Le Jumelé automne 2006
Transcription
Le Jumelé automne 2006
2 Éditorial p. 3 6 7 8 9 Classes d’accueil pour parents p. Les enfants en Estrie Hommes éducateurs p. Immigrants et français p. Vieillir ici p. La traite des enfants au Québec 6 | Orphelins chefs de famille 6 | Emploi 8 | Actions communautaires 10 | Ici Radio refuge 11 | Les jeunes réfugiés et immigrants unissent leurs voix ! p. suite en page > 7 Automne 2006 CPE en changement Les enfants de l’avenir Originaire d’Europe, Blandine Philippe a immigré au Québec il y a 13 ans, après des études en communication et sciences politiques. Q uand Isabelle Pierre chantait en 1970 « Les enfants de l’avenir », elle ne se doutait certainement pas que sa poésie serait annonciatrice de changements si rapides, observables aujourd’hui dans le milieu des services de garde à la petite enfance. Les enfants de l’avenir se feront des chansons de couleur les enfants de l’avenir vont savoir naviguer aux feux planétaires Au CPE Les Amis promis, Étienne Anglehart, cuisinier originaire de la Gaspésie, égrène patiemment la semoule de couscous pour ses soixante petits clients. Au même instant, au CPE La Ruche, la fricassée de tofu fume dans les assiettes des soixante-quinze bambins, remplaçant du même coup le jambon ou la traditionnelle côtelette de porc. À quelques kilomètres de là, au CPE Saint-Denis, des petits Cambodgiens apprennent à prononcer le mot fajitas, tandis que J’étais perdu… entre le jambon, la viande de porc, la viande halal, les diverses restrictions, intolérances et aussi allergies alimentaires. leurs camarades mexicains savourent des chapatis. Nous sommes à Montréal, pour une traversée spectaculaire des couleurs de notre nouvelle jeunesse, guidés par les feux planétaires, de Côte-des-Neiges, à Hochelaga-Maisonneuve en passant par Rosemont. « La première fois que j’ai du prépa- Maigualida Guerra, éducatrice, avec quelques enfants du nouveau visage québécois. rer les menus, partage Étienne, je ne savais pas qu’on aurait autant d’enfants musulmans. J’ai dû m’y prendre à trois et même à quatre reprises avant de par- Jacques Godbout venir à les établir. J’étais perdu… entre le jambon, la viande de porc, la viande halal, les diverses restrictions, intolérances et aussi allergies alimentaires. Il D ans une entrevue accordée à L’Actualité, l’écrivain Jacques Godbout a revêtu les habits d’un apocalyptique « déclinologue » pour prédire la fin prochaine de la société québécoise, et fonde sa prophétie sur une certaine nonchalance de la génération des cégépiens, mais aussi > suite en page 4, CPE Qui est Ulrick Chérubin ? Frans Van Dun Québécois et Québécoises, sortez vos mouchoirs ! Le Québec est dans l’antichambre de la mort, la pierre tombale est commandée, et vous pouvez y lire : Ici repose le Québec décédé en 2076 des suites des assauts de tribus d’immigrants et de l’indifférence des cégépiens. La messe est dite… par un certain Jacques Godbout. Ahmed Kouaou est originaire de Tizi-Ouzou, Algérie. Immigré au Québec depuis 4 ans, il est journaliste surnuméraire à Radio-Canada et conseiller en emploi à Carrefour BLE. m’a fallu également faire preuve d’ingéniosité face à certains produits habituels que je ne pouvais plus utiliser dans mes Maire d’Amos en Abitibi Entre résistance culturelle et nostalgie de mauvais goût Ahmed Kouaou Blandine Philippe Blandine Philippe sur les flux migratoires que connaît le Québec et dans lesquels il y voit autant de menaces. Petit extrait des élucubrations godboutiennes : « (…) Ce sont des tribus qui immigrent, avec leurs costumes, leurs > suite en page 3, GODBOUT D’origine belge flamande, Frans Van Dun a immigré au Québec il y a plus de 30 ans. Il oeuvre actuellement en milieu immigrant à Montréal. D ans son cas, on ne peut éviter le terme de minorité visible. En effet, cet Haïtien pure laine est à peu près le seul Noir que vous risquez de rencontrer dans la petite et jeune ville d’Amos avec ses 14 000 habitants, berceau de l’Abitibi. Est-il regardé de travers pour autant par ses concitoyens ou marginalisé ? Pas du tout ! En 2002, les gens d’Amos l’ont même élu maire de leur municipalité avec une écrasante majorité. C’est dans son bureau de l’Hôtel de Ville qu’il nous accueille avec un large sourire. Monsieur Chérubin n’a rien perdu de sa verve créole. > suite en page 11, CHÉRUBIN La Fondation Alex et Ruth Dworkin est fière de soutenir Le Jumelé et sa mission de sensibilisation aux relations interculturelles Le Jumelé Automne 2006 Édito Éditorial Clin d’oeil, moeurs et coutumes... Histoire vécue, parmi tant d’autres... codages et décodages. Blandine Philippe lors que les saisons se replient progressivement sur elles-mêmes les unes après les autres, Le Jumelé cherche à faire écho à leur fabuleux déploiement de couleurs en leur empruntant, à chaque trimestre, quelques uns de leurs pigments les plus nuancés. Nous voici avec une nouvelle ligne graphique, un nouveau logo, une nouvelle mise en pages et un nouveau sous-titre, À la croisée des cultures ! Le ton est donné : davantage de sujets et plus de collaborateurs pour tenir vivant et vivifiant, le cap de ce média communautaire alternatif. Cela demande patience, conviction, endurance et implication afin de traverser, sinon sans ambage, du moins avec enrichissement, l’épanouissance de nos saisons. Ce rendez-vous d’automne fait place à une autre nouveauté majeure : nous avons opté pour un jumelage équilibré entre la poursuite de nos rubriques habituelles et l’ajout d’un dossier spécial. Dans cette édition, notre regard s’est penché sur les plus jeunes de notre société. Leurs esquisses préparent assurément les grandes oeuvres de demain et nous ne pouvions passer à côté en ce début d’année scolaire. Je me souviens de cette enseignante qui s’était montrée passablement irritée du simple fait que je n’avais pas su quoi faire avec une boîte de carton aux couleurs de l’Unicef pliée dans l’agenda de mon fils, à la veille de l’Halloween. Cela était une évidence pour elle, pas pour moi et certainement pas non plus pour de nombreuses familles immigrantes. Anodin en apparence, cet incident n’en est pas moins révélateur et concourt à sa manière à éveiller voire réveiller, frustrations et incompréhensions de part et d’autre. Or le Québec change… tout le Québec change ! Un simple coup d’oeil panoramique nous permet de le voir et nous pouvons nous questionner afin de savoir si nous sommes préparés à cela. A Face aux critiques de Jacques Godbout et aux débats que ses propos peuvent susciter, les milieux communautaires et ceux de la petite enfance semblent de leur côté les mieux préparés aux croisées des chemins offertes par notre nouvelle pluralité. Nous avons voulu le vérifier et en rendre compte dans nos pages. « On ne réfléchira jamais assez sur ce qui nous divise, sur ce qui nous unit. On constate la guerre des sexes, des guerres de gangs, des guerres de religions, des guerres de peuples. N’est-il pas préférable de favoriser les ententes plutôt que les séparations ? Comment encourager l’harmonie et non la compétition, comment établir l’accord et pas la confrontation ? Aussi, on ne se posera jamais trop souvent la question : Voulons-nous réellement vivre ensemble dans le même monde et qu’allons-nous faire pour cela ? ». Lucie Poirier * campe ici avec précision l’esprit du Jumelé. La croisée des cultures que nous proposons se veut informative, inclusive et respectueuse de toutes les cultures migrantes et accueillantes. C’est en tout cas la voie que nous choisissons d’emprunter pour vivre ensemble, dans le même monde. ■ *Lucie Poirier est directrice-fondatrice des éditions Les Mots Bancs et exprime ses convictions humanistes et pacifistes à travers ses œuvres poétiques et ses articles sociopolitiques. Le Jumelé, à la croisée des cultures, souhaite ouvrir un dialogue entre les personnes immigrantes et celles issues de la société d’accueil. Il vise à encourager la tolérance en matière de pluralité sociale, culturelle, religieuse, historique et coutumière. Le Jumelé 518, rue Beaubien Est, Montréal (Québec) H2S 1S5 Téléphone : (514) 272-6060 poste 209 Télécopieur : (514) 272-3748 Courriel : [email protected] Site web : www.tcri.qc.ca Éditeurs TCRI et SEIIM Une co-édition de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes et du Service d’éducation et d’intégration interculturelle de Montréal. Rédactrice en chef Blandine Philippe Administration Giovanni Fiorino, Estelle Gravel Impression Rotoquad inc. Rédacteurs Ahmed Kouaou, Blandine Philippe, Catherine d’Anjou, Catherine Gauvreau, François Mathieu, Frans Van Dun, Habib El-Hage, Harini Sivalingam, Marie-Claire Rufagari, Véronique Tardivel. Illustration des rubriques Annick Philippe Distribution Courrier A & A Bédéiste Christian Cather Collaborateurs Alfredo Lombisi, Catherine Lamarche, Cécile Hernu, Claudia Morel, Colleen French, Geneviève Lembelet, Giovanni Fiorino, Hameza Othman, Jamal-Eddine Tadlaoui, Josianne Poutré, Sylvain Thibault. Conception graphique Stéphane Champagne Caroline Marcant @Droits d’auteur Toute reproduction des textes, des illustrations et des photographies du Jumelé est interdite sans une autorisation écrite des éditeurs. Bien que toutes les précautions aient été prises pour assurer la véracité des informations contenues dans Le Jumelé, il est entendu que les éditeurs ne peuvent être tenus responsables des erreurs issues de leur utilisation. Les auteurs des articles publiés dans Le Jumelé conservent l’entière responsabilité des théories ou des opinions qu’ils émettent dans leur texte. Comité d’orientation Ahmed Kouaou, Blandine Philippe, Frans Van Dun, Hélène Bérubé, Sylvain Thibault. Correcteurs et réviseurs Ahmed Kouaou, Blandine Philippe, Hélène Bérubé Tirage certifié AMECQ 8000 exemplaires Dépôt légal Bibliothèque Nationale du Québec Bibliothèque Nationale du Canada Octobre 2006 La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes est soutenue financièrement par le Ministère de l’immigration et des communautés culturelles Le Jumelé Automne 2006 D’hier à aujourd’hui Spécial enfants-jeunesse GODBOUT À quand les classes d’accueil pour parents immigrants ? > suite de la page 1 On fait la révolution comme on veut et avec les moyens qu’on juge appropriés. Godbout et ses comparses ont eu les leurs, libre à Boisclair et ses acolytes d’imaginer un pays avec du blanc, du bleu… et du vert. la Révolution tranquille. Lisons-le à ce propos : « (…) Ils n’ont plus les références que nous avions. Nous allions chercher nos références ailleurs que dans notre société. Moi, par exemple, je n’allais pas croire un mot de ce que le clergé m’affirmait. Il était au pouvoir et voulait que les choses restent comme elles étaient. Aujourd’hui, les références des jeunes, quelles sont-elles ? Ils ont des gourous dans le milieu de l’environnement Pierre Dansereau et Hubert Reeves -, mais cela me fait penser au monde chrétien que j’ai connu. C’est tout juste s’ils ne font pas des prières, ils sont toujours pour la vertu. » Même s’il a tenté de s’expliquer dans une contribution édulcorée parue dans Le Devoir du 23-24 septembre, il n’en demeure pas moins que l’homme présente les signes d’un malaise évident face à une société qui évolue. Expression d’une nostalgie amère, le propos de Godbout est celui d’un militant contrarié par un rêve inachevé. Sa frustration peut être légitime, mais son désir de voir la jeunesse s’inscrire dans la continuité est exagéré, car Godbout ne semble pas s’accommoder de la différence. Il est tout de même étonnant de reprocher aux jeunes d’aujourd’hui de se préoccuper autant de l’environnement, alors que le monde court à sa perte écologique. Godbout ignore-t-il que l’environnement est devenu, à juste titre, le cheval de bataille de la nouvelle génération indépendantiste ? On fait la révolution comme on veut et avec les moyens qu’on juge appropriés. Godbout et ses comparses ont eu les leurs, libre à Boisclair et ses acolytes d’imaginer un pays avec du blanc, du bleu… et du vert. Libre aussi à d’autres jeunes de transcender le débat indépendantiste, de caresser d’autres rêves et de boire les paroles d’une autre espèce de «gourous». Godbout a peutêtre des raisons de s’inquiéter du Québec de demain, mais sa myopie entraîne sa prophétie dans le terrible paradoxe de Cassandre. Le Jumelé Automne 2006 Martin Bouffard coutumes, leur religion et leur télévision. On sous-estime le fait que la soucoupe branchée sur Al-Jazira ou d’autres chaînes étrangères empêche ces gens de regarder la télévision indigène, qui, elle, ne les intéresse absolument pas. Donc, ils ne s’intègrent même pas le soir en rentrant à la maison. Ils sont entre eux. Sous prétexte de permettre aux individus plus de liberté, on se trouve à détruire une cohésion sociale. La tribu canadiennefrançaise est en mauvaise posture : elle n’a plus d’enfants ! » Aux jeunes québécois, Godbout reproche une