Le Jumelé automne 2006

Transcription

Le Jumelé automne 2006
2
Éditorial
p.
3 6 7 8 9
Classes
­d’accueil
pour parents
p.
Les enfants
en Estrie
Hommes
éducateurs
p.
Immigrants
et français
p.
Vieillir ici
p.
La traite des enfants au Québec 6 | Orphelins chefs de famille 6 | Emploi 8 |
Actions communautaires 10 | Ici Radio refuge 11 |
Les jeunes réfugiés et
­immigrants unissent
leurs voix !
p.
suite en page > 7
Automne 2006
CPE en changement
Les enfants de l’avenir
Originaire d’Europe,
Blandine Philippe a
immigré au Québec il y a
13 ans, après des études en
communication et sciences
politiques.
Q
uand Isabelle Pierre chantait en
1970 « Les enfants de l’avenir »,
elle ne se doutait certainement pas
que sa poésie serait annonciatrice de
changements si rapides, observables
aujourd’hui dans le milieu des services
de garde à la petite enfance.
Les enfants de l’avenir
se feront des chansons de couleur
les enfants de l’avenir
vont savoir naviguer aux feux planétaires
Au CPE Les Amis promis, Étienne
Anglehart, cuisinier originaire de la Gaspésie, égrène patiemment la semoule de
couscous pour ses soixante petits clients.
Au même instant, au CPE La Ruche, la
fricassée de tofu fume dans les assiettes
des soixante-quinze bambins, remplaçant du même coup le jambon ou la traditionnelle côtelette de porc. À quelques
kilomètres de là, au CPE Saint-Denis,
des petits Cambodgiens apprennent à
prononcer le mot fajitas, tandis que
J’étais perdu… entre le jambon,
la viande de porc, la viande
halal, les diverses restrictions,
intolérances et aussi
allergies alimentaires.
leurs camarades mexicains savourent
des chapatis.
Nous sommes à Montréal, pour une
traversée spectaculaire des couleurs de
notre nouvelle jeunesse, guidés par les
feux planétaires, de Côte-des-Neiges,
à Hochelaga-Maisonneuve en passant
par Rosemont.
« La première fois que j’ai du prépa-
Maigualida Guerra, éducatrice,
avec quelques enfants du nouveau visage québécois.
rer les menus, partage Étienne, je ne
savais pas qu’on aurait autant d’enfants
musulmans. J’ai dû m’y prendre à trois
et même à quatre reprises avant de par-
Jacques Godbout
venir à les établir. J’étais perdu… entre
le jambon, la viande de porc, la viande
halal, les diverses restrictions, intolérances et aussi allergies alimentaires. Il
D
ans une entrevue accordée à L’Actualité, l’écrivain Jacques Godbout
a revêtu les habits d’un apocalyptique
« déclinologue » pour prédire la fin prochaine de la société québécoise, et fonde
sa prophétie sur une certaine nonchalance
de la génération des cégépiens, mais aussi
> suite en page 4, CPE
Qui est Ulrick Chérubin ?
Frans Van Dun
Québécois et Québécoises, sortez vos mouchoirs ! Le Québec est dans l’antichambre de la mort, la pierre tombale est
commandée, et vous pouvez y lire : Ici repose le Québec décédé en 2076 des suites des assauts de tribus d’immigrants
et de l’indifférence des cégépiens. La messe est dite… par un certain Jacques Godbout.
Ahmed Kouaou est originaire
de Tizi-Ouzou, Algérie. Immigré
au Québec depuis 4 ans, il
est journaliste surnuméraire à
Radio-Canada et conseiller en
emploi à Carrefour BLE.
m’a fallu également faire preuve d’ingéniosité face à certains produits habituels
que je ne pouvais plus utiliser dans mes
Maire d’Amos en Abitibi
Entre résistance culturelle
et nostalgie de mauvais goût
Ahmed Kouaou
Blandine Philippe
Blandine Philippe
sur les flux migratoires que connaît le
Québec et dans lesquels il y voit autant
de menaces.
Petit extrait des élucubrations godboutiennes : « (…) Ce sont des tribus qui
immigrent, avec leurs costumes, leurs
> suite en page 3, GODBOUT
D’origine belge flamande,
Frans Van Dun a immigré
au Québec il y a plus
de 30 ans. Il oeuvre
actuellement en milieu
immigrant à Montréal.
D
ans son cas, on ne peut éviter le
terme de minorité visible. En effet,
cet Haïtien pure laine est à peu près le
seul Noir que vous risquez de rencontrer dans la petite et jeune ville d’Amos
avec ses 14 000 habitants, berceau de
l’Abitibi. Est-il regardé de travers pour
autant par ses concitoyens ou marginalisé ? Pas du tout ! En 2002, les
gens d’Amos l’ont même élu maire de
leur municipalité avec une écrasante
majorité.
C’est dans son bureau de l’Hôtel de Ville
qu’il nous accueille avec un large sourire. Monsieur Chérubin n’a rien perdu
de sa verve créole.
> suite en page 11, CHÉRUBIN
La Fondation Alex et Ruth Dworkin est fière de soutenir Le Jumelé
et sa mission de sensibilisation aux relations interculturelles
Le Jumelé Automne 2006
Édito
Éditorial
Clin d’oeil, moeurs et coutumes...
Histoire vécue, parmi tant d’autres... codages et décodages.
Blandine Philippe
lors que les saisons se replient progressivement sur elles-mêmes les unes après
les autres, Le Jumelé cherche à faire écho à leur fabuleux déploiement de couleurs en leur empruntant, à chaque trimestre, quelques uns de leurs pigments les
plus nuancés.
Nous voici avec une nouvelle ligne graphique, un nouveau logo, une nouvelle mise
en pages et un nouveau sous-titre, À la croisée des cultures !
Le ton est donné : davantage de sujets et plus de collaborateurs pour tenir vivant
et vivifiant, le cap de ce média communautaire alternatif. Cela demande patience,
conviction, endurance et implication afin de traverser, sinon sans ambage, du moins
avec enrichissement, l’épanouissance de nos saisons.
Ce rendez-vous d’automne fait place à une autre nouveauté majeure : nous avons
opté pour un jumelage équilibré entre la poursuite de nos rubriques habituelles et
l’ajout d’un dossier spécial.
Dans cette édition, notre regard s’est penché sur les plus jeunes de notre société. Leurs
esquisses préparent assurément les grandes oeuvres de demain et nous ne pouvions
passer à côté en ce début d’année scolaire.
Je me souviens de cette enseignante qui s’était montrée passablement irritée du
simple fait que je n’avais pas su quoi faire avec une boîte de carton aux couleurs
de l’Unicef pliée dans l’agenda de mon fils, à la veille de l’Halloween. Cela était une
évidence pour elle, pas pour moi et certainement pas non plus pour de nombreuses
familles immigrantes. Anodin en apparence, cet incident n’en est pas moins révélateur et concourt à sa manière à éveiller voire réveiller, frustrations et incompréhensions de part et d’autre.
Or le Québec change… tout le Québec change ! Un simple coup d’oeil panoramique
nous permet de le voir et nous pouvons nous questionner afin de savoir si nous
sommes préparés à cela.
A
Face aux critiques de Jacques Godbout et aux débats que ses propos peuvent susciter,
les milieux communautaires et ceux de la petite enfance semblent de leur côté les
mieux préparés aux croisées des chemins offertes par notre nouvelle pluralité. Nous
avons voulu le vérifier et en rendre compte dans nos pages.
« On ne réfléchira jamais assez sur ce qui nous divise, sur ce qui nous unit. On constate
la guerre des sexes, des guerres de gangs, des guerres de religions, des guerres de
peuples. N’est-il pas préférable de favoriser les ententes plutôt que les séparations ?
Comment encourager l’harmonie et non la compétition, comment établir l’accord
et pas la confrontation ? Aussi, on ne se posera jamais trop souvent la question :
Voulons-nous réellement vivre ensemble dans le même monde et qu’allons-nous
faire pour cela ? ».
Lucie Poirier * campe ici avec précision l’esprit du Jumelé.
La croisée des cultures que nous proposons se veut informative, inclusive et respectueuse de toutes les cultures migrantes et accueillantes. C’est en tout cas la voie que
nous choisissons d’emprunter pour vivre ensemble, dans le même monde.
■
*Lucie Poirier est directrice-fondatrice des éditions Les Mots Bancs et exprime ses convictions
humanistes et pacifistes à travers ses œuvres poétiques et ses articles sociopolitiques.
Le Jumelé, à la croisée des cultures, souhaite ouvrir un
dialogue entre les personnes immigrantes et celles issues
de la société d’accueil. Il vise à encourager la tolérance
en matière de pluralité sociale, culturelle, religieuse,
­historique et coutumière.
Le Jumelé
518, rue Beaubien Est, Montréal (Québec) H2S 1S5
Téléphone : (514) 272-6060 poste 209
Télécopieur : (514) 272-3748
Courriel : [email protected] Site web : www.tcri.qc.ca
Éditeurs
TCRI et SEIIM
Une co-édition de la Table de concertation des
­organismes au service des personnes réfugiées et
­immigrantes et du Service d’éducation et d’intégration
interculturelle de Montréal.
Rédactrice en chef
Blandine Philippe
Administration
Giovanni Fiorino, Estelle Gravel
Impression
Rotoquad inc.
Rédacteurs
Ahmed Kouaou, Blandine Philippe, Catherine d’Anjou,
Catherine Gauvreau, François Mathieu, Frans Van Dun,
Habib El-Hage, Harini Sivalingam, Marie-Claire Rufagari,
Véronique Tardivel.
Illustration des rubriques
Annick Philippe
Distribution
Courrier A & A
Bédéiste
Christian Cather
Collaborateurs
Alfredo Lombisi, Catherine Lamarche, Cécile Hernu,
Claudia Morel, Colleen French, Geneviève ­Lembelet,
­Giovanni Fiorino, Hameza Othman, Jamal-Eddine
Tadlaoui, Josianne Poutré, Sylvain Thibault.
Conception graphique
Stéphane Champagne
Caroline Marcant
@Droits d’auteur
Toute reproduction des textes, des illustrations et
des ­photographies du Jumelé est interdite sans une
­autorisation écrite des éditeurs. Bien que toutes les
précautions aient été prises pour assurer la véracité des
­informations contenues dans Le Jumelé, il est entendu
que les éditeurs ne peuvent être tenus responsables des
erreurs issues de leur utilisation. Les auteurs des articles
publiés dans Le Jumelé conservent l’entière ­responsabilité
des théories ou des opinions qu’ils émettent dans leur
texte.
Comité d’orientation
Ahmed Kouaou, Blandine Philippe, Frans Van Dun,
Hélène Bérubé, Sylvain Thibault.
Correcteurs et réviseurs
Ahmed Kouaou, Blandine Philippe, Hélène Bérubé
Tirage certifié AMECQ
8000 exemplaires
Dépôt légal
Bibliothèque Nationale du Québec
Bibliothèque Nationale du Canada
Octobre 2006
La Table de concertation des organismes au service des ­personnes
réfugiées et immigrantes est soutenue financièrement par le
Ministère de l’immigration et des communautés culturelles
Le Jumelé Automne 2006
D’hier à aujourd’hui
Spécial enfants-jeunesse
GODBOUT
À quand les classes d’accueil
pour parents immigrants ?
> suite de la page 1
On fait la révolution comme on
veut et avec les moyens qu’on
juge appropriés. Godbout et
ses comparses ont eu les leurs,
libre à Boisclair et ses acolytes
d’imaginer un pays avec du
blanc, du bleu… et du vert.
la Révolution tranquille. Lisons-le à ce
propos : « (…) Ils n’ont plus les références
que nous avions. Nous allions chercher
nos références ailleurs que dans notre
société. Moi, par exemple, je n’allais pas
croire un mot de ce que le clergé m’affirmait. Il était au pouvoir et voulait que
les choses restent comme elles étaient.
Aujourd’hui, les références des jeunes,
quelles sont-elles ? Ils ont des gourous
dans le milieu de l’environnement Pierre Dansereau et Hubert Reeves -,
mais cela me fait penser au monde chrétien que j’ai connu. C’est tout juste s’ils
ne font pas des prières, ils sont toujours
pour la vertu. »
Même s’il a tenté de s’expliquer dans
une contribution édulcorée parue dans
Le Devoir du 23-24 septembre, il n’en
demeure pas moins que l’homme présente les signes d’un malaise évident
face à une société qui évolue. Expression d’une nostalgie amère, le propos de
Godbout est celui d’un militant contrarié par un rêve inachevé. Sa frustration
peut être légitime, mais son désir de voir
la jeunesse s’inscrire dans la continuité
est exagéré, car Godbout ne semble pas
s’accommoder de la différence.
Il est tout de même étonnant de reprocher aux jeunes d’aujourd’hui de se préoccuper autant de l’environnement, alors
que le monde court à sa perte écologique.
Godbout ignore-t-il que l’environnement est devenu, à juste titre, le cheval
de bataille de la nouvelle génération
indépendantiste ? On fait la révolution
comme on veut et avec les moyens qu’on
juge appropriés. Godbout et ses comparses ont eu les leurs, libre à Boisclair et
ses acolytes d’imaginer un pays avec du
blanc, du bleu… et du vert. Libre aussi à
d’autres jeunes de transcender le débat
indépendantiste, de caresser d’autres
rêves et de boire les paroles d’une autre
espèce de «gourous». Godbout a peutêtre des raisons de s’inquiéter du Québec
de demain, mais sa myopie entraîne sa
prophétie dans le terrible paradoxe de
Cassandre.
