La maladie de Blaise Pascal - Site de Bruno de Maricourt

Transcription

La maladie de Blaise Pascal - Site de Bruno de Maricourt
Le Gaulois – Samedi 28 juillet 1923
LA MALADIE DE BLAISE PASCAL
Nous avons- interprété d'une ..manière un peu sommaire et absolue la fameuse pensée du philosophe antique Mens sana in corpore sano et nous devons, bien au contraire, reconnaître combien
Jean-Jacques – qui s'y connaissait – a eu presque, raison d'écrire, avec une brutalité dans laquelle on
sent une révolte contre ses propres maux :
– Si la nature nous a faits pour vivre en santé, la méditation est un état contre nature, un homme
qui s'ensevelit dans ses réflexions est par conséquent un animal dégénéré.
Animal dégénéré est un. peu dur. Rousseau traçait évidemment, ces mots avec quelque colère,
contre lui-même et contre sa frêle enveloppe mais il entendait bien ne parler par là que d'une dégénérescence physique, laquelle, est la rançon d'une flamme intérieure et d'une son langage coloré, a
inventé l'expression de la « lame usant le fourreau ».
Et dans l'instant qu'on célèbre l'anniversaire de Pascal, on peut songer, avec quelque pitié pour ce
grand penseur, combien Rousseau qui, si souvent voyait faux, a vu juste quand il a parlé de la débilité physique de ceux qui « méditent » à l'extrême.
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Suivant une expression médicale, Biaise 'Pascal fut dès le berceau la victime d'une : « hérédité
chargée ». Son grand-père et sa grand-mère étaient cousins, germains et nul, dans son estoc, n'atteignit un âge avancé.
Tout enfant; c'était un sensitif dont les antennes étaient aussi délicates que celles de la télégraphie
sans fil. Comme l'a excellemment écrit jadis le docteur Fernet, il était un de ceux dont on dit qu'ils,
sont « une âme revêtue d'un corps » et qui en dégénérant physiquement, se perfectionnent moralement. La maladie, en effet qui n'est chez le vulgaire que la déchéance, est parfois, prédisposition naturelle au sublime.
Dès le berceau, nous a dit le docteur Lilut, « il montra une de ces organisations supra-nerveuses
presque toujours en dehors de l'état de santé et excessives jusque dans leurs maladies. Quelques années plus tard, éclatèrent en lui, comme d'elles-mêmes, cette puissance de -conception et de travail,
cette grandeur et cette singularité d'esprit qui semblait avoir besoin de pareils organes. »
Il n'avait pas deux ans quand lui survint, selon l'expression de Marguerite Périer, sa nièce, une
« chose bien extraordinaire ». Il tomba en langueur, dans une, langueur semblable à celle qu'on appelait à Paris tomber en chartre. Cette langueur s'accompagnait – c'est toujours le docteur Fernet qui
parle – de phobies particulières. Le jeune Blaise ne pouvait souffrir de voir l'eau sans entrer dans
des transports d'emportements » et – chose plus surprenante – il ne pouvait souffrir de voir son
père,et sa. mère s'approcher l'un de l'autre. Il adorait leurs caresses mais, aussitôt que ces caresses
s'adressaient de l'un à l'autre, il criait et il se débattait sans la moindre mesure.
Bien entendu, on consulta les sorciers. Quelques années plus tard, une méchante commère affirma à Mme Pascal que son fils pouvait guérir mais que quelqu'un devait mourir à sa place. Et
comme Mme Pascal se récriait., la méchante commère consentit à faire tomber le sort sur un vieux
cheval, lequel trépasserait à la place de l'enfant.
Mme Pascal aimait les bêtes. Et puis aussi elle avait du bon sens. Et elle congédia sans plus, la
méchante commère.
Mais à l'âge de onze ans, les « attirations cérébrales » de Blaise prirent une plus heureuse forme.
Aussi, bien. croyons-nous que Moreau de Tours lui a fait injure en le traitant de demi-fou, à moins
qu'il n'ait considéré le génie comme la forme la plus transcendante de la folie.