certaine légèreté, mais surtout leur rupture avec les idéaux des artisans de Entre intégration et assimilation C’est sans doute au sujet de l’immigration que l’auteur de Le Temps des Galarneau a laissé libre court à son délire. Là encore, il se trompe lamentablement de colère. Il verse d’abord dans une affligeante catégorisation, en réduisant les immigrants à des tribus réfractaires à toute intégration. Godbout fait un amalgame évident entre intégration et assimilation. Dans un Québec idéal, suggère-t-il à demi-mot, l’immigrant devrait se défaire de sa langue maternelle, de sa culture originelle, et tutti quanti. Bonjour l’homogénéisation ! Il ne reste qu’à inventer cette merveilleuse machine dans laquelle passeraient les immigrants, à leur arrivée l’aéroport, pour devenir des Québécois exemplaires, entendre par là indépendantistes. Certes, on ne peut lui en vouloir au vieux militant de faire de la résistance culturelle, mais il y a un pas vers le ridicule qu’il a franchi allègrement. cher un emploi relève d’un tout autre exploit, autrement plus ardu. Le repli identitaire n’est pas l’apanage des immigrants ; un rejet nourrit un autre. Visiblement, au Canada, on excelle dans la reproduction des solitudes. Mais le plus désolant, c’est que Godbout ne voit que des menaces dans ce nouveau métissage. Il ignore, ou feintil de le faire, que des bataillons d’immigrants participent aux chantiers du Québec, épousent volontiers les valeurs de ce merveilleux pays, bref font preuve d’une parfaite intégration. Il ignore aussi tout l’apport culturel et économique des immigrants, se recroquevillant dans un protectionnisme culturel désuet. Godbout ravive de manière inappropriée des séquelles historiques en associant l’immigration à un facteur de désagrégation de la société québécoise. Le Québec survivra à ses prédictions, mais ce sera un Québec pluriel aux accents multiples et aux teints divers. En somme, un Québec qui sera à l’image d’un monde de plus en plus métissé et globalisé. Un Québec où on peut alterner, sans fausse note aucune, Mes Aïeux et Matoub Lounes ou Oum Kaltoum, et où retentit un joual d’autant plus charmant qu’il émane de ribambelles d’enfants aux yeux bridées. ■ Ahmed Kouaou Véronique tardivel Véronique Tardivel est étudiante au baccalauréat en journalisme à l’UQAM. C et automne devait avoir lieu la mise en place du nouveau plan d’action interculturel de la CSDM. Un mois après la rentrée scolaire, où en sommesnous ? Adoptée lors de consultations publiques en mai dernier, la nouvelle politique interculturelle de la commission scolaire montréalaise donnait le coup d’envoi pour le développement de stratégies concrètes afin d’améliorer l’intégration des élèves et des parents issus de l’immigration. Un million de dollars a été dégagé cette année pour appuyer ces initiatives. Je me souviens étant jeune, lors d’une sortie à la cabane à sucre, d’avoir amené mon lunch croyant que nous allions faire un pique-nique dans les bois. La CSDM présente une mosaïque interculturelle unique et un défi d’intégration de taille. Sur les 73 000 écoliers qu’elle accueille annuellement, 50 % ne parlent ni le français ni l’anglais à la maison. Ces jeunes proviennent de 180 pays et, ensemble, maîtrisent quelques 150 langues et dialectes. Que cette nouvelle politique amène un vent de fraîcheur au sein de la population enseignante et des divers organismes et communautés culturelles n’a rien d’étonnant. Les besoins d’une meilleure communication et compréhension mutuelle entre les parents et l’école se font de plus en plus ressentir. « Je me souviens étant jeune, lors d’une sortie à la cabane à sucre, d’avoir amené mon lunch croyant que nous allions faire un pique-nique dans les bois. Sur le coup, c’était embarrassant, mais imaginez-vous le trouble pour les parents nouvellement arrivés lorsqu’il est question d’inscription, de transport scolaire ou encore de service de garde ! » Originaire de la Hongrie et arrivé au Québec à l’âge de 11 ans, Akos Verboczy est maintenant commissaire scolaire de son quartier d’adoption, Wesmount/Côte-des-neiges. En tant que président du comité des relations interculturelles de la CSDM, qui a initié cette nouvelle politique d’intégration, son cheminement personnel lui apporte une expertise et lui confirme l’urgence d’agir : « Je représente la génération des enfants de la loi 101 qui habitent et qui aiment Montréal. » Monsieur Verboczy est conscient des nombreuses problématiques entourant la réussite scolaire des nouveaux élèves issus des différentes communautés. > suite en page 5, CSDM Un Québec où on peut alterner, sans fausse note aucune, Mes Aïeux et Matoub Lounes ou Oum Kaltoum L’ancien journaliste s’est-il interrogé, une seule fois, sur la place des immigrants dans la télévision indigène ? A-t-il essayé de compter les yeux bridées et les têtes basanés ou noires dans cette télévision blanche aux yeux bleus ? Il faut être aveugle et sourd pour ne pas savoir que les immigrants sont sous représentés dans les médias francophones. Et « les anglos » font meilleure figure en la matière ! De plus, l’évocation de l’immigration dans les médias est souvent teintée d’une connotation péjorative renvoyant aux gangs de rue, à la pauvreté, à l’assistance sociale, etc. Il ne faut pas s’étonner dès lors que certains néo-québécois se tournent vers d’autres canaux d’information. Par choix ou par simple nostalgie et souci d’information de ce qui se passe dans leurs pays d’origine. « Ils (les immigrants) sont entre eux », claironne encore Godbout. Les Québécois aussi, lui rétorqueront certains. S’est-il informé, un jour, sur la difficulté des immigrants à s’intégrer dans la société québécoise ? N’en déplaise à Jean Coutu, dans la grande pharmacie du Québec, il est difficile de trouver des amis. Décro- Spécial enfants-jeunesse CPE, Centres de la petite enfance Carole Barbeau, directrice, CPE La Ruche Blandine Philippe parler aux parents dans une autre langue que le français » explique Madame Barbeau. Mais au-delà des mots et de la langue, il y a l’incontournable question de la différence culturelle. Andréia Bittencourt, directrice d’un CPE dans Côte-des-Neiges, témoigne : « J’ai aussi travaillé à Ville-Émard qui, il y a encore peu de temps, était très québécois. Les éducatrices y étaient essentiellement québécoises. Aujourd’hui ce quartier devient de plus en plus multiethnique. Les éducatrices en place ont commencé à avoir Il nous faut de plus en plus parler en anglais, bien que certaines éducatrices acceptent encore difficilement de devoir parler aux parents dans une autre langue que le francais. À titre d’exemple, elle nous a expliqué que si les Québécois sont très directs dans leur manière d’aborder un échange (Bonjour, ça va bien, demain il faut apporter des couches ou encore Bonjour, ça va bien, regardez, vous n’êtes pas à l’heure), cette manière de faire ne correspond pas aux codes de communication de plusieurs communautés. On a donc appris à aborder les parents différemment: Bonjour, comment ça va ? Avez-vous passé une bonne fin de semaine ? Est-ce que la famille va bien, les enfants, les autres bébés, est-ce que tout se passe bien ? » Ces éléments du quotidien sont subtils et importants à comprendre. Beaucoup de préjugés ont ainsi pu être déconstruits, permettant de créer une toute autre atmosphère entre parents et éducatrices. Dans leur grande majorité, celles-ci sont ouvertes à la différence, mais elles ne savent tout simplement pas toujours comment s’y prendre. Le personnel comprend, apprend et s’adapte, au même titre que « la clientèle semble essayer de s’adapter à la société québécoise » précise Carole Barbeau. Les repas ne sont qu’un des multiples aspects de cette nouvelle mixité culturelle. L’approche auprès des parents et l’orientation des services offerts sont également amenées à évoluer. « On a à cœur d’établir une bonne communication avec les parents. Si le contact quotidien du personnel éducatif auprès des enfants se fait en français, ce n’est pas forcément le cas auprès des parents. Il nous faut de plus en plus parler en anglais, bien que certaines éducatrices acceptent encore difficilement de devoir Andréia Bittencourt, directrice, CPE Les Amis promis de la difficulté à gérer le quotidien et à communiquer avec les parents. J’ai dû faire venir une spécialiste de la diversité culturelle pour donner une formation aux éducatrices afin qu’elles soient mieux outillées pour aborder les parents et aussi pour mieux intervenir auprès des enfants. » Dans mon personnel éducatif immigré, j’ai des travailleurs sociaux, psychologues, avocates ou encore ingénieures Dans ce contexte, le Regroupement des Centres de la petite enfance de l’Île de Montréal offre à l’ensemble du personnel des CPE des formations orientées une spécialiste de la diversité culturelle pour donner une formation aux éducatrices afin qu’elles soient mieux outillées pour aborder les parents sur cette thématique. À titre d’exemple, l’atelier « Moi, toi… et nos deux cultures » aborde la relation adulte/enfant et ses influences au quotidien, en l’intégrant au travail éducatif auprès des enfants d’origines diverses. L’enfant de 0-5 ans issu d’une autre culture est placé au cœur de ces discussions. Il est à noter que les garderies les plus anciennes disposent généralement d’une équipe pédagogique ayant la même ancienneté. Les éducatrices y sont pour la plupart québécoises de naissance. Au CPE La Ruche, crée en 1976, un seul membre du personnel est issu de la nouvelle immigration. Par contre, lors de l’implantation récente des garderies en milieu familial, 75 % des éducatrices étaient des nouvelles immigrantes. Au CPE Les Amis promis, ouvert il y a tout juste une année, neuf des treize employées, soit 70 %, sont nées à l’extérieur du pays. Au CPE Saint-Denis, sur les 39 employés permanents et occasionnels, seulement 12, soit à peine le tiers, sont nés au Québec. multiples qu’il y a de pays. Là encore, le consensus des propos recueillis est frappant : tous s’accordent à dire que l’on est en présence, tout simplement, de la réalité québécoise d’aujourd’hui, dans un contexte pluriculturel et que c’est cela vivre la vraie réalité, sous-entendant que cette diversité est désormais du domaine de l’acquis. Certains parents s’inquiètent parfois. Leur crainte principale se situe avant tout au plan de l’apprentissage de la langue française. Ils peuvent appréhender qu’une éducatrice dont la langue maternelle n’est pas le français ne puisse offrir l’environnement linguistique auquel ils seraient en droit de s’attendre. Pour d’autres au contraire, voilà une occasion unique dont ils souhaitent voir bénéficier leur enfant. « Des parents nous font savoir qu’ils veulent profiter de nos éducatrices hispanophones pour que leur jeune enfant apprenne l’espagnol ! s’enthousiasme madame Henriquez. On a donc élaboré un projet pédagogique dans ce sens, incluant des enregistrements de chansons en espagnol pour les parents. Ces derniers nous précisent qu’ils parlent de toute manière en français à la maison avec leur enfant. Les parents étaient très ouverts. » Cette diversité est désormais du domaine de l’acquis Au moment même où le milieu de la petite enfance manquait cruellement de personnel, le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles présentait cette filière comme possibilité d’emploi aux femmes qui arrivaient au pays. Pour la plupart diplômées d’autres secteurs d’activités, ces nouvelles éducatrices se sont repliées vers cette filière « facilement accessible » de la petite enfance car leurs diplômes étrangers ne sont pas reconnus. Mirea Henriquez, directrice du CPE StDenis explique : « Dans mon personnel éducatif immigré, j’ai des travailleurs sociaux, psychologues, avocates ou encore ingénieures, qui arrivent avec des diplômes mais qui ont de la difficulté à travailler dans leur domaine et qui du même coup cherchent à faire autre chose. Notre cuisinière mexicaine était travailleuse sociale dans son pays et se résigne à présent en déclarant : je fais ce que je peux faire ici ! » Que ce soit dans Côte-des-Neiges, Rosemont ou Hochelaga-Maisonneuve, le constat est le même : les candidatures spontanées, pour ouvrir une garderie familiale ou intégrer une installation gérée par un CPE, proviennent de femmes immigrantes dans 85 % des cas. Serions-nous à la veille d’une minirévolution culturelle dans le monde de la petite enfance ? Enfants et éducateurs proviennent dorénavant d’horizons aussi Mirea Henriquez, directrice, CPE Saint-Denis Blandine Philippe recettes, tels la guimauve qui contient de la gélatine dans laquelle il y a du porc, ou encore le jello qui lui aussi contient de la gélatine. Finalement, j’ai consulté la nutritionniste de notre CLSC ! » Étienne n’en était pourtant pas à sa première batterie de cuisine, comptant une vingtaine d’années de métier dans des milieux aussi divers