Le Jumelé Automne 2006
Martin Bouffard
coutumes, leur religion et leur télévision. On sous-estime le fait que la soucoupe branchée sur Al-Jazira ou d’autres
chaînes étrangères empêche ces gens de
regarder la télévision indigène, qui, elle,
ne les intéresse absolument pas. Donc, ils
ne s’intègrent même pas le soir en rentrant à la maison. Ils sont entre eux. Sous
prétexte de permettre aux individus plus
de liberté, on se trouve à détruire une
cohésion sociale. La tribu canadiennefrançaise est en mauvaise posture : elle
n’a plus d’enfants ! »
Aux jeunes québécois, Godbout reproche
une certaine légèreté, mais surtout leur
rupture avec les idéaux des artisans de
Entre intégration et assimilation
C’est sans doute au sujet de l’immigration que l’auteur de Le Temps des Galarneau a laissé libre court à son délire. Là
encore, il se trompe lamentablement de
colère. Il verse d’abord dans une affligeante catégorisation, en réduisant les
immigrants à des tribus réfractaires
à toute intégration. Godbout fait un
amalgame évident entre intégration et
assimilation. Dans un Québec idéal, suggère-t-il à demi-mot, l’immigrant devrait
se défaire de sa langue maternelle, de sa
culture originelle, et tutti quanti. Bonjour l’homogénéisation ! Il ne reste qu’à
inventer cette merveilleuse machine dans
laquelle passeraient les immigrants, à
leur arrivée l’aéroport, pour devenir des
Québécois exemplaires, entendre par là
indépendantistes. Certes, on ne peut lui
en vouloir au vieux militant de faire
de la résistance culturelle, mais il y a
un pas vers le ridicule qu’il a franchi
­allègrement.
cher un emploi relève d’un tout autre
exploit, autrement plus ardu. Le repli
identitaire n’est pas l’apanage des immigrants ; un rejet nourrit un autre. Visiblement, au Canada, on excelle dans la
reproduction des solitudes.
Mais le plus désolant, c’est que Godbout ne voit que des menaces dans ce
nouveau métissage. Il ignore, ou feintil de le faire, que des bataillons d’immigrants participent aux chantiers du
Québec, épousent volontiers les valeurs
de ce merveilleux pays, bref font preuve
d’une parfaite intégration. Il ignore aussi
tout l’apport culturel et économique des
immigrants, se recroquevillant dans un
protectionnisme culturel désuet.
Godbout ravive de manière inappropriée
des séquelles historiques en associant
l’immigration à un facteur de désagrégation de la société québécoise. Le Québec
survivra à ses prédictions, mais ce sera
un Québec pluriel aux accents multiples et aux teints divers. En somme, un
Québec qui sera à l’image d’un monde
de plus en plus métissé et globalisé. Un
Québec où on peut alterner, sans fausse
note aucune, Mes Aïeux et Matoub Lounes ou Oum Kaltoum, et où retentit un
joual d’autant plus charmant qu’il émane
de ribambelles d’enfants aux yeux
bridées. ■
Ahmed Kouaou
Véronique tardivel
Véronique Tardivel est
étudiante au baccalauréat
en journalisme à l’UQAM.
C
et automne devait avoir lieu la mise
en place du nouveau plan d’action interculturel de la CSDM. Un mois
après la rentrée scolaire, où en sommesnous ?
Adoptée lors de consultations publiques
en mai dernier, la nouvelle politique
interculturelle de la commission scolaire montréalaise donnait le coup d’envoi pour le développement de stratégies
concrètes afin d’améliorer l’intégration
des élèves et des parents issus de l’immigration. Un million de dollars a été
dégagé cette année pour appuyer ces
initiatives.
Je me souviens étant jeune,
lors d’une sortie à la cabane à
sucre, d’avoir amené mon lunch
croyant que nous allions faire
un pique-nique dans les bois.
La CSDM présente une mosaïque interculturelle unique et un défi d’intégration
de taille. Sur les 73 000 écoliers qu’elle
accueille annuellement, 50 % ne parlent
ni le français ni l’anglais à la maison.
Ces jeunes proviennent de 180 pays et,
ensemble, maîtrisent quelques 150 langues et dialectes. Que cette nouvelle politique amène un vent de fraîcheur au sein
de la population enseignante et des divers
organismes et communautés culturelles
n’a rien d’étonnant. Les besoins d’une
meilleure communication et compréhension mutuelle entre les parents et l’école
se font de plus en plus ressentir.
« Je me souviens étant jeune, lors d’une
sortie à la cabane à sucre, d’avoir amené
mon lunch croyant que nous allions faire
un pique-nique dans les bois. Sur le coup,
c’était embarrassant, mais imaginez-vous
le trouble pour les parents nouvellement
arrivés lorsqu’il est question d’inscription, de transport scolaire ou encore de
service de garde ! » Originaire de la Hongrie et arrivé au Québec à l’âge de 11 ans,
Akos Verboczy est maintenant commissaire scolaire de son quartier d’adoption,
Wesmount/Côte-des-neiges. En tant
que président du comité des relations
interculturelles de la CSDM, qui a initié
cette nouvelle politique d’intégration,
son cheminement personnel lui apporte
une expertise et lui confirme l’urgence
d’agir : « Je représente la génération des
enfants de la loi 101 qui habitent et qui
aiment Montréal. » Monsieur Verboczy
est conscient des nombreuses problématiques entourant la réussite scolaire des
nouveaux élèves issus des différentes
communautés.
> suite en page 5, CSDM
Un Québec où on peut alterner,
sans fausse note aucune, Mes
Aïeux et Matoub Lounes ou
Oum Kaltoum
L’ancien journaliste s’est-il interrogé,
une seule fois, sur la place des immigrants dans la télévision indigène ? A-t-il
essayé de compter les yeux bridées et les
têtes basanés ou noires dans cette télévision blanche aux yeux bleus ? Il faut
être aveugle et sourd pour ne pas savoir
que les immigrants sont sous représentés dans les médias francophones. Et
« les anglos » font meilleure figure en la
matière ! De plus, l’évocation de l’immigration dans les médias est souvent
teintée d’une connotation péjorative renvoyant aux gangs de rue, à la pauvreté,
à l’assistance sociale, etc. Il ne faut pas
s’étonner dès lors que certains néo-québécois se tournent vers d’autres canaux
d’information. Par choix ou par simple
nostalgie et souci d’information de ce qui
se passe dans leurs pays d’origine.
« Ils (les immigrants) sont entre eux »,
claironne encore Godbout. Les Québécois
aussi, lui rétorqueront certains. S’est-il
informé, un jour, sur la difficulté des
immigrants à s’intégrer dans la société
québécoise ? N’en déplaise à Jean Coutu,
dans la grande pharmacie du Québec, il
est difficile de trouver des amis. Décro-
Spécial enfants-jeunesse
CPE, Centres de la petite enfance
Carole Barbeau, directrice,
CPE La Ruche
Blandine Philippe
parler aux parents dans une autre langue que le français » explique Madame
Barbeau.
Mais au-delà des mots et de la langue, il
y a l’incontournable question de la différence culturelle. Andréia Bittencourt,
directrice d’un CPE dans Côte-des-Neiges, témoigne : « J’ai aussi travaillé à
Ville-Émard qui, il y a encore peu de
temps, était très québécois. Les éducatrices y étaient essentiellement québécoises. Aujourd’hui ce quartier devient
de plus en plus multiethnique. Les éducatrices en place ont commencé à avoir
Il nous faut de plus en plus
parler en anglais, bien que
certaines éducatrices acceptent
encore difficilement de devoir
parler aux parents dans une
autre langue que le francais.
À titre d’exemple, elle nous a expliqué
que si les Québécois sont très directs
dans leur manière d’aborder un échange
(Bonjour, ça va bien, demain il faut
apporter des couches ou encore Bonjour, ça va bien, regardez, vous n’êtes
pas à l’heure), cette manière de faire
ne correspond pas aux codes de communication de plusieurs communautés.
On a donc appris à aborder les parents
différemment: Bonjour, comment ça
va ? Avez-vous passé une bonne fin de
semaine ? Est-ce que la famille va bien,
les enfants, les autres bébés, est-ce que
tout se passe bien ? »
Ces éléments du quotidien sont subtils et
importants à comprendre. Beaucoup de
préjugés ont ainsi pu être déconstruits,
permettant de créer une toute autre
atmosphère entre parents et éducatrices. Dans leur grande majorité, celles-ci
sont ouvertes à la différence, mais elles
ne savent tout simplement pas toujours
comment s’y prendre.
Le personnel comprend, apprend et
s’adapte, au même titre que « la clientèle
semble essayer de s’adapter à la société
québécoise » précise Carole Barbeau.
Les repas ne sont qu’un des multiples
aspects de cette nouvelle mixité culturelle. L’approche auprès des parents et
l’orientation des services offerts sont
également amenées à évoluer. « On a
à cœur d’établir une bonne communication avec les parents. Si le contact
quotidien du personnel éducatif auprès
des enfants se fait en français, ce n’est
pas forcément le cas auprès des parents.
Il nous faut de plus en plus parler en
anglais, bien que certaines éducatrices
acceptent encore difficilement de devoir
Andréia Bittencourt, directrice,
CPE Les Amis promis
de la difficulté à gérer le quotidien et à
communiquer avec les parents. J’ai dû
faire venir une spécialiste de la diversité culturelle pour donner une formation aux éducatrices afin qu’elles soient
mieux outillées pour aborder les parents
et aussi pour mieux intervenir auprès
des enfants. »
Dans mon personnel éducatif
immigré, j’ai des travailleurs
sociaux, psychologues,
avocates ou encore ingénieures
Dans ce contexte, le Regroupement des
Centres de la petite enfance de l’Île de
Montréal offre à l’ensemble du personnel des CPE des formations orientées
une spécialiste de la diversité
culturelle pour donner une
formation aux éducatrices afin
qu’elles soient mieux outillées
pour aborder les parents
sur cette thématique. À titre d’exemple,
l’atelier « Moi, toi… et nos deux cultures »
aborde la relation adulte/enfant et ses
influences au quotidien, en l’intégrant
au travail éducatif auprès des enfants
d’origines diverses. L’enfant de 0-5 ans
issu d’une autre culture est placé au
cœur de ces discussions.
Il est à noter que les garderies les plus
anciennes disposent généralement d’une
équipe pédagogique ayant la même
ancienneté. Les éducatrices y sont pour
la plupart québécoises de naissance. Au
CPE La Ruche, crée en 1976, un seul
membre du personnel est issu de la
nouvelle immigration. Par contre, lors
de l’implantation récente des garderies
en milieu familial, 75 % des éducatrices étaient des nouvelles immigrantes.
Au CPE Les Amis promis, ouvert il y
a tout juste une année, neuf des treize
employées, soit 70 %, sont nées à l’extérieur du pays. Au CPE Saint-Denis, sur
les 39 employés permanents et occasionnels, seulement 12, soit à peine le
tiers, sont nés au Québec.
multiples qu’il y a de pays. Là encore, le
consensus des propos recueillis est frappant : tous s’accordent à dire que l’on
est en présence, tout simplement, de la
réalité québécoise d’aujourd’hui, dans
un contexte pluriculturel et que c’est
cela vivre la vraie réalité, sous-entendant que cette diversité est désormais
du domaine de l’acquis.
Certains parents s’inquiètent parfois.
Leur crainte principale se situe avant
tout au plan de l’apprentissage de la langue française. Ils peuvent appréhender
qu’une éducatrice dont la langue maternelle n’est pas le français ne puisse offrir
l’environnement linguistique auquel ils
seraient en droit de s’attendre.
Pour d’autres au contraire, voilà une
occasion unique dont ils souhaitent voir
bénéficier leur enfant. « Des parents nous
font savoir qu’ils veulent profiter de nos
éducatrices hispanophones pour que
leur jeune enfant apprenne l’espagnol !
s’enthousiasme madame Henriquez. On
a donc élaboré un projet pédagogique
dans ce sens, incluant des enregistrements de chansons en espagnol pour
les parents. Ces derniers nous précisent
qu’ils parlent de toute manière en français à la maison avec leur enfant. Les
parents étaient très ouverts. »
Cette diversité est désormais
du domaine de l’acquis
Au moment même où le milieu de la
petite enfance manquait cruellement
de personnel, le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles
présentait cette filière comme possibilité
d’emploi aux femmes qui arrivaient au
pays. Pour la plupart diplômées d’autres
secteurs d’activités, ces nouvelles éducatrices se sont repliées vers cette filière
« facilement accessible » de la petite
enfance car leurs diplômes étrangers ne
sont pas reconnus.
Mirea Henriquez, directrice du CPE StDenis explique : « Dans mon personnel
éducatif immigré, j’ai des travailleurs
sociaux, psychologues, avocates ou
encore ingénieures, qui arrivent avec des
diplômes mais qui ont de la difficulté
à travailler dans leur domaine et qui
du même coup cherchent à faire autre
chose. Notre cuisinière mexicaine était
travailleuse sociale dans son pays et se
résigne à présent en déclarant : je fais
ce que je peux faire ici ! »
Que ce soit dans Côte-des-Neiges, Rosemont ou Hochelaga-Maisonneuve, le
constat est le même : les candidatures
spontanées, pour ouvrir une garderie
familiale ou intégrer une installation
gérée par un CPE, proviennent de femmes immigrantes dans 85 % des cas.