« …. Ayant sans y penser, nous dit Marguerite Périer, frappé, à table, un plat de faïence avec un
couteau, il prit garde que cela rendait un grand son, mais qu'aussitôt qu'on eut mis la main dessus
cela s'arrêta. Il voulut en même temps en savoir la cause et, cette expérience le portant à en faire
beaucoup d'autres, il y remarqua tant de choses qu'il en fit un traité à. l'âge de onze ans, qui fut trouvé tout à fait bien raisonné. »
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A seize, ans, Pascal écrivait un Essai sur les coniques où Descartes refusa de voir l'œuvre d'un
esprit aussi jeune ; mais les excès de travail n'allaient pas tarder à avoir raison d'une constitution
aussi frêle. A vingt-quatre ans, il tombe dans des états fréquents de paralysie qui déroutent les médecins, lesquels ne connaissent pas encore la paraplégie d'origine nerveuse.... Dès lors, son âme ardente et sublime se débat dans le corps d'un martyr. Il ne peut plus boire que des liquides chauds, il
ne peut plus manger sans des douleurs de tête à peine tolérables, et jamais il ne se plaint.
On a beaucoup exagéré, semble-t-il, le fameux accident du pont de Neuilly, qui – vers la trentaine – manqua de faire choir le carrosse de Pascal dans la Seine. Évidemment, il vit ce jour-là la
mort de près, et il y réfléchit dès lors plus que par le passé ; mais ce « choc » ne fut point la cause de
ses désordres nerveux ni la raison unique de sa conversion religieuse.
Le grand public, qui aime les faits divers et les versions romanesques, s'est emparée de cet incident. Mais ni Pascal, ni Mme Périer, ni aucun de ses amis n'y font la moindre allusion dans leurs
écrits et certainement l'abîme de Pascal, cette sensation de vide qu'il éprouvait toujours à ses côtés
sont au nombre des obscures misères de névropathe congénital qui empoisonnèrent, sa vie de l'enfance à la mort.
Hallucination ? Vertige d'estomac ? Vision imaginaire, On ne sait.... Et d'ailleurs, là aussi, nous
dit Sainte-Beuve qui a. écrit les pages si excellentes et si « raisonnables » sur Pascal, il faut peutêtre faire la part de la légende qui a cristallisé sur un mode un peu trop précis un symptôme dont
Pascal lui-même ne nous a jamais parlé formellement.
....Tout de même, avec les années, ses douleurs nerveuses, augmentent, il « souffre de partout »,
sa tête « est en feu ». Ne commettrons point la lourde sottise de l'accuser de folie religieuse parce
qu'il porte un cilice avec des pointes d'acier, car ce serait mal connaître le plan sur lequel il vivait et
l'ascétisme du dix-septième siècle ; mais reconnaissons combien ce génial penseur est troublé luimême par ses misères physiques et sa surexcitation nerveuse quand il écrit, comme pour se rassurer
lui-même « Qui voudrait, ne suivre que la raison serait fou an jugement du commun des hommes ! »
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N'importe. L'intégrité de sa conscience morale demeure. Le manuscrit de la Roulette, conçu dans
les affres les plus douloureuses, porte le sceau du génie ; les Pensées, tracées d'une main crispée par
la souffrance, dénotent l'âme d'un saint.
A trente-sept ans, il ne peut plus manger sans douleurs cruelles de l'intestin, il ne peut plus marcher sans canne....
A trente-neuf ans, il meurt. D'aucuns ont accusé les médecins de l'avoir empoisonné avec de l'antimoine. Etrange et puérile erreur qui ravale les hommes et les faits.... Pascal s'était consumé en
éclairant, Pascal mourut d'avoir trop pensé et d'avoir projeté, pour le bonheur des hommes et le salut
des âmes, le rayonnement d'un esprit supérieur à la frêle enveloppe qui lui servait de prison.
Ce fut une belle mort.
André de Maricourt