L`école française par des jeunes nouvellement arrivé-e

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L`école française par des jeunes nouvellement arrivé-e
L'école française par des jeunes
nouvellement arrivé-e-s en France :
perceptions et expériences scolaires en
collèges rennais
Camille Giraudon
Mémoire de 4e année
Séminaire : Identités et Mobilisations
Sous la direction de : Jean-François Polo
2010 - 2011
Remerciements
Je tiens en premier lieu à remercier tou-te-s les jeunes qui ont accepté de me
parler, ainsi que celles et ceux qui avaient certainement leurs raisons pour ne pas le
faire mais m'ont néanmoins accueillie avec gentillesse dans leur classe.
Je remercie également Sophie Delvallez et Jessica Gaines pour la générosité et
la disponibilité dont elles ont fait preuve afin de me permettre de mener à bien mon
étude, ainsi que les collèges des Hautes-Ourmes et Clotilde Vautier qui m'ont ouvert
leurs portes.
Un grand merci à Aline, Pascale et Julien qui, en favorisant grandement mon
accès au terrain, ont relancé mon enquête et mon moral à des moments cruciaux !
Merci bien sûr aux bénévoles de l'AFEV qui ont pris sur leur temps
d'accompagnement et se sont organisé-e-s pour me permettre de rencontrer les
jeunes qu'ils-elles accompagnent.
Je n'oublie pas Ahmed Chatmi, de l'UAIR, qui m'a apporté son point de vue
éclairant.
Une pensée reconnaissante pour mes parents, mes colocs, mes ami-e-s qui ont
été présent-e-s cette année et avec qui j'ai partagé conversations enrichissantes et
moments de détente indispensables et bienvenus ! Un merci tout particulier à
Anouck, pour ses relectures attentives, ses conseils et son écoute patiente, enfin, pour
nous avoir supporté-e-s cette année, moi et mon mémoire !
Je remercie enfin mon directeur de mémoire, Jean-François Polo, pour la liberté
qu'il m'a laissée dans la réalisation de ce mémoire, et la réactivité dont il a fait
preuve quand cela a été nécessaire. Toutes les personnes ayant constitué le séminaire
Identités et Mobilisations cette année doivent également être remerciées, en ce
qu'elles ont apporté à ma première démarche de recherche une dimension collective
que j'ai réellement appréciée.
Camille Giraudon
Sommaire
Liste des sigles et abréviations...............................................................................................6
Introduction............................................................................................................................7
Chapitre 1 -L'école perçue comme espace de socialisation et clé de l'intégration désirée...16
A. Confiance et motivation : l'école lieu de tous les possibles pour la majorité des JNA
.........................................................................................................................................19
1. Un discours dominant de valorisation de l'école porté par les jeunes et leur famille
.....................................................................................................................................20
a. Des jeunes majoritairement satisfait-e-s de l'école : constat et nuances............20
b. Transmission de la confiance des parents en l'école et motivation palpable dans
le comportement quotidien des jeunes...................................................................22
2. L'école lieu d'apprentissages et de socialisation : rôle central dans un projet
d'installation en France...............................................................................................24
a. Le collège comme lieu de socialisation juvénile ...............................................25
b. Le collège, maillon clé de l'intégration à long terme dans une perspective
d'installation en France...........................................................................................27
B. L'apprentissage du français au cœur de la vie scolaire des jeunes nouvellement
arrivé-e-s .........................................................................................................................29
1. L'apprentissage du français : source de difficultés majeures mais vécu comme
indispensable...............................................................................................................30
2. La CLA à Rennes : immersion linguistique valorisée mais adaptation nécessaire à
la diversité des situations ...........................................................................................33
Chapitre 2 -L'école, cadre sécurisant et peu questionné par des jeunes en recherche de
repères et de stabilité............................................................................................................38
A. La CLA sas protecteur et porte d'entrée vers le reste du monde collégien.................39
1. Lieu de rituels et de cohésion du groupe : la CLA, espace approprié par les JNA.
.....................................................................................................................................39
2. L'enseignante de CLA adulte référente et point de repère fort...............................43
a. La construction d'une relation de confiance entre les jeunes et leur enseignante
................................................................................................................................43
b. L'enseignante de CLA, un rôle d'intermédiaire dans le triangle élèvesprofesseurs-famille.................................................................................................45
3. Le système CLA au cœur d'un processus d'intégration progressive au monde
collégien......................................................................................................................47
B. Une discipline acceptée voire valorisée : contexte propice à une intériorisation fluide
des normes scolaires........................................................................................................49
1. Interrogations et acceptation : des règles qui interpellent mais sont décrites comme
légitimes......................................................................................................................50
a.« d'un côté c'est sévère ici, mais d'un autre côté c'est bien »...............................50
b. Le droit de poser des questions et d'avoir des réponses : des règles expliquées,
dans une école satisfaisant le désir de comprendre ...............................................53
2. Les JNA, parfaits sujets d'un apprentissage de « ce que c'est d'être à l'école »......54
a. Des interactions quotidiennes à l'intériorisation des normes : transmission d'une
culture scolaire non neutre.....................................................................................55
b. L'apprentissage du français et le rapport aux notes : deux exemples de
l’intériorisation des exigences et hiérarchies propres au monde scolaire..............56
Chapitre 3 -Entre facteurs extrascolaires déstabilisants et limites du système scolaire : des
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adolescent-e-s confronté-e-s à un parcours scolaire complexifié.........................................59
A. École et famille, entre cloisonnement et immenses attentes......................................61
1. Des familles peinant à trouver une place dans la scolarité de leurs enfants : entre
sur-investissement et implication concrète limitée.....................................................62
2. Incompréhension mutuelle et sentiment d'illégitimité............................................64
B.Situation migratoire et familiale : conséquences sur le statut de jeune et d'élève.......68
1. « Ils ont tellement de trucs dans la tête autre que le scolaire... »............................68
2. Lourdes responsabilités et absentéisme..................................................................71
C. Limites d'un dispositif d'accueil qui s'inscrit dans un système scolaire imparfait......73
1. Cadre national peu précis, applications locales plus ou moins adaptées et rigides 73
2. Un fonctionnement dépendant des volontés et des initiatives individuelles des
enseignants..................................................................................................................79
3. Le désir d'école des jeunes souvent contrarié par une sélection aiguë et une
orientation partiellement subie....................................................................................82
Conclusion............................................................................................................................87
Bibliographie........................................................................................................................89
Annexes................................................................................................................................91
Annexe 1 -Entretiens et observations réalisé-e-s.............................................................91
Annexe 2 -Localisation des collèges accueillant une CLA à Rennes..............................93
Annexe 3 -Procédure d'évaluation des JNA à leur arrivée..............................................94
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Liste des sigles et abréviations
AFEV : Association de la Fondation Étudiante pour la Ville
B.O: Bulletin Officiel
CADA : Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile
CASNAV : Centre Académiques pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et
des enfants du Voyage. Remplace les CEFISEM : Centres régionaux de Formation et
d'Information pour la Scolarisation des Enfants de Migrants
CLA : Classe d'Accueil, anciennement appelée Classe d'Adaptation
CLA NSA : Classe d'Accueil pour élèves Non Scolarisés Antérieurement
CLIN : Classe d'Initiation
CRI : Cours de Rattrapage Intégré
ENA/ENAF : Élève Nouvellement Arrivé/Élève Nouvellement Arrivé en France
JNA : Jeune Nouvellement Arrivé-e
SEGPA : Sections d'Enseignement Général et Professionnel Adapté
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Introduction
En entamant cette première démarche de recherche, j’ai souhaité articuler
deux thématiques larges qui m’intéressent particulièrement, l’éducation et la
migration, en me centrant plus spécifiquement sur les jeunes nouvellement arrivé-e-s
en France. Beaucoup d’études croisent les questions scolaires et migratoires,
s’intéressant par exemple à la gestion de la multiculturalité par l'école républicaine
ou aux parcours scolaires de jeunes issu-e-s de l'immigration. Cependant, une des
problématiques récurrente y est celle de « l’échec scolaire » des jeunes d’origine
étrangère, notion que je ne souhaite pas placer au centre de ce mémoire. De plus, il
m’a semblé que la population spécifique des jeunes nouvellement arrivé-e-s (JNA)
constituait rarement l’objet central de ces recherches, et lorsque c’était le cas, il
s’agissait généralement d’une entrée par le dispositif des Classe d’Accueil (CLA) ou
par la dimension linguistique.
