DSI : centre de coûts, centre de profit ou centre de valeur
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DSI : centre de coûts, centre de profit ou centre de valeur
best practices revues et corrigées • DSI : centre de coûts, centre de profit ou centre de valeur ? Par Christophe Legrenzi, chercheur et consultant international, expert associé de Best Practices Systèmes d’information Le mode de fonctionnement de toute organisation conditionnera inéluctablement son modèle de gestion. Ce qui est valable pour l’entreprise l’est aussi pour la DSI. N os décideurs font face à une question fondamentale : la DSI doit-elle être gérée en « centre de coûts », en « centre de profit » ou en « centre de valeur » ? Pour y répondre, il va falloir présenter et discuter les différents modèles issus de près d’un siècle d’expérience de gestion d’entreprise et de réflexions récentes. 1. Présentation de l a Best Pratice Toute organisation ou fonction peut être caractérisée par un mode de fonctionnement dominant. Les experts en gestion d’entreprise en ont distingué trois principaux : le centre de coûts, le centre de profit, le centre de valeur. Un certain nombre de grandes entreprises gèrent également le concept de centre d’investissement. Un centre d’investissement est soit un centre de coûts, soit un centre de profit auquel on incorpore les amortissements pour ne pas pénaliser ces derniers. Aussi, pour savoir si la DSI doit être considérée comme un centre de coûts, de profit ou de valeur, il faut revenir aux définitions issues du contrôle de gestion. A. Le centre de coûts C’est un mode que l’on observe souvent dans le monde industriel ou le monde administratif. Toutefois, en termes de responsabilité, un centre de coûts peut être géré en lui attribuant des objectifs suffisamment précis : • • • réaliser le niveau de production nécessaire, ce niveau étant identifiable et mesurable à l’aide d’unités d’œuvre ; être efficient, ce qui se mesure par le ratio coût/ production) ; rester dans les normes de qualité fixées. Dans le monde informatique en particulier, une DSI qui ne refacture pas ses prestations sera considérée comme un centre de coûts. B. Le centre de profit Définition Un centre de profit est un centre de responsabilité dont la performance est mesurée par la différence entre le chiffre d’affaires réalisé par la vente de ses produits et services, et le coût des ressources consommées. Caractéristiques • La fonction est soumise à une logique de marché, car il y a forcément facturation et donc définition d’un prix. Un centre de coûts est un centre de responsabilité dont les • L’objectif est que la différence soit positive et donc qu’un ressources sont mesurées en termes financiers, alors que les profit soit généré. résultats ne le sont pas. • Le processus de facturation peut générer un coût d’administration important. Caractéristiques • Le véritable prix des produits et services peut éventuel lement freiner les projets d’investissement. • L’accent est mis majoritairement sur les ressources indépendamment des résultats. C’est un modèle que l’on retrouve souvent dans les sociétés • Il n’y a pas obligation de refacturer les prestations de services ou les sociétés commerciales. On l’apparente aussi (produits et services) fournies. au modèle de gestion en Business Units dans lequel chaque • Il n’y a pas confrontation à une logique de marché responsable dispose d’une forme d’autonomie de gestion. car il n’y a pas de prix. C’est souvent une vision qui peut conduire à privilégier la • La gratuité des prestations peut entraîner des dépenses performance à court terme au détriment de la performance à économiquement injustifiées. long terme de l’entreprise. Définition 8 • Best Practices - Systèmes d’Information - N° 103 - 18 février 2013 best practices revues et corrigées L’articulation entre centre de coûts, centre de valeur et centre de profit Ressources Coûts Produits & services CA IT Centre de profit Ressources Coûts IT IT Centre de coûts Il faut ajouter que la décision n’incombe pas forcément au DSI lui-même. Si, par exemple, la DSI fonctionne en GIE (Groupement d’Intérêt économique) ou travaille pour des filiales à l’étranger ou des sociétés avec un statut juridique différent, même si elles sont possédées à 100 % par l’entreprise mère, la DSI se doit de facturer ses prestations. Produits & services Valeur Centre de valeur Caractéristiques • • C’est une obligation fiscale. La raison est évidente. Une • entreprise pourrait décider de garder les coûts là où elle est la plus fortement taxée, et de diminuer artificiellement les • coûts des filiales dans des pays où les taux d’imposition sur les La notion de valeur est plus large que la simple dimension financière. Certains avantages dits intangibles comme l’image ou le confort d’un client ou d’un utilisateur peuvent être difficiles à quantifier. Des méthodes et outils d’appréhension de la valeur doivent être mis en place. Il est souvent difficile d’estimer la