Serions-nous à la veille d’une minirévolution culturelle dans le monde de la
petite enfance ? Enfants et éducateurs
proviennent dorénavant d’horizons aussi
Mirea Henriquez, directrice,
CPE Saint-Denis
Blandine Philippe
recettes, tels la guimauve qui contient de
la gélatine dans laquelle il y a du porc,
ou encore le jello qui lui aussi contient
de la gélatine. Finalement, j’ai consulté
la nutritionniste de notre CLSC ! »
Étienne n’en était pourtant pas à sa
première batterie de cuisine, comptant
une vingtaine d’années de métier dans
des milieux aussi divers que le Palais
de justice, des institutions religieuses et
d’autres CPE en région. Mais aujourd’hui
c’est différent : il prend conscience,
sur le terrain, de l’immense pluralité
culturelle du quartier Côte-des-Neiges
dans lequel il travaille, où la moitié
de sa population est composée d’une
immigration récente et qu’il apprivoise
tranquillement depuis une année. À son
CPE, 90 % des enfants sont de parents
nouvellement arrivés et représentent une
douzaine de pays différents.
« Au début, précise Étienne, les parents
étaient un peu inquiets et aussi gênés
sans doute. Ils se demandaient comment j’allais composer avec les restrictions alimentaires de leur enfant. Il m’a
fallu les mettre en confiance et leur faire
comprendre que mon métier n’est pas de
juger mais de respecter. » Une relation
de confiance s’établit. Étienne se montre intéressé à comprendre certains rites
culturels spécifiques, le principe de la
viande halal et des prières qui l’accompagnent par exemple. De leur côté, les
parents viennent le rencontrer pour dialoguer et repartent parfois avec la recette
du pâté chinois ou de la sauce à spaghetti. Une qualité d’échange qui nourrit Étienne, lui qui n’avait jusqu’alors
jamais été confronté à cette réalité dans
d’autres CPE, la proportion d’immigrants
installés sur l’Île de ­Montréal étant
encore relativement concentrée dans
certains de ses quartiers.
Néanmoins, les couleurs des quartiers
évoluent progressivement, bouleversant
parfois les repères du milieu de la petite
enfance, qu’ils soient de nature culinaire, pédagogique ou encore d’ordre
communicationnel. Ce milieu semble
en effet révéler, avec plus de justesse
et de précisions que ne le font les études sociodémographiques actuelles, le
renouveau culturel qui se dessine au
Québec.
Identifié comme un des bastions les plus
francophones de Montréal avec près de
95 % de sa population parlant le français, le quartier Hochelaga-Maisonneuve
situé dans l’Est de Montréal, n’échappe
pas à ces changements. Sa population
immigrante représente à présent 12 %
de ses résidents. Dans les garderies, la
proportion peut atteindre 30 %.
Carole Barbeau, directrice du CPE La
Ruche note des changements notables
dans ce sens depuis les six dernières
années. Sur la liste d’attente, les nouveaux arrivants deviennent majoritaires. Et à partir du moment où, dans son
installation, les enfants musulmans ont
représenté près de 20 % de sa clientèle, il
a été décidé de faciliter le travail en cuisine en y bannissant la viande de porc.
Ce choix semble relativement unanime au niveau des centres de la petite
enfance.
Blandine Philippe
Étienne Anglehart, cuisinier,
CPE Les Amis promis
Blandine Philippe
> suite de la page 1
Dans la foulée, Mirea Henriquez initiait un autre projet novateur au CPE
St-Denis, en réalisant un guide sur
les habitudes alimentaires qui tienne
compte des origines culturelles variées
de sa clientèle, tout en les initiant à la
vie quotidienne du Québec.
Au-delà des chansons de couleur et des
feux planétaires, parions que nos jeunes
Québécois, les enfants de l’avenir, nés
ici ou ailleurs, sauront bâtir une société
dont on ne peut pas encore soupçonner
ni le langage ni la couleur : leurs rêves
de demain…
■
Blandine Philippe
Le Jumelé Automne 2006
Spécial enfants-jeunesse
CSDM, classes d’accueil pour parents immigrants
> suite de la page 3
la distribution de fiches d’information sur
le système scolaire québécois à l’utilisation du service de garde comme manière
de personnaliser le lien avec les parents.
On prévoit des formations à composante
interculturelle pour le personnel enseignant ainsi que des cours de francisation
pour les parents qui pourraient prendre la
forme originale de classes d’accueil.
il est important pour nous,
la société d’accueil,
de nous affirmer
Durant les consultations publiques du
printemps dernier, les parents ont exprimé
le besoin d’être mieux initiés aux valeurs
et à la culture québécoise. Monsieur Verboczy mentionne « qu’il est important pour
nous, la société d’accueil, de nous affirmer
et de promouvoir notre patrimoine auprès
des autres cultures ». Aussi, les membres
de son comité se penchent actuellement
sur la problématique de l’explication des
bulletins : « Ce n’est pas tout de traduire
le jargon technique, il faut mentionner les
motivations et la philosophie derrière nos
modes d’évaluation et ce, tout en restant
ouvert aux échanges et aux commentaires constructifs ». Ces classes pour parents
immigrants auraient alors pour objectif de
leur offrir une meilleure compréhension
Blandine Philippe
Enseignante au secondaire depuis quinze
ans à la CSDM, Jasmine Langevin est
confrontée chaque jour à de nouvelles
réalités. Selon elle, le plan d’action arrive
à point : « Le visage du réseau montréalais de l’éducation a changé énormément
depuis les sept dernière années. Il est
courant de devoir communiquer avec
les parents pour leur expliquer l’importance de fournir à leur enfant le matériel
scolaire nécessaire, ou même de voir un
jeune servir d’interprète lors des rencontres avec les parents ».
Les projets évoqués par la nouvelle politique interculturelle sont variés : cela va de
La moitié des élèves montréalais nés à l’étranger résident dans une zone
défavorisée ; le temps d’insertion dans les classes d’accueil à été coupé de
moitié par le ministère passant de deux à un an : la solution à leur intégration
et à celle de leur famille réside-t-elle en une meilleure diffusion de nos valeurs
nord-américaines ? « Les immigrants ici, ce sont des survivants. Il n’est pas rare
qu’ils aient à travailler jusqu’à vingt et une heures tous les soirs pour nourrir
leur famille, alors ne leur demandez pas de fournir une aide aux devoirs à leurs
enfants… » Nicole Malouin, enseignante au primaire.
du système d’éducation québécois dans
son ensemble.
Des idées, donc, ce n’est pas ça qui manque ! Mais quand et comment verronsnous se concrétiser ces stratégies ?
« L’enveloppe d’un million de dollars
sera répartie par quartier et par projet. »
Akos Verboczy souligne que cette formule de budget participatif décentralise
le pouvoir et le remet entre les mains des
parents et des responsables de quartier.
« Au début de janvier prochain, les comités de quartier formés respectivement
du commissaire et des représentants du
conseil d’établissement de chaque école,
habituellement un parent et un membre
de la direction, seront en mesure de pouvoir présenter leurs idées. Notre défi sera
de veiller à ce qu’ils travaillent ! »
Ces nouveaux professeurs
comprennent davantage
la réalité des jeunes
d’origines diverses.
Le commissaire est confiant quant à la
réalisation du plan d’action et cite en
exemple l’application de la politique
d’accès à l’égalité en matière d’embauche. Elle est entrée en vigueur en 2005 et
ses effets se font déjà ressentir. À l’heure
actuelle, 12 % des employés de la commission scolaire proviennent de minorités ethniques visibles, un pourcentage
qui tend à augmenter.
« Cette année, à l’école, il y a une supLe Jumelé Automne 2006
pléante qui porte le voile et un enseignant haïtien a également été engagé ».
Cette meilleure représentation élèvesenseignants rend Madame Langevin,
confiante. « Ces nouveaux professeurs
comprennent davantage la réalité des
jeunes d’origines diverses. En plus de
parler leur langue et de connaître leurs
valeurs, ils sont des modèles de réussite ».
Sachant que cette année Montréal recevra 48 000 nouveaux venus, la mise en
application de la politique interculturelle de la CSDM reflète une réalité et
un besoin criant qui étaient jusqu’alors
peu documentés en milieu scolaire. Elle
vient appuyer un mouvement de plus en
plus important d’initiatives favorables
au développement de relations interculturelles harmonieuses. Pensons au
projet de jumelage entre immigrants et
Québécois, aux festivals et événements à
saveurs multiculturelles ou encore à des
projets d’éducation des jeunes aux droits
humains comme celui d’Équitas. Présentement, la reconnaissance des équivalences de diplômes des nouveaux arrivants,
la représentativité politique, l’application
de mesures contre le racisme et la discrimination, sont autant de thèmes et de
débats quotidiennement abordés par les
médias et par les différents niveaux de
paliers politiques. Soit, la CSDM se colle
à notre nouvelle réalité de société plurielle et prend le virage à temps.
■
Véronique tardivel
Spécial enfants-jeunesse
Orphelins chefs
de famille
Jeunes enfants immigrants
Marie-Claire Rufagari
e retour d’un voyage au Rwanda,
pays des mille collines, décrit
par certains comme le pays au printemps éternel et pas d’autres comme un
immense jardin, j’ai été interpellée par
une réalité qui ne laisse personne indifférent : les orphelins chefs des ménages*.
Ces enfants qui étaient bébés ou très
jeunes en 1994, aujourd’hui ne sont ni
dans des orphelinats ni dans des foyers
d’accueil. Ils assument des rôles d’adultes
avant le temps. En les voyant, la chanson
de Corneille Seul au monde a pris toute
sa signification pour moi.
Invitée, ainsi qu’une collègue travailleuse
sociale, par des ressources locales qui
essaient de venir en aide à ces enfants,
j’ai eu l’occasion de rencontrer 136 de
ces orphelins qui ont partagés avec nous
leurs réalités avec courage et bravoure
alors qu’ils souffrent énormément. Lorsque quelques uns d’entre eux nous ont
parlé individuellement, leur plus grande
demande était qu’on soit une maman
pour eux. Ils aimeraient tant avoir quelqu’un à qui présenter leurs bulletins
scolaires comme les autres enfants ;
quelqu’un qui pourrait les représenter
lorsqu’il y a des problèmes à l’école ;
bref, quelqu’un pour qui ils pourraient
compter.
Avant le génocide, ces enfants auraient
été pris en charge par la famille élargie.
Mais elle non plus n’est plus là et le tissu
social est à reconstruire. L’ampleur des
souffrances et des problèmes est telle
qu’il reste énormément à faire. Plusieurs
Rwandais ont pris à leur charge quelques
uns de ces orphelins. Il en reste beaucoup qui auraient besoin d’être aimés
et entourés. Les traumatismes vécus et
S
persistants sont incommensurables, et se
manifestent davantage encore à chaque
mois d’avril, depuis douze ans, période de
commémoration. Le pays ne dispose que
de très peu de ressources psychosociales,
qu’elles soient humaines, matérielles ou
financières. Les institutions et associations oeuvrant en santé mentale sont
débordées et vite dépassées par le nombre
et la complexité des cas.
Bien que les défis à relever soient immenses, l’espoir demeure si l’on garde présent
à l’esprit que l’océan est fait de gouttes
d’eau. C’est ainsi que j’ai décidé de me
joindre à tous ceux qui s’impliquent à
chercher des pistes de solution avec ces
enfants. Le besoin de recréer des liens
étant crucial pour les orphelins chefs des
ménages, des projets de jumelage et de
parrainage tels que ceux mis en place
au Québec dans d’autres sphères sociales, pourraient certainement inspirer des
actions la-bàs.
■
* Les orphelins chefs des ménages est l’expression utilisée au Rwanda pour désigner ses
enfants que nous définirions ici comme chefs
de famille.
’il est connu que la grande majorité
des nouveaux arrivants au Québec
s’installent principalement à Montréal,
ceux-ci sont toutefois de plus en plus
nombreux à « tenter leur chance » dans
l’une ou l’autre des régions de la province.
Ce qui jusqu’à présent était davantage
observé et documenté dans la métropole
le devient progressivement pour le reste
du territoire : le flux migratoire se déploie
et avec lui son lot de questionnements, de
réflexions et d’analyses, face à des situations nouvelles.
Ainsi, l’organisme Actions interculturelles de développement et d’éducation
(AIDE) a mis sur pied, en collaboration
avec l’Université de Sherbrroke, un projet
de recherche-action pour favoriser l’intégration sociale des enfants immigrants
de moins de six ans et de leurs familles
en Estrie.
Entamée en décembre 2005, cette étude
devrait aboutir à l’automne 2007.
Son objectif est double : connaître l’impact des difficultés d’inclusion sociale des
familles immigrantes sur le développement et le bien-être des enfants ; définir
et diffuser les stratégies d’intervention
favorisant l’intégration de cette même
clientèle. Un des objectifs sous-jacents,
à plus long terme, est de permettre une
« meilleure résussite scolaire et une intégration plus réussie au sein de la communauté québécoise ».