L'évolution de l'immigration juvénile justifie pourtant que l'on s'intéresse à ce
public particulier arrivant en France pendant l'enfance et de plus en plus pendant
l'adolescence. Dans un article publié en 2007 1, Claire Schiff constate en effet que
« ces dernières années, les entrées de mineurs admis dans le cadre du regroupement
familial représentent plus de 10% de l'ensemble des entrées d'immigrés sur le
territoire soit entre 15 000 et 20 000 par an. On observe également que ces mineurs
arrivent à un âge de plus en plus tardif et que peu d'entre eux sont susceptibles
d'accomplir toute leur scolarité en France. En effet 43% des mineurs admis au
séjour en 1980 avaient moins de 6 ans, alors que cela n'était le cas que de 20% de
ceux qui étaient enregistrés en 2000 comme bénéficiaires du regroupement
familial ». Elle précise ensuite que ces chiffres de l'Office des Migrations
Internationales ne comptabilisent ni les mineur-e-s isolé-e-s, ni les enfants de
demandeur-se-s d'asile ou de réfugié-e-s. Même si les recensements effectués par
l’Éducation Nationale sont plus ou moins précis selon les Académies, pour l'année
1 SCHIFF, C., « La course des jeunes migrants contre les effets de seuil scolaires et législatifs »,
Écarts d'Identité n°110/2007, p.4
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scolaire 2004-2005, presque 40 000 élèves auraient été accueilli-e-s dans les écoles
collèges et lycées français.
Ce mémoire a alors répondu à l’envie de m’éloigner un peu des approches citées
précédemment, de prendre une certaine distance par rapport à l’étude du dispositif
pour donner la parole à ces jeunes en les considérant comme acteur-trice-s de l'école.
J'ai voulu interroger la relation des jeunes primo-arrivant-e-s à l’école française, en
mettant en avant ce qu'ils-elles avaient à en dire, en saisissant leurs perceptions et
représentations. Les problématiques tournant autour de l'institution scolaire, du
dispositif CLA et de la langue, étant intimement liées à l’expérience scolaire de ces
jeunes, elles ne seront pas absentes de ce travail, mais n’en seront qu’une dimension
parmi d’autres.
Il ne semble pas exister de définition officielle et permanente des notions de
jeunes « nouvellement arrivé-e-s » ou « primo-arrivant-e-s ». Pour l'Académie de
Montpellier, « il convient d’appeler Élève Nouvellement Arrivé en France (ENAF)
les élèves nouvellement arrivés, au sens strict : élèves non scolarisés en France
l’année civile précédente, non francophones ou n’ayant pas une maîtrise suffisante
des apprentissages scolaires leur permettant d’intégrer immédiatement une classe du
cursus ordinaire »2. Cette définition, déclinée sous des formes similaires dans
diverses autres académies, apparaît pertinente en ce que la non-francophonie n'y
apparaît pas comme un élément incontournable de définition des ENAF. C'est au
contraire une dimension parmi d'autres, plus ou moins prononcée. Claire Schiff
insiste sur les profils divers des élèves nouvellement arrivé-e-s, « allant des jeunes
bien scolarisés mais particulièrement éloignés de la langue française, à d'autres peu
ou pas scolarisés, mais déjà partiellement francophones »3. L'arrivée récente en
France vient compléter la définition des ENAF, cependant pour cette étude, j'ai
considéré
comme
« nouvellement
arrivé-e-s »
des
jeunes
ayant
vécu
« physiquement » et relativement récemment la migration sans me limiter strictement
à la condition de la non-scolarisation en France l'année civile précédente. Je me suis
centrée sur des jeunes actuellement scolarisé-e-s en collège, en Classe d'Accueil ou
2 www.ac-montpellier.fr consulté le 10 mai 2011
3 SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire », revue Hommes et
Migrations, septembre-octobre 2004, n°1251, p.76
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en étant sortis depuis peu. Bien que le terme « d'élèves nouvellement arrivés » soit
officiellement reconnu, je lui préférerai bien souvent celui de jeunes nouvellement
arrivé-e-s, plus à même de rappeler que ces jeunes ne se résument pas à leur
condition d'élèves et sont d'abord des adolescent-e-s.
A cette période clé de leur vie, l'adolescence, où les repères et les cadres sont bien
souvent remis en cause, ces jeunes se retrouvent projeté-e-s dans un environnement
inconnu, dans une succession chaotique de situations nouvelles : ils-elles quittent
leur pays, avec ou sans leur famille, connaissent un parcours migratoire sur lequel
ils-elles n'ont que peu de maîtrise. Ils-elles arrivent dans un pays inconnu, la France,
et passent parfois par de nombreuses villes avant de se « stabiliser » – pour un temps
incertain et dans des conditions parfois précaires – dans une d'entre elles. C'est
souvent parvenu-e-s à cette étape qu'ils-elles sont scolarisé-e-s en collège.
Leur porte d'entrée sur le monde scolaire est alors la classe d'accueil (CLA) :
si ces classes ne seront pas l'objet central du mémoire, il est néanmoins fondamental
d'en connaître le fonctionnement afin de comprendre l'environnement dans lequel
évoluent les jeunes. A Rennes il existe cinq CLA, dans cinq collèges différents : les
Hautes-Ourmes, Clotilde Vautier, les Chalais, Échange, et Montbarrot4. Les jeunes
de moins de 16 ans qui arrivent à Rennes, sont orienté-e-s vers la Coordination
Migrant5, où ils-elles passent des tests destinés à évaluer leur niveau linguistique et
scolaire. En fonction des résultats de cette évaluation, ils-elles peuvent intégrer
directement une classe ordinaire au collège ou même au lycée, ou être accepté-e-s
dans une CLA. Les jeunes n'ayant pas été scolarisé-e-s dans leur pays d'origine
peuvent intégrer la classe d'accueil pour jeunes non-scolarisé-e-s antérieurement
(CLA-NSA) au collège Montbarrot. Un-e jeune a droit à passer une année scolaire
complète en CLA, qui peut dans certains cas faire suite à une année en CLA-NSA.