valeur d’une prestation informatique pour l’entreprise. sociétés sont moindres. C. Le centre de valeur Définition Un centre de valeur est un centre de responsabilité dont la performance est mesurée par la valeur fournie à l’organisation. Ce modèle se démarque de la simple logique de coût ou de profit des modèles précédents qui ne considèrent que la dimension financière des activités. C’est le modèle dont on parle le plus, mais sans doute aussi le moins compris et, surtout, celui que l’on pratique le moins. Le simple fait de dire que les coûts sont accessoires, ou que l’on ne s’y intéresse pas, provoque inéluctablement une réaction de défiance vis-à-vis du manager qui prône ce modèle. Il donnera une impression de légèreté et de mauvais gestionnaire. Pourtant, le fonctionnement en centre de valeur répond à une véritable préoccupation d’entreprise sans doute au moins aussi importante, sinon plus, que la bonne gestion des ressources. Elle représente ni plus ni moins 18 février 2013 - N° 103 - Best Practices - Systèmes d’Information • 9 best practices revues et corrigées que l’innovation, la recherche… qui conditionneront la compétitivité future de l’entreprise. s’intéresser au dossier. Une concurrence va alors voir le jour et le marché se développer. 2. Regard critique Puis continue par les coûts… Les différents modes de fonctionnement peuvent être repré sentés de manière synthétique dans une logique systémique. Maintenant que les définitions sont posées, demeure la question de savoir quel mode privilégier en fonction du contexte. La réponse est des plus logique et intuitive, mais encore faut-il le rappeler et expliciter les domaines d’application, en particulier par rapport au cycle de vie des solutions. Tout commence par la valeur… L’histoire des secteurs industriels et du monde économique nous montre qu’à la base d’une activité, nous sommes dans une logique d’innovation, de recherche et de développement. Le mode de fonctionnement prédominant est le centre de valeur. Pourquoi ? Parce que l’accent porte sur la capacité à réaliser le produit ou le service, souvent au détriment des ressources. D’ailleurs, les pionniers en sont une excellente illustration. Les inventeurs géniaux ont souvent consacré toutes leurs ressources, hypothéqué tous leurs biens, tout en ne comptant jamais leurs heures, obnubilés qu’ils étaient par la réussite de leur projet. La plupart se sont ruinés avant d’atteindre le moindre résultat. Se fixer un budget et s’y tenir n’a pas grand sens quand on n’a jamais réalisé au préalable une telle opération. Quelle base faut-il fixer ? Se cantonner au budget va souvent à l’encontre de l’innovation et du progrès. Si la réussite est au rendez-vous, c’est-à-dire si le produit ou le service rencontre une demande, la création de valeur se fait rapidement. Le ou les premiers produits vont permettre à l’inventeur de récupérer rapidement la mise de départ et de réinvestir dans son activité qui va au fur et à mesure des productions lui générer une valeur toujours plus importante. Au début, les prix sont élevés mais les quantités faibles. Les capacités de production augmentent peu à peu. De pratiques artisanales peu structurées on passe à des processus de plus en plus instrumentés et industrialisés. Les coûts de revient diminuent progressivement. Si le nouveau produit crée une valeur ajoutée importante, d’autres entrepreneurs ou investisseurs vont naturellement 10 • Après quelque temps, l’offre et la demande étant arrivées à maturité, ce n’est plus la capacité à imaginer et produire qui sera synonyme de ventes, comme c’était le cas au départ, mais un autre facteur : le prix ! Entre deux produits matures plus ou moins analogues, c’est toujours le moins cher qui emporte les faveurs du client et de la masse. Aussi, la compétitivité ne va plus se faire par la nouveauté du produit ou du service, elle n’existe plus, mais bien par l’attractivité du prix. Et pour que ce dernier le soit, les coûts doivent être parfaitement maîtrisés. Aussi la priorité est-elle bien sûr l’optimisation des ressources. Ainsi, on passe progressivement d’une logique de gestion en centre de valeur à une logique en centre de coûts, en passant souvent par une logique en centre de profit. Les spécificités et les indicateurs de pilotage propres à chaque mode À présent, il est aisé de comprendre que ces deux principaux modes de gestion sont conditionnés par des indicateurs de performance différents. Pour un centre de valeur, nous sommes au départ dans une logique de gestion de projet. Ce sont d’abord les bénéfices qui priment, matérialisés par le cahier des charges, les délais et les coûts de mise en œuvre. Le cahier des charges est parfois représenté par la qualité. Ainsi, on parle de qualité, délai et coût. Ces trois indicateurs ne sont pas sur le même plan. On peut établir une priorité. Le plus important étant de réaliser le cahier des charges, puis dans les délais et seulement ensuite dans le budget. Ce dernier n’arrive