La perception de l`inflation par les ménages depuis le passage à l

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La perception de l`inflation par les ménages depuis le passage à l
INSTITUT
POUR UN
DÉVELOPPEMENT DURABLE
Institut pour un Développement Durable
(Centre d’étude des Amis de la Terre-Belgique)
Rue des Fusillés, 7
B-1340 Ottignies Tél : 010.41.73.01 E-ma il : [email protected]
La perception de l'inflation par
les ménages depuis le passage à l'EURO
par Philippe DEFEYT – novembre 2006
De nombreux articles de presse et études ont été consacrés ces derniers mois à la hausse des
prix des produits de consommation courants. Beaucoup de ces analyses évoquaient peu ou
prou l'impression qui semble largement partagée que les prix ont augmenté sensiblement à
l'occasion du passage à l'EURO (janvier 2002).
La présente note a pour objet de réunir et commenter quelques données statistiques susceptibles d'éclaircir cette question.
Il s'est manifestement passé quelque chose à l'occasion du passage à l'EURO. Le graphique
suivant (voir haut de la page) en témoigne.
Deux courbes sur ce graphique :
−
la courbe en rouge (trait pointillé) représente le taux d'inflation à un an d'écart (échelle de
droite) ; la série de base est l'indice général des prix à la consommation lissée par une
moyenne mobile de trois mois ;
−
la courbe en bleu (trait plein) est l'appréciation des ménages interrogés dans le cadre de
l'enquête de conjoncture de la BNB quant à l'évolution des prix au cours des 12 derniers
mois (échelle de gauche) ; il s'agit du solde des réponses positives et négatives ; la série
est dessaisonalisée et lissée.
Les évolutions respectives des deux séries indiquent que la perception des consommateurs
colle assez bien aux fluctuations du taux d'inflation jusqu'au passage à l'EURO mais que, depuis lors, les ménages ont tendance à surestimer le taux d'inflation et/ou son évolution, à l'exception de la période (2005) où l'on enregistre une accélération de l'inflation suite à la hausse
des prix des produits pétroliers.
Comment expliquer un tel écart entre la "réalité" et la perception des ménages en matière de
taux d'inflation ? La réponse à cette question n'est pas évidente. Elle nécessiterait une étude
assez complexe, qu'il n'est d'ailleurs peut-être plus possible de faire aujourd'hui, dans la mesure où les consommateurs n'ont probablement plus en mémoire tout ce qui aurait pu expliquer leur vécu dans la foulée de l'introduction de l'EURO. On examinera ici simplement
quelques données1 et hypothèses.
NB : La date du passage à l'EURO est marqué d'un trait noir sur les graphiques.
1
Les données utilisées proviennent toutes de Belgostat. Les calculs sont de l'Institut pour un Développement Durable.
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Gr1 - Inflation perçue et inflation réelle – Belgique – 1997/2006
séries lissées (moyennes mobiles sur trois mois)
60
Perception de l'inflation passée
(échelle de gauche)
55
3,5
3,2
50
3,0
45
2,7
40
2,5
35
2,2
30
2,0
25
1,7
20
1,5
15
1,2
10
2005-01
2005-05
2005-09
2006-01
2006-05
2006-09
1999-01
1999-05
1999-09
2000-01
2000-05
2000-09
2001-01
2001-05
2001-09
0
1997-01
1997-05
1997-09
1998-01
1998-05
1998-09
5
2002-01
2002-05
2002-09
2003-01
2003-05
2003-09
2004-01
2004-05
2004-09
Inflation observée
(échelle de droite)
1,0
0,7
0,5
Gr2 - Taux d'inflation à trois mois d'écart –en 2001 et 2002
taux de croissance à trois mois annualisé - série de base lissée sur trois mois
2
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Au moment du passage à l'EURO on n'observe pas vraiment – voir graphique au bas de la
page précédente – une accélération sensible de la hausse des prix, même si le taux d'inflation
se rapproche de la barre des 3% en mars, avril et mai 2002.