En arrivant en CLA (ce n'est pas le cas en CLA-NSA), les jeunes sont dès les
premières semaines rattaché-e-s pour quelques matières à une classe ordinaire (6ème,
5ème, 4ème ou 3ème) supposée correspondre plus ou moins à leur niveau scolaire.
Au fil de l'année, les JNA intègrent progressivement leur classe de rattachement dans
4 Annexe 2, Localisation des collèges accueillant une CLA à Rennes
5 Service spécifique au sein de l'Inspection d'Ille et Vilaine, qui travaille en accord avec le Centre
d'Information et d'Orientation (CIO) et le service d'affectation de l'Inspection Académique.
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d'autres matières, le nombre d'heures passées en CLA diminuant parallèlement à
l'augmentation du temps passé en classe ordinaire. Le programme officiel de la CLA
suppose un enseignement centré sur un objectif linguistique de maîtrise du français
articulé à un objectif spécifiquement scolaire d'acquisition des bases et du
vocabulaire permettant de suivre l'enseignement dispensé au collège. Une seule
enseignante – à Rennes les responsables des cinq CLA sont des femmes – se charge
de l'ensemble des heures d'une CLA, constituant ainsi une personne de référence
pour les jeunes nouvellement arrivé-e-s.
Suite à mes premières réflexions, je souhaitais interroger les attentes et les
stratégies des jeunes primo-arrivant-e-s par rapport à l'école française : qu'attendentils-elles de l'école, comment sont gérées des injonctions familiales et scolaires que je
supposais différentes, quelles stratégies d'adaptation mettent-ils-elles en place dans
ce cadre ? Rapidement la rencontre avec le terrain m'a, pour plusieurs raisons, montré
qu'il ne serait pas possible répondre à ces questions. Une maîtrise du français parfois
insuffisante pour aborder ces thématiques, une grille d'entretien peut-être inadaptée,
un manque de recul sur leur expérience migratoire et surtout scolaire, peuvent
expliquer cette impossibilité à valider la pertinence de mes interrogations. Venant
tout juste d'arriver en France et scolarisé-e-s depuis peu, on peut supposer que ces
jeunes en sont à un stade de découverte des normes et codes sociaux en vigueur dans
le cadre scolaire, qu'ils-elles ne questionnent pas encore et qui ne viennent pas encore
bousculer leur socialisation familiale. De plus, l'étude des phénomènes de
construction identitaire des jeunes, des stratégies d'adaptation et de socialisation
mises en place par les jeunes primo-arrivant-e-s par rapport à l'école et dans l'école
aurait nécessité, au delà des entretiens, une observation de longue durée dans les
CLA, dans les classes ordinaires, dans la cour.
Les entretiens m'ont alors poussée à étudier de plus près les discours des jeunes
sur l'école. Je me suis centrée sur la perception de l'école exprimée par les JNA, sur
leur façon de me parler de leur expérience scolaire et notamment sur un phénomène
récurrent dans les entretiens : malgré l'évocation de difficultés linguistiques et
scolaires, une opinion positive et valorisante de l'école en ressortait nettement et
presque systématiquement. Au moins à première vue, une de mes hypothèses
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premières, à savoir la confrontation aux normes scolaires comme source de mal-être
et de conflits intérieurs pour le-la jeune, en sortait infirmée. Ce constat a alors suscité
une réorientation de ma recherche : comment expliquer ce discours majoritairement
si positif sur l'école (dont on peut supposer qu'il est bien plus positif que celui de
nombreux-ses élèves né-e-s en France), quelles en sont les raisons ? Fait-il écho à ce
que les jeunes attendent de l'école ? Et quels en sont les angles morts, qu'est-ce que
ce discours ne dit pas sur l'expérience scolaire de ces jeunes qui pourtant affleure des
entretiens avec eux-elles, des discours enseignants, ou des lectures théoriques ?
Pour mener à bien ce mémoire, j'ai réalisé des entretiens avec neuf jeunes 6,
dont deux n'assistent plus aux cours en CLA, étant depuis peu complètement
intégrées en classe ordinaire.
Tou-te-s les élèves que j'ai rencontré-e-s sont
scolarisé-e-s au collège Clotilde Vautier (quartier de la Motte Brûlon) ou au collège
des Hautes-Ourmes (quartier du Blosne), et ont entre douze et seize ans. Cette
limitation à deux collèges n'a pas relevé d'un choix mais d'une adaptation au terrain :
obtenir des autorisations pour réaliser des observations en classe ou des entretiens
avec des élèves n'a pas été chose facile, et cela n'a été possible que dans ces deux
établissements où j'ai pu travailler avec les enseignantes de CLA. Ce mémoire
s'appuie d'ailleurs également sur les entretiens réalisés avec ces deux enseignantes,
ainsi que sur des discussions informelles avec diverses personnes travaillant en
contact avec les JNA.
Au delà des difficultés administratives ou matérielles d'accès au terrain, mener
des entretiens avec des jeunes primo-arrivant-e-s s'est parfois révélé compliqué.
Doutant au mois de février de pouvoir passer par les établissements scolaires, j'ai eu
recours aux bénévoles de l'Association de la Fondation Étudiante pour la Ville
(AFEV) de Rennes engagé-e-s dans un accompagnement individuel auprès de
collégien-ne-s nouvellement arrivé-e-s. J'ai donc mené mes premiers entretiens en
présence du-de la jeune et de l'étudiant-e bénévole, contexte présentant avantages et
inconvénients. Les bénévoles, connaissant mieux leur jeune, m'ont été d'une aide
précieuse en ce qu'ils-elles ont participé à la création d'un climat de confiance et ont
pu pousser les jeunes à développer certaines réponses dont ils-elles savaient qu'elles
6 Annexe 1 : Entretiens et observations mené-e-s dans le cadre de ce mémoire.
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pouvaient m'intéresser, alors que les jeunes n'en ayant pas conscience, ne l'auraient
pas nécessairement fait seul-e-s. Lors d'un entretien avec un jeune maîtrisant
particulièrement peu le français, la bénévole habituée à la prononciation du jeune a
par instants joué un rôle d'intermédiaire linguistique. En revanche, ils-elles ont aussi
pu constituer malgré eux-elles un frein à l'expression des jeunes, qui se reposaient
parfois sur la bénévole, attendant qu'elle parle à leur place.
