Unis, après y avoir vécu plus de
trente ans, pour retrouver la Suède. C'est à cette période charnière que s'opère le passage de la
pellicule à la vidéo, portant l'artiste vers un autre type de sujet et de récit qui serait l'exploration plus
abstraite, mais tout aussi matérielle, d'un geste ou d'une sensation. De la pellicule au numérique,
Gunvor Nelson continue d'explorer l'imaginaire du matériau avec une indéfinissable liberté qui tend à
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l'abstraction, celle de la matière pure.
Dans sa première vidéo, Tree-Line (1998, 8'), la cinéaste travaille avec très peu d'ingrédients. Elle
met en dialogue un train, les rails qui défilent (plans fournis avec le logiciel Première qu'elle apprend
alors à utiliser) et la photographie d'un arbre. La creative method [19] consiste à se laisser guider par
le matériau au moment du montage. La cinéaste trouve un sens, une règle et se livre à
l'expérimentation par un travail d'assemblage rigoureux et sensible. Le résultat est une expérience à
la fois physique et cérébrale. Nous sommes dans le wagon en même temps que nos yeux perçoivent
l'arbre par intermittence, entre deux battements de paupières. Puis l'alternance rapide des deux
images - le train et l'arbre - nous transporte ailleurs, laissant place, comme le ferait une
surimpression, à une troisième image qui s'exprime ici sous la forme de traits et de lignes. La vision
culmine avec l'orage qui vient mettre un terme à cette expérience de déréalisation progressive.
Avec Snowdrift (Snowstorm, 2001, 9'), second projet vidéo, tout commence de la même manière
dans le concret. Gunvor Nelson filme une tempête de neige dont elle va petit à petit pénétrer l'image
au moyen de fondus et ralentis, transformant cette matière première au montage par l'ajout de
couleurs, d'effets et d'éléments graphiques. La neige devient alors métaphorique, une pure image,
celle de la texture vidéo, brouillée et codée. Le glissement vers l'abstraction opère aussi par le travail
spécifique du son - mélange de bruits naturels, de sons électroniques, de mots chuchotés et de voix
rauques - créant ainsi un niveau de compréhension inconnu, archaïque, à l'intérieur même de
l'image.
Dans True to Life (2006, 38'), Gunvor Nelson explore son petit jardin de Kristinehamn à ras du sol et
le transforme en véritable terrain de jeu. Rien n'échappe à la caméra numérique qui traque le
moindre détail végétal. Le jardin s'anime comme par magie, semble vivant. Tantôt la cinéaste utilise
la technique de l'image par image, joue sur l'exposition et le point, tantôt elle caresse un pistil du
bout de l'objectif tandis que sa main, hors champ, agite une branche. L'artiste reste bord cadre
laissant les indices de sa présence s'accumuler : une fenêtre au premier plan depuis laquelle elle
filme, des voix qu'elle écoute à la radio, une rose dessinée par elle. Ces inserts, qui marquent de
brèves pauses dans le filmage in situ, participent à l'incarnation plastique de la cinéaste dans cette
nature imprégnée de je(u). Aux sons directs du tournage - toucher, marcher, filmer - s'ajoutent les
bruits lointains du monde auxquels viennent se mêler des échos et des réverbérations travaillés au
mixage. Les trois strates se confondent dans une étrange distorsion sonore. Les insectes
bourdonnent et l'orage gronde sur la jungle du jardin... Tout bouge à l'image comme au son, vit,
foisonne, meurt dans une multitude de couches sonores et de formes graphiques. L'image glisse
progressivement vers l'abstraction. Le signe devient signal : figures improvisées, camaïeux de sons
et textures floutées dessinent un ailleurs qui soudain s'ouvre sur le ciel. Le jardin perd sa réalité,
s'altère et devient presque effrayant. Cut, noir, ellipse, silence, blanc. Il neige à présent.