À Sherbrooke, sur un échantillon d’une
vingtaine de centres de la petite enfance
(CPE), environ 18 % des enfants sont issus
de l’immigration (enfants dont les deux
parents sont nés à l’étranger). On est loin
du contexte montréalais et pourtant, la
région décide de prendre les devants en
Promenade automnale pour Jinane Elkorri et son conjoint Abdel ouahed
Oubaid. Originaires du Maroc, ils se sont installés au Québec il y a 4 ans.
Leur fils Riyane, 3 ans, est quant à lui né ici.
se préparant justement à accueillir ces
changements sociaux.
À l’heure actuelle, l’étude poursuit sa
phase d’observation pour comprendre ce
qu’il se passe dans les milieux : éducateurs à la petite enfance, enfants, parents
et intervenants sont rencontrés et questionnés. Il s’agit d’évaluer autant les difficultés perçues par les familles que de
cerner par exemple les modes relationnels
établis par le personnel des CPE. Il est
nécessaire de dresser un portrait le plus
fidèle possible des réalités rencontrées.
À terme, ce projet devrait permettre de
réunir le milieu de la recherche scientifique et les organismes communautaires
de l’Estrie dans le cadre d’un partenariat
multilatéral : favoriser le développement
et le bien-être des enfants par une facilitation de l’inclusion sociale de la famille.
Pour toute information consulter le www.
J
aide.org La traite des enfants au Québec
Catherine Gauvreau
Catherine Gauvreau est chargée
de programme « Traite d’enfants »
au Bureau international des
droits des enfants.
S
elon le protocole de Palerme, ratifié
par le Canada en mai 2002, la traite
d’enfants se définit par le recrutement, le
transport, l’hébergement ou l’accueil d’un
enfant aux fins d’exploitation. L’UNICEF
estime à près de 1,2 millions les enfants
trafiqués chaque année dans le monde.
Nous ne sommes pas exempts de ce fléau :
le Canada est non seulement un pays de
destination et de transit, mais aussi un
pays d’origine. La Gendarmerie Royale du
Canada évalue à 800 le nombre de migrants
soumis à la traite chaque année au pays et
entre 1 500 et 2 200 le nombre de victimes
de traite passant en transit au Canada pour
se rendre aux États-Unis. En 2004, dans
un rapport préliminaire sur la situation
au Canada, il a été relaté qu’à Montréal
et à Toronto, les victimes proviennent en
majorité de l’Europe de l’Est, des Caraïbes
et de l’Afrique, tandis qu’à Vancouver, elles
sont originaires principalement de l’Asie du
Sud-est et de l’Amérique latine.
Au Canada, la Loi sur l’immigration interdit d’organiser l’entrée au pays d’une
personne par des moyens illégaux dans le but de l’exploiter. Le Code criminel a
par ailleurs été amendé afin de créer trois nouvelles dispositions interdisant de
participer à la traite de personnes ou d’en tirer avantage. Enfin, il est important
de noter que des directives provisoires de Citoyenneté et immigration Canada
sur la traite de personnes ont été émises en mai 2006. Jusqu’à présent, une
seule personne a été accusée d’avoir commis la traite de personnes selon la Loi
sur l’immigration. Aucune décision n’a encore été rendue dans le dossier.
La pauvreté, souvent liée à l’inégalité économique mondiale, est citée dans la presque totalité des ouvrages comme étant la
principale source de vulnérabilité à la traite
des personnes. Cette pauvreté peut inciter
des parents à chercher de meilleures conditions de vie pour leurs enfants, ce qui les
dispose à la manipulation, la tromperie et
l’exploitation.
La mondialisation, qui est en partie responsable de la mobilité des personnes,
de la pauvreté, du chômage, du statut
précaire des jeunes et de l’expansion du
crime organisé international, rend les jeunes vulnérables à la traite. D’autres facteurs facilitant ont également été identifiés
notamment l’analphabétisme, l’érotisation
des enfants dans les médias, l’inadéquation
des législations et le manque d’implication
de la police.
Enfin, des politiques d’immigration restrictives favorisent la traite de personnes.
Des contrôles migratoires plus stricts créent
des situations où cela devient plus difficile
pour des enfants de demander l’asile.
Le Bureau international des droits des enfants termine actuellement la première partie de son projet sur l’étude du phénomène de la traite d’enfants
au Québec. Des recommandations ont été rédigées afin de mettre en place
des outils, des mesures et des stratégies d’intervention pour prévenir la traite
d’enfants, protéger les victimes et poursuivre les trafiquants. Un groupe de
discussion ouvert à tous et portant sur le thème de la protection des enfants
victimes de traite externe aura lieu le 27 novembre de 13h30 à 16h30.
Pour toute information, contacter le 514-932-7656 poste 223, écrire à
[email protected] ou encore visiter le www.ibcr.org
Les enfants victimes de traite se voient
confrontés à plusieurs difficultés psychosociales. Ils souffrent également de dépression, d’anxiété, de pensées suicidaires et
ils présentent une faible estime de soi. Le
syndrome de stress post traumatique ainsi
que des désordres alimentaires et de sommeil sont des manifestations fréquentes
chez les victimes.
Outre le traumatisme provoqué par le
contexte d’exploitation, les victimes se
voient souvent confrontées à des lésions
physiques, des grossesses précoces ainsi
que des infections transmises sexuelle-
ment. Par ailleurs, les victimes sont également souvent prises avec des problèmes de
consommation d’alcool et de drogues.
Enfin, lorsque les enfants réussissent à se
sortir de l’emprise des trafiquants, ils continuent de vivre un choc psychologique.
Souvent, ils doivent faire face au processus
judiciaire, la mise ou le retour en protection parfois sous la contrainte, la peur des
représailles et les menaces sur l’environnement immédiat proféré par les trafiquants,
ainsi que le sentiment intense de solitude
causé par la perte des liens sociaux. ■
Le Jumelé Automne 2006
Blandine Philippe
D
L’Estrie prend les devants
Jeunes réfugiés et immigrants
Unissons nos voix !
Harini Sivalingam
est étudiante à
l’Université McGill
E
n tant qu’enfant d’immigrants du Sri
Lanka, pays longtemps aux prises
avec un conflit sanglant qui a généré de
grandes vagues d’exil vers le Canada, je
me suis intéressée à la question des droits
des réfugiés. Mes parents proviennent
de Jaffna, ville de l’extrême nord du Sri
Lanka, berceau de la culture tamoule.
Fuyant la répression et la violence de leur
pays d’origine, j’ai vu plusieurs membres
de ma famille et amis venir s’établir au
Canada.
Au cours des dernières années, j’ai travaillé étroitement avec des réfugiés de ma
communauté, dont beaucoup de jeunes
mineurs non-accompagnés. Je connais
bien les difficultés qu’éprouvent les réfugiés dans le domaine de de l’éducation,
de la santé, et de leur établissement au
pays. Les réfugiés, un des groupes les
plus vulnérables de notre société, doivent
faire face à beaucoup de contraintes et
d’obstacles.
Je crois que la jeunesse a un rôle prépondérant à jouer pour assurer la protection et
le respect des droits des réfugiés. Nous ne
représentons pas seulement le futur, nous
sommes également le présent. En tant que
jeunes Canadiens nous avons le pouvoir et
la force d’initier et d’appuyer des changements positifs dans notre société. Ensemble, nous avons gagné certaines batailles
telles qu’obtenir des prêts d’étudiants pour
les réfugiés désirant poursuivre leurs études au niveau collégial et universitaire.
Cependant, il y a encore beaucoup de
combats à livrer.
J’ai espoir que cet automne, à la Consultation du Conseil Canadien pour les Réfugiés
qui se déroulera à Montréal du 23 au 25
novembre, les jeunes, d’un bout à l’autre
du pays, sauront unir leurs voix et partager leurs idées et stratégies afin d’améliorer la protection des réfugiés au Canada.
Beaucoup de questions importantes seront
discutées lors de cet événement et j’attends
avec impatience de rencontrer tous ces
jeunes qui assisteront à cette consultation
d’envergure. Pour information, consulter
www.web.net/ccr/
■
« Il y a une multitude de façons de s’engager et de faire valoir notre point de vue: en
adhérant aux campagnes de mobilisation et de sensibilisation, en participant aux différentes conférences, en s’impliquant au sein du groupe des jeunes du CCR. » ­Catherine
Lamarche, étudiante à l’UQAM.
Taro
Harini Sivalingam
Double minorité
1
du déracinement, deux cultures qui se
mélangeront à leur pays d’adoption, et
puis à celui d’un territoire commun, celui
de la petite enfance.
« Les enfants sont purs, spontanés surtout,
sans arrière-pensées et naturels. Je trouvais
cela magnifique. » confie Alberto. Pour
Francis, le sentiment est le même : « Les
enfants ont cette manière de te montrer
qui tu es. Ils sont spontanés, honnêtes… ils
observent, sont curieux, cherchent la vraie
raison des choses… Je me suis beaucoup
découvert à travers eux. »
À son arrivée au Québec, Francis grandira
dans le quartier Rosemont à Montréal,
Blandine Philippe
BLANDINE PHILIPPE
976, le général Videla s’empare du
pouvoir argentin. Une répression très
dure s’engage alors contre les mouvements
d’opposition se manifestant par des exécutions et la pratique de la torture. Plusieurs
dizaines de milliers de personnes disparaîtront sous les armes de la junte militaire.
Une situation insoutenable, obligeant
Alberto Iscla à quitter précipitamment le
pays avec sa femme Alicia et leur jeune
garçon de quatre ans.
Sensiblement à la même période, de l’autre
côté de l’océan Atlantique, le Kenya coule
tranquillement les assises de son indé-
Alberto Iscla, originaire
d’Argentine, éducateur en CPE
pendance acquise quelques années plus
tôt, tandis qu’un des ses enfants, Francis
Augustin, quitte avec sa mère le pays de
la « terre des lions » pour venir s’installer
au Québec.
25 ans plus tard, le cœur d’Alberto continue de vibrer aux rythmes du tango, celui
de Francis continue à faire écho aux traditionnels dictons africains.
Deux continents et deux histoires, uniques, brassées par les flots du voyage et
Le Jumelé Automne 2006
parmi d’autres enfants, principalement
néo-québécois, ses pairs comme il les
appelle, soit des enfants d’autres communautés culturelles, italienne ou haïtienne
par exemple. Il se souvient avoir eu des
difficultés de concentration en classe, ce
qu’il explique avant tout par une absence
d’identification à son passé. « Ma mère a
vécu des expériences difficiles qu’elle a
tenté d’oublier en voyageant et en émigrant. C’est éprouvant pour elle de reve-
nir sur son passé, ce qui entraîne pour
moi le problème de savoir d’où je viens, et
la difficulté d’acquérir un espace à moi. »
Ne te penche pas sur ton passé, vis plutôt
le moment présent, cela va t’amener à te
découvrir toi-même au fur et à mesure que
tu grandiras, telle était l’approche préconisée par sa mère.
De son côté, Alberto sera orienté vers
Ville-LaSalle par le gouvernement canadien, dès son arrivée à Montréal.
« On est arrivé en avril, il neigeait et il faisait froid. Au début, il a fallu s’habituer
au climat, à la langue, à la nourriture, aux
horaires… des choses qu’on arrivait tranquillement à apprivoiser. Ainsi, la première
année en fut une de découvertes, car tout
était neuf. La deuxième année fut la plus
ardue : l’étape de l’adaptation commence.
Pas évident.t Je refusais de vivre en ghetto
avec d’autres Latino-Américains car les
ghettos ne favorisent pas l’intégration. Ils
te protègent tout en t’isolant. On a donc
décidé de quitter Ville-Lasalle où il y avait
beaucoup de réfugiés salvadoriens, guatémaltèques, polonais et d’autres nationalités
de l’Europe de l’Est, et nous nous sommes
installés dans Hochelaga-Maisonneuve. »
Alberto travaillait alors dans un restaurant
quand la garderie de son fils lui offre de
faire quelques remplacements : il ne savait
pas encore qu’une nouvelle carrière s’offrait à lui et qu’il ressentirait instantanément la piqûre pour ce petit monde.
Une croisée de chemins presque similaire
se présente à Francis. Il fait lui aussi ses
premiers pas en garderie à titre de remplaçant, avant de décider de poursuivre, tout
comme Alberto, les cours en technique de
service de garde à l’enfance au Cégep du
Vieux Montréal.
Voilà deux hommes, de générations différentes, issus de communautés culturelles,
plongés dans un milieu de travail presque
exclusivement féminin, au cœur de ce
nouveau Québec pluriel.
Blandine Philippe
Hommes immigrés et éducateurs à la petite enfance
Francis Augustin, originaire du
Kenya, éducateur en CPE
Pour Francis, le premier contrat a été
laborieux. Se plonger dans le monde du
travail, découvrir les enfants, changer
régulièrement de groupe d’âge depuis
les poupons à ceux de cinq ans, côtoyer
des éducatrices ayant de l’ancienneté…
autant d’adaptations multiples : « Même
sans culture personnelle, j’avais de la
difficulté à m’acclimater à la culture québécoise, dans un milieu de travail où peu
de communautés culturelles sont représentées. Il m’était dur de saisir certaines
manières d’agir, alors que je voulais toujours comprendre la vraie signification
des choses au-delà des mots et des apparences. Moi, un homme, j’étais plongé
dans un milieu de femmes et de plus, je
suis noir… Me voilà en face d’une foule
de petites barrières, confronté bientôt à
ma peur des préjugés. J’ai ressenti tellement de peurs qui persistent d’ailleurs
aujourd’hui. Je crois que la peur s’atténue
seulement si on refuse de voir les vraies
choses, c’est-à-dire le racisme, la discrimination et les préjugés. Alors là, oui,
tout va bien. Par contre si on regarde
la réalité en face, alors on est obligé de
veiller à ce qu’on dit et à ce qu’on fait. »
Au cours de ses premières expériences en
garderie, combien de fois Francis n’a-t-il
pas ressenti de la méfiance à son endroit ?