Les entretiens réalisés seul à seul avec le-la jeune, dans l'enceinte du collège, au
foyer ou dans la cour, n'ont pas présenté ce genre de biais, mais n'en ont pas toujours
été plus évidents. Il a fallu composer avec la timidité ou la méfiance de certain-e-s,
avec les difficultés linguistiques des autres... J'ai ainsi réalisé une partie d'un entretien
par écrit avec un jeune malentendant et très peu à l'aise avec le français oral. D'autre
part, craignant d'orienter les réponses, ou d'aller trop loin dans mes questions, de
toucher des cordes sensibles et de créer des blocages, je suis parfois tombée dans
l'extrême inverse n'osant que suggérer certaines questions, attendant que les jeunes
abordent d'eux-elles-même certains sujets. J'ai appris au fur et à mesure de mes
entretiens que je ne pouvais pas attendre d'adolescent-e-s au français hésitant des
récits détaillés comme j'en obtenais en entretien avec des adultes enseignant-e-s par
exemple. Reformulation de questions et adaptation dans ma manière de mener
l'interaction m'ont permis d'obtenir des entretiens de plus en plus riches.
J'ai également renoncé à l'enregistrement dès le premier entretien pour privilégier
la prise de notes : les difficultés linguistiques, mais bien plus souvent la volonté de ne
pas intimider les jeunes m'en ont dissuadée. Il faut préciser qu'à plusieurs reprises, je
me suis aperçue en commençant l'entretien que, même si je m'étais présentée dans la
classe ou si la bénévole avait expliqué ma démarche, le-la jeune ne savait pas
exactement pourquoi il-elle était là, qui j'étais, à quel sujet et dans quel cadre je
travaillais. Certain-e-s, notamment ceux-celles qui m'ont d'abord rencontrée dans le
cadre scolaire, ont certainement pu penser que j'avais à voir avec l'institution
éducative : il était donc nécessaire, si je souhaitais qu'ils-elles me parlent le plus
sincèrement possible de leur relation à l'école, que j'éclaircisse les choses sur ce point
et que j'évite de créer, avec un dictaphone, des barrières symboliques
supplémentaires entre nous.
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Malgré ces précautions, il est évident que les conclusions qui émergent de ce
mémoire doivent d'ores et déjà être relativisées. Le fait que les jeunes aient pu malgré
tout m'associer à l'institution scolaire a pu générer une sorte d'auto-censure, que j'ai
d'ailleurs pu noter lors d'un entretien. D'autre part, j'ai réalisé ces entretiens sur la
base du volontariat, et on peut supposer que les élèves les moins satisfait-e-s de
l'école n'ont pas été les plus enclin-e-s à me répondre. Hasard ou non, aucun-e élève
intégré-e à une classe de SEGPA7 n'a souhaité me parler. Je n'ai par ailleurs rencontré
que des élèves ayant pu profiter du dispositif CLA : les réponses auraient sans doute
été sensiblement différentes si j'avais rencontré des jeunes arrivé-e-s à plus de 16 ans
et donc sorti-e-s du système scolaire, ou des jeunes n'ayant pu bénéficier d'un
passage en CLA comme les jeunes mahorais-es, pourtant souvent confronté-e-s à des
difficultés scolaires et linguistiques importantes. Enfin, les entretiens ont été réalisés
avec des jeunes collégien-ne-s avant l'étape de l'orientation de fin de 3ème. Cette
étape représente souvent une rupture entre les espérances des jeunes et la réalité de
leur orientation scolaire, qui peut se traduire par une désillusion quant au système
scolaire.
Cependant, les idées développées dans ce mémoire sont issues de l'analyse et du
recoupement de plusieurs entretiens qui, s'ils doivent être pris avec précautions, n'en
restent pas moins des témoignages révélateurs. Il s'agira alors, comme précisé en
amont, de s'interroger sur les représentations exprimées par les jeunes et de les
comprendre à la lumière des situations familiales et migratoires des jeunes et du
contexte dans lequel se construit la relation à l'école. Il faudra également confronter
ces représentations au cadre théorique de divers travaux publiés sur les ENAF et les
CLA/CLIN, l'école et les familles d'origine étrangère ou les familles populaires.
En arrivant en France,les jeunes sont souvent non-scolarisé-e-s pendant
quelques mois, période correspondant généralement à une instabilité forte
notamment en terme de logement ou de situation juridique. L'étape de l'inscription
dans un collège, de la (re)scolarisation, représente l'entrée dans un nouvel univers :
les jeunes vont subitement passer l'essentiel de leurs journées au collège, y multiplier
7 Section d'Enseignement Général et Professionnel Adapté. Y sont plutôt orienté-e-s les élèves
confronté-e-s à de grandes difficultés scolaires.
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les interactions, y recréer des habitudes, des routines autour de lieux, d'activités et de
personnes. Au collège comme dans leur vie quotidienne se pose la question de la
langue, et la structure CLA doit leur apporter les outils linguistiques indispensables
pour pouvoir se débrouiller dans un premier temps, et atteindre ensuite une maîtrise
satisfaisante du français. Celle-ci ira en s'améliorant au fil des années. Au delà de
cette problématique linguistique, s’élève un autre défi : celui de la découverte, la
compréhension et l'intériorisation des normes scolaires en œuvre dans l'enceinte du
collège. On peut alors supposer que la scolarisation représente un véritable défi : il
s'agit d'interagir avec des personnes au-delà du cadre familial, et de comprendre ces
codes scolaires qui régissent le fonctionnement de la vie au collège et participent de
codes sociétaux plus généraux. Le collège va également en un sens devenir une
structure de référence pour les jeunes, et une clé d'intégration à la société : la CLA est
alors vécue comme une sorte de sas de préparation, adapté aux jeunes et destiné à
leur offrir tous les outils nécessaires pour intégrer sereinement le monde des
collégien-ne-s mais également pour s'en sortir à l'extérieur.
On constatera que les jeunes semblent concevoir l'école française à la fois
comme l'étape obligatoire et nécessaire pour espérer se construire à long terme une
« bonne vie » en France, et comme un cadre rassurant, sécurisant, leur offrant les
repères dont, en contexte chaotique de migration, ils-elles manquent parfois
cruellement. En effet, la confrontation avec un monde scolaire en grande partie
étranger à l'univers de référence des jeunes ne semble pas être vécue sur le mode de
l'imposition, de l'obligation d'adaptation. L'école est au contraire présentée sous un
jour très positif. Il s'agit sûrement là d'un phénomène propre aux élèves primoarrivant-e-s, qui tranche avec les études réalisées au sujet de la réception de l'école
par les jeunes né-e-s en France de parents étrangers.
Dans un premier temps, ce mémoire tentera d'expliquer ce phénomène par le
désir clair des JNA de s'installer en France et d'y faire leur vie. Les jeunes sont alors
dans une dynamique de découverte et d'acceptation des normes sociales, motivée par
une réelle volonté d'adaptation. Le collège représente à la fois leur lieu d'interaction
principal avec le monde extérieur à la famille et le lieu d'acquisition d'une langue et
de savoirs considérés comme indispensable à une intégration à long terme. Les
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jeunes l'investissent donc pleinement en ce sens et valorisent l'école à la mesure de
leur volonté d'adaptation et d'intégration.
Dans un deuxième temps sera défendue l'idée que, si l'expérience scolaire est
vécue sur un mode si positif, c'est également parce que l'école offre un cadre stable et
rassurant à des jeunes dont les repères ne cessent d'être bousculés. Les règles de
discipline scolaire, comme la CLA et son enseignante unique, participent de la
construction d'un nouvel univers de référence qui fait sens pour les jeunes. Nous
verrons que les JNA intériorisent alors d'autant plus facilement les normes scolaires
qui leur sont « proposées » que la CLA en est un des vecteurs privilégiés.