On croit alors sentir le petit pied d'Oona fouler la texture vidéo, entendre sa voix argentique résonner
dans le jardin suédois. Car depuis 1966, de la pellicule au numérique, en noir et blanc ou en couleur,
Gunvor Nelson se plaît à expérimenter la matérialité du monde, trouve toujours de nouvelles formes,
de nouvelles techniques, d'autres émotions pour donner une liberté intérieure à chacun de ses films,
confinant à l'abstraction à force de matière concrète.
>>>
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Si tous les cinéastes ont leur propre méthode de travail [20], seuls certains telle Gunvor Nelson,
tiennent à énoncer, dans un effort délibéré de la conscience, l'idée première de l'œuvre en même
temps que son instauration matérielle. Son cinéma n'est pas innocent, il cherche à se rapprocher de
son immédiateté originelle, se maintenant là où le possible se joue, où le risque est absolu, comme
s'il s'agissait de sa raison d'être en tant qu'œuvre. Ce cinéma libre et expérimental, a une conscience
explicite de lui-même. Et cette tension, cette acuité propre, cette orientation totale vers le film à venir,
constituent précisément le film que je suis en train de voir. Car ce cinéma pense à vue et cherche à
faire penser, par son élaboration visible.
Le mouvement de la conscience créatrice dans les films de Gunvor Nelson engage ce cinéma
au-delà de son accomplissement même, le rattache à une histoire d'œuvre en même temps qu'à sa
place dans cette autre histoire du cinéma, à l'écart de la production courante dite dominante. C'est
un cinéma où la caméra ne sert pas le point de vue du personnage ni la narration mais bien la
creative method qui donne à voir l'élaboration du film. La cinéaste privilégie le temps matériel de la
mise en œuvre, dérogeant aux attentes formatées par les besoins de l'industrie cinématographique
[21] pour restituer l'empreinte de son être et de sa subjectivité dans l'immédiateté du film à faire.
Gunvor Nelson refuse donc cette « avance » [22] sur le film en gestation qui la conduirait à porter
moins d'attention au présent si elle se consacrait à l'anticipation composite d'un projet imaginaire. Et
tente au contraire de saisir l'histoire de l'œuvre au moment où elle se réalise, de penser l'émergence
du projet, écrivant le film dans le temps explicite de sa création. Pour cela, elle va droit au film : on
ne trouvera pas de scénario [23] ou de découpage en amont du tournage mais plutôt, selon les
projets, des états provisoires qui contiennent une infinité d'échappées en accord avec le trajet de
l'œuvre à venir. Il en résulte que la gestation de l'œuvre est étonnamment libre, ouverte, toujours
respectueuse de la chose, de l'autre, du monde [24]. Gunvor Nelson ne cherche pas à dominer le
matériau ni à le contraindre, elle travaille en interaction avec la matière pour essayer de créer une
vibration spécifique et rendre compte d'une expérience purement matérielle.
C'est dire alors de manière manifeste que la création n'est pas une chose purement mentale coupée
de la pratique mais qu'elle se confond bien avec le poïein. « La fabrication du film c'est déjà le film »
dit Marguerite Duras [25]. L'œuvre, éclairée par les processus de son propre travail, devient le
phénomène significatif d'une conscience créatrice [26]. Le regard ne porte donc plus sur l'œuvre
achevée mais sur l'idée matérielle qui a permis son accomplissement, comme pour tenter de
ressentir et de comprendre d'où elle vient.
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FILMOGRAPHIE DE GUNVOR NELSON
1966-1994 / Films 16 mm Schmeerguntz, (Nelson & Wiley), 1966, 15 min. Fog Pumas, (Nelson &
Wiley), 1967, 25 min. Kirsa Nicholina, 1969, 16 min. My Name is Oona, 1969, 10 min. Five Artists
BillBobBillBillBob, (Nelson & Wiley), 1971, 70 min. Take off, 1972, 10 min. One & The Same, (Nelson
& Freude), 1973, 4 min. Moons Pool, 1973, 15 min. Trollstenen, 1976, 120 min. Before Need,
(Nelson & Wiley), 1979, 75 min. Frame Line, 1983, 22 min. Red Shift, 1984, 50 min. Light Years,
1987, 28 min. Light Years Expanding, 1988, 25 min. Field Study #2, 1988, 8 min. Natural Features,
1990, 30 min. Time Being, 1991, 8 min. Kristina's Harbor, 1993, 50 min. Old Digs, 1993, 20 min.