que le Palais de justice, des institutions religieuses et d’autres CPE en région. Mais aujourd’hui c’est différent : il prend conscience, sur le terrain, de l’immense pluralité culturelle du quartier Côte-des-Neiges dans lequel il travaille, où la moitié de sa population est composée d’une immigration récente et qu’il apprivoise tranquillement depuis une année. À son CPE, 90 % des enfants sont de parents nouvellement arrivés et représentent une douzaine de pays différents. « Au début, précise Étienne, les parents étaient un peu inquiets et aussi gênés sans doute. Ils se demandaient comment j’allais composer avec les restrictions alimentaires de leur enfant. Il m’a fallu les mettre en confiance et leur faire comprendre que mon métier n’est pas de juger mais de respecter. » Une relation de confiance s’établit. Étienne se montre intéressé à comprendre certains rites culturels spécifiques, le principe de la viande halal et des prières qui l’accompagnent par exemple. De leur côté, les parents viennent le rencontrer pour dialoguer et repartent parfois avec la recette du pâté chinois ou de la sauce à spaghetti. Une qualité d’échange qui nourrit Étienne, lui qui n’avait jusqu’alors jamais été confronté à cette réalité dans d’autres CPE, la proportion d’immigrants installés sur l’Île de Montréal étant encore relativement concentrée dans certains de ses quartiers. Néanmoins, les couleurs des quartiers évoluent progressivement, bouleversant parfois les repères du milieu de la petite enfance, qu’ils soient de nature culinaire, pédagogique ou encore d’ordre communicationnel. Ce milieu semble en effet révéler, avec plus de justesse et de précisions que ne le font les études sociodémographiques actuelles, le renouveau culturel qui se dessine au Québec. Identifié comme un des bastions les plus francophones de Montréal avec près de 95 % de sa population parlant le français, le quartier Hochelaga-Maisonneuve situé dans l’Est de Montréal, n’échappe pas à ces changements. Sa population immigrante représente à présent 12 % de ses résidents. Dans les garderies, la proportion peut atteindre 30 %. Carole Barbeau, directrice du CPE La Ruche note des changements notables dans ce sens depuis les six dernières années. Sur la liste d’attente, les nouveaux arrivants deviennent majoritaires. Et à partir du moment où, dans son installation, les enfants musulmans ont représenté près de 20 % de sa clientèle, il a été décidé de faciliter le travail en cuisine en y bannissant la viande de porc. Ce choix semble relativement unanime au niveau des centres de la petite enfance. Blandine Philippe Étienne Anglehart, cuisinier, CPE Les Amis promis Blandine Philippe > suite de la page 1 Dans la foulée, Mirea Henriquez initiait un autre projet novateur au CPE St-Denis, en réalisant un guide sur les habitudes alimentaires qui tienne compte des origines culturelles variées de sa clientèle, tout en les initiant à la vie quotidienne du Québec. Au-delà des chansons de couleur et des feux planétaires, parions que nos jeunes Québécois, les enfants de l’avenir, nés ici ou ailleurs, sauront bâtir une société dont on ne peut pas encore soupçonner ni le langage ni la couleur : leurs rêves de demain… ■ Blandine Philippe Le Jumelé Automne 2006 Spécial enfants-jeunesse CSDM, classes d’accueil pour parents immigrants > suite de la page 3 la distribution de fiches d’information sur le système scolaire québécois à l’utilisation du service de garde comme manière de personnaliser le lien avec les parents. On prévoit des formations à composante interculturelle pour le personnel enseignant ainsi que des cours de francisation pour les parents qui pourraient prendre la forme originale de classes d’accueil. il est important pour nous, la société d’accueil, de nous affirmer Durant les consultations publiques du printemps dernier, les parents ont exprimé le besoin d’être mieux initiés aux valeurs et à la culture québécoise. Monsieur Verboczy mentionne « qu’il est important pour nous, la société d’accueil, de nous affirmer et de promouvoir notre patrimoine auprès des autres cultures ». Aussi, les membres de son comité se penchent actuellement sur la problématique de l’explication des bulletins : « Ce n’est pas tout de traduire le jargon technique, il faut mentionner les motivations et la philosophie derrière nos modes d’évaluation et ce, tout en restant ouvert aux échanges et aux commentaires constructifs ». Ces classes pour parents immigrants auraient alors pour objectif de leur offrir une meilleure compréhension Blandine Philippe Enseignante au secondaire depuis quinze ans à la CSDM, Jasmine Langevin est confrontée chaque jour à de nouvelles réalités. Selon elle, le plan d’action arrive à point : « Le visage du réseau montréalais de l’éducation a changé énormément depuis les sept dernière années. Il est courant de devoir communiquer avec les parents pour leur expliquer l’importance de fournir à leur enfant le matériel scolaire nécessaire, ou même de voir un jeune servir d’interprète lors des rencontres avec les parents ». Les projets évoqués par la nouvelle politique interculturelle sont variés : cela va de La moitié des élèves montréalais nés à l’étranger résident dans une zone défavorisée ; le temps d’insertion dans les classes d’accueil à été coupé de moitié par le ministère passant de deux à un an : la solution à leur intégration et à celle de leur famille réside-t-elle en une meilleure diffusion de nos valeurs nord-américaines ? « Les immigrants ici, ce sont des survivants. Il n’est pas rare qu’ils aient à travailler jusqu’à vingt et une heures tous les soirs pour nourrir leur famille, alors ne leur demandez pas de fournir une aide aux devoirs à leurs enfants… » Nicole Malouin, enseignante au primaire. du système d’éducation québécois dans son ensemble. Des idées, donc, ce n’est pas ça qui manque ! Mais quand et comment verronsnous se concrétiser ces stratégies ? « L’enveloppe d’un million de dollars sera répartie par quartier et par projet. » Akos Verboczy souligne que cette formule de budget participatif décentralise le pouvoir et le remet entre les mains des parents et des responsables de quartier. « Au début de janvier prochain, les comités de quartier formés respectivement du commissaire et des représentants du conseil d’établissement de chaque école, habituellement un parent et un membre de la direction, seront en mesure de pouvoir présenter leurs idées. Notre défi sera de veiller à ce qu’ils travaillent ! » Ces nouveaux professeurs comprennent davantage la réalité des jeunes d’origines diverses. Le commissaire est confiant quant à la réalisation du plan d’action et cite en exemple l’application de la politique d’accès à l’égalité en matière d’embauche. Elle est entrée en vigueur en 2005 et ses effets se font déjà ressentir. À l’heure actuelle, 12 % des employés de la commission scolaire proviennent de minorités ethniques visibles, un pourcentage qui tend à augmenter. « Cette année, à l’école, il y a une supLe Jumelé Automne 2006 pléante qui porte le voile et un enseignant haïtien a également été engagé ». Cette meilleure représentation élèvesenseignants rend Madame Langevin, confiante. « Ces nouveaux professeurs comprennent davantage la réalité des jeunes d’origines diverses. En plus de parler leur langue et de connaître leurs valeurs, ils sont des modèles de réussite ». Sachant que cette année Montréal recevra 48 000 nouveaux venus, la mise en application de la politique interculturelle de la CSDM reflète une réalité et un besoin criant qui étaient jusqu’alors peu documentés en milieu scolaire. Elle vient appuyer un mouvement de plus en plus important d’initiatives favorables au développement de relations interculturelles harmonieuses. Pensons au projet de jumelage entre immigrants et Québécois, aux festivals et événements à saveurs multiculturelles ou encore à des projets d’éducation des jeunes aux droits humains comme celui d’Équitas. Présentement, la reconnaissance des équivalences de diplômes des nouveaux arrivants, la représentativité politique, l’application de mesures contre le racisme et la discrimination, sont autant de thèmes et de débats quotidiennement abordés par les médias et par les différents niveaux de paliers politiques. Soit, la CSDM se colle à notre nouvelle réalité de société plurielle et prend le virage à temps. ■ Véronique tardivel Spécial enfants-jeunesse Orphelins chefs de famille Jeunes enfants immigrants Marie-Claire Rufagari e retour d’un voyage au Rwanda, pays des mille collines, décrit par certains comme le pays au printemps éternel et pas d’autres comme un immense jardin, j’ai été interpellée par une réalité qui ne laisse personne indifférent : les orphelins chefs des ménages*. Ces enfants qui étaient bébés ou très jeunes en 1994, aujourd’hui ne sont ni dans des orphelinats ni dans des foyers d’accueil. Ils assument des rôles d’adultes avant le temps. En les voyant, la chanson de Corneille Seul au monde a pris toute sa signification pour moi. Invitée, ainsi qu’une collègue travailleuse sociale, par des ressources locales qui essaient de venir en aide à ces enfants, j’ai eu l’occasion de rencontrer 136 de ces orphelins qui ont partagés avec nous leurs réalités avec courage et bravoure alors qu’ils souffrent énormément. Lorsque quelques uns d’entre eux nous ont parlé individuellement, leur plus grande demande était qu’on soit une maman pour eux. Ils aimeraient tant avoir quelqu’un à qui présenter leurs bulletins scolaires comme les autres enfants ; quelqu’un qui pourrait les représenter lorsqu’il y a des problèmes à l’école ; bref, quelqu’un pour qui ils pourraient compter. Avant le génocide, ces enfants auraient été pris en charge par la famille élargie. Mais elle non plus n’est plus là et le tissu social est à reconstruire. L’ampleur des souffrances et des problèmes est telle qu’il reste énormément à faire. Plusieurs Rwandais ont pris à leur charge quelques uns de ces orphelins. Il en reste beaucoup qui auraient besoin d’être aimés et entourés. Les traumatismes vécus et S persistants sont incommensurables, et se manifestent davantage encore à chaque mois d’avril, depuis douze ans, période de commémoration. Le pays ne dispose que de très peu de ressources psychosociales, qu’elles soient humaines, matérielles ou financières. Les institutions et associations oeuvrant en santé mentale sont débordées et vite dépassées par le nombre et la complexité des cas. Bien que les défis à relever soient immenses, l’espoir demeure si l’on garde présent à l’esprit que l’océan est fait de gouttes d’eau. C’est ainsi que j’ai décidé de me joindre à tous ceux qui s’impliquent à chercher des pistes de solution avec ces enfants. Le besoin de recréer des liens étant crucial pour les orphelins chefs des ménages, des projets de jumelage et de parrainage tels que ceux mis en place au Québec dans d’autres sphères sociales, pourraient certainement inspirer des actions la-bàs. ■ * Les orphelins chefs des ménages est l’expression utilisée au Rwanda pour désigner ses enfants que nous définirions ici comme chefs de famille. ’il est connu que la grande majorité des nouveaux arrivants au Québec s’installent principalement à Montréal, ceux-ci sont toutefois de plus en plus nombreux à « tenter leur chance » dans l’une ou l’autre des régions de la province. Ce qui jusqu’à présent était davantage observé et documenté dans la métropole le devient progressivement pour le reste du territoire : le flux migratoire se déploie et avec lui son lot de questionnements, de réflexions et d’analyses, face à des situations nouvelles. Ainsi, l’organisme Actions interculturelles de développement et d’éducation (AIDE) a mis sur pied, en collaboration avec l’Université de Sherbrroke, un projet de recherche-action pour favoriser l’intégration sociale des enfants immigrants de moins de six ans et de leurs familles en Estrie. Entamée en décembre 2005, cette étude devrait aboutir à l’automne 2007. Son objectif est double : connaître l’impact des difficultés d’inclusion sociale des familles immigrantes sur le développement et le bien-être des enfants ; définir et diffuser les stratégies d’intervention favorisant l’intégration de cette même clientèle. Un des objectifs sous-jacents, à plus long terme, est de permettre une « meilleure résussite scolaire et une intégration plus réussie au sein de la communauté québécoise ». À Sherbrooke, sur un échantillon d’une vingtaine de centres de la petite enfance (CPE), environ 18 % des enfants sont issus de l’immigration (enfants dont les deux parents sont nés à l’étranger). On est loin du contexte montréalais et pourtant, la région décide de prendre les devants en Promenade automnale pour Jinane Elkorri et son conjoint Abdel ouahed Oubaid. Originaires du Maroc, ils se sont installés au Québec il y a 4 ans. Leur fils Riyane, 3 ans, est quant à lui né ici. se préparant