Enfin, il sera nécessaire de constater que malgré les dispositions favorables et le
regard valorisant qu'ils-elles portent sur l'école, les jeunes primo-arrivant-e-s vivent
une expérience scolaire complexe qui peut se solder à terme par une déception : la
gestion d'une relation école-famille ponctuée d'incompréhensions, des situations
migratoires et familiales souvent difficiles et instables, et un système scolaire et
d'accueil se révélant parfois décevant et incapable de répondre aux attentes, en sont
autant d'explications.
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Chapitre 1 - L'école perçue comme
espace de socialisation et clé de
l'intégration désirée
Dans une famille, la décision de migration n'appartient pas aux enfants : dans un
premier temps, ceux-ci ne font que subir le parcours migratoire depuis la décision de
partir jusqu'à celle de s'établir dans tel ou tel pays ou ville. Peu à peu, notamment en
étant scolarisé-e-s dans la ville d'arrivée, les JNA deviennent en partie acteurs-trices
du processus et se construisent, lorsque ce n'est pas déjà fait, leur opinion quant à
leur avenir migratoire. En écoutant le discours de leurs parents sur la nécessité de
rester, de s'intégrer en France, mais également en fonction de leur propre ressenti et
par la création de liens et habitudes sur place, les jeunes acquièrent leur propre désir
d'intégration dans le pays d'accueil. L'école, lieu premier de socialisation pour ces
jeunes, devient alors l'instance investie en priorité dans une optique d'intégration.
Il est indispensable à cette étape de réfléchir au concept, loin d'être neutre,
d'intégration. A la manière de Jean-Luc Richard8 on peut distinguer trois termes étant
parfois utilisés pour appréhender ce phénomène : intégration, assimilation et
insertion. L'assimilation en termes lexicologiques pourrait être comprise, comme
dans le domaine de l'enseignement, comme le processus d'apprentissage des codes
propres à une société et permettant d'y évoluer. Cependant, le terme est aujourd'hui
chargé d'un autre sens, celui de possible stade ultime de l'acculturation entendue
comme le « processus par lequel un individu apprend les modes de comportements,
les modèles et les normes d'un groupe de façon à être accepté dans ce groupe et à y
participer sans conflit » (R. Mucchielli, 19699). Si l'acculturation ne suppose ni la
perte ni la négation de la culture et des codes sociaux d'origine de l'individu-e,
l'assimilation en revanche représente une phase extrême de l'acculturation, à savoir
8 RICHARD, J-L., Partir ou rester ? Destinées des jeunes issus de l'immigration, PUF, Paris,
2004, p.14-19
9 Définition reprise par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
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l'abandon par l'individu-e de sa culture d'origine remplacée dans sa totalité par les
valeurs et les normes de la société d'arrivée. Que l'on considère cet aboutissement
comme réalisable ou non – Jean-Luc Richard estime que « le terme signifie surtout
l'affirmation d'une similitude ou égalité formelle apparente, mais non considérée
comme réelle » – il ne semble pas envisageable d'utiliser ce terme dans le cas des
jeunes nouvellement arrivé-e-s, l'assimilation n'étant ni souhaitée par les JNA ni
souhaitable.
Les notions d'insertion et d'intégration supposent la possibilité de combiner
adaptation à la société d'accueil et maintien des valeurs et codes propres à chaque
individu-e et participant de son équilibre personnel. La symbolique de chacune de
ces notions diffère d'abord selon J-L Richard par le temps dans lequel elles
s'inscrivent : l'intégration apparaît comme un processus se déroulant sur un temps
long, et commençant dès l'arrivée en France. L'insertion pourrait faire référence à un
temps plus court, au sens où elle impliquerait moins d'interactions et d'évolution de
l'identité d'origine. Par ailleurs, l'intégration suppose la participation de chacun-e à
un certain vivre-ensemble, au maintien de la cohésion de la société : l'intégration
« n'est envisageable qu'en cas d'assentiment de tous à vivre-ensemble et à constituer
une même société »10. L'insertion est un processus moins marqué, la société est moins
considérée comme un tout uni et l'individu-e doit simplement respecter, pour le
temps où il-elle s'y trouve, les règles de la société d'accueil. Reprenant la définition
de Jacqueline Costa-Lascoux, J-L Richard affirme ainsi que « user du terme
générique d'insertion consisterait à reconnaître à un jeune d'origine immigrée la
place qu'il occupe dans une économie, un cadre social ou culturel ; mais c'est aussi
envisager qu'il puisse éventuellement préserver, au moins partiellement, son identité
d'origine […] c'est enfin accepter l'idée et l'éventualité d'un détachement
possible »11.
L'intégration, plus que l'insertion, fait référence à une société réceptrice
relativement homogène dans laquelle l'individu-e s'intégrerait, société qui en réalité
n'existe pas en tant que telle. G. Devereux considère ainsi que « la culture n'est pas
10 RICHARD, J-L., op.cit
11 RICHARD, J-L., op.cit, p.19. Reprenant COSTA-LASCOUX, J., « Assimiler, insérer, intégrer »,
Projet, n°227, automne 1991, Paris.
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un tout homogène qu'un étranger devrait appréhender et adopter, mais un ensemble
de pratiques et des valeurs hétérogènes qu'on ne peut saisir que partiellement »12.
Si la notion d'insertion est moins problématique de ce point de vue, elle fait en
revanche une économie hasardeuse du processus d'échange et des stratégies
d'adaptation qui caractérisent tout processus « d'intégration/insertion ». Angela
Xavier de Brito et Ana Vasquez proposent alors la notion de socialisation comme
« processus d'acquisition des savoirs et des savoirs-faire qui sont nécessaires, dans
le contexte de l'interaction sociale, à l'établissement des liens sociaux »13. Toute
personne lorsqu'elle se trouve dans un groupe social nouveau, dans une situation
d'interaction dont elle ne maîtrise pas les codes, connaît un processus de socialisation
au cours duquel elle acquiert ces codes, tout en continuant d'interagir avec les
membres du groupe. Ceux-ci sont donc également concernés par le processus. Pour
A. Xavier de Brito et A. Vasquez, « les processus que subissent les enfants étrangers
peuvent être envisagés comme une forme particulière de socialisation qu'affronte
tout acteur social au cours de sa vie ». La formulation de cette phrase ne traduit
néanmoins pas complètement ce que recouvre le concept de socialisation en ce que
l'utilisation du terme « subissent » omet les stratégies mises en place par les jeunes,
et le fait qu'ils-elles sont en partie acteurs-trices de ces processus. Quoi qu'il en soit,
la notion de socialisation, moins connotée politiquement que celle d'intégration,
permet de mettre l'accent sur « les processus à travers lesquels l'acteur construit son
identité sociale et devient un membre autonome des groupes auxquels il
appartient ».14 Elle permet également d'insister sur les interactions, les échanges qui
se produisent entre les groupes et les individu-e-s.