Before Need Redressed, (Nelson & Wiley), 1994, 42 min.
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2. Matière, matériel, matérialité dans les films de Gunvor Nelson
1998-2012 / Vidéos, installations
Tree-Line, 1998, 8 min. Collected Evidence : 52 Weeks, 1999, installation. Snowdrift (a.k.a.
Snowstorm), 2001, 9 min. Trace Elements, 2003, 10 min. True to Life, 2006, 38 min. New Evidence,
2006, 22 min. Kristina Harbor's Revisited, 2010, 38 min. alltintill NEAR, 2011, installation.
>>>
[1] Henri Michaux, in Passages, Gallimard, 1950, cité par Didier Coureau en ouverture de Flux
cinématographiques. Cinématographie des flux, Paris : L'Harmattan, 2010. [2] Le cinéma
underground fait preuve d'une indépendance économique : autonomie de production (fonds privés,
ateliers de création, laboratoires indépendants) et de diffusion (groupements de cinéastes sous la
forme de coopératives autogérées) permettant aux films de se réaliser et de circuler auprès des
publics en dehors des circuits commerciaux du cinéma dominant. Ce mode de production induit
nécessairement un positionnement esthétique qui atteste de la même liberté avec des méthodes de
travail artisanales et exploratoires visant à la création de formes nouvelles pour concrétiser des
projets non conformes à l'illusion de la représentation dans le cinéma traditionnel. [3] Voir la
filmographie de Gunvor Nelson. [4] « Personne ne savait très bien comment appeler cela. C'est
difficile en effet. Êtes-vous réellement avant-gardiste ? Le terme ''expérimental'' me semble
incomplet. J'ai fait des films à la fois surréalistes et expressionnistes, mais je préfère utiliser
l'expression "film personnel". C'est de cela dont il s'agit. Même si beaucoup ne comprennent pas ce
que j'entends par là. Certes, c'est peut-être plus facile de classer mes films dans la catégorie
"avant-garde". Mais j'aime bien cette appellation "film personnel", car elle fait précisément référence
à une seule et même personne. Pour l'œuvre d'un peintre, le terme choisi renvoie à sa méthode ; par
exemple peinture murale, etc. Mais quand il s'agit d'un film, nous n'avons pas les mots pour
véritablement décrire ce que l'on fait. » (Gunvor Nelson, interview d'Anders Pettersson, in Gunvor
Nelson and the Avant-Garde, éd. Sundholm, 2003, p. 147, trad. de l'auteur.) [5] « Quand j'ai terminé
un projet, dit Gunvor Nelson, j'aborde généralement le prochain défi en laissant derrière moi le film
précédent dont j'oublie complètement l'intention et les détails. Le fait est qu'un film de 30 ou 40
minutes est long à réaliser, car je travaille la plupart du temps seule, aussi j'ai besoin de me
renouveler dans chaque projet. » (Conversation avec Gunvor Nelson, Julie Savelli, in Bref le
magazine du court-métrage, n° 102, mai-juin 2012, p. 24, trad. de l'auteur.) [6] Je renvoie dans ce
sens aux analyses de John Sundholm et de Steve Anker, tous deux spécialistes du cinéma de G.