justement à accueillir ces changements sociaux. À l’heure actuelle, l’étude poursuit sa phase d’observation pour comprendre ce qu’il se passe dans les milieux : éducateurs à la petite enfance, enfants, parents et intervenants sont rencontrés et questionnés. Il s’agit d’évaluer autant les difficultés perçues par les familles que de cerner par exemple les modes relationnels établis par le personnel des CPE. Il est nécessaire de dresser un portrait le plus fidèle possible des réalités rencontrées. À terme, ce projet devrait permettre de réunir le milieu de la recherche scientifique et les organismes communautaires de l’Estrie dans le cadre d’un partenariat multilatéral : favoriser le développement et le bien-être des enfants par une facilitation de l’inclusion sociale de la famille. Pour toute information consulter le www. J aide.org La traite des enfants au Québec Catherine Gauvreau Catherine Gauvreau est chargée de programme « Traite d’enfants » au Bureau international des droits des enfants. S elon le protocole de Palerme, ratifié par le Canada en mai 2002, la traite d’enfants se définit par le recrutement, le transport, l’hébergement ou l’accueil d’un enfant aux fins d’exploitation. L’UNICEF estime à près de 1,2 millions les enfants trafiqués chaque année dans le monde. Nous ne sommes pas exempts de ce fléau : le Canada est non seulement un pays de destination et de transit, mais aussi un pays d’origine. La Gendarmerie Royale du Canada évalue à 800 le nombre de migrants soumis à la traite chaque année au pays et entre 1 500 et 2 200 le nombre de victimes de traite passant en transit au Canada pour se rendre aux États-Unis. En 2004, dans un rapport préliminaire sur la situation au Canada, il a été relaté qu’à Montréal et à Toronto, les victimes proviennent en majorité de l’Europe de l’Est, des Caraïbes et de l’Afrique, tandis qu’à Vancouver, elles sont originaires principalement de l’Asie du Sud-est et de l’Amérique latine. Au Canada, la Loi sur l’immigration interdit d’organiser l’entrée au pays d’une personne par des moyens illégaux dans le but de l’exploiter. Le Code criminel a par ailleurs été amendé afin de créer trois nouvelles dispositions interdisant de participer à la traite de personnes ou d’en tirer avantage. Enfin, il est important de noter que des directives provisoires de Citoyenneté et immigration Canada sur la traite de personnes ont été émises en mai 2006. Jusqu’à présent, une seule personne a été accusée d’avoir commis la traite de personnes selon la Loi sur l’immigration. Aucune décision n’a encore été rendue dans le dossier. La pauvreté, souvent liée à l’inégalité économique mondiale, est citée dans la presque totalité des ouvrages comme étant la principale source de vulnérabilité à la traite des personnes. Cette pauvreté peut inciter des parents à chercher de meilleures conditions de vie pour leurs enfants, ce qui les dispose à la manipulation, la tromperie et l’exploitation. La mondialisation, qui est en partie responsable de la mobilité des personnes, de la pauvreté, du chômage, du statut précaire des jeunes et de l’expansion du crime organisé international, rend les jeunes vulnérables à la traite. D’autres facteurs facilitant ont également été identifiés notamment l’analphabétisme, l’érotisation des enfants dans les médias, l’inadéquation des législations et le manque d’implication de la police. Enfin, des politiques d’immigration restrictives favorisent la traite de personnes. Des contrôles migratoires plus stricts créent des situations où cela devient plus difficile pour des enfants de demander l’asile. Le Bureau international des droits des enfants termine actuellement la première partie de son projet sur l’étude du phénomène de la traite d’enfants au Québec. Des recommandations ont été rédigées afin de mettre en place des outils, des mesures et des stratégies d’intervention pour prévenir la traite d’enfants, protéger les victimes et poursuivre les trafiquants. Un groupe de discussion ouvert à tous et portant sur le thème de la protection des enfants victimes de traite externe aura lieu le 27 novembre de 13h30 à 16h30. Pour toute information, contacter le 514-932-7656 poste 223, écrire à [email protected] ou encore visiter le www.ibcr.org Les enfants victimes de traite se voient confrontés à plusieurs difficultés psychosociales. Ils souffrent également de dépression, d’anxiété, de pensées suicidaires et ils présentent une faible estime de soi. Le syndrome de stress post traumatique ainsi que des désordres alimentaires et de sommeil sont des manifestations fréquentes chez les victimes. Outre le traumatisme provoqué par le contexte d’exploitation, les victimes se voient souvent confrontées à des lésions physiques, des grossesses précoces ainsi que des infections transmises sexuelle- ment. Par ailleurs, les victimes sont également souvent prises avec des problèmes de consommation d’alcool et de drogues. Enfin, lorsque les enfants réussissent à se sortir de l’emprise des trafiquants, ils continuent de vivre un choc psychologique. Souvent, ils doivent faire face au processus judiciaire, la mise ou le retour en protection parfois sous la contrainte, la peur des représailles et les menaces sur l’environnement immédiat proféré par les trafiquants, ainsi que le sentiment intense de solitude causé par la perte des liens sociaux. ■ Le Jumelé Automne 2006 Blandine Philippe D L’Estrie prend les devants Jeunes réfugiés et immigrants Unissons nos voix ! Harini Sivalingam est étudiante à l’Université McGill E n tant qu’enfant d’immigrants du Sri Lanka, pays longtemps aux prises avec un conflit sanglant qui a généré de grandes vagues d’exil vers le Canada, je me suis intéressée à la question des droits des réfugiés. Mes parents proviennent de Jaffna, ville de l’extrême nord du Sri Lanka, berceau de la culture tamoule. Fuyant la répression et la violence de leur pays d’origine, j’ai vu plusieurs membres de ma famille et amis venir s’établir au Canada. Au cours des dernières années, j’ai travaillé étroitement avec des réfugiés de ma communauté, dont beaucoup de jeunes mineurs non-accompagnés. Je connais bien les difficultés qu’éprouvent les réfugiés dans le domaine de de l’éducation, de la santé, et de leur établissement au pays. Les réfugiés, un des groupes les plus vulnérables de notre société, doivent faire face à beaucoup de contraintes et d’obstacles. Je crois que la jeunesse a un rôle prépondérant à jouer pour assurer la protection et le respect des droits des réfugiés. Nous ne représentons pas seulement le futur, nous sommes également le présent. En tant que jeunes Canadiens nous avons le pouvoir et la force d’initier et d’appuyer des changements positifs dans notre société. Ensemble, nous avons gagné certaines batailles telles qu’obtenir des prêts d’étudiants pour les réfugiés désirant poursuivre leurs études au niveau collégial et universitaire. Cependant, il y a encore beaucoup de combats à livrer. J’ai espoir que cet automne, à la Consultation du Conseil Canadien pour les Réfugiés qui se déroulera à Montréal du 23 au 25 novembre, les jeunes, d’un bout à l’autre du pays, sauront unir leurs voix et partager leurs idées et stratégies afin d’améliorer la protection des réfugiés au Canada. Beaucoup de questions importantes seront discutées lors de cet événement et j’attends avec impatience de rencontrer tous ces jeunes qui assisteront à cette consultation d’envergure. Pour information, consulter www.web.net/ccr/ ■ « Il y a une multitude de façons de s’engager et de faire valoir notre point de vue: en adhérant aux campagnes de mobilisation et de sensibilisation, en participant aux différentes conférences, en s’impliquant au sein du groupe des jeunes du CCR. » Catherine Lamarche, étudiante à l’UQAM. Taro Harini Sivalingam Double minorité 1 du déracinement, deux cultures qui se mélangeront à leur pays d’adoption, et puis à celui d’un territoire commun, celui de la petite enfance. « Les enfants sont purs, spontanés surtout, sans arrière-pensées et naturels. Je trouvais cela magnifique. » confie Alberto. Pour Francis, le sentiment est le même : « Les enfants ont cette manière de te montrer qui tu es. Ils sont spontanés, honnêtes… ils observent, sont curieux, cherchent la vraie raison des choses… Je me suis beaucoup découvert à travers eux. » À son arrivée au Québec, Francis grandira dans le quartier Rosemont à Montréal, Blandine Philippe BLANDINE PHILIPPE 976, le général Videla s’empare du pouvoir argentin. Une répression très dure s’engage alors contre les mouvements d’opposition se manifestant par des exécutions et la pratique de la torture. Plusieurs dizaines de milliers de personnes disparaîtront sous les armes de la junte militaire. Une situation insoutenable, obligeant Alberto Iscla à quitter précipitamment le pays avec sa femme Alicia et leur jeune garçon de quatre ans. Sensiblement à la même période, de l’autre côté de l’océan Atlantique, le Kenya coule tranquillement les assises de son indé- Alberto Iscla, originaire d’Argentine, éducateur en CPE pendance acquise quelques années plus tôt, tandis qu’un des ses enfants, Francis Augustin, quitte avec sa mère le pays de la « terre des lions » pour venir s’installer au Québec. 25 ans plus tard, le cœur d’Alberto continue de vibrer aux rythmes du tango, celui de Francis continue à faire écho aux traditionnels dictons africains. Deux continents et deux histoires, uniques, brassées par les flots du voyage et Le Jumelé Automne 2006 parmi d’autres enfants, principalement néo-québécois, ses pairs comme il les appelle, soit des enfants d’autres communautés culturelles, italienne ou haïtienne par exemple. Il se souvient avoir eu des difficultés de concentration en classe, ce qu’il explique avant tout par une absence d’identification à son passé. « Ma mère a vécu des expériences difficiles qu’elle a tenté d’oublier en voyageant et en émigrant. C’est éprouvant pour elle de reve- nir sur son passé, ce qui entraîne pour moi le problème de savoir d’où je viens, et la difficulté d’acquérir un espace à moi. » Ne te penche pas sur ton passé, vis plutôt le moment présent, cela va t’amener à te découvrir toi-même au fur et à mesure que tu grandiras, telle était l’approche préconisée par sa mère. De son côté, Alberto sera orienté vers Ville-LaSalle par le gouvernement canadien, dès son arrivée à Montréal. « On est arrivé en avril, il neigeait et il faisait froid. Au début, il a fallu s’habituer au climat, à la langue, à la nourriture, aux horaires… des choses qu’on arrivait tranquillement à apprivoiser. Ainsi, la première année en fut une de découvertes, car tout était neuf. La deuxième année fut la plus ardue : l’étape de l’adaptation commence. Pas évident.t Je refusais de vivre en ghetto avec d’autres Latino-Américains car les ghettos ne favorisent pas l’intégration. Ils te protègent tout en t’isolant. On a donc décidé de quitter Ville-Lasalle où il y avait beaucoup de réfugiés salvadoriens, guatémaltèques, polonais et d’autres nationalités de l’Europe de l’Est, et nous nous sommes installés dans Hochelaga-Maisonneuve. » Alberto travaillait alors dans un restaurant quand la garderie de son fils lui offre de faire quelques remplacements : il ne savait pas encore qu’une nouvelle carrière s’offrait à lui et qu’il ressentirait instantanément la piqûre pour ce petit monde. Une croisée de chemins presque similaire se présente à Francis. Il fait lui aussi ses premiers pas en garderie à titre de remplaçant, avant de décider de poursuivre, tout comme Alberto, les cours en technique de service de garde à l’enfance au Cégep du Vieux Montréal. Voilà deux hommes, de générations différentes, issus de communautés culturelles, plongés dans un milieu de travail presque exclusivement féminin, au cœur de ce nouveau Québec pluriel. Blandine Philippe Hommes immigrés et éducateurs à la petite enfance Francis Augustin, originaire du Kenya, éducateur en CPE Pour Francis, le premier contrat a été laborieux. Se plonger dans le monde du travail, découvrir les enfants, changer régulièrement de groupe d’âge depuis les poupons à ceux de cinq ans, côtoyer des éducatrices ayant de l’ancienneté… autant d’adaptations multiples : « Même sans culture personnelle, j’avais de la difficulté à m’acclimater à la culture québécoise, dans un milieu de travail où peu de communautés culturelles sont représentées. Il m’était dur de saisir certaines manières d’agir, alors que je voulais toujours comprendre la vraie signification des choses au-delà des mots et des apparences. Moi, un homme, j’étais plongé dans un milieu de femmes et de plus, je suis noir… Me voilà en face d’une foule de petites barrières, confronté bientôt à ma peur des préjugés. J’ai ressenti tellement de peurs qui persistent d’ailleurs aujourd’hui. Je crois que la peur s’atténue seulement si on refuse de voir les vraies choses, c’est-à-dire le racisme, la