Ainsi, si l'on ne bannira pas le terme d'intégration, utilisé par certaines personnes
interrogées, et élevé au rang d'objectif par elles-même, on l'articulera le plus possible
à celui de socialisation afin de prendre en compte leur dynamique et leurs stratégies
dans ce processus, et de se distinguer de l'utilisation du terme à des fins politiques
12 DEVEREUX, G., De l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris,
Flammarion, 1980, cité par XAVIER de BRITO A., et VASQUEZ A., dans « L'intégration... mais
qu'est-ce donc ? » Revue française de pédagogie, 1996.
13 XAVIER de BRITO A., et VASQUEZ A., « L'intégration... mais qu'est-ce donc ? » Revue
française de pédagogie, 1996, p.31.
14 MONTANDON C., « De quelques étapes dans l'exploration du concept de socialisation et de sa
spécificité en sociologie », Communication au congrès mondial de l'AISLF, Genève, 1988, cité
par XAVIER de BRITO A., et VASQUEZ A., art.cit
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parfois contestables. Il s'agira dans un premier temps de constater à quel point l'école
est l'objet de représentations positives ce qui s'explique par le fait que, porte d'entrée
des jeunes sur la société d'arrivée, elle est investie comme le lieu privilégié de
socialisation. Puis nous verrons que ces espérances attachées à l'école s'articulent
autour de l'établissement scolaire comme lieu d'apprentissage du français, élément
clé conditionnant toutes les interactions et les espoirs en l'avenir nourris par les JNA
et leur famille.
A. Confiance et motivation : l'école lieu de
tous les possibles pour la majorité des JNA
Dès l'arrivée en France, la scolarisation des enfants constitue une des
préoccupations centrales des familles. Malgré les difficultés que cela peut
représenter, du fait d'une situation juridique souvent instable et d'un logement parfois
éloigné de l'école où sont affecté-e-s les enfants, il apparaît essentiel aux familles de
les scolariser rapidement. Les mettre à l'école signifie en effet faire un premier pas
vers « l'intégration », permettre aux enfants d'acquérir au plus vite des bases de
français et créer des ancrages forts dans la société d'accueil. Mais c'est également les
aider à retrouver une vie ordinaire d'enfant ou de jeune allant à l'école, et entretenant
des relations sociales avec des jeunes de leur âge. Les familles attendent ainsi
beaucoup de l'école et transmettent naturellement ces représentations positives à
leurs enfants. Ils-elles arrivent donc à l'école dans des dispositions favorables,
porté-e-s par un objectif dont ils-elles sont convaincu-e-s que la réalisation passe par
l'école : trouver leur place à court et à long terme dans cette nouvelle ville, ce
nouveau pays. Les premiers mois et années de scolarisation venant plutôt corroborer
cette croyance, les JNA valorisent l'école dans leurs discours, mettant en valeur un
lieu de socialisation où ils-elles apprennent l'essentiel pour être à leur aise dans la
société française.
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1. Un discours dominant de valorisation de l'école porté
par les jeunes et leur famille
Le discours des jeunes va majoritairement dans le sens d'une valorisation de
l'institution scolaire et même s'il doit être partiellement relativisé, il s'agira de
constater qu'il demeure pertinent. D'autant qu'il s'inscrit dans un contexte familial de
confiance en l'école et se traduit concrètement par une grande motivation, visible au
quotidien à l'école.
a. Des jeunes majoritairement satisfait-e-s de l'école : constat
et nuances
Ce qui frappe lors des entretiens avec les JNA c'est leur regard si positif sur
l'institution scolaire. Que ce soit par l'expression d'une opinion valorisant l'école en
général ou par l'évocation positive d'éléments concrets de la vie scolaire, les jeunes
se montrent particulièrement satisfait-e-s de l'école. Ainsi, lorsque leur est demandé
s'ils-elles aiment le collège, la majorité des jeunes rencontré-e-s en entretien
individuel répondent spontanément de manière positive, insistant sur le fait que
l'école « c'est très bien », que cela leur plaît. La déclinaison des réponses autour de la
relation avec les professeur-e-s, avec les élèves, ou au sujet des cours achève de
dresser le tableau d'un collège agréable, sans conflit.
On constate le même phénomène lors de l'exercice réalisé en CLA aux HautesOurmes. L'enseignante ayant demandé aux élèves de décrire l'école française, 7
élèves sur 13 ont affirmé être « content-e-s » de l'école, « aimer » l'école ou ont
précisé : « l'école c'est bien »15. Plusieurs des élèves n'ayant pas exprimé d'opinion
générale sur l'école en ont toutefois réalisé une description positive, soulignant les
côtés plaisants tels que la gentillesse des professeur-e-s, la richesse matérielle de
l'école ou leurs ami-e-s collégien-ne-s, autant d'aspects sur lesquels nous reviendrons
au cours du présent mémoire.
15 Journée d'observation du 25 février 2011. Il s'agissait d'un exercice mis en place par
l'enseignante afin que les élèves s'expriment en ma présence au sujet de l'école française : il
leur était demandé d'écrire individuellement une lettre fictive à un-e ami-e resté-e dans leur
pays d'origine en lui décrivant l'école en France. Chaque élève a ensuite lu, ou fait lire sa lettre
par l'enseignante, au reste de la classe.
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Ce tableau idyllique ne doit pas être sorti de son contexte et pris pour argent
comptant. Comme nous l'avons déjà évoqué en introduction, les jeunes ayant été
interrogé-e-s étaient également les plus susceptibles d'être satisfait-e-s de l'école.
D'autre part, un discours n'apparaît jamais ex-nihilo mais se construit par rapport au
contexte dans lequel il est produit. Ce contexte ne crée pas le discours mais peut
l'influencer, le limiter ou l'exalter. Dans l'esprit de certain-e-s jeunes, une confusion a
pu se produire quant à ma personne et j'ai pu apparaître comme appartenant à
l'institution scolaire. Le fait d'avoir été présentée comme stagiaire dans une des deux
CLA a ainsi certainement alimenté ce flou. On peut supposer que certain-e-s jeunes
se sont quelque peu censuré-e-s dans l'expression de leur opinion sur l'école, tandis
que d'autres ont pu enjoliver un ressenti déjà globalement positif, pensant ainsi me
satisfaire. D'autre part, le fait que l'exercice de description de l'école ait été réalisé
dans le cadre scolaire a nécessairement influé sur le contenu des écrits des élèves.