Nelson, ainsi qu'à l'ouvrage collectif intitulé Gunvor Nelson and the Avant-Garde (op.cit.). [7] Notre
approche de l'Esthétique est descriptive. Il s'agit d'étudier conjointement « la production des œuvres
» et les « sensations » - la poïétique et l'esthésique selon la définition de Paul Valéry prononcée au
Deuxième Congrès International d'Esthétique et de Science de l'Art le 8 août 1937. (« Discours sur
l'Esthétique », in Œuvres complètes, Paris : Gallimard, Tome 1, p. 1311.) [8] Son dernier projet est
une installation réalisée en 2011 sur la commande du musée d'art contemporain de Kristinehamn :
alltintill NEAR. À cette occasion la cinéaste a réalisé un remake de Natural Features (1990, 30'),
remontant le film en trois versions vidéo exposées sous le titre de Natural Features times 3. [9] Selon
Gilles Deleuze, il existe une qualité du regard située à la frontière du visible et du tactile. Ce regard
haptique développe un espace lisse, un espace de proximité et d'affect intense, de contact. Dans
Mille plateaux, le philosophe développe une opposition entre Espace lisse (haptique) / Espace strié
(optique). L'haptique ou le lisse étant un espace de proximité, une forme de vision rapprochée, par
opposition à un espace optique ou strié soit une forme de vision éloignée qui se déploierait dans un
monde figé et articulé par des normes héritées de la perspective. (Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980,
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2. Matière, matériel, matérialité dans les films de Gunvor Nelson
pp. 614-622.) [10] « Dans l'acte de filmer un plan ou celui de sculpter une main, il n'y a pas
soustraction ou division ; c'est la partie qui est déjà totalité. Sans doute cette main entretient-elle par
ailleurs un rapport avec d'autres fragments, ou d'autres totalités, mais ces rapports sont plus forts de
n'être pas imposés. Penser le corps dans sa vérité, c'est ainsi peut être le penser dans des rapports
inédits, des correspondances qui échappent à la matérialité de la silhouette. Le rapport que nous
entretenons à notre corps est lui-même le fruit d'un montage ; il est logique que le montage nous en
rende l'image. » (Vincent Amiel, Le Corps au cinéma. Keaton, Bresson, Cassavetes, Paris : PUF,
1998, p. 52.) [11] « Être un humain, c'est produire la trace de son absence sur la paroi du monde et
se constituer comme sujet qui [...] voyant l'autre, lui donne à voir ce qu'ils pourront partager : des
signes, des traces, des gestes d'accueil et de retrait. » (Marie-José Mondzain, Homo spectator. De la
fabrication à la manipulation des images, Paris : Bayard, 2007.) [12] « Le propre de la pensée
mythique, comme du bricolage sur le plan pratique, est d'élaborer des ensembles structurés, non pas
directement avec d'autres ensembles structurés, mais en utilisant des résidus et des débris
d'événements : odds and ends, dirait l'anglais, ou en français, des bribes et des morceaux, témoins
fossiles de l'histoire d'un individu ou d'une société. En un sens, le rapport entre diachronie et
synchronie est donc inversé : la pensée mythique, cette bricoleuse, élabore des structures en
agençant des événements, ou plutôt des résidus d'événements, alors que la science, en marche du
seul fait qu'elle instaure, crée, sous forme d'événements, ses moyens et ses résultats, ses
hypothèses et ses théories. Mais ne nous y trompons pas : il ne s'agit pas de deux stades, ou de
deux phases, de l'évolution du savoir, car les deux démarches sont également valides. » (Claude
Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris : éd. Plon, 1962, p. 36.) [13] On retrouve la figure du
chiffonnier évoquée par Walter Benjamin comme métaphore de son activité d'historien qui
n'amasserait que des vieux chiffons d'histoire : « Méthode de travail : montage littéraire. Je n'ai rien à
dire. Seulement à montrer. Je ne vais rien dérober de précieux, ni m'approprier aucune formule
spirituelle. Mais les haillons, les déchets, eux, je ne veux pas les inventorier, mais leur rendre justice
de la seule façon possible : les utiliser. » (Paris, capitale du XIXème siècle, 1935, in Œuvres, Paris :
éd. Gallimard, 2000, p. 60.) [14] Il faut ajouter un quatrième film à cette série autobiographique :
Trollstenen (1976, 120') est un documentaire de famille que la cinéaste n'a que très rarement projeté
pour des raisons qui me sont inconnues. [15] Calamity Jane, Lettres à sa fille, Tierce, 1979, éd.
française Payot et Rivages, 2007. [16] On retrouve ici la fameuse « disjonction voir/parler » évoquée
par Gilles Deleuze à propos des cinémas de Syberberg, Straub et Duras : « On nous parle de
quelque chose ; on nous fait voir autre chose ; ce dont on nous parle est sous ce qu'on nous montre.