Combien de fois l’ombre de préjugés
n’a-t-elle pas plané autour de questions
sur l’homosexualité ou la pédophilie
au point d’en assombrir ses relations
professionnelles ? Combien de fois son
entourage ne s’est-il pas questionné sur
les motifs de son amour des enfants, et
combien de fois n’a-t-il pas été invité à
souper par des éducatrices ou même par
des parents dans l’intention de le tester
à ce propos ?
Or, la première fois était déjà de trop.
Depuis lors, Francis doit faire extrêmement attention, car tout peut être
interprété de travers. Une petite blague
adressée à un enfant pourrait arriver tout
différemment aux oreilles de ses parents…
et dans ce cas, tout serait possible.
Bref, du fait qu’il est un homme noir en
garderie, Francis se retrouve acculé à un
> suite en page 12, DOUBLE MINORITÉ
Intégration linguistique
Immigrants et français
Parlons-en !
Ahmed Kouaou
ontrairement à une idée erronée
et largement répandue, la grande
partie des immigrants qui arrivent au
Québec sont francophones. Ils proviennent notamment de France, d’Afrique
du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie, Mauritanie) et d’Afrique noire (Sénégal, Mali,
Côte-d’Ivoire, Cameroun, etc). Autant
de pays où le français est sinon langue
officielle, du moins omniprésent dans les
systèmes scolaire et administratif. Tout
compte fait, les allophones ne sont pas
si nombreux qu’on le prétend, comparativement à ces immigrants qui ont une
très bonne maîtrise du français.
En dépit de cette réalité bien établie, il
n’est pas rare de constater l’existence
de certains clichés. Il est assez fréquent
en effet que des immigrants se fassent
aborder en anglais par des commerçants
et autres fonctionnaires québécois sur la
seule base de leur apparence physique.
Un ami me racontait, l’autre jour, une
histoire anecdotique qu’il a vécue avec
une dame native de Québec, dans un
parc montréalais. Accosté en anglais
C
par la quinquagénaire, mon ami, francophone jusqu’à la moelle, a vite fait
de répondre en français pour faciliter la
communication avec son interlocutrice.
Mais grande fut sa surprise quand la
femme en question a continué à baragouiner son anglais approximatif, malgré son insistance à répondre en français.
Ce faisant, notre anglophone en herbe
s’est-elle exprimée dans une langue
empruntée parce que la personne en face
d’elle, basanée et typée, n’avait pas les
caractéristiques d’un francophone « pure
laine » ? En tout état de cause, ce banal
fragment de la vie ordinaire en dit long
sur certaines perceptions.
La part des choses
Quoi qu’il en soit, il est vrai que le
recours des immigrants à l’anglais est
assez fréquent dans leur processus d’intégration professionnelle. Concentrés
pour la plupart à Montréal, une ville
d’affaires par excellence, les nouveaux
arrivants - les officiels le reconnaissent – sont souvent confrontés à l’obstacle du bilinguisme dans leur recherche
d’emploi. Les intervenants chargés de
l’accueil et de l’orientation sont les premiers à conseiller aux nouveaux arrivants de suivre des cours d’anglais afin
de maximiser leur chance de décrocher
un emploi.
La réalité est valable pour tous les Québécois, l’anglais s’étant indéniablement
imposé partout dans le monde comme
langue de travail et de business, a fortiori dans le milieu des nouvelles technologies et des finances. Il n’est pas
innocent, du reste, que le gouvernement
libéral décide de faire de l’anglais une
langue obligatoire dès la première année
du primaire.
Faut-il y voir une menace pour la langue
française ? Certainement, mais encore
faut-il relativiser certaines peurs et tempérer les passions, car la menace ne date
pas d’aujourd’hui et l’immigration n’en
constitue pas forcément un facteur d’accentuation. La société québécoise a pu et elle peut s’en enorgueillir – préserver
la langue française face aux incessants
assauts de l’océan anglophone qui l’entoure. La digue de la Loi 101 tient encore
bon, mais l’expérience nous montre qu’il
ne faut jamais relâcher de vigilance.
Car, comme cela a été rapporté récemment par la presse, les entorses à cette
loi sont nombreuses et souvent impunies, notamment en matière d’affichage
commercial.
L’intégration des nouveaux arrivants
passe par le partage des valeurs et des
éléments fondateurs de l’identité québécoise dont la langue française est le
pilier. « La langue c’est notre vraie race,
notre vraie patrie », écrivait à juste titre
Andrée Maillet dans Les Montréalais.
Les immigrants non francophones doivent apprendre cette langue et en faire
usage, autant que possible, dans leur vie
quotidienne. Quoiqu’il est extrêmement
délicat de décréter ou d’imposer l’usage
d’une langue dans la sphère de la vie privée, la maîtrise du français est requise et
devrait relever d’un certain civisme. Car,
vivre en harmonie dans une société exige
d’abord que les uns et les autres parlent
le même langage et se comprennent.
De là, entre autres, naît le sentiment
d’appartenance à une seule nation. La
profusion des langues maternelles et la
multitude d’accents ne font que colorer
et embellir davantage le Québec pluriel.
Et en cela, l’immigration et toutes les
nouvelles consonances qu’elle exprime
devrait être perçue comme apport et non
pas comme menace.
Certes, le recours à l’anglais comme
langue de travail ne devrait, sous aucun
prétexte, éclipser l’utilisation du français en dehors des heures de bureau,
mais il ne devrait pas, non plus, être
diabolisé et assimilé à un refus d’intégration. C’est une réalité du marché du
travail à laquelle tout le monde tente de
s’adapter, à commencer par les Québécois eux-mêmes.
Ceci étant dit, il se trouve toutefois que
des immigrants francophones, des ayatollahs de la langue française, éprouvent d’énormes difficultés d’intégration.
C’est dire que le partage d’une langue
commune n’exclut pas des rejets et ne
suffit pas toujours pour percer certains
hermétismes. Mais cela est un tout autre
sujet…
■
Emploi
Saison de l’économie sociale
C
et événement national regroupe
plus de 70 activités. Dans toutes les
régions du Québec,
diverses organisations participent à cette
saison en mettant en valeur des initiatives issues des entreprises collectives. Les
activités se clôtureront à la mi-novembre, à Montréal, avec la tenue du Sommet de l’économie sociale et solidaire.
Plus de 600 intervenants y participeront
et une importante délégation internationale y est attendue.
Au Québec, l’économie sociale représente
plus de 6 500 entreprises collectives qui
génèrent un chiffre d’affaires de
4,3 milliards de dollars. Les entreprises
d’économie sociale sont issues de la
communauté. OBNL ou coopératives,
elles poursuivent une mission sociale.
Autonomes par rapport à l’État et gérées
Entrevues « éclair » pour immigrants et employeurs
L
ors d’un Speed jobbing, chaque
employeur est installé à une table, prêt
à rencontrer les participants. À tour de rôle,
les candidats effectuent des entrevues d’une
durée de cinq minutes. À la fin de chaque
période d’entrevues, un signal sonore retentit. Les personnes participantes ont donc
cinq minutes pour convaincre les recruteurs de leurs compétences, en mettant en
avant leur personnalité et leur motivation
à travailler pour eux.
Voilà la formule préconisée par la Chambre de commerce et d’industrie de la RiveSud qui organise deux Speed jobbing par
démocratiquement, elles misent sur la
participation individuelle et collective.
Le capital et l’argent sont pour elles un
moyen au service de la collectivité ou de
J
ses membres.
26-27 octobre
Rendez-vous du crédit communautaire à Gatineau. Organisé par le Réseau québécois
du crédit communautaire. 418-529-7928 www.rqcc.qc.ca
7 novembre
Journée d’information et de réseautage sous le thème Place aux entreprises de l’économie sociale de Lanaudière à St-Liguori. Organisée par la Table régionale en économie sociale de Lanaudière. 450-831-3777 / 1-866-596-3777
14 novembre
Séance d’information Se lancer en affaires : l’option coopérative de travail à Montréal. Organisée par le Regroupement québécois pour la coopération du travail .
514-526-6267 www.rqct.coop
17 au 18 novembre
Foire nationale de l’économie sociale et du commerce équitable
au Marché Bonsecours à Montréal.
La Foire sera l’occasion de faire connaître et apprécier les produits et les services
issus de l’économie sociale et du commerce équitable, en plus de permettre aux
exposants d’échanger et de se réseauter avec d’autres acteurs de l’économie sociale.
Ouvert au grand public. Pour informations et programmation détaillée, consulter
www.chantier.qc.ca
Les Speed jobbing...
année, en lien avec la problématique et les
besoins de la clientèle immigrante ou issue
de communautés culturelles.
Ce projet permet de répondre à des objectifs précis : favoriser le réseautage entre
chercheur d’emploi et employeurs ; permettre aux entreprises de mieux connaître
les compétences des chercheurs d’emploi
immigrants ou issus de communautés
culturelles ; contrer les préjugés et les obstacles à l’emploi de cette clientèle ; favoriser la participation des jeunes de moins
de 35 ans (de cette même clientèle) ; promouvoir l’immigration comme stratégie
de développement sur le territoire en sensibilisant les employeurs à l’embauche de
personnes immigrantes ; enfin, sensibiliser
les employeurs aux rôles qu’ils ont à jouer
dans le déséquilibre actuel du marché du
travail.
La chambre de commerce et d’industrie de
la Rive-Sud effectue préalablement un arrimage en fonction du domaine de recherche
des candidats pour trouver des employeurs
correspondants. Le prochain Speed-jobbing
aura lieu le mardi 14 novembre. Pour toute
information, visiter www.ccirs.qc.ca ou
J
téléphoner au 450-463-2121. Inciter les entreprises à faire le saut !
Colloque sur la diversité culturelle
D
ans le cadre de son projet sensibilisation des employeurs de la Montérégie à la main-d’œuvre immigrante,
la Maison internationale de la Rive-Sud
(MIRS) organise le colloque : La diversité
culturelle dans l’entreprise le 16 novembre prochain à Brossard, en partenariat
avec Emploi-Québec Montérégie.
Voilà la formule originale que la MIRS a
privilégiée afin de mettre en valeur des
entreprises à succès dans la gestion de la
diversité. Par cet événement, les promoteurs visent à souligner le caractère stratégique de la main-d’œuvre immigrante
pour les entreprises d’ici.
Vingt petites, moyennes et grandes entreprises, employant déjà plusieurs personnes immigrantes, tiendront des kiosques.
Elles témoigneront de leurs expériences
de recrutement et de leur gestion de la
diversité auprès de confrères entrepreneurs. L’objectif est d’inciter les entreprises à faire le saut de la diversité, ce qui
pourrait leur permettre de solutionner,
en partie, la pénurie de main-d’œuvre
que connaît la région. Elles afficheront
des postes à combler et rencontreront
des participants.
Des conférences de spécialistes de la gestion de la diversité dans les entreprises
et des exposés de quelques-unes d’entre
elles sont prévus. Y prendront part des
institutions publiques, des intervenants
en emploi et des chercheurs d’emploi.
Divers programmes et services offerts
aux entreprises pour les aider à intégrer
en emploi des personnes immigrantes ou
issues de minorités visibles seront également présentés.
Le colloque sera agrémenté par une présentation théâtrale sur le thème du colloque, une remise de prix de la diversité
dans les entreprises, un dévoilement de
la publication spéciale de monographies
d’entreprises participantes au projet et un
repas international.
L’événement se tiendra le 16 novembre,
au Centre socioculturel de Brossard situé
au 7905, avenue San-Francisco, salle
Brossard, de 8h30 à 16h. Pour de plus
amples renseignements, visiter le site de
la MIRS www.mirs.qc.ca ou téléphoner
J
au (450) 445-8777. Le Jumelé Automne 2006
Aînés
Habib El-Hage
Doctorant au département
de sociologie de l’UQAM,
Habib El-Hage est par
ailleurs responsable du
volet interculturel au
Collège de Rosemont.
L
’augmentation sensible du nombre de personnes âgées au Québec
ne laisse personne indifférent et touche plusieurs secteurs de la société que
ce soit dans le secteur de la santé, que
ce soit dans le secteur économique et
donc des coûts reliés au phénomène du
vieillissement de la population, ou bien
la problématique d’appauvrissement de
la population. Outre le discours social
alarmiste sur l’avenir du lien social, sur
la vulnérabilité des personnes âgées en
général, nous désirons mettre la lumière
sur un enjeu particulier, celui de l’immigration des aînés.