discrimination et les préjugés. Alors là, oui, tout va bien. Par contre si on regarde la réalité en face, alors on est obligé de veiller à ce qu’on dit et à ce qu’on fait. » Au cours de ses premières expériences en garderie, combien de fois Francis n’a-t-il pas ressenti de la méfiance à son endroit ? Combien de fois l’ombre de préjugés n’a-t-elle pas plané autour de questions sur l’homosexualité ou la pédophilie au point d’en assombrir ses relations professionnelles ? Combien de fois son entourage ne s’est-il pas questionné sur les motifs de son amour des enfants, et combien de fois n’a-t-il pas été invité à souper par des éducatrices ou même par des parents dans l’intention de le tester à ce propos ? Or, la première fois était déjà de trop. Depuis lors, Francis doit faire extrêmement attention, car tout peut être interprété de travers. Une petite blague adressée à un enfant pourrait arriver tout différemment aux oreilles de ses parents… et dans ce cas, tout serait possible. Bref, du fait qu’il est un homme noir en garderie, Francis se retrouve acculé à un > suite en page 12, DOUBLE MINORITÉ Intégration linguistique Immigrants et français Parlons-en ! Ahmed Kouaou ontrairement à une idée erronée et largement répandue, la grande partie des immigrants qui arrivent au Québec sont francophones. Ils proviennent notamment de France, d’Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie, Mauritanie) et d’Afrique noire (Sénégal, Mali, Côte-d’Ivoire, Cameroun, etc). Autant de pays où le français est sinon langue officielle, du moins omniprésent dans les systèmes scolaire et administratif. Tout compte fait, les allophones ne sont pas si nombreux qu’on le prétend, comparativement à ces immigrants qui ont une très bonne maîtrise du français. En dépit de cette réalité bien établie, il n’est pas rare de constater l’existence de certains clichés. Il est assez fréquent en effet que des immigrants se fassent aborder en anglais par des commerçants et autres fonctionnaires québécois sur la seule base de leur apparence physique. Un ami me racontait, l’autre jour, une histoire anecdotique qu’il a vécue avec une dame native de Québec, dans un parc montréalais. Accosté en anglais C par la quinquagénaire, mon ami, francophone jusqu’à la moelle, a vite fait de répondre en français pour faciliter la communication avec son interlocutrice. Mais grande fut sa surprise quand la femme en question a continué à baragouiner son anglais approximatif, malgré son insistance à répondre en français. Ce faisant, notre anglophone en herbe s’est-elle exprimée dans une langue empruntée parce que la personne en face d’elle, basanée et typée, n’avait pas les caractéristiques d’un francophone « pure laine » ? En tout état de cause, ce banal fragment de la vie ordinaire en dit long sur certaines perceptions. La part des choses Quoi qu’il en soit, il est vrai que le recours des immigrants à l’anglais est assez fréquent dans leur processus d’intégration professionnelle. Concentrés pour la plupart à Montréal, une ville d’affaires par excellence, les nouveaux arrivants - les officiels le reconnaissent – sont souvent confrontés à l’obstacle du bilinguisme dans leur recherche d’emploi. Les intervenants chargés de l’accueil et de l’orientation sont les premiers à conseiller aux nouveaux arrivants de suivre des cours d’anglais afin de maximiser leur chance de décrocher un emploi. La réalité est valable pour tous les Québécois, l’anglais s’étant indéniablement imposé partout dans le monde comme langue de travail et de business, a fortiori dans le milieu des nouvelles technologies et des finances. Il n’est pas innocent, du reste, que le gouvernement libéral décide de faire de l’anglais une langue obligatoire dès la première année du primaire. Faut-il y voir une menace pour la langue française ? Certainement, mais encore faut-il relativiser certaines peurs et tempérer les passions, car la menace ne date pas d’aujourd’hui et l’immigration n’en constitue pas forcément un facteur d’accentuation. La société québécoise a pu et elle peut s’en enorgueillir – préserver la langue française face aux incessants assauts de l’océan anglophone qui l’entoure. La digue de la Loi 101 tient encore bon, mais l’expérience nous montre qu’il ne faut jamais relâcher de vigilance. Car, comme cela a été rapporté récemment par la presse, les entorses à cette loi sont nombreuses et souvent impunies, notamment en matière d’affichage commercial. L’intégration des nouveaux arrivants passe par le partage des valeurs et des éléments fondateurs de l’identité québécoise dont la langue française est le pilier. « La langue c’est notre vraie race, notre vraie patrie », écrivait à juste titre Andrée Maillet dans Les Montréalais. Les immigrants non francophones doivent apprendre cette langue et en faire usage, autant que possible, dans leur vie quotidienne. Quoiqu’il est extrêmement délicat de décréter ou d’imposer l’usage d’une langue dans la sphère de la vie privée, la maîtrise du français est requise et devrait relever d’un certain civisme. Car, vivre en harmonie dans une société exige d’abord que les uns et les autres parlent le même langage et se comprennent. De là, entre autres, naît le sentiment d’appartenance à une seule nation. La profusion des langues maternelles et la multitude d’accents ne font que colorer et embellir davantage le Québec pluriel. Et en cela, l’immigration et toutes les nouvelles consonances qu’elle exprime devrait être perçue comme apport et non pas comme menace. Certes, le recours à l’anglais comme langue de travail ne devrait, sous aucun prétexte, éclipser l’utilisation du français en dehors des heures de bureau, mais il ne devrait pas, non plus, être diabolisé et assimilé à un refus d’intégration. C’est une réalité du marché du travail à laquelle tout le monde tente de s’adapter, à commencer par les Québécois eux-mêmes. Ceci étant dit, il se trouve toutefois que des immigrants francophones, des ayatollahs de la langue française, éprouvent d’énormes difficultés d’intégration. C’est dire que le partage d’une langue commune n’exclut pas des rejets et ne suffit pas toujours pour percer certains hermétismes. Mais cela est un tout autre sujet… ■ Emploi Saison de l’économie sociale C et événement national regroupe plus de 70 activités. Dans toutes les régions du Québec, diverses organisations participent à cette saison en mettant en valeur des initiatives issues des entreprises collectives. Les activités se clôtureront à la mi-novembre, à Montréal, avec la tenue du Sommet de l’économie sociale et solidaire. Plus de 600 intervenants y participeront et une importante délégation internationale y est attendue. Au Québec, l’économie sociale représente plus de 6 500 entreprises collectives qui génèrent un chiffre d’affaires de 4,3 milliards de dollars. Les entreprises d’économie sociale sont issues de la communauté. OBNL ou coopératives, elles poursuivent une mission sociale. Autonomes par rapport à l’État et gérées Entrevues « éclair » pour immigrants et employeurs L ors d’un Speed jobbing, chaque employeur est installé à une table, prêt à rencontrer les participants. À tour de rôle, les candidats effectuent des entrevues d’une durée de cinq minutes. À la fin de chaque période d’entrevues, un signal sonore retentit. Les personnes participantes ont donc cinq minutes pour convaincre les recruteurs de leurs compétences, en mettant en avant leur personnalité et leur motivation à travailler pour eux. Voilà la formule préconisée par la Chambre de commerce et d’industrie de la RiveSud qui organise deux Speed jobbing par démocratiquement, elles misent sur la participation individuelle et collective. Le capital et l’argent sont pour elles un moyen au service de la collectivité ou de J ses membres. 26-27 octobre Rendez-vous du crédit communautaire à Gatineau. Organisé par le Réseau québécois du crédit communautaire. 418-529-7928 www.rqcc.qc.ca 7 novembre Journée d’information et de réseautage sous le thème Place aux entreprises de l’économie sociale de Lanaudière à St-Liguori. Organisée par la Table régionale en économie sociale de Lanaudière. 450-831-3777 / 1-866-596-3777 14 novembre Séance d’information Se lancer en affaires : l’option coopérative de travail à Montréal. Organisée par le Regroupement québécois pour la coopération du travail . 514-526-6267 www.rqct.coop 17 au 18 novembre Foire nationale de l’économie sociale et du commerce équitable au Marché Bonsecours à Montréal. La Foire sera l’occasion de faire connaître et apprécier les produits et les services issus de l’économie sociale et du commerce équitable, en plus de permettre aux exposants d’échanger et de se réseauter avec d’autres acteurs de l’économie sociale. Ouvert au grand public. Pour informations et programmation détaillée, consulter www.chantier.qc.ca Les Speed jobbing... année, en lien avec la problématique et les besoins de la clientèle immigrante ou issue de communautés culturelles. Ce projet permet de répondre à des objectifs précis : favoriser le réseautage entre chercheur d’emploi et employeurs ; permettre aux entreprises de mieux connaître les compétences des chercheurs d’emploi immigrants ou issus de communautés culturelles ; contrer les préjugés et les obstacles à l’emploi de cette clientèle ; favoriser la participation des jeunes de moins de 35 ans (de cette même clientèle) ; promouvoir l’immigration comme stratégie de développement sur le territoire en sensibilisant les employeurs à l’embauche de personnes immigrantes ; enfin, sensibiliser les employeurs aux rôles qu’ils ont à jouer dans le déséquilibre actuel du marché du travail. La chambre de commerce et d’industrie de la Rive-Sud effectue préalablement un arrimage en fonction du domaine de recherche des candidats pour trouver des employeurs correspondants. Le prochain Speed-jobbing aura lieu le mardi 14 novembre. Pour toute information, visiter www.ccirs.qc.ca ou J téléphoner au 450-463-2121. Inciter les entreprises à faire le saut ! Colloque sur la diversité culturelle D ans le cadre de son projet sensibilisation des employeurs de la Montérégie à la main-d’œuvre immigrante, la Maison internationale de la Rive-Sud (MIRS) organise le colloque : La diversité culturelle dans l’entreprise le 16 novembre prochain à Brossard, en partenariat avec Emploi-Québec Montérégie. Voilà la formule originale que la MIRS a privilégiée afin de mettre en valeur des entreprises à succès dans la gestion de la diversité. Par cet événement, les promoteurs visent à souligner le caractère stratégique de la main-d’œuvre immigrante pour les entreprises d’ici. Vingt petites, moyennes et grandes entreprises, employant déjà plusieurs personnes immigrantes, tiendront des kiosques. Elles témoigneront de leurs expériences de recrutement et de leur gestion de la diversité auprès de confrères entrepreneurs. L’objectif est d’inciter les entreprises à faire le saut de la diversité, ce qui pourrait leur permettre de solutionner, en partie, la pénurie de main-d’œuvre que connaît la région. Elles afficheront des postes à combler et rencontreront des participants. Des conférences de spécialistes de la gestion de la diversité dans les entreprises et des exposés de quelques-unes d’entre elles sont prévus. Y prendront part des institutions publiques, des intervenants en emploi et des chercheurs d’emploi. Divers programmes et services offerts aux entreprises pour les aider à intégrer en emploi des personnes immigrantes ou issues de minorités visibles seront également présentés. Le colloque sera agrémenté par une présentation théâtrale sur le thème du colloque, une remise de prix de la diversité dans les entreprises, un dévoilement de la publication spéciale de monographies d’entreprises participantes au projet et un repas international. L’événement se tiendra le 16 novembre, au Centre socioculturel de Brossard situé au 7905, avenue San-Francisco, salle Brossard, de 8h30 à 16h. Pour de plus amples renseignements, visiter le site de la MIRS www.mirs.qc.ca ou téléphoner J au (450) 445-8777. Le Jumelé Automne 2006 Aînés Habib El-Hage Doctorant au département de sociologie de l’UQAM, Habib El-Hage est par ailleurs responsable du volet interculturel au Collège de Rosemont. L ’augmentation sensible du nombre de personnes âgées au Québec ne laisse personne indifférent et touche plusieurs secteurs de la société que ce soit dans le secteur de la santé, que ce soit dans le secteur économique et donc des coûts reliés au phénomène du vieillissement de la population, ou bien la problématique d’appauvrissement de la population. Outre le discours social alarmiste sur l’avenir du lien social, sur la vulnérabilité des personnes âgées en général, nous désirons mettre la lumière sur un enjeu particulier, celui de l’immigration des aînés. Enjeux de l’immigration L’immigration a toujours été une composante déterminante du développement