qu’en troisième position. C’est en quelque sorte la variable d’ajustement… Ces trois indicateurs ne sont pas de priorité équivalente. Dans une logique d’innovation et de compétitivité, on considère que le plus important est d’arriver à réaliser la solution. C’est donc la priorité absolue. Si l’on n’y arrive pas, cela signifie Best Practices - Systèmes d’Information - N° 103 - 18 février 2013 best practices revues et corrigées implacablement que la valeur ne sera pas générée. Ensuite, vient le respect des délais. C’est plus important que le budget. En effet, si les délais sont respectés, cela signifie que l’on pourra générer comme prévu les bénéfices attendus, et ceuxlà sont souvent plus importants que les coûts dépensés. C’est pourquoi ces derniers n’arrivent qu’en dernière position. C’est la variable d’ajustement en quelque sorte. L’école du marketing moderne, représentée par son plus illustre fondateur Philip Kottler, a montré que les entreprises les plus performantes généraient un chiffre d’affaires bien plus important sur des nouveaux produits (sortis depuis moins de cinq ans) que les suivants ou la moyenne du secteur. C’est une découverte fondamentale de cette école qui a mis l’innovation au centre des débats. En réalité, la plupart des grandes innovations, de l’invention de l’automobile ou celle de l’aviation à la construction de l’opéra de Sydney, de la grande mosquée de Casablanca ou du tunnel sous la Manche, ont coûté bien plus cher que ce qui était prévu au départ. Peu importe. Les bénéfices ont été si importants que les surcoûts même très importants, allant jusqu’à un facteur dix pour l’opéra de Sydney, ont été largement et rapidement marginalisés, laissant des œuvres intemporelles à l’humanité. Pour un centre de coûts, la logique est différente. L’indicateur clé est le coût unitaire qui doit diminuer année après année. Simplement, il ne doit pas baisser au détriment de la qualité. C’est la raison pour laquelle les deux indicateurs, coût et qualité, doivent toujours être liés. Les gourous du management, étudiant près de cent ans de productivisme, ont montré que les gains de productivité doivent être de l’ordre de 3 à 5 % par an si l’on veut assurer sa pérennité. C’est un des résultats fondamentaux de l’école de gestion. 3. Que faire ? Quelques pistes de solutions À présent, tous les concepts sont explicités, et nous sommes en mesure de les appliquer à la fonction informatique. Alors, quel modèle choisir ? La DSI doit-elle fonctionner en centre de coûts, de profit ou de valeur ? S’il n’y en avait qu’un, ce serait trop simple et cela ne correspondrait certainement pas à la complexité de la fonction informatique. Études et développement = centre de valeur Pour les activités d’études et de développement, nous sommes clairement dans une logique qui s’apparente à un fonctionnement en centre de valeur. C’est donc ce mode qui doit être privilégié. La valeur doit être le centre de toutes les attentions. En particulier, c’est de la responsabilité du demandeur de projet, le maître d’ouvrage, que d’assurer que la valeur sera bien réalisée. C’est donc lui qui doit répondre de la valeur générée et certainement pas le maître d’œuvre. Ce dernier n’est responsable que du respect du cahier des charges, des délais et des budgets. Exploitation et services aux utilisateurs = centre de coûts Pour les activités de fonctionnement qui sont en concurrence et qui sont exécutées depuis longtemps, comme l’exploitation ou les services aux utilisateurs, c’est bien la gestion en centre de coûts qui sera prônée. Les coûts des activités, quantifiées en unités d’œuvre, seront calculés et suivis dans le temps en cherchant année après année à les diminuer, non seulement en baissant les budgets, mais en visant plutôt l’augmentation du volume d’activité, c’est-à-dire la croissance, qui est bien le premier facteur de bonne santé de toute entreprise. Les interactions entre les deux modèles Malheureusement, rien n’est jamais ni tout blanc, ni tout noir. En effet, une activité récurrente maîtrisée doit en temps normal toujours viser la diminution du coût de ses ressources et donc travailler en centre de coûts. Pour ce faire, une fois l’amélioration des processus et des méthodes effectuée, il faut changer d’outils. C’est là qu’intervient l’investissement. Et, dans ce cas, on travaillera dans une logique de valeur, valeur qui sera matérialisée par la réduction des coûts unitaires. Il en est de même pour la gestion de projet. À un certain moment, on ne peut plus ne pas considérer les coûts futurs de fonctionnement de la solution que l’on est en train de développer. Même si le modèle dominant est le centre de valeur, cela n’empêche pas d’intégrer de temps en temps la logique centre de coûts sous peine de perdre la relation avec les ressources. C’est donc un cercle vertueux qui doit être privilégié car la maîtrise de la performance est à ce prix ! • 18 février 2013 - N° 103 - Best Practices - Systèmes d’Information • 11