Il faut également remarquer que deux jeunes ont laissé transparaître dans leurs
entretiens une relation plus mitigée à l'école : l'une a fait preuve d'une véritable
distance, esquivant certaines questions ou y répondant en détournant les yeux. Dans
l'autre cas, il s'agissait d'un entretien collectif avec deux frères16. A la question « estce que vous aimez la CLA ?», le plus grand répond affirmativement, mais Ja., le plus
jeune, reste silencieux espérant que cela passe inaperçu. Après s'être fait un peu prier,
il finit par avouer que « on ne peut pas dire non de toutes façons ». L'auto-censure est
ici clairement exprimée. Sans avoir dit explicitement qu'il n'aimait pas la CLA ou
l'école en général, Ja. le sous-entend et surtout exprime l'impossibilité de critiquer
l'école. Au cours de l'entretien Ja. précise un peu sa phrase, expliquant que l'école
c'est difficile notamment les maths, et qu'il n'aime pas la musique. Néanmoins, il est
difficile de savoir si ce sont là les seules raisons ou si d'autres explications aux
réticences exprimées sont à chercher : le fait qu'il ne soit toujours pas très à l'aise en
français, ou qu'il soit en fauteuil roulant peut laisser penser que les journées au
collège lui demande plus d'efforts qu'à d'autres élèves, rendant la scolarisation
nettement moins agréable. L'important ici est plutôt d'interroger le fait que Ja. ne se
sente pas autorisé à dire qu'il n'aime pas l'école : est-ce par prudence face à une
interlocutrice qu'il ne connaît pas ? Cela s'explique-t-il par le fait que Ja. sait qu'il
16 Entretien du 16 mars 2011
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doit aller à l'école puisque c'est obligatoire et considère inutile de donner son avis,
celui-ci ne pouvant être pris en compte concrètement ? Une autre explication est
peut-être à aller chercher du côté d'un discours officiel mais également familial
dominant consistant à présenter l'accès à l'école comme une chance, plus encore pour
des jeunes primo-migrant-e-s. Dans ces conditions, il semble difficile de dénigrer ce
qui est présenté par tous comme un privilège.
Il apparaît donc indispensable de prendre en compte ces limites et biais dans
l'analyse du discours des jeunes sur l'école. Cependant et malgré toutes les
précautions avec lesquelles elle doit être abordée, il est impensable d'ignorer la
représentation positive exprimée par les jeunes. D'abord parce qu'elle est trop
récurrente pour apparaître comme non pertinente. Ensuite parce que l'école est
montrée sous un jour tout aussi positif qu'elle soit évoquée au cours d'entretien au
collège avec des jeunes m'ayant rencontrée dans ce cadre, ou chez eux-elles avec des
jeunes m'ayant rencontrée par le biais de leur bénévole et m'associant donc beaucoup
moins à l'institution scolaire. Enfin, cette perception de l'école se nourrit d'un
contexte familial d'idéalisation de l'institution scolaire, et influe positivement sur le
comportement des jeunes et leur investissement dans l'école. Cela constitue l'un des
nombreux faisceaux d'explications sur lesquels nous reviendrons.
b. Transmission de la confiance des parents en l'école et
motivation palpable dans le comportement quotidien des jeunes
Des travaux de sociologues publiés sur la question avaient déjà fait émerger de
telles conclusions. Ainsi Claire Schiff note la différence entre des jeunes né-e-s en
France de parents immigré-e-s ou eux-elles-même enfants d'immigré-e-s, et des
jeunes nouvellement arrivé-e-s en France, remarquant que les « nouveaux entrants
sont le plus souvent optimistes et confiants face à l'école française, pleins de bonne
volonté et d'espoir en l'avènement de jours meilleurs »17. Les JNA et leurs parents
viennent tout juste d'arriver en France et nourrissent encore de nombreux espoirs
quant à cette terre d'accueil, perçue comme plus accueillante que le pays qu'ils-elles
17 SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire », revue Hommes et
Migrations, septembre-octobre 2004, n°1251, p. 84
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ont quitté. A certains égards, les images idéalisées de la France sont encore présentes
dans les esprits, la confrontation avec la réalité ne les ayant pas (encore) démenti.
Concernant l'école, on est typiquement dans ce schéma : le système scolaire français
est idéalisé par les parents, perçu comme meilleur que celui de leur pays d'origine, et
investi comme LE lieu d'intégration pour leurs enfants. Les familles sont persuadées
que l'assiduité et le travail au collège, va mener leurs enfants à la réussite scolaire et à
leur intégration sociale, par le biais d'une intégration professionnelle réussie. C'est
cette même croyance en l'école comme vecteur d'intégration récompensant justement
les efforts produits qui est mise à mal chez de nombreux parents ayant immigré
depuis plus longtemps et dont les enfants sont né-e-s en France. Ces parents sont
souvent passé-e-s eux-elles-même par l'école française et un certain nombre a pu
constater, à ses frais, l'échec de l'école intégratrice. Le discours tenu par ces familles
à leurs enfants au sujet de l'école est nécessairement moins optimiste et moins
valorisant que celui qui a cours dans des familles nouvellement arrivées en France.
Claire Schiff parle ainsi de la « vision désenchantée de l'institution et de l'avenir »
qu'ont beaucoup de « jeunes de la troisième génération »18. Au contraire les familles
nouvellement arrivées ont plutôt tendance à placer l'école sur un piédestal. Ainsi Ren.
insiste sur le fait que ses parents veulent qu'elle aille à l'école et lui répètent : « Faut
que t'y ailles tous les jours, c'est important »19.
Le regard porté par les parents sur l'école et transmis à leurs enfants génère chez
ces dernier-e-s une grande motivation par rapport à leur scolarité. Les JNA
intériorisent au moins dans un premier temps la vision de leurs parents et croient
eux-elles aussi en l'école et en ses vertus d'intégration. Ils-elles sont convaincu-e-s de
l'importance de l'école et cela influe positivement sur leur comportement au collège.
Sophie, enseignante en CLA, explique ainsi que ses élèves sont toujours très
actif-ve-s et généreux-ses, « c'est un challenge de tous les jours mais ils te le
rendent, c'est quelque chose qui n'existe pas avec les autres élèves »20. Ces élèves
semblent également avoir un rapport reconnaissant à l'école et sont plutôt faciles à
contenter. Elle donne ainsi l'exemple d'une sortie organisée par le collège à la fin de
laquelle tou-te-s les élèves de CLA étaient venus remercier l'enseignante organisant
18 SCHIFF, C., art.cit, p.85
19 Entretien du 24 mars 2011
20 Entretien du 21 mars 2011
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l’événement, comportement moins fréquent chez les autres élèves. Claire Schiff
confirme que « la sur-motivation engendrée par la migration et le rapport
globalement positif que les élèves nouvellement arrivés entretiennent vis-à- vis de
l'école sont des phénomènes avérés par de nombreux travaux »21.
Dans les discours des jeunes transparaît cette motivation. Pour Bu., « étudier
c'est important »22, tandis que plusieurs jeunes montrent leur envie d'avancer dans
leur cursus scolaire : Bu. explique qu'il voudrait aller en 3ème l'année prochaine
même s'il ne sait pas si ce sera possible. Ab. s'apprêtait au jour de l'entretien à
commencer à suivre les cours de sciences physiques avec sa classe de rattachement et
en paraissait sincèrement content. Ai. affirme quant à elle que même si c'est dur de
suivre tous les cours avec les français, c'est quand même mieux : « tu progresses plus
avec les français qu'avec les étrangers parce que les étrangers ils font des erreurs
aussi alors tu apprends des erreurs alors qu'avec les français, ils te corrigent »23.