du Québec et elle n’est pas un phénomène provisoire. Les politiques d’immigration nous démontrent que la pluriethnicité deviendra une caractéristique de plus en plus marquante de notre société québécoise. Dans ce sens, on constate que la tendance est plutôt vers l’accroissement des apports de population venant de l’étranger. Depuis les années 1980, le nombre des immigrants admis au Québec tend vers la hausse. Le Québec a accueilli près de 26 000 nouveaux arrivants en 1988, 27 684 en 1997 et 44 226 en 2004 (MRCI, 2005). Cette augmentation du nombre des immigrants est justifiée par l’obligation de compenser le faible taux de fécondité au Québec, par le souci de maintenir le poids démographique du Québec dans le Canada, mais aussi pour augmenter l’importance relative de la population active susceptible de dynamiser l’économie. Malgré cet apport, certaines difficultés sont rencontrées par les immigrants, surtout lorsque le flux migratoire se manifeste à un âge avancé pour des raisons diverses, réunification familiale, difficultés économiques, etc. Au Québec, les membres des communautés ethnoculturelles occupent une place importante. Ils vivent dans le même contexte que les familles québécoises et sont touchés par les mêmes Frans Van Dun Naître ailleurs, vieillir ici transformations sociopolitiques, tels le vieillissement de la population et l’augmentation des responsabilités familiales en raison, entre autres, du retrait de l’État‑providence. Ils sont confrontés aux mêmes réalités : virage ambulatoire, désinstitutionnalisation, suppression des services, prise en charge par la communauté, pénurie de logements sociaux, etc. Vieillir en exil Selon les données préliminaires du MRCI (2002), ce sont 2617 nouveaux arrivants âgés de 65 ans et plus qui ont été accueillis au Québec durant la période 1997-2001. Dans la population immigrée du Québec (706 975 personnes), nous remarquons que 17.6 % de cette population a plus que 65 ans. Cette proportion dépasse celle de l’ensemble du Québec. La migration à un âge avancé peut avoir des impacts variés sur les individus en regard des motifs qui ont conditionné le départ du pays d’origine. Chaque histoire est particulière. Chaque trajectoire est unique. Toutefois, la migration représente une rupture parfois violente avec le milieu d’origine. Des perturbations d’ordre économique, psychologique, social, communicationnel, etc. peuvent avoir lieu, d’où l’importance de considérer plusieurs éléments dans la rencontre avec ces aînés. Ces éléments nécessitent une modification de notre grille de lecture du modèle de prise en charge, du modèle de construction du lien social, de notre regard à la possession ou à la consommation, de notre savoir face aux moyens de guérison, etc. Réduire la distance culturelle est au cœur du développement de notre savoir-faire. Pistes clés pour réussir notre vieillesse Contrer les difficultés nécessite une connaissance de la langue, une considération du fait religieux ou spirituel, une légitimation de l’autorité sur la filiation et surtout de briser l’isolement autour de ces personnes. Apprivoiser la rencontre avec des aînés nés ailleurs commence par comprendre le sens particulier de leur vision du vieillissement et de leur conception de la prise en charge. Assumer les conséquences nécessite certaines vigilances des acteurs de la scène politique, communautaire et intellectuelle. La question du vieillir ailleurs nous pousse, non seulement à réfléchir, mais à agir et à mobiliser les membres des communautés ethnoculturelles, les différents acteurs représentants de la société d’accueil (politicien, médecin, intervenant, etc.) ainsi que des membres proches des aînés, de prendre en considération les enjeux influents sur leur milieu de vie. Les enjeux sociaux autour de cette problématique nous amènent à questionner le lien entre les politiques publiques d’intégration et la prise en charge, à relever le défi de l’accessibilité à des soins adaptés, à lutter contre l’exploitation des aînés et surtout à accentuer les recherches en ethnogérontologie. ■ Frans Van Dun la veille des journées de la culture, j’ai eu le plaisir d’assister au spectacle d’une artiste de notre petite ville, L’Assomption, au Vieux palais de justice, un lieu magique. D’emblée, la première chanson vient me déchirer le cœur. Brigitte Dugas interprète « J’reviens chez nous » de Boom Desjardins. Me revient alors à l’esprit la question que Blandine a posée à Alberto Iscla (article en page 7, Hommes immigrés éducateurs en CPE) : « C’est quoi pour toi, ta patrie ? » Je pense que la plupart des immigrants qui ont quitté leur pays, peu importe la raison – guerre civile, chaos, goût de l’aventure, coup de foudre pour une Québécoise… je pense qu’ils répondraient à cette question de la même manière que moi, qu’ils viennent des vieux pays d’Europe, d’Amérique latine, d’Afrique, d’un pays arabe ou d’Asie. Beaucoup d’entre nous se sont enracinés au Québec, certains connaissent même son histoire et ont découvert ses espaces et ses régions, de Charlevoix à la Gaspésie. Nombreux sont ceux qui ont réussi sur le plan professionnel, en profitant du climat de libre entreprise nord‑américain… Je suis de ceux-là. Dans mon pays d’origine, je n’aurais jamais travaillé comme photographe, je n’aurais pas fait de la télévision communautaire devant et derrière la caméra, je n’aurais jamais fondé une boîte à chansons ni un journal régional, et encore moins rédigé des livres tout en gagnant ma vie passionnément comme enseignant dans une école secondaire publique. À Le Jumelé Automne 2006 Il reste que… Il reste qu’il n’y a qu’un seul coin de la planète où je ne me fais pas demander « d’où est-ce que tu viens au juste ? » Il n’y a qu’un seul village au monde où les vieux copains de la petite école, rencontrés par hasard, s’exclament : « God verdoeme toch, Frans, comment se fait-il que tu parles encore comme nous après tant d’années ? » C’est bien le plus beau compliment qu’il m’ait été donné d’entendre au cours de ma vie. Et pourtant, j’ai adoré l’Algérie où j’ai eu la chance de travailler pendant quelques années. J’y ai d’ailleurs eu l’impression d’être sorti d’une oasis saharienne, tant le chant de l’eau des séguias m’était familier, ainsi que la lumière dans les hautes palmes, les lignes mouvantes des dunes de sable, jusqu’au sirocco s’infiltrant partout, et les sonorités gutturales du langage imagé et biblique des amis nomades. J’ai beau être considéré dans ma petite ville lanaudoise, malgré mon accent de minoritaire audible, comme un concitoyen à part entière… Il reste que la chanson de Boom Desjardins vient me bouleverser. Plus les années passent, et plus je porte, chevillé à l’âme, le goût de mon enfance lointaine. J’ai eu le grand bonheur, plus d’une fois, de faire un pèlerinage aux sources en présence de mes filles. Je leur ai montré, je leur ai conté. Montré la maison paternelle, toujours debout, avec son grand jardin débordant de fleurs, de légumes et de pommiers. Parcouru la ruelle où nous jouions au foot au désespoir de la voisine qui se sentait dérangée derrière sa haie. Escaladé le vieux clocher de l’église avec son escalier en colimaçon jusqu’au niveau des cloches où, dans les brèches des vieux murs, nichent encore des hiboux comme jadis. Visité la sacristie où, enfant de chœur, j’ai goûté en secret au vin blanc restant après la messe. Puis, j’ai conté les « pas redoublés » de la fanfare résonnant sur les pavés de la rue principale les jours de fête. Et surtout, j’ai fait remarquer la parlure du patelin avec son accent unique, si différent de l’accent hollandais derrière la frontière pourtant proche… En contant tout ça et bien d’autres histoires plus belles encore, je suis conscient que j’embellis mes souvenirs, mais est-ce que ça ne fait pas partie de leur charme ? Irrépressibles, ces souvenirs qui remontent… On entend dire parfois au Québec : « Le fond de l’air est frais aujourd’hui. » Ainsi, de notre âme, le fond de l’air est nostalgique . C’est celui qui évoque les visages, les saveurs et les odeurs qui ont imprégné notre enfance. Ils nous collent pour toujours à la peau. Oui, même si j’ai réussi mon enracinement au Québec, je me sens par moments comme un arbre déraciné. Ma première patrie restera celle, inamovible, de mon enfance. Posez la question sur la patrie à n’importe quel immigrant, même à celui qui a perdu sa nationalité d’origine, un soir d’hiver près du feu ou un jour d’été sur le balcon de son appartement ou sur la terrasse de sa maison, et vous verrez cet homme, taciturne de nature peut-être, se transformer sous vos yeux en conteur intarissable. Il se mettra à jaser de sa petite ville ou de son village, d’un vieil instituteur, d’une guérisseuse, de son banc dans Frans Van Dun Cœur en ballottage Posez la question sur la patrie à n’importe quel immigrant et vous verrez cet homme se transformer sous vos yeux en conteur intarissable. un parc, d’un écrivain public, des pâtisseries de sa grand-mère, de ses premières amours, ou encore du cimetière paisible où reposent ses parents. Quant à moi, contant à mon tour, je me mettrai sans doute à chanter une vieille mélodie du pays flamand, car la chanson traditionnelle a tissé la trame de mon âme. Mes filles m’écoutent. Mais leur accent est différent et elles ne s’attardent pas encore au passé. Mais nous, les anciens, les arrivants, nous garderons pour toujours le cœur en ballottage, car notre tombe se trouvera loin, trop loin, du terroir de notre berceau. Heimwee doet ons hart verlangen Naar de heimat onze jeugd, Naar de bronzen klokkenzangen, Zwaar van rouw of hel van vreugd… ■ Actions communautaires Rapprochement interculturel L’exemple du projet « Sainte-Marie, notre quartier » Catherine D`Anjou onstruire un quartier permettant une cohabitation harmonieuse entre immigrants et québécois d’origine est possible, à la condition d’y mettre l’énergie et le temps nécessaires. Le projet « Sainte-Marie, notre quartier », une initiative du Carrefour de Ressources en Interculturel (CRIC) et des membres citoyens d`organismes communautaires du quartier, est un exemple d’ouverture au dialogue et à l’acceptation de l’autre. Sept organismes ont décidé de se lancer conjointement dans l’action, soient : Oxyjeunes, Maison des jeunes Quinkabuzz, Rencontres cuisines, Centre d’éducation et d’action des femmes, Au coup de pouce Centre-Sud, « Habiter la mixité » de l’Office municipal d’habitation de Montréal et La Relance : jeunes et familles. C Cette démarche de sensibilisation et d’éducation consistait à amener les citoyens de Sainte-Marie à participer activement au rapprochement interculturel entre toutes les communautés du quartier. Comme point de départ, des ateliers de sensibilisation aux relations interculturelles ont été offerts aux membres des sept organismes pour permettre à chacun d’être mieux informé et de démystifier les préjugés envers les différents groupes ethnoculturels. Un comité de citoyens a par la suite été formé dans chaque groupe afin de réfléchir aux actions qui encourageraient le rapprochement interculturel. Après plusieurs semaines de travail, différents projets et activités voyaient le jour, fidèles à la philosophie de chaque organisme. Autant d’exemples de réussite : Cuisine collective du monde ; repaséchanges multiculturels ; réalisation d’un film par des jeunes contre le racisme et la discrimination et débat sur le même thème ; témoignages de femmes sur leurs parcours migratoires ; café-rencontres avec des personnes d’origines diverses pour échanger sur les coutumes entourant les événements marquants de la vie ; ou encore sortie interculturelle pour connaître l’apport des immigrants à la construction du quartier et de la ville. Le projet « Sainte-Marie, notre quartier » illustre concrètement la nécessité d’impliquer les citoyens eux-mêmes dans le processus d’intégration. Pour réussir, le rapprochement interculturel devait engager les deux parties, c’est à dire les personnes issues de l’immigration et les Québécois d’origine : mieux se connaî- tre pour mieux se comprendre. Dans ce cas-ci, les citoyens ont agi pour combattre les préjugés et pour surmonter les barrières qui pouvaient être présentes entre les communautés du quartier. Cette initiative a également permis de constater que l’accueil et l’intégration passent nécessairement par le quartier, réseau que nous côtoyons au quotidien. Bref, la formule clé est de travailler non pas pour mais avec les citoyens afin que tous ensemble, nous puissions construire un quartier où chacun trouve sa place comme citoyen à part entière. ■ L’auteure est bénévole au Carrefour de Ressources en Interculturel (CRIC) Improvisation théâtrale interculturelle Préjugés au vestiaire À son origine en 2002, l’improvisation théâtrale interculturelle (ITI) était une activité de parrainage entre Québécois de souche et nouveaux arrivants. Pendant