» (Gilles Deleuze, Qu'est-ce que l'acte de création ?, conférence filmée à la Fémis par Arnaud des
Pallières, 1987, 49'.) [17] Gunvor Nelson prolongera cette réflexion sur l'expérience féminine sous
différentes formes dans son œuvre : le strip-tease métaphysique de Take off (1972, 10', 16mm), une
naissance à la maison dans Kirsa Nicholina (1969, 16', 16mm) ou encore Moons Pool (1973, 15',
16mm), un essai sur le désir. [18] Sur le caractère ontologique de l'image cinématographique, voir
Stanley Cavell, La Projection du monde. Réflexions sur l'ontologie du cinéma, Paris : Belin, 1999.
[19] Sur cette question, je renvoie à l'ouvrage de Didier Coureau cité précédemment qui s'intitule
Flux cinématographiques, Cinématographie des flux. [20] J'emprunte la formule au chapitre éponyme
de Francis Ponge : « My creative method », in Méthodes, Paris : Gallimard, 1961, p. 16. [21] «
L'honnête homme a son propre code dans le sang, le génie se fait en vivant son propre code. Oui,
oui, le génie qui n'ignore rien des autres se fait sa propre méthode. » Propos de Paul Cézanne
rapportés dans Cézanne, co-réalisation Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, 1989, à partir du
dialogue avec Joachim Gasquet (éd. Berheim - Jeune). [22] L'habitude est de juger le potentiel de
réussite du film à venir sur les qualités du scénario dans l'espoir de diminuer la part du risque
financier. [23] « Renoncer, non pas à l'enquête, à l'investigation, à la préparation, aux repérages, à
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2. Matière, matériel, matérialité dans les films de Gunvor Nelson
l'écriture préalable d'un scénario mais à l'avance que tout cela fait prendre sur le mouvement du film
en train de se faire. Revenir au présent. À ce qui est en train de changer en même temps que nous
et dont nous ne voyons pas le bout. Ne pas tout savoir, ne pas tout voir, n'avoir pas déjà tout vu... »
(Jean-Louis Comolli, Voir et pouvoir, Paris : éd. Verdier, 2004, p. 167.) [24] Le terme « scénario » est
confus car il peut aussi bien désigner le sujet ou l'histoire résumée en quelques lignes que la
dynamique dramatique et l'enchaînement des situations ou encore, et c'est ici le sens auquel je me
réfère, un script abouti indiquant les dialogues, le jeu, le décor, les cadrages, les déplacements...
découpage [25] Selon l'hypothèse de John Sundholm, cela s'explique par le fait qu'il s'agit d'un
cinéma de femme lequel n'impose pas un point de vue dominateur sur le monde filmé. La cinéaste
ne chercherait pas à contrôler ou à juger comme pourrait le faire un cinéma masculin - même si ses
films sont intimement politiques. Voir John Sundholm, The Material and the Mimetic, in Evidence,
catalogue d'exposition, Karlstad, Suède, 2006, p. 30. [26] Marguerite Duras, « Le camion », in
Marguerite Duras, ouvrage collectif, Paris : éd. Albatros, 1975, p.108. [27] Dans le prolongement de
La Boîte verte de Marcel Duchamp qui donne rétrospectivement à voir, en 1934, les notes et les
réflexions ayant servi à la genèse de La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (1915-1923).
La Boîte verte a été confectionnée en 1934 (il existe un prototype de la Boîte qui date de 1914) et
tirée à trois cents exemplaires.
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