Enjeux de l’immigration
L’immigration a toujours été une composante déterminante du développement du
Québec et elle n’est pas un phénomène
provisoire. Les politiques d’immigration
nous démontrent que la pluriethnicité
deviendra une caractéristique de plus
en plus marquante de notre société québécoise. Dans ce sens, on constate que
la tendance est plutôt vers l’accroissement des apports de population venant
de l’étranger. Depuis les années 1980, le
nombre des immigrants admis au Québec
tend vers la hausse. Le Québec a accueilli
près de 26 000 nouveaux arrivants en
1988, 27 684 en 1997 et 44 226 en 2004
(MRCI, 2005). Cette augmentation du
nombre des immigrants est justifiée par
l’obligation de compenser le faible taux
de fécondité au Québec, par le souci de
maintenir le poids démographique du
Québec dans le Canada, mais aussi pour
augmenter l’importance relative de la
population active susceptible de dynamiser l’économie. Malgré cet apport,
certaines difficultés sont rencontrées par
les immigrants, surtout lorsque le flux
migratoire se manifeste à un âge avancé
pour des raisons diverses, réunification
familiale, difficultés économiques, etc.
Au Québec, les membres des communautés ethnoculturelles occupent une
place importante. Ils vivent dans le
même contexte que les familles québécoises et sont touchés par les mêmes
Frans Van Dun
Naître ailleurs, vieillir ici
transformations sociopolitiques, tels le
vieillissement de la population et l’augmentation des responsabilités familiales en raison, entre autres, du retrait de
­l’État‑providence. Ils sont confrontés
aux mêmes réalités : virage ambulatoire, désinstitutionnalisation, suppression des services, prise en charge par
la communauté, pénurie de logements
sociaux, etc.
Vieillir en exil
Selon les données préliminaires du MRCI
(2002), ce sont 2617 nouveaux arrivants âgés de 65 ans et plus qui ont été
accueillis au Québec durant la période
1997-2001. Dans la population immigrée
du Québec (706 975 personnes), nous
remarquons que 17.6 % de cette population a plus que 65 ans. Cette proportion
dépasse celle de l’ensemble du Québec.
La migration à un âge avancé peut avoir
des impacts variés sur les individus en
regard des motifs qui ont conditionné
le départ du pays d’origine. Chaque histoire est particulière. Chaque trajectoire
est unique. Toutefois, la migration représente une rupture parfois violente avec
le milieu d’origine. Des perturbations
d’ordre économique, psychologique,
social, communicationnel, etc. peuvent
avoir lieu, d’où l’importance de considérer plusieurs éléments dans la rencontre
avec ces aînés. Ces éléments nécessitent
une modification de notre grille de lecture du modèle de prise en charge, du
modèle de construction du lien social,
de notre regard à la possession ou à la
consommation, de notre savoir face aux
moyens de guérison, etc. Réduire la distance culturelle est au cœur du développement de notre savoir-faire.
Pistes clés pour réussir notre
vieillesse
Contrer les difficultés nécessite une
connaissance de la langue, une considération du fait religieux ou spirituel, une
légitimation de l’autorité sur la filiation
et surtout de briser l’isolement autour de
ces personnes. Apprivoiser la rencontre
avec des aînés nés ailleurs commence
par comprendre le sens particulier de
leur vision du vieillissement et de leur
conception de la prise en charge. Assumer les conséquences nécessite certaines
vigilances des acteurs de la scène politique, communautaire et intellectuelle. La
question du vieillir ailleurs nous pousse,
non seulement à réfléchir, mais à agir
et à mobiliser les membres des communautés ethnoculturelles, les différents
acteurs représentants de la société d’accueil (politicien, médecin, intervenant,
etc.) ainsi que des membres proches des
aînés, de prendre en considération les
enjeux influents sur leur milieu de vie.
Les enjeux sociaux autour de cette problématique nous amènent à questionner le lien entre les politiques publiques
d’intégration et la prise en charge, à relever le défi de l’accessibilité à des soins
adaptés, à lutter contre l’exploitation des
aînés et surtout à accentuer les recherches en ethnogérontologie.
■
Frans Van Dun
la veille des journées de la culture,
j’ai eu le plaisir d’assister au spectacle d’une artiste de notre petite ville,
L’Assomption, au Vieux palais de justice,
un lieu magique. D’emblée, la première
chanson vient me déchirer le cœur. Brigitte Dugas interprète « J’reviens chez
nous » de Boom Desjardins.
Me revient alors à l’esprit la question
que Blandine a posée à Alberto Iscla
(article en page 7, Hommes immigrés
éducateurs en CPE) : « C’est quoi pour
toi, ta patrie ? »
Je pense que la plupart des immigrants
qui ont quitté leur pays, peu importe
la raison – guerre civile, chaos, goût
de l’aventure, coup de foudre pour une
Québécoise… je pense qu’ils répondraient
à cette question de la même manière
que moi, qu’ils viennent des vieux pays
­d’Europe, d’Amérique latine, d’Afrique,
d’un pays arabe ou d’Asie.
Beaucoup d’entre nous se sont enracinés au Québec, certains connaissent
même son histoire et ont découvert ses
espaces et ses régions, de Charlevoix à
la Gaspésie. Nombreux sont ceux qui
ont réussi sur le plan professionnel, en
profitant du climat de libre entreprise
­nord‑américain… Je suis de ceux-là.
Dans mon pays d’origine, je n’aurais
jamais travaillé comme photographe,
je n’aurais pas fait de la télévision
communautaire devant et derrière la
caméra, je n’aurais jamais fondé une
boîte à chansons ni un journal régional,
et encore moins rédigé des livres tout en
gagnant ma vie passionnément comme
enseignant dans une école secondaire
publique.
À
Le Jumelé Automne 2006
Il reste que…
Il reste qu’il n’y a qu’un seul coin de la
planète où je ne me fais pas demander
« d’où est-ce que tu viens au juste ? » Il
n’y a qu’un seul village au monde où les
vieux copains de la petite école, rencontrés par hasard, s’exclament : « God verdoeme toch, Frans, comment se fait-il que
tu parles encore comme nous après tant
d’années ? » C’est bien le plus beau compliment qu’il m’ait été donné d’entendre
au cours de ma vie.
Et pourtant, j’ai adoré l’Algérie où j’ai eu
la chance de travailler pendant quelques
années. J’y ai d’ailleurs eu l’impression
d’être sorti d’une oasis saharienne, tant le
chant de l’eau des séguias m’était familier, ainsi que la lumière dans les hautes
palmes, les lignes mouvantes des dunes
de sable, jusqu’au sirocco s’infiltrant partout, et les sonorités gutturales du langage
imagé et biblique des amis nomades.
J’ai beau être considéré dans ma petite
ville lanaudoise, malgré mon accent de
minoritaire audible, comme un concitoyen à part entière…
Il reste que la chanson de Boom Desjardins vient me bouleverser. Plus les années
passent, et plus je porte, chevillé à l’âme,
le goût de mon enfance lointaine.
J’ai eu le grand bonheur, plus d’une fois,
de faire un pèlerinage aux sources en
présence de mes filles. Je leur ai montré,
je leur ai conté. Montré la maison paternelle, toujours debout, avec son grand
jardin débordant de fleurs, de légumes et
de pommiers. Parcouru la ruelle où nous
jouions au foot au désespoir de la voisine
qui se sentait dérangée derrière sa haie.
Escaladé le vieux clocher de l’église avec
son escalier en colimaçon jusqu’au niveau
des cloches où, dans les brèches des vieux
murs, nichent encore des hiboux comme
jadis. Visité la sacristie où, enfant de
chœur, j’ai goûté en secret au vin blanc
restant après la messe. Puis, j’ai conté les
« pas redoublés » de la fanfare résonnant
sur les pavés de la rue principale les jours
de fête. Et surtout, j’ai fait remarquer la
parlure du patelin avec son accent unique,
si différent de l’accent hollandais derrière
la frontière pourtant proche… En contant
tout ça et bien d’autres histoires plus belles encore, je suis conscient que j’embellis
mes souvenirs, mais est-ce que ça ne fait
pas partie de leur charme ?
Irrépressibles, ces souvenirs
qui remontent…
On entend dire parfois au Québec : « Le
fond de l’air est frais aujourd’hui. » Ainsi,
de notre âme, le fond de l’air est nostalgique . C’est celui qui évoque les visages,
les saveurs et les odeurs qui ont imprégné
notre enfance. Ils nous collent pour toujours à la peau.
Oui, même si j’ai réussi mon enracinement au Québec, je me sens par moments
comme un arbre déraciné. Ma première
patrie restera celle, inamovible, de mon
enfance.
Posez la question sur la patrie à n’importe quel immigrant, même à celui qui
a perdu sa nationalité d’origine, un soir
d’hiver près du feu ou un jour d’été sur
le balcon de son appartement ou sur la
terrasse de sa maison, et vous verrez cet
homme, taciturne de nature peut-être, se
transformer sous vos yeux en conteur
intarissable. Il se mettra à jaser de sa petite
ville ou de son village, d’un vieil instituteur, d’une guérisseuse, de son banc dans
Frans Van Dun
Cœur en ballottage
Posez la question sur la patrie à n’importe quel immigrant et vous
­verrez cet homme se transformer sous vos yeux en conteur intarissable.
un parc, d’un écrivain public, des pâtisseries de sa grand-mère, de ses premières
amours, ou encore du cimetière paisible
où reposent ses parents.
Quant à moi, contant à mon tour, je me
mettrai sans doute à chanter une vieille
mélodie du pays flamand, car la chanson traditionnelle a tissé la trame de
mon âme.
Mes filles m’écoutent. Mais leur accent
est différent et elles ne s’attardent pas
encore au passé. Mais nous, les anciens,
les arrivants, nous garderons pour toujours le cœur en ballottage, car notre
tombe se trouvera loin, trop loin, du terroir de notre berceau.
Heimwee doet ons hart verlangen
Naar de heimat onze jeugd,
Naar de bronzen klokkenzangen,
Zwaar van rouw of hel van vreugd…
■
Actions communautaires
Rapprochement interculturel
L’exemple du projet « Sainte-Marie, notre quartier »
Catherine D`Anjou
onstruire un quartier permettant
une cohabitation harmonieuse entre
immigrants et québécois d’origine est possible, à la condition d’y mettre l’énergie
et le temps nécessaires.
Le projet « Sainte-Marie, notre quartier »,
une initiative du Carrefour de Ressources
en Interculturel (CRIC) et des membres
citoyens d`organismes communautaires
du quartier, est un exemple d’ouverture
au dialogue et à l’acceptation de l’autre.
Sept organismes ont décidé de se lancer
conjointement dans l’action, soient : Oxyjeunes, Maison des jeunes Quinkabuzz,
Rencontres cuisines, Centre d’éducation
et d’action des femmes, Au coup de pouce
Centre-Sud, « Habiter la mixité » de l’Office
municipal d’habitation de ­Montréal et La
Relance : jeunes et familles.
C
Cette démarche de sensibilisation et
d’éducation consistait à amener les
citoyens de Sainte-Marie à participer
activement au rapprochement interculturel entre toutes les communautés du
quartier. Comme point de départ, des
ateliers de sensibilisation aux relations
interculturelles ont été offerts aux membres des sept organismes pour permettre à chacun d’être mieux informé et de
démystifier les préjugés envers les différents groupes ethnoculturels. Un comité
de citoyens a par la suite été formé dans
chaque groupe afin de réfléchir aux
actions qui encourageraient le rapprochement interculturel.
Après plusieurs semaines de travail, différents projets et activités voyaient le jour,
fidèles à la philosophie de chaque organisme. Autant d’exemples de réussite :
Cuisine collective du monde ; repaséchanges multiculturels ; réalisation d’un
film par des jeunes contre le racisme et
la discrimination et débat sur le même
thème ; témoignages de femmes sur leurs
parcours migratoires ; café-rencontres
avec des personnes d’origines diverses
pour échanger sur les coutumes entourant les événements marquants de la
vie ; ou encore sortie interculturelle pour
connaître l’apport des immigrants à la
construction du quartier et de la ville.
Le projet « Sainte-Marie, notre quartier »
illustre concrètement la nécessité d’impliquer les citoyens eux-mêmes dans
le processus d’intégration. Pour réussir,
le rapprochement interculturel devait
engager les deux parties, c’est à dire les
personnes issues de l’immigration et les
Québécois d’origine : mieux se connaî-
tre pour mieux se comprendre. Dans ce
cas-ci, les citoyens ont agi pour combattre les préjugés et pour surmonter les
barrières qui pouvaient être présentes
entre les communautés du quartier. Cette
initiative a également permis de constater que l’accueil et l’intégration passent
nécessairement par le quartier, réseau
que nous côtoyons au quotidien.
Bref, la formule clé est de travailler non
pas pour mais avec les citoyens afin que
tous ensemble, nous puissions construire
un quartier où chacun trouve sa place
comme citoyen à part entière. ■
L’auteure est bénévole au Carrefour de
Ressources en Interculturel (CRIC)
Improvisation théâtrale interculturelle
Préjugés au vestiaire
À
son origine en 2002, l’improvisation théâtrale interculturelle (ITI)
était une activité de parrainage entre
Québécois de souche et nouveaux arrivants. Pendant trois années, les joueurs
ont été formés par Pierre Martineau, l’un
des cofondateurs de la Ligue Nationale
d’Improvisation (aux côtés de Robert
Gravel).
Aujourd’hui, cinq ans plus tard, l’ITI
reçoit au sein de trois équipes de joueurs
des individus des quatre coins du monde.