trois années, les joueurs ont été formés par Pierre Martineau, l’un des cofondateurs de la Ligue Nationale d’Improvisation (aux côtés de Robert Gravel). Aujourd’hui, cinq ans plus tard, l’ITI reçoit au sein de trois équipes de joueurs des individus des quatre coins du monde. Dans le décor, tous les drapeaux des diverses contrées d’origine des membres sont affichés : un bon moyen pour le public muni de cartons de vote aux couleurs des équipes de réviser un peu ses connaissances géographiques ! « Nous avons, partage Cécile Hernu, une des joueuses de la ligue, découvert un autre Monde, encore un autre, avec un autre langage, face auquel tout le monde était à égalité. Un langage du corps principalement d’ailleurs, dans lequel les joueurs allophones peuvent encore bien mieux s’épanouir que les francophones, ces derniers étant aux prises avec le débit de leur propre langue ! » Chaque année, la ligue garde le noyau de ses membres : pour certains d’entre eux, l’ITI est un cercle amical, pour d’autres, une famille. Dans tous les cas elle est une formidable manière d’apprendre la langue française par le jeu. Aussi, face à la solitude que peuvent vivre beaucoup d’immigrants nouvellement arrivés, l’ITI permet d’établir un réseau relationnel si précieux dans un contexte d’intégration. Les prochaines formations auront lieu les 28 octobre et 6 janvier. Les matches se dérouleront les 11 et 25 novembre et se poursuivront en janvier 2007, jusqu’à la grande finale du 14 avril. Le tout se déroule à La Maisonnée, au 6865, Christophe-Colomb à Montréal. Pour toute information, visiter www.improiti.org/ J presentation.html Individus et société Petite réflexion sur l’amitié François Mathieu ans une ruelle de Montréal, j’ai eu cette récente vision de deux enfants qui jouaient avec, pour les relier, un fil de quelques mètres à peine. À chaque extrémité du fil, un pot de yoghourt. L’un d’eux maintenait son pot sur l’oreille tandis que l’autre hurlait dans le sien pour se faire entendre. Un téléphone de fortune, un fil et deux caisses de résonance. Parole et écoute, dialogue et échange : la base de l’amitié. Face à ces deux gamins s’amusant à faire comme les grands, je me suis reconnu en eux. À ma manière, j’utilise à l’excès des pots de yoghourt, plus sophistiqués, pour me connecter au monde des Autres. À l’échelle de la planète et dans les dernières décennies, les moyens de communication, les accessoires technologiques, se sont développés et répandus à une allure telle qu’un Chinois n’a jamais paru aussi proche de Montréal qu’en 2006. Je parle du bateau, de l’avion, des trains, de la D 10 voiture, du téléphone, de l’Internet, du cellulaire, etc. Malgré cette faculté fabuleuse à se déplacer à peu près partout, plus vite, et à communiquer d’un bout à l’autre de la terre, femmes et hommes du monde occidental paraissent encore très isolés. Comme si les joujous électroniques agrandissaient le fossé séparant les êtres humains entre eux. L’excès de temps passé à pitonner sur un clavier, sur une télécommande ou sur un téléphone, est autant de temps en moins à consacrer dans une vraie relation en tête à tête, d’âme à âme, sans doute parce qu’elle nécessite un certain « danger », une sorte d’engagement direct. Entreprendre un dialogue réel, c’est bien sûr prendre le risque de se livrer, de serrer une main sale, de s’intéresser, ou de recevoir un postillon pour seul échange. Cela peut coûter au début, mais cela rapporte toujours gros en terme de vérité, d’appartenance, de chaleur et d’ouverture. L’importance de l’amitié m’est apparue en cours d’adolescence, cadeau unique offert loin du contexte familial, en fonction de sa capacité à partager ce que l’on est. Les ami(e)s représentent un tremplin fantastique pour accrocher la vie qui défile, autant qu’un filet de protection contre la solitude et le désespoir. Se lier d’amitié, c’est le pouvoir de se confier sans crainte du jugement, c’est une écoute, une disponibilité, une présence et une acceptation de l’autre qui ne soient pas constamment à remettre en question. Les années passant, l’amitié est de moins en moins aisée à construire et à entretenir, où que l’on soit, et la faire évoluer sans la briser n’est pas une mince affaire. Il arrive qu‘elle apparaisse par magie là où on l’attendait le moins, ou qu’une relation apparemment indestructible s’effiloche et se désagrège sans qu’on puisse rien y faire, au gré de son évolution personnelle. Il n’y a pas de règle. Avec l’immigration depuis la France, où je laissais derrière moi un tissu social bien tendu, l’amitié au Québec m’a montré un autre visage. Le choc culturel dépassé, les relations de travail se développant, les rencontres se multipliant, j’ai peiné à vivre des amitiés québécoises, c’est-à-dire avec des Québécois(es) et non avec d’autres immigrés avec qui il y a d’emblée des affinités de parcours. Facile d’entrer en contact avec mes « cousins », de faire d’heureuses rencontres, mais pas évident de se dévoiler, de s’inviter à l’improviste, de se revoir. Parfois vaincu face à cette nouvelle réalité, je n’ai pourtant jamais baissé les bras en me rappelant que l’amitié reste une valeur universelle, quelle que soit la sauce avec laquelle on la savoure. Cretons ou rillettes, french fries ou poutine, la recette importe peu quand il s’agit de manger à sa faim. Le leurre, c’est cette conviction idiote que tout est toujours acquis et de vouloir à tout prix reproduire au présent des modèles fonctionnels dans le passé. Le piège, c’est de s’enfermer dans la croyance que ce qu’on a laissé derrière soi est l’unique façon d’exister. Alors voilà, camarades québécois, français, peuples de toutes origines confondues, jeunes et vieillards, malades et handicapés, noirs, jaunes ou blancs, je prends le risque de vous avouer mon humble respect. Au-delà de mes peurs et mes angoisses, je serai enchanté de peutêtre devenir un jour votre ami. Je pourrai vous indiquer mon numéro de téléphone cellulaire, celui de mon bureau, de mon domicile ou de mon avertisseur numérique, vous donner mon adresse, mon courriel, les coordonnées de mon site Internet… mais je ne le ferai pas ! Peutêtre nous rencontrerons-nous par hasard, au détour d’une simple discussion. Vous me reconnaîtrez certainement, j’ai un accent bizarre et souvent je me promène au Parc Laurier, en fin de journée, avec mon fils à mes côtés. ■ Le Jumelé Automne 2006 Les bons coups Vous écoutez « Ici Radio-Refuge » E n partenariat avec trois autres organismes oeuvrant auprès des personnes réfugiées et immigrantes (Refuge Juan Moreno, Maisonnée et Centre Scalabrini), la Mission communautaire de Montréal (programme Projet refuge) a initié « Ici Radio-Refuge » une émission radiophonique hebdomadaire qui souhaite informer et sensibiliser la société d’accueil sur les questions d’intégration. Les voix de « Ici Radio-Refuge » sont celles de migrants qui osent prendre le micro pour dire les choses. La journaliste Michèle Cotta disait que la radio est une voix qui parle à une oreille. C’est par les mots seuls que l’idée fait son chemin jusqu’à l’esprit de l’auditeur. Puisque les mots portent la pensée, il n’y a plus d’interférence entre la pensée exprimée et l’esprit qui la reçoit. Voilà l’anima de « Ici Radio-Refuge » ! C’est un espace de rencontre avec ceux qui partagent les mêmes passions, un espace privilégié de socialisation. C’est aussi un moyen original d’expression et d’insertion dans notre nouveau contexte de vie. C’est aussi là que l’on trouve de nouvelles racines, des racines qui feront leur chemin dans ce terreau qui désormais est nôtre. Co-fondateur et co-animateur de l’émission avec Sylvain Thibault, Alfredo Lombisi partage : « Ici Radio Refuge, représente mon arme, une arme pacifiste pour exprimer ma douleur et faire valoir les droits de tout être humain. Je tiens beaucoup à cette émission et je sacrifierais tout pour qu’elle se poursuive le plus longtemps possible. Grâce à elle, je suis inspiré et encouragé à trouver des solutions à mes problèmes et par le fait même à trouver des solutions pour l’ensemble de la société dans le monde ». Pour la société accueillante, c’est un espace pour découvrir les nouveaux arrivants, les apprécier, apprendre sur leurs espoirs et sur ce qui les anime. C’est aussi un formidable panel de talents à découvrir : animateurs, rappeurs, chanteurs, guitaristes et bien d’autres. « …une voix qui parle à une oreille… », tous les lundis matin à 10 heures sur les ondes de CINQ-FM (102,3) . Blog à : www.iciradiorefuge.blogspot.com pour y réécouter, en tout temps, l’ensemble des émissions produites depuis juin 2006. J Sylvain Thibault, initiateur de Ici Radio Refuge. À ses côtés, Arthur co-animateur, Alfredo co-fondateur et co-animateur, et Moise co-fondateur et co-animateur. Rencontre spéciale > suite de la page 1 Originaire de Jackmet, il reçoit d’abord une bonne formation de base. S’orientant ensuite vers la prêtrise après son bac, il consacre deux ans à l’étude de la philo, puis trois à la théologie, dont la dernière au Nouveau Brunswick. Il lui reste un an… Mais là, il hésite, réfléchit, et change d’orientation. C’est à l’UQTR qu’il s’inscrit à un bac en enseignement, option sciences religieuses. Au cours de cette dernière période, il fait la rencontre de sa vie en la personne de Immacula Morisset, infirmière, immigrante et d’origine haïtienne comme lui. Le couple aura deux enfants. Après un remplacement de prof au Capde-la-Madeleine et à la recherche d’un emploi plus stable, le voilà convoqué à une entrevue en Abitibi. La commission scolaire y manque cruellement de profs de religion. Ulrick accepte le poste offert, mais y met une sourdine en annonçant à son futur directeur : « Je vous garantis deux ans… ». Celui-ci de répondre avec un sourire en coin : « Quiconque goûte l’eau d’Amos ne peut plus s’en passer. » Catapulté dans une région à 650 km de Il fulmine contre des collègues pédants qui traitent les élèves de « cancres ». Ce sont des mots qui tuent. Il faut trouver les paroles qui encouragent et font vivre… Montréal, d’emblée, Ulrick va s’acclimater. Il est vrai que trois facteurs facilitent son intégration : une parfaite connaissance de la langue, un diplôme québécois et la même religion catholique que la grande majorité de ses concitoyens. Mais il y a surtout le fait que le prof aborde son nouvel environnement sans préjugés. Il observe, écoute, découvre. Et cette exploration débouche rapidement sur un attachement sincère et fort Le Jumelé Automne 2006 à ce coin de pays où les gens se montrent accueillants. Le courant passe de part et d’autre. Ulrick est prêt à donner le meilleur de lui-même et bientôt, plus personne ne fait attention à la couleur de sa peau. À l’école secondaire, le nouvel arrivé se démarque, à la fois comme prof et comme éducateur. La matière enseignée s’y prête d’ailleurs. Son approche est basée sur le respect et l’amour du jeune. Il fulmine contre des collègues pédants qui traitent les élèves de « cancres ». Ce sont des mots qui tuent, prétend-il. Il faut trouver les paroles qui encouragent et font vivre… Est-ce que cette attitude ne serait pas approuvée dans n’importe quel autre contexte culturel ? Pas étonnant que ses élèves l’adoptent et l’adorent. Ils pressent d’ailleurs leurs parents à aller le voir lors des rencontres profs-parents, souvent réservées aux titulaires des matières principales. Ainsi, la réputation d’Ulrick est établie. Sans s’en rendre compte, il a déjà recruté de nombreux militants qui, bien plus tard, vont organiser ses cabales électorales ! De la paroisse à la mairie Monsieur Chérubin s’engage également dans la vie paroissiale et sociale. Il participe aux projets Développement et paix, anime une équipe d’études bibliques en collaboration avec un exégète prof d’université, et gravit tous les échelons des Chevaliers de Colomb. On devine ici une source précieuse de spiritualité à l’origine de ses interventions, mais à ce sujet il se montre fort discret. Ainsi coule la vie de cet immigrant comme la rivière Harricana. Souvent calme, parfois tumultueuse. Il s’est fait Amossois avec les Amossois, sans renier en rien sa culture d’origine dont il a gardé une notion du temps plus souple et généreuse. À l’occasion, il prépare un menu haïtien pour ses invités abitibiens : un grillot, du porc désossé rehaussé d’un savant mélange d’épices et de la banane plantain frite, le tout accompagné d’un verre de rhum Barbancourt, onctueux et souple, produit à partir de jus de canne à sucre et de souvenirs d’esclavage. Nous voici en 1993. À l’école, le prof est devenu animateur de pastorale, poste qui le rapproche encore des élèves. Ses deux fils ont quitté le domicile familial pour aller poursuivre des études en dehors d’Amos. Sa femme, assistante infirmièrechef, travaille souvent tard au Centre hospitalier… Un soir, seul à la maison, Ulrick s’ennuie et tourne en