Dans ce cas précis il s'agit de progresser en français, mais on voit clairement une
grande volonté de s'améliorer même si cela signifie être confronté-e dans un premier
temps à plus de difficultés.
Comme cela a été rapidement évoqué, l'importance accordée à l'école tant par les
parents que par les jeunes se fonde sur l'objectif d'intégration qui habite la majorité
de la population nouvellement arrivée en France, et sur l'élévation de l'école au rang
d'outil privilégié pour atteindre cet objectif. Il est dès lors intéressant de constater que
pour les jeunes, l'école est à la fois le moyen d'une intégration à court de terme, dans
le monde collégien, et d'une intégration professionnelle et sociale, à plus long terme.
2. L'école lieu d'apprentissages et de socialisation : rôle
central dans un projet d'installation en France
Que l'on raisonne en termes d'espace ou de temps, le collège peut être perçu
comme une petite société, dans laquelle il s'agit d'apprendre les éléments essentiels
21 SCHIFF, C., « La course des jeunes migrants contre les effets de seuil scolaires et législatifs »,
Écarts d'identité n°110/2007, p.7
22 Entretien du 24 février 2011
23 Entretien du 31 mars 2011
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pour y trouver sa place. Il est en effet un monde juvénile où les jeunes nouvellement
arrivé-e-s peuvent renouer des liens de camaraderie ou d'amitié, où ils-elles
apprennent à gérer des interactions potentiellement compliquées notamment du fait
de la barrière linguistique. Sorte de sas préparatoire, ils-elles doivent également y
acquérir les compétences nécessaires pour, plus tard, trouver leur place à l'extérieur
du collège.
a. Le collège comme lieu de socialisation juvénile
Aboutissement au moins temporaire d'un parcours migratoire souvent long et
difficile, la scolarisation représente pour les jeunes une stabilisation dans un monde
d'adolescent-e-s. Après s'être retrouvé-e-s plongé-e-s dans un monde migratoire
essentiellement adulte, c'est la possibilité de sortir du cercle étroit de la famille et de
recréer des contacts et des liens avec d'autres jeunes. L'école n'est pas l'unique lieu de
socialisation juvénile : le réseau communautaire qui s'est constitué durant le voyage
ou se recrée sur place participe également de la formation d'un cercle d'ami-e-s,
indispensable au bien-être des jeunes et à leur équilibre. Ne connaissant personne et
ne parlant pas français, Ren. se souvient que son arrivée en France a été dure mais
rendue moins difficile par la présence sur place d'une cousine kosovare et d'amis
kosovars. Cependant, une fois scolarisé-e-s les jeunes passent le plus clair de leur
temps au collège, ce qui en fait un lieu où la socialisation juvénile est d'une part
facilitée et d'autre part indispensable à une scolarisation bien vécue.
Au sein de la CLA, un groupe relativement restreint de jeunes se côtoie chaque
jour, en classe dans un cadre académique mais également dans la cour de récréation,
à la cantine. Très vite se créent des liens, d'autant que ces jeunes ont en commun
l'expérience d'un parcours migratoire et d'une installation dans un pays étranger. Si
peu de JNA ont spontanément inclus dans le rôle de l'école le fait d'y rencontrer des
gens, six d'entre eux sur neuf ont néanmoins fait allusion à leurs ami-e-s à un
moment ou un autre de l'entretien. Au cours d'une discussion observée en CLA sur le
rôle et l'intérêt de l'école24, l'enseignante a au bout d'un certain temps suggéré que
l'école permet de se faire des amis ou de voir ceux que l'on a déjà : même si l'idée ne
24 Observation du 25 février
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Camille Giraudon
venait pas d'eux-elles, les jeunes ont immédiatement approuvé et apporté exemples et
compléments, ajoutant qu'ils étaient tou-te-s très ami-e-s en CLA, mais qu'ils-elles
avaient aussi des ami-e-s dans leur classe. Au cours des entretiens, il est intéressant
de noter que lorsqu'il est demandé aux jeunes de parler de leurs ami-e-s, la plupart
indiquent là aussi qu'ils ont des ami-e-s en CLA mais également en classe ordinaire.
Ren. insiste sur le fait qu'elle a des ami-e-s qui viennent de partout : « Kosovars,
Français, Albanais, tout mélangé, on joue tous ensemble, c'est pas peau, la région
qu'ils ont.. c'est pas important ça »25. Plusieurs JNA indiquent en entretien que
l'échange avec les élèves a, dans un premier temps, été quelque peu freiné et
compliqué par leur méconnaissance du français. Cependant, pour Ai., cela ne dure
qu'un temps et ne pose pas de véritable problème puisque « les français sont gentils
avec les étrangers, ils sont habitués dans ce collège il y a beaucoup d'étrangers donc
ils sont habitués à essayer de comprendre »26. Ang. mentionne le fait qu'en classe elle
s’assoit à côté d'une amie française qui lui explique quand elle ne comprend pas.
Le fait que les jeunes mentionnent souvent leurs ami-e-s hors de CLA peut être
interprété à la lumière d'autres éléments indiquant une certaine volonté de
« normalisation », de disparition de la différentiation entre élèves de CLA et autres
élèves. La CLA, bien que très appréciée par les JNA, est une structure spécifique aux
ENA et les place de fait en situation d'extranéité par rapport aux autres élèves. Le
désir d'intégration ressenti par les JNA se traduit en un premier objectif : être
complètement intégré-e-s au sein du collège, c'est-à-dire s'aligner sur les autres
collégien-ne-s. Ainsi, l'entretien avec Ang. est très révélateur : lui ayant demandé si
elle suivait quelques matières avec « d'autres classes » que la CLA, elle me répond
plutôt sèchement que « oui, avec ma classe, pas avec d'autres classes »27. Il est très
important pour elle que je comprenne que la classe avec laquelle elle suit les matières
ordinaires est sa classe au même titre que n'importe quel-le autre élève et la
formulation maladroite de ma question l'a visiblement dérangée. Pour les jeunes – et
cela rencontre parfaitement les objectifs officiels fixés pour les CLA – la classe
d'accueil a vocation à leur permettre le plus vite possible de suivre le parcours
scolaire que suivent tous les jeunes français-es. L'étape de la scolarisation est déjà
25 Entretien du 24 mars 2011
26 Entretien du 31 mars 2011
27 Entretien du 25 mars 2011
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une étape vers cette « normalisation » puisque l'ensemble de la population juvénile
du pays passe par le collège. Il s'agit maintenant au sein du collège, de s'aligner sur le
parcours suivi par les « autres élèves ».
En s'appuyant sur les écrits de François Dubet et Didier Lapeyronnie, on peut
avancer que l'école joue un rôle d'acculturation pour ces jeunes (comme pour les
jeunes français-es), notamment en favorisant « le mélange des populations par la
création de liens d'amitié, de camaraderie ou plus simplement par la vie de groupe »
et « en provoquant un investissement familial et donc un alignement sur les pratiques
des Français en matière de stratégies scolaires »28. Loin de rejeter ou d'oublier leur
culture d'origine, les jeunes apprennent simplement, dans l'enceinte du collège, à
s'approprier les stratégies scolaires des français-es, à maîtriser les codes dominants