Dans le décor, tous les drapeaux des
diverses contrées d’origine des membres sont affichés : un bon moyen pour
le public muni de cartons de vote aux
couleurs des équipes de réviser un peu
ses connaissances géographiques ! « Nous
avons, partage Cécile Hernu, une des
joueuses de la ligue, découvert un autre
Monde, encore un autre, avec un autre
langage, face auquel tout le monde était
à égalité. Un langage du corps principalement d’ailleurs, dans lequel les joueurs
allophones peuvent encore bien mieux
s’épanouir que les francophones, ces
derniers étant aux prises avec le débit
de leur propre langue ! »
Chaque année, la ligue garde le noyau de
ses membres : pour certains d’entre eux,
l’ITI est un cercle amical, pour d’autres,
une famille. Dans tous les cas elle est
une formidable manière d’apprendre
la langue française par le jeu. Aussi,
face à la solitude que peuvent vivre
beaucoup d’immigrants nouvellement
arrivés, l’ITI permet d’établir un réseau
relationnel si précieux dans un contexte
d’intégration.
Les prochaines formations auront lieu
les 28 octobre et 6 janvier. Les matches
se dérouleront les 11 et 25 novembre et
se poursuivront en janvier 2007, jusqu’à
la grande finale du 14 avril. Le tout se
déroule à La Maisonnée, au 6865, Christophe-Colomb à Montréal. Pour toute
information, visiter www.improiti.org/
J
presentation.html Individus et société
Petite réflexion sur l’amitié
François Mathieu
ans une ruelle de Montréal, j’ai eu
cette récente vision de deux enfants
qui jouaient avec, pour les relier, un fil
de quelques mètres à peine. À chaque
extrémité du fil, un pot de yoghourt. L’un
d’eux maintenait son pot sur l’oreille
tandis que l’autre hurlait dans le sien
pour se faire entendre. Un téléphone
de fortune, un fil et deux caisses de
résonance. Parole et écoute, dialogue et
échange : la base de l’amitié. Face à ces
deux gamins s’amusant à faire comme
les grands, je me suis reconnu en eux. À
ma manière, j’utilise à l’excès des pots
de yoghourt, plus sophistiqués, pour
me connecter au monde des Autres. À
l’échelle de la planète et dans les dernières décennies, les moyens de communication, les accessoires technologiques, se
sont développés et répandus à une allure
telle qu’un Chinois n’a jamais paru aussi
proche de Montréal qu’en 2006. Je parle
du bateau, de l’avion, des trains, de la
D
10
voiture, du téléphone, de l’Internet, du
cellulaire, etc. Malgré cette faculté fabuleuse à se déplacer à peu près partout,
plus vite, et à communiquer d’un bout
à l’autre de la terre, femmes et hommes
du monde occidental paraissent encore
très isolés. Comme si les joujous électroniques agrandissaient le fossé séparant
les êtres humains entre eux. L’excès de
temps passé à pitonner sur un clavier, sur
une télécommande ou sur un téléphone,
est autant de temps en moins à consacrer dans une vraie relation en tête à tête,
d’âme à âme, sans doute parce qu’elle
nécessite un certain « danger », une sorte
d’engagement direct. Entreprendre un
dialogue réel, c’est bien sûr prendre le
risque de se livrer, de serrer une main
sale, de s’intéresser, ou de recevoir un
postillon pour seul échange. Cela peut
coûter au début, mais cela rapporte toujours gros en terme de vérité, d’appartenance, de chaleur et d’ouverture.
L’importance de l’amitié m’est apparue
en cours d’adolescence, cadeau unique
offert loin du contexte familial, en fonction de sa capacité à partager ce que l’on
est. Les ami(e)s représentent un tremplin
fantastique pour accrocher la vie qui
défile, autant qu’un filet de protection
contre la solitude et le désespoir. Se lier
d’amitié, c’est le pouvoir de se confier
sans crainte du jugement, c’est une
écoute, une disponibilité, une présence et
une acceptation de l’autre qui ne soient
pas constamment à remettre en question.
Les années passant, l’amitié est de moins
en moins aisée à construire et à entretenir, où que l’on soit, et la faire évoluer
sans la briser n’est pas une mince affaire.
Il arrive qu‘elle apparaisse par magie là
où on l’attendait le moins, ou qu’une
relation apparemment indestructible
s’effiloche et se désagrège sans qu’on
puisse rien y faire, au gré de son évolution personnelle. Il n’y a pas de règle.
Avec l’immigration depuis la France, où
je laissais derrière moi un tissu social
bien tendu, l’amitié au Québec m’a montré un autre visage.
Le choc culturel dépassé, les relations
de travail se développant, les rencontres se multipliant, j’ai peiné à vivre des
amitiés québécoises, c’est-à-dire avec
des Québécois(es) et non avec d’autres
immigrés avec qui il y a d’emblée des
affinités de parcours. Facile d’entrer en
contact avec mes « cousins », de faire
d’heureuses rencontres, mais pas évident de se dévoiler, de s’inviter à l’improviste, de se revoir. Parfois vaincu face
à cette nouvelle réalité, je n’ai pourtant
jamais baissé les bras en me rappelant
que l’amitié reste une valeur universelle,
quelle que soit la sauce avec laquelle on
la savoure. Cretons ou rillettes, french
fries ou poutine, la recette importe peu
quand il s’agit de manger à sa faim. Le
leurre, c’est cette conviction idiote que
tout est toujours acquis et de vouloir
à tout prix reproduire au présent des
modèles fonctionnels dans le passé.
Le piège, c’est de s’enfermer dans la
croyance que ce qu’on a laissé derrière
soi est l’unique façon d’exister.
Alors voilà, camarades québécois, français, peuples de toutes origines confondues, jeunes et vieillards, malades et
handicapés, noirs, jaunes ou blancs, je
prends le risque de vous avouer mon
humble respect. Au-delà de mes peurs et
mes angoisses, je serai enchanté de peutêtre devenir un jour votre ami. Je pourrai
vous indiquer mon numéro de téléphone
cellulaire, celui de mon bureau, de mon
domicile ou de mon avertisseur numérique, vous donner mon adresse, mon
courriel, les coordonnées de mon site
Internet… mais je ne le ferai pas ! Peutêtre nous rencontrerons-nous par hasard,
au détour d’une simple discussion. Vous
me reconnaîtrez certainement, j’ai un
accent bizarre et souvent je me promène
au Parc Laurier, en fin de journée, avec
mon fils à mes côtés. ■
Le Jumelé Automne 2006
Les bons coups
Vous écoutez « Ici Radio-Refuge »
E
n partenariat avec trois autres
organismes oeuvrant auprès des
personnes réfugiées et immigrantes
(Refuge Juan Moreno, Maisonnée et
Centre Scalabrini), la Mission communautaire de Montréal (programme Projet
refuge) a initié « Ici Radio-Refuge » une
émission radiophonique hebdomadaire
qui souhaite informer et sensibiliser
la société d’accueil sur les questions
­d’intégration.
Les voix de « Ici Radio-Refuge » sont
celles de migrants qui osent prendre le
micro pour dire les choses. La journaliste Michèle Cotta disait que la radio est
une voix qui parle à une oreille. C’est
par les mots seuls que l’idée fait son
chemin jusqu’à l’esprit de l’auditeur.
Puisque les mots portent la pensée, il
n’y a plus d’interférence entre la pensée
exprimée et l’esprit qui la reçoit. Voilà
l’anima de « Ici Radio-Refuge » !
C’est un espace de rencontre avec ceux
qui partagent les mêmes passions, un
espace privilégié de socialisation. C’est
aussi un moyen original d’expression et
d’insertion dans notre nouveau contexte
de vie. C’est aussi là que l’on trouve de
nouvelles racines, des racines qui feront
leur chemin dans ce terreau qui désormais est nôtre.
Co-fondateur et co-animateur de l’émission avec Sylvain Thibault, Alfredo
Lombisi partage : « Ici Radio Refuge,
représente mon arme, une arme pacifiste
pour exprimer ma douleur et faire valoir
les droits de tout être humain. Je tiens
beaucoup à cette émission et je sacrifierais tout pour qu’elle se poursuive le
plus longtemps possible. Grâce à elle, je
suis inspiré et encouragé à trouver des
solutions à mes problèmes et par le fait
même à trouver des solutions pour l’ensemble de la société dans le monde ».
Pour la société accueillante, c’est un
espace pour découvrir les nouveaux
arrivants, les apprécier, apprendre sur
leurs espoirs et sur ce qui les anime.
C’est aussi un formidable panel de
talents à découvrir : animateurs, rappeurs, chanteurs, guitaristes et bien
d’autres.
« …une voix qui parle à une oreille… »,
tous les lundis matin à 10 heures sur
les ondes de CINQ-FM (102,3) . Blog à :
www.iciradiorefuge.blogspot.com pour y
réécouter, en tout temps, l’ensemble des
émissions produites depuis juin 2006. J
Sylvain Thibault, initiateur de Ici Radio Refuge. À ses côtés, Arthur co-animateur,
Alfredo co-fondateur et co-animateur, et Moise co-fondateur et co-animateur.
Rencontre spéciale
> suite de la page 1
Originaire de Jackmet, il reçoit d’abord
une bonne formation de base. S’orientant ensuite vers la prêtrise après son
bac, il consacre deux ans à l’étude de la
philo, puis trois à la théologie, dont la
dernière au Nouveau Brunswick. Il lui
reste un an… Mais là, il hésite, réfléchit,
et change d’orientation. C’est à l’UQTR
qu’il s’inscrit à un bac en enseignement,
option sciences religieuses. Au cours de
cette dernière période, il fait la rencontre de sa vie en la personne de Immacula
Morisset, infirmière, immigrante et d’origine haïtienne comme lui. Le couple aura
deux enfants.
Après un remplacement de prof au Capde-la-Madeleine et à la recherche d’un
emploi plus stable, le voilà convoqué à
une entrevue en Abitibi. La commission
scolaire y manque cruellement de profs
de religion. Ulrick accepte le poste offert,
mais y met une sourdine en annonçant
à son futur directeur : « Je vous garantis
deux ans… ». Celui-ci de répondre avec
un sourire en coin : « Quiconque goûte
l’eau d’Amos ne peut plus s’en passer. »
Catapulté dans une région à 650 km de
Il fulmine contre des collègues
pédants qui traitent les élèves
de « cancres ». Ce sont des mots
qui tuent. Il faut trouver les
paroles qui encouragent et
font vivre…
Montréal, d’emblée, Ulrick va s’acclimater. Il est vrai que trois facteurs facilitent
son intégration : une parfaite connaissance de la langue, un diplôme québécois et la même religion catholique que
la grande majorité de ses concitoyens.
Mais il y a surtout le fait que le prof
aborde son nouvel environnement sans
préjugés. Il observe, écoute, découvre.
Et cette exploration débouche rapidement sur un attachement sincère et fort
Le Jumelé Automne 2006
à ce coin de pays où les gens se montrent accueillants. Le courant passe de
part et d’autre. Ulrick est prêt à donner
le meilleur de lui-même et bientôt, plus
personne ne fait attention à la couleur
de sa peau.
À l’école secondaire, le nouvel arrivé se
démarque, à la fois comme prof et comme
éducateur. La matière enseignée s’y prête
d’ailleurs. Son approche est basée sur le
respect et l’amour du jeune.
Il fulmine contre des collègues pédants
qui traitent les élèves de « cancres ». Ce
sont des mots qui tuent, prétend-il. Il
faut trouver les paroles qui encouragent
et font vivre…
Est-ce que cette attitude ne serait pas
approuvée dans n’importe quel autre
contexte culturel ? Pas étonnant que ses
élèves l’adoptent et l’adorent. Ils pressent
d’ailleurs leurs parents à aller le voir lors
des rencontres profs-parents, souvent
réservées aux titulaires des matières
principales. Ainsi, la réputation d’Ulrick
est établie. Sans s’en rendre compte, il a
déjà recruté de nombreux militants qui,
bien plus tard, vont organiser ses cabales
électorales !
De la paroisse à la mairie
Monsieur Chérubin s’engage également
dans la vie paroissiale et sociale. Il participe aux projets Développement et paix,
anime une équipe d’études bibliques en
collaboration avec un exégète prof d’université, et gravit tous les échelons des
Chevaliers de Colomb. On devine ici une
source précieuse de spiritualité à l’origine
de ses interventions, mais à ce sujet il se
montre fort discret.
Ainsi coule la vie de cet immigrant
comme la rivière Harricana. Souvent
calme, parfois tumultueuse. Il s’est fait
Amossois avec les Amossois, sans renier
en rien sa culture d’origine dont il a
gardé une notion du temps plus souple
et généreuse.
À l’occasion, il prépare un menu haïtien
pour ses invités abitibiens : un grillot,
du porc désossé rehaussé d’un savant
mélange d’épices et de la banane plantain
frite, le tout accompagné d’un verre de
rhum Barbancourt, onctueux et souple,
produit à partir de jus de canne à sucre
et de souvenirs d’esclavage.
Nous voici en 1993. À l’école, le prof est
devenu animateur de pastorale, poste qui
le rapproche encore des élèves. Ses deux
fils ont quitté le domicile familial pour
aller poursuivre des études en dehors
d’Amos. Sa femme, assistante infirmièrechef, travaille souvent tard au Centre hospitalier… Un soir, seul à la maison, Ulrick
s’ennuie et tourne en rond. Surgit alors
une question existentielle : « Comment
me rendre plus utile à la communauté
au lieu de m’écraser devant la TV ? Et si
je me présentais aux élections municipales ? » Il bascule, et se présente en 1994
au poste de conseiller au quartier n° 2, en
compétition avec deux autres candidats
connus. Résultat : il l’emporte avec une
majorité de 500 voix. « Les électeurs du
quartier m’ont fait un grand honneur ce
jour-là », fait-il remarquer.