rond. Surgit alors une question existentielle : « Comment me rendre plus utile à la communauté au lieu de m’écraser devant la TV ? Et si je me présentais aux élections municipales ? » Il bascule, et se présente en 1994 au poste de conseiller au quartier n° 2, en compétition avec deux autres candidats connus. Résultat : il l’emporte avec une majorité de 500 voix. « Les électeurs du quartier m’ont fait un grand honneur ce jour-là », fait-il remarquer. Le voilà à la table du conseil. Il y fait son apprentissage, prend de l’assurance, lance des idées. Son certificat en administration et ses cours d’anglais vont lui servir. Puis, après un premier mandat de quatre ans, il se représente en 1998. Comme sa réputation est solidement assise, pas besoin de campagne électorale, il est réélu par acclamation. Depuis son arrivée à la table du conseil, l’élu a aiguisé sa compétence. Sa vision de l’avenir d’Amos s’est précisée. La mairesse, Madame Murielle Angers-Turpin, est obnubilée par le remboursement de la dette et se montre peu ouverte aux idées plus progressistes du conseiller Chérubin, au point que celui-ci va poser sa candidature au poste de maire lors de l’élection de 2002. La décision est audacieuse et la Ulrick Chérubin, originaire d’Haïti, Maire de la ville d’Amos en Abitibi. Frans Van Dun CHÉRUBIN, maire d’Amos victoire sera mince, malgré une bonne organisation : une majorité de 52 voix. Après recomptage judiciaire, 50 voix. C’est tout un défi qui attend le nouveau maire, il devra livrer la marchandise. Trois ans plus tard, en 2005, nouvelle élection. Ulrick l’emporte cette fois-ci avec une majorité de 84 % des voix. Une victoire décisive qui lui permet de s’atteler à la mise en oeuvre de son programme. Gérer différemment L’homme veut gérer différemment. Tout en remboursant la dette, il faut renverser la vapeur. Le climat est encore à la morosité et au défaitisme. Nombreuses sont les propriétés à vendre. Le chômage est trop élevé. Beaucoup de conducteurs font des excès de vitesse, cause de nombreux accidents. Le maire réussit à convaincre le conseil de sa vision. À ses yeux, la Ville doit tracer la route et faire preuve de leadership dans le milieu, en particulier dans le domaine économique qui conditionne l’emploi. À cet effet, il faut se battre, attirer des investisseurs, et défendre bec et ongles chaque dossier auprès des instances politiques régionales, provinciales et fédérales pour décrocher des subventions. Sur ce front, le maire est particulièrement performant. Il sait persuader et au besoin « crier, japper, ouvrir sa grande gueule », le tout dit avec un sourire désarmant. L’éloquence haïtienne lui sert grandement. L’ascendant qu’exerce cet homme sur la population d’Amos et de la région s’explique sans doute dans le principe sacré qui régit ses relations humaines, le même qu’il a toujours appliqué comme pédagogue auprès des jeunes : tout être humain a droit à sa dignité et au respect. L’amour n’est pas sectaire, n’exclut personne. Dans un débat animé à la table du conseil, Ulrick se limite à un débat d’idées, évitant toute attaque personnelle. Respectant l’adversaire, il peut réclamer la même attitude envers lui. Quand on rentre dans la ville d’Amos aujourd’hui, en provenance de Val-d’Or, on est frappé par un nouvel aménagement de la chaussée : un carrefour giratoire, des jardinières aux couleurs joyeuses, une rangée de jeunes d’arbres. De nombreux témoignages confirment que le climat d’Amos a changé. Il flotte de l’espoir en l’air. À la tête d’un conseil dynamique, secondé par divers comités, exerçant un leadership à Amos et à titre de préfet dans la MRC et dans la région élargie, Ulrick Chérubin continue avec une incroyable ténacité à incarner sa vision, pierre par pierre. Cet homme est un phare. Il veut d’ailleurs attirer d’autres immigrants. Ceux d’entre nous qui sont prêts à s’investir ne seront pas déçus. Les Amossois le leur rendront largement. Ils s’apercevront vite que Montréal est loin d’être tout le Québec. Pendant ce temps, l’eau d’Amos continue à jaillir de ses sources, filtrée par ses eskers. Son goût est unique. Longue vie au maire d’Amos, à l’image de son père en Haïti, le vieux sage de Jackmet, allègrement centenaire. ■ Frans Van Dun 11 Double minorité > suite de la page 7 quivive quasipermanent, comme s’il marchait sur des œufs. Et pourtant, cet éducateur n’a jamais eu quoi que ce soit à se reprocher dans son milieu de travail. Bien au contraire. Pour l’avoir vu à l’œuvre, j’ai constaté qu’il a vraiment le tour avec les petits bouts de chou. Parents et responsables de garderie l’apprécient. Mais curieusement, aucune permanence ne lui a encore été offerte, malgré ses dix années d’expérience. À ses yeux, certains centres de la petite enfance refusent encore délibérément d’engager des hommes et a fortiori, des hommes de couleur. De son côté et en vingt ans de carrière, Alberto n’a pas été confronté aux mêmes complications que celles décrites par Francis. Comme il le dit lui-même, « si je n’ouvre pas la bouche, je peux passer pour n’importe qui. » Il faut noter qu’à ses débuts, l’équipe éducative de la garderie La Ruche, la sienne, comptait déjà deux hommes. Alberto était par ailleurs marié et père de deux jeunes enfants. Les réactions qu’il pouvait observer étaient davantage celles d’une agréable surprise, amenant même certains parents à lui demander d’apprendre des mots et des chansons en espagnol aux enfants. Néanmoins, Alberto reconnaît au sujet de l’intégration : « Pour certaines minorités, c’est très difficile. Si l’on regarde la population noire par exemple, et diplômée, rien ne justifie le problème d’intégration qu’elle vit, car dans ce cas, ce n’est pas la compétence qui est en jeu. Quant a moi, je n’ai que rarement ressenti de la discrimination. Mais je sais que celle-ci peut être vraiment méchante, enveloppée parfois de subtilité. Elle ne dit pas « moi, je n’aime pas les Noirs, je n’aime pas les Juifs, ou je n’aime pas les étrangers ». Non, elle peut t’offrir un beau sourire tout en te poignardant dans le dos. Et ce n’est pas toi qui seras engagé, malgré tes compétences. Ce genre de situation, ma femme Alicia l’a vécu. » Fruits d’une intégration parfaitement réussie, les enfants d’Alicia et d’Alberto, diplômés et trilingues, volent à présent de leurs propres ailes. Ils se situent dans la continuité de la chaîne de vie, et ils ont la chance et le goût de se plonger dans l’histoire mouvementée de celles et ceux qui les ont précédés. Ainsi, ils découvrent une sorte de voyage permanent et de déracinement, à travers plusieurs époques et continents. Il y a les arrière-grands-parents, paysans italiens, venus travailler dans les récoltes de café au Brésil… un grand-père gitan andalou, à la peau basanée… un père espagnol, réfugié en Argentine au moment de la guerre civile… jusqu’à leur propre parcours vers l’Amérique du Nord. Comme si l’histoire humaine se répétait sans cesse, sous d’autres latitudes, et qu’il fallait sans cesse trouver à se nicher en sécurité avant de tenter de se rebâtir à nouveau au sein de diverses sociétés d’accueil. Et si on lui demande à quel pays il se sent attaché, Alberto Iscla répondra : « Au sujet de la patrie, je reprendrais une phrase de Jacques Brel : pour moi la Belgique, c’est quand je rentrais dans le corridor de la maison et que je sentais la confiture que ma grand-mère préparait. Pour moi, ma patrie, c’est la musique et le tango, les sentiments, les petites choses, les odeurs et les couleurs. Je pense qu’il faut avoir quitté son pays, regarder en arrière, pour se rendre compte de ce qu’est une patrie. » ■ BLANDINE PHILIPPE Recherché ! Votre point de vue à [email protected] Date de tombée : 1er décembre 2006 Vous aimeriez réagir à un article paru dans ce numéro, transmettre un commentaire, nous faire part de vos interrogations sur un sujet qui vous touche ou encore partager un coup de cœur lié à l’interculturalisme ? N’hésitez pas à nous écrire, à nous faire parvenir un communiqué de presse ou encore un texte de votre plume et cela pourra peut-être faire l’objet d’une parution dans Le Jumelé ! Les textes proposés ne doivent pas dépasser 2 feuillets ou 700 mots. Nous offrons relecture et corrections. 8 000 exemplaires distribués, quatre fois par année Le Jumelé est distribué à travers toute l’Île de Montréal grâce à 120 points de dépôt et rejoint également une trentaine de municipalités à l’échelle provinciale. Nous joindre par téléphone au (514) 272-6060 poste 209 ou par courriel à [email protected] afin de connaître notre politique et nos tarifs préférentiels pour votre annonce. 12 saviez-vous que L’histoire de Ramon Mercedes U n mouvement de solidarité a été lancé en juin dernier pour venir en aide au Dominicain Ramon Mercedes, à la suite de la diffusion du film « Partir ou mourir » de Raymonde Provencher. Dans cette production de Macumba International, on suit quelques personnes migrantes risquant leur peau pour fuir la misère. Parmi elles, le jeune Ramon Mercedes est un cas extrême. Le 9 mars 1998, Ramon Mercedes s’embarque clandestinement à bord d’un bateau qui mettait le cap sur Port-Alfred, au Saguenay. Pour se protéger du froid, il n’a qu’un coupe-vent et, aux pieds, des espadrilles. Quand le bateau arrive à destination, les pieds de Ramon ne sont plus que deux blocs de glace. Découvert sur le navire en fin de traversée, Ramon est immédiatement remis aux mains des autorités. Au Centre hospitalier de La Baie, les médecins organisent son transfert vers Montréal: il faut amputer ses pieds. Dix jours après l’intervention, Ramon Mercedes est rapatrié en République Dominicaine sous bonne escorte et menotté. On le laisse à l’aéroport de Santo Domingo. Ses moignons saignent, il n’a aucun autre soin, ni médication. Il avait 23 ans. Huit ans ont passé. Ramon, cruellement handicapé, en souffrance continuelle et sans le sou, a toujours besoin d’une nouvelle intervention et de prothèses pour retrouver un peu d’autonomie. En République Dominicaine, les coûts de ses traitements (opération, prothèses et réadaptation) s’élèveraient à plus de 30 000 $. À la suite d’appels de téléspectateurs du film, une campagne de collecte de fonds a été lancée par le Carrefour d’aide aux nouveaux arrivants (CANA). En date du 22 septembre 2006, 17 600 $ ont été amassés. Pour plus d’informations, visionner le documentaire, ou apporter son soutien, visiter le site internet www. ramonmercedes.com ou téléphoner au J (514) 382-0735. Sondage et cadeaux Tirage le 1er décembre 2006 Le Jumelé se cherche une nouvelle citation ! Comme vous avez pu le constater, le Jumelé s’est refait une beauté : nouvelle ligne graphique, nouveau logo, nouvelle mise en page et nouveau sous-titre. Il ne reste plus qu’à lui offrir une nouvelle citation. Nous vous invitons à voter pour la citation de votre choix parmi les neuf propositions suivantes. Citations proposées : 1. Pour comprendre l’autre, il ne faut pas se l’annexer mais en devenir son hôte (Louis Massignon) 2. Je n’aime pas le mot tolérance, mais je n’en trouve pas de meilleur (Ghandi) 3.. La discorde est le plus grand mal du genre humain, et la tolérance en est son seul remède (Voltaire) 4. Les racistes sont des gens qui se trompent de colère (Léopold Sédar Senghor) 5. La tolérance est un exercice et une conquête de soi (Albert Memmi) 6. La lumière ne fait pas de bruit (Félix Leclerc) 7. Il y a des choses qui s’expliquent seulement à qui veut les comprendre (Germaine Guèvremont) 8. Tout homme qui se tient debout est le plus beau des monuments (Georges Dor) 9. Assimiler sans être assimilés (Léopold Sédar Senghor) Communiquez-nous votre choix avant le 1er décembre par télécopieur au 514-272-3738 ou par la poste au 518, rue Beaubien Est, Montréal, Qc, H2S 1S5 ou encore par courriel à [email protected]. N’oubliez pas d’indiquer vos nom et prénom, votre adresse complète et votre numéro de téléphone. En cadeau Livre « les Sikhs, la foi, la philosophie, les gens » Cédérom « Voyage au pays de Naréha » Deux tirages auront lieu parmi les citations les plus populaires Prochain numéro à paraître en janvier 2007 Nos rubriques habituelles Culture ; Enfants ; Jeunes; Intégration linguistique ; Aînés ; Emploi ; Actions communautaires ; Individus et sociétés ; Saviez-vous que ; D’hier à aujourd’hui ; Régions ; Rencontre spéciale ; Les bons coups. Dossier spécial Ethnicités et double discrimination : orientation sexuelle et groupes LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels, transexuels). Saviez-vous que de nombreux pays torturent et condamnent à mort des milliers de personnes du fait de leur orientation sexuelle ? Ainsi, des centaines de personnes demandent chaque année l’asile au Canada pour venir s’y réfugier. Et dans nos communautés culurelles, ici au Québec, comment se vivent et sont perçues les différentes formes d’orientation sexuelle ? Le Jumelé Automne 2006