Article Voie de fait
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Article Voie de fait
RESCTRICTION DE L’OBJET DE LA VOIE DE FAIT (TC, 17 juin 2013, Bergoend, n° 3911) La théorie jurisprudentielle de la voie de fait s’inscrit comme une exception au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Cette théorie avait classiquement pour objet de conférer, par exception, au juge judiciaire, le pouvoir d’ordonner à l’Administration de cesser ou de réparer les atteintes graves portées par elle au droit de propriété ou à une liberté fondamentale. « Considérant qu'il n'y a voie de fait justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l'un ou l'autre de ces effets à la condition toutefois que cette dernière décision soit elle-même manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; » (TC, 23 octobre 2000, Boussadar, n°3227) Par un arrêt important du 17 juin 2013, le Tribunal des conflits, est revenu sur cette jurisprudence. « Considérant qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration ; » (TC, 17 juin 2013, Bergoend, n°3911) SELARL Cabinet Coudray, 8 novembre 2013 www.cabinet-‐coudray.fr Sans bouleverser le concept de la voie de fait, le Tribunal des conflits en a néanmoins considérablement limité le champ d’application. En effet, si les modalités de la voie de fait demeurent inchangées, l’objet même de la voie de fait est considérablement restreint. Ainsi, comme précédemment, la voie de fait ne peut être réalisée que par le biais : • soit, de l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision même régulière, • soit, de l’édiction d’une décision qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative. En revanche, l’objet de la voie de fait, lui, est modifié. Il n’y a donc désormais voie de fait que : • lorsqu’il est porté atteinte à la liberté individuelle, • ou, lorsque un droit de propriété est éteint. Une atteinte à la liberté individuelle Ainsi, en premier lieu le Tribunal des conflits ne fait plus référence à « une liberté fondamentale » mais à « la liberté individuelle ». La portée de cette évolution ne doit pas être négligée. Cet abandon permet tout d’abord de clarifier les champs d’application respectifs de la théorie de la voie de fait d’une part et du référé liberté d’autre part. L’article L. 521-2 du code de justice administrative confère en effet, depuis la loi du 30 juin 2000, compétence au juge administratif des référés pour « ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». En outre, force est de constater que cette évolution a également pour conséquence de réduire le champ d’application de la voie de fait. La référence à la « liberté individuelle », doit en effet être comprise au regard de l’article 66 de la Constitution, qui assimile la liberté individuelle avec la sureté. L’extinction du droit de propriété En second lieu, il convient de constater que le Tribunal des conflits exige désormais, pour qualifier une voie de fait, une « extinction du droit de propriété » et plus seulement une « atteinte grave » à ce droit. Cette évolution est particulièrement notable. SELARL Cabinet Coudray, 8 novembre 2013 www.cabinet-‐coudray.fr En effet, « l’extinction », contrairement à « l’atteinte grave » renvoie à une idée d’irréversibilité. En d’autres termes, il semble que la voie de fait ne recouvre plus aujourd’hui que les hypothèses de destruction du bien objet du droit de propriété. Ainsi, à notre sens, les atteintes à la jouissance d’un bien privé commises par l’Administration, telles que l’occupation sans titre ou la dégradation partielle consécutive à une opération de travaux notamment, sont désormais exclues du champ d’application cette théorie. D’ailleurs, le Tribunal des conflits considère explicitement, dans le même arrêt, que l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public - en l’espèce un poteau électrique - non seulement ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’Administration, mais en outre n'aboutit pas à l'extinction du droit de propriété. Est-ce à dire alors que le Tribunal des conflits a souhaité ménager une certaine impunité à l’égard des éventuels agissements cavaliers de l’Administration sur des propriétés privées ? Certainement pas. Il ne faut en effet pas perdre de vue que la théorie de la voie de fait est avant tout une règle de compétence. Or, la sanction des atteintes à la propriété privée commises par l’Administration entre parfaitement dans le champ de compétence du juge des référés libertés. D’ailleurs, quelques mois avant la décision commentée du Tribunal des conflits, le Conseil d’Etat avait lui-même, dans une décision également remarquée, considéré que « sous réserve que la condition d'urgence soit remplie, il appartient au juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d'une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d'une voie de fait ; ». (CE, 23 janvier 2013, Chirongui, n° 365262) La décision de Tribunal des conflits permet donc de clarifier les champs de compétences respectifs des ordres judiciaire et administratif, tout en confortant l’utilité, déjà éprouvée, du référé liberté. Romain THOMÉ Sarah HEITZMANN SELARL Cabinet Coudray, 8 novembre 2013 www.cabinet-‐coudray.fr