Le voilà à la table du conseil. Il y fait son
apprentissage, prend de l’assurance, lance
des idées. Son certificat en administration
et ses cours d’anglais vont lui servir. Puis,
après un premier mandat de quatre ans,
il se représente en 1998. Comme sa réputation est solidement assise, pas besoin
de campagne électorale, il est réélu par
acclamation.
Depuis son arrivée à la table du conseil,
l’élu a aiguisé sa compétence. Sa vision
de l’avenir d’Amos s’est précisée. La mairesse, Madame Murielle Angers-Turpin,
est obnubilée par le remboursement de la
dette et se montre peu ouverte aux idées
plus progressistes du conseiller Chérubin,
au point que celui-ci va poser sa candidature au poste de maire lors de l’élection
de 2002. La décision est audacieuse et la
Ulrick Chérubin, originaire d’Haïti,
Maire de la ville d’Amos en Abitibi.
Frans Van Dun
CHÉRUBIN, maire d’Amos
victoire sera mince, malgré une bonne
organisation : une majorité de 52 voix.
Après recomptage judiciaire, 50 voix.
C’est tout un défi qui attend le nouveau
maire, il devra livrer la marchandise. Trois
ans plus tard, en 2005, nouvelle élection.
Ulrick l’emporte cette fois-ci avec une
majorité de 84 % des voix. Une victoire
décisive qui lui permet de s’atteler à la
mise en oeuvre de son programme.
Gérer différemment
L’homme veut gérer différemment. Tout
en remboursant la dette, il faut renverser la vapeur. Le climat est encore à la
morosité et au défaitisme. Nombreuses
sont les propriétés à vendre. Le chômage
est trop élevé. Beaucoup de conducteurs
font des excès de vitesse, cause de nombreux accidents.
Le maire réussit à convaincre le conseil de
sa vision. À ses yeux, la Ville doit tracer
la route et faire preuve de leadership dans
le milieu, en particulier dans le domaine
économique qui conditionne l’emploi.
À cet effet, il faut se battre, attirer des
investisseurs, et défendre bec et ongles
chaque dossier auprès des instances politiques régionales, provinciales et fédérales pour décrocher des subventions. Sur
ce front, le maire est particulièrement
performant.
Il sait persuader et au besoin « crier, japper, ouvrir sa grande gueule », le tout dit
avec un sourire désarmant. L’éloquence
haïtienne lui sert grandement.
L’ascendant qu’exerce cet homme sur
la population d’Amos et de la région
s’explique sans doute dans le principe
sacré qui régit ses relations humaines, le
même qu’il a toujours appliqué comme
pédagogue auprès des jeunes : tout être
humain a droit à sa dignité et au respect.
L’amour n’est pas sectaire, n’exclut personne. Dans un débat animé à la table du
conseil, Ulrick se limite à un débat d’idées,
évitant toute attaque personnelle. Respectant l’adversaire, il peut réclamer la même
attitude envers lui.
Quand on rentre dans la ville d’Amos
aujourd’hui, en provenance de Val-d’Or,
on est frappé par un nouvel aménagement de la chaussée : un carrefour
giratoire, des jardinières aux couleurs
joyeuses, une rangée de jeunes d’arbres.
De nombreux témoignages confirment
que le climat d’Amos a changé. Il flotte
de l’espoir en l’air.
À la tête d’un conseil dynamique, secondé
par divers comités, exerçant un leadership
à Amos et à titre de préfet dans la MRC
et dans la région élargie, Ulrick Chérubin
continue avec une incroyable ténacité à
incarner sa vision, pierre par pierre.
Cet homme est un phare. Il veut d’ailleurs
attirer d’autres immigrants. Ceux d’entre
nous qui sont prêts à s’investir ne seront
pas déçus. Les Amossois le leur rendront
largement. Ils s’apercevront vite que
Montréal est loin d’être tout le Québec.
Pendant ce temps, l’eau d’Amos continue à jaillir de ses sources, filtrée par ses
eskers. Son goût est unique.
Longue vie au maire d’Amos, à l’image de
son père en Haïti, le vieux sage de Jackmet, allègrement centenaire.
■
Frans Van Dun
11
Double minorité
> suite de la page 7
quivive quasipermanent, comme s’il marchait sur des œufs.
Et pourtant, cet éducateur n’a jamais eu
quoi que ce soit à se reprocher dans son
milieu de travail. Bien au contraire. Pour
l’avoir vu à l’œuvre, j’ai constaté qu’il a
vraiment le tour avec les petits bouts de
chou. Parents et responsables de garderie
l’apprécient. Mais curieusement, aucune
permanence ne lui a encore été offerte,
malgré ses dix années d’expérience. À ses
yeux, certains centres de la petite enfance
refusent encore délibérément d’engager
des hommes et a fortiori, des hommes
de couleur.
De son côté et en vingt ans de carrière,
Alberto n’a pas été confronté aux mêmes
complications que celles décrites par
Francis. Comme il le dit lui-même, « si
je n’ouvre pas la bouche, je peux passer
pour n’importe qui. » Il faut noter qu’à ses
débuts, l’équipe éducative de la garderie
La Ruche, la sienne, comptait déjà deux
hommes. Alberto était par ailleurs marié et
père de deux jeunes enfants. Les réactions
qu’il pouvait observer étaient davantage
celles d’une agréable surprise, amenant
même certains parents à lui demander
d’apprendre des mots et des chansons en
espagnol aux enfants.
Néanmoins, Alberto reconnaît au sujet de
l’intégration : « Pour certaines minorités,
c’est très difficile. Si l’on regarde la population noire par exemple, et diplômée,
rien ne justifie le problème d’intégration
qu’elle vit, car dans ce cas, ce n’est pas
la compétence qui est en jeu. Quant a
moi, je n’ai que rarement ressenti de la
discrimination. Mais je sais que celle-ci
peut être vraiment méchante, enveloppée
parfois de subtilité. Elle ne dit pas « moi,
je n’aime pas les Noirs, je n’aime pas les
Juifs, ou je n’aime pas les étrangers ». Non,
elle peut t’offrir un beau sourire tout en
te poignardant dans le dos. Et ce n’est pas
toi qui seras engagé, malgré tes compétences. Ce genre de situation, ma femme
Alicia l’a vécu. »
Fruits d’une intégration parfaitement
réussie, les enfants d’Alicia et d’Alberto,
diplômés et trilingues, volent à présent de
leurs propres ailes. Ils se situent dans la
continuité de la chaîne de vie, et ils ont la
chance et le goût de se plonger dans l’histoire mouvementée de celles et ceux qui
les ont précédés. Ainsi, ils découvrent une
sorte de voyage permanent et de déracinement, à travers plusieurs époques et continents. Il y a les arrière-grands-parents,
paysans italiens, venus travailler dans les
récoltes de café au Brésil… un grand-père
gitan andalou, à la peau basanée… un père
espagnol, réfugié en Argentine au moment
de la guerre civile… jusqu’à leur propre
parcours vers l’Amérique du Nord. Comme
si l’histoire humaine se répétait sans cesse,
sous d’autres latitudes, et qu’il fallait sans
cesse trouver à se nicher en sécurité avant
de tenter de se rebâtir à nouveau au sein
de diverses sociétés d’accueil.
Et si on lui demande à quel pays il se sent
attaché, Alberto Iscla répondra : « Au sujet
de la patrie, je reprendrais une phrase de
Jacques Brel : pour moi la Belgique, c’est
quand je rentrais dans le corridor de la
maison et que je sentais la confiture que
ma grand-mère préparait. Pour moi, ma
patrie, c’est la musique et le tango, les sentiments, les petites choses, les odeurs et les
couleurs. Je pense qu’il faut avoir quitté
son pays, regarder en arrière, pour se rendre compte de ce qu’est une patrie. » ■
BLANDINE PHILIPPE
Recherché !
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Date de tombée : 1er décembre 2006
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un coup de cœur lié à l’interculturalisme ? N’hésitez pas à nous écrire, à nous faire
parvenir un communiqué de presse ou encore un texte de votre plume et cela pourra
peut-être faire l’objet d’une parution dans Le Jumelé ! Les textes proposés ne doivent
pas dépasser 2 feuillets ou 700 mots. Nous offrons relecture et corrections.
8 000 exemplaires distribués,
quatre fois par année
Le Jumelé est distribué à travers toute l’Île de Montréal grâce à 120 points de dépôt et
rejoint également une trentaine de municipalités à l’échelle provinciale. Nous joindre
par téléphone au (514) 272-6060 poste 209 ou par courriel à [email protected] afin de
connaître notre politique et nos tarifs préférentiels pour votre annonce.
12
saviez-vous que
L’histoire de Ramon Mercedes
U
n mouvement de solidarité a été
lancé en juin dernier pour venir en
aide au Dominicain Ramon Mercedes, à
la suite de la diffusion du film « Partir ou
mourir » de Raymonde Provencher. Dans
cette production de Macumba International, on suit quelques personnes migrantes risquant leur peau pour fuir la misère.
Parmi elles, le jeune Ramon Mercedes est
un cas extrême.
Le 9 mars 1998, Ramon Mercedes s’embarque clandestinement à bord d’un
bateau qui mettait le cap sur Port-Alfred,
au Saguenay. Pour se protéger du froid,
il n’a qu’un coupe-vent et, aux pieds, des
espadrilles. Quand le bateau arrive à destination, les pieds de Ramon ne sont plus
que deux blocs de glace.
Découvert sur le navire en fin de traversée, Ramon est immédiatement remis aux
mains des autorités. Au Centre hospitalier
de La Baie, les médecins organisent son
transfert vers Montréal: il faut amputer
ses pieds. Dix jours après l’intervention,
Ramon Mercedes est rapatrié en République Dominicaine sous bonne escorte
et menotté. On le laisse à l’aéroport de
Santo Domingo. Ses moignons saignent,
il n’a aucun autre soin, ni médication. Il
avait 23 ans. Huit ans ont passé. Ramon,
cruellement handicapé, en souffrance
continuelle et sans le sou, a toujours
besoin d’une nouvelle intervention et de
prothèses pour retrouver un peu d’autonomie. En République Dominicaine, les
coûts de ses traitements (opération, prothèses et réadaptation) s’élèveraient à plus
de 30 000 $.
À la suite d’appels de téléspectateurs du
film, une campagne de collecte de fonds
a été lancée par le Carrefour d’aide aux
nouveaux arrivants (CANA). En date
du 22 septembre 2006, 17 600 $ ont
été amassés. Pour plus d’informations,
visionner le documentaire, ou apporter
son soutien, visiter le site internet www.
ramonmercedes.com ou téléphoner au
J
(514) 382-0735.
Sondage et cadeaux
Tirage le 1er décembre 2006
Le Jumelé se cherche une nouvelle citation !
Comme vous avez pu le constater, le Jumelé s’est refait une beauté : nouvelle ligne graphique, nouveau logo, nouvelle mise en
page et nouveau sous-titre. Il ne reste plus qu’à lui offrir une nouvelle citation. Nous vous invitons à voter pour la citation de
votre choix parmi les neuf propositions suivantes.
Citations proposées :
1. Pour comprendre l’autre, il ne faut pas se l’annexer mais en devenir son hôte (Louis Massignon)
2. Je n’aime pas le mot tolérance, mais je n’en trouve pas de meilleur (Ghandi)
3.. La discorde est le plus grand mal du genre humain, et la tolérance en est son seul remède (Voltaire)
4. Les racistes sont des gens qui se trompent de colère (Léopold Sédar Senghor)
5. La tolérance est un exercice et une conquête de soi (Albert Memmi)
6. La lumière ne fait pas de bruit (Félix Leclerc)
7. Il y a des choses qui s’expliquent seulement à qui veut les comprendre (Germaine Guèvremont)
8. Tout homme qui se tient debout est le plus beau des monuments (Georges Dor)
9. Assimiler sans être assimilés (Léopold Sédar Senghor)
Communiquez-nous votre choix avant le 1er décembre par télécopieur au 514-272-3738 ou par la poste
au 518, rue Beaubien Est, Montréal, Qc, H2S 1S5 ou encore par courriel à [email protected].
N’oubliez pas d’indiquer vos nom et prénom, votre adresse complète et votre numéro de téléphone.
En cadeau
Livre « les Sikhs, la foi, la philosophie, les gens »
Cédérom « Voyage au pays de Naréha »
Deux tirages auront lieu parmi les citations les plus populaires
Prochain numéro à paraître en janvier 2007
Nos rubriques habituelles
Culture ; Enfants ; Jeunes; Intégration
linguistique ; Aînés ; Emploi ; Actions
communautaires ; Individus et sociétés ;
Saviez-vous que ; D’hier à aujourd’hui ;
Régions ; Rencontre spéciale ; Les bons
coups.
Dossier spécial
Ethnicités et double discrimination :
orientation sexuelle et groupes LGBT
(lesbiennes, gais, bisexuels, transexuels).
Saviez-vous que de nombreux pays torturent et condamnent à mort des milliers
de personnes du fait de leur orientation
sexuelle ? Ainsi, des centaines de personnes demandent chaque année l’asile
au Canada pour venir s’y réfugier. Et
dans nos communautés culurelles, ici
au Québec, comment se vivent et sont
perçues les différentes formes d’orientation sexuelle ?
Le Jumelé Automne 2006