On observera cependant, et cela a attiré immédiatement notre attention, un pic d'inflation
dans le courant de l'année 2001. 7% de taux d'inflation annualisé ce n'est pas peu (en juin
2001) !
Que s'est-il passé en 2001, l'année précédent l'introduction de l'EURO, en matière de prix ?
En examinant de plus près les évolutions intervenues au cours de l'année précédent l'introduction de l'EURO, on constate (voir graphique ci-après) que deux catégories de produits – les
produits alimentaires et les produits pétroliers2 - ont enregistré un pic d'augmentation des prix,
précisément en juin 2001.
Gr3 - Evolution des prix des produits alimentaires et pétroliers en 2001
taux de croissance à trois mois annualisé - série de base lissée sur trois mois
30,0%
Produits
alimentaires
20,0%
10,0%
0,0%
-10,0%
-20,0%
2001-12
2001-11
2001-10
2001-09
2001-08
2001-07
2001-06
2001-04
2001-03
2001-01
-40,0%
2001-02
-30,0%
2001-05
Produits
pétroliers
Regardons d'un peu plus près les évolutions des prix de ces deux catégories de produits.
Le pic d'augmentation des prix de la catégorie "produits alimentaires"3 est clairement attribuable à deux sous-catégories, les fruits et les légumes (y compris les pommes de terre). Ces
deux séries de prix présentant des profils saisonniers, nous avons éliminé l'effet saisonnier en
calculant des moyennes mobiles sur douze mois. Le graphique 4 de la page suivante nous
indique que la hausse beaucoup plus rapide des prix des fruits et légumes s'est révélée
structurelle, les prix s'étant stabilisés dans le courant de 2002 à un niveau très élevé.
2
3
Essence, diesel, lubrifiants et mazout de chauffage.
Attention : hors boissons.
3
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Gr4 - Evolution des prix des produits alimentaires, des fruits et des légumes
séries lissées par une moyenne mobile sur douze mois – indices 2001-01=100
116
114
Légumes
112
Fruits
Fruits
110
108
Légumes
106
Produits alimentaires
(total)
104
Indice global
102
2002-12
2002-11
2002-10
2002-09
2002-08
2002-07
2002-06
2002-05
2002-04
2002-03
2002-02
2002-01
2001-12
2001-11
2001-10
2001-09
2001-08
2001-07
2001-06
2001-05
2001-04
2001-03
2001-02
98
2001-01
100
On relèvera, voir tableau ci-dessous, que les prix des fruits et légumes sont restés élevés depuis cet épisode de forte hausse, avec une hausse encore sensible des fruits, même si l'indice
alimentaire global a "rattrapé" quelque peu l'envolée des prix des légumes et des fruits.
Evolution des prix des produits alimentaires, des légumes et des fruits
moyennes annuelles – 1996=100
Légumes
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
103,5
107,3
105,0
114,4
118,9
121,2
118,4
121,0
Fruits
110,1
106,9
107,6
115,8
123,6
129,8
129,5
129,2
Global alimentaire
102,6
103,7
106,4
109,0
110,8
112,6
114,9
118,1
En ce qui concerne les prix des produits pétroliers, on observe – voir Graphique 3 - que la forte
hausse des prix en milieu d'année 2001 suit une période forte baisse en début d'année.
Le graphique du haut de la page précédente fait cependant apparaître que ce recul des prix
des produits pétroliers suit en fait une très longue période d'augmentation des prix et qu'en
début de 2001 le niveau des prix est d'environ 30% supérieur à celui de 1996 ! On sait que,
depuis lors, les prix des produits pétroliers consommés par les ménages ont enregistré une
nouvelle poussée de fièvre en 2004-2005.
Nos observations concernant les évolutions de prix autour de la date de passage à l'EURO nous
ont encore permis de repérer un autre secteur – hautement symbolique – qui permettrait de
comprendre pourquoi les ménages ont cette impression que l'EURO a été l'occasion d'augmenter les prix : le secteur des cafés et restaurants.
4
0%
2002-12
2002-11
2002-10
2002-09
2002-08
2002-07
2002-06
2002-05
2002-04
2002-03
2002-02
2002-01
2002-11
2002-09
2002-07
2002-05
2002-03
2002-01
2001-11
2001-09
2001-07
2001-05
2001-03
2001-01
2000-11
2000-09
2000-07
2000-05
2000-03
2000-01
1999-11
1999-09
1999-07
1999-05
1999-03
1999-01
1998-11
1998-09
1998-07
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2001-12
2001-11
2001-10
2001-09
2001-08
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2001-05
2001-04
2001-03
1998-05
1998-03
90
2001-02
2001-01
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Gr5 - Evolution des prix des produits pétroliers – 1998-2002
série lissée par une moyenne mobile sur trois mois – indice 1996=100
150
140
130
120
110
100
Gr6 - Evolution des prix des cafés et restaurants en 2001 et 2002
taux de croissance à trois mois annualisé - série de base lissée sur trois mois
7%
6%
5%
4%
3%
2%
1%
5
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On peut constater sur le graphique 6 du bas de la page précédente que les prix dans les cafés
et restaurants ont augmenté au cours de la période 2001-2002 relativement plus vite que la
moyenne des prix (voir graphique 2) et qu'en plus, les taux d'augmentation des prix dans ce
secteur ont été très soutenus juste avant et juste après le passage à l'EURO (voir observations
entourées). Or, plus de 80% des ménages belges (d'après les résultats de l'Enquête sur les
budgets des ménages de 2004) consomment de l'HORECA.
*
*
*
Il est difficile de tirer des conclusions définitives sur le vécu des consommateurs en matière
d'inflation suite à l'introduction de l'EURO. Mais on peut, sur base des quelques données rassemblées et commentées ci-dessus, émettre l'hypothèse suivante : l'effet "unité monétaire"4
du passage à l'EURO, intervenant en plus dans un contexte de quasi stabilisation du pouvoir
d'achat (voir les études antérieures de l'Institut pour un Développement Durable 5), a pu être
renforcé par :
−
une très forte augmentation des prix des produits pétroliers (après une longue période de
"faiblesse" relative), suivie d'une stabilisation de ceux-ci à un niveau très élevé, au cours
de la période précédant le passage à l'EURO;
−
une forte augmentation, qui s'est révélée structurelle et non saisonnière, des prix des fruits
et légumes au cours du printemps et de l'été 2001 ;
−
une augmentation relativement importante des prix dans le secteur des cafés et restaurants au cours de la période 2001-2002, avec un pic dans les mois juste avant et juste
après le passage à l'EURO.
Le caractère symbolique et sensible de ces quatre catégories de produits peut renforcer l'hypothèse que les évolutions de leur prix ont joué un rôle pour construire une perception durable
auprès des consommateurs que le passage à l'EURO a contribué à « renchérir le coût de la
vie », d'autant plus que l'on n'assiste pas, au cours de cette même période, à des baisses de
prix significatives.
Enfin, la hausse des loyers au cours de cette même période, pour laquelle malheureusement
les données de l'indice des prix à la consommation ne sont pas fiables6, mais qui est attestée
par ailleurs, n'a pu que renforcer cette perception, en tout cas auprès des locataires.
4
A savoir que des (beaucoup de ?) consommateurs ont pu se laisser "piéger" par une réduction sensible des chiffres
(ex : un livre de poche à 320 BEF coûtant désormais 8 €) les amenant à moins maîtriser leurs dépenses par rapport à
leurs revenus.
5
Principalement : Philippe DEFEYT, « Revenus et consommations – Belgique – 1995-2005 », Indicateurs pour un Développement durable, 2006-01 (disponible sur le site de l'IDD : http://users.skynet.be/idd/)
6
Voir : Philippe DEFEYT, « L’indice des prix et la comptabilité nationale sous estiment la hausse des loyers « , Institut
pour un Développement Durable, avril 2004 (disponible sur le site de l'IDD : http://users.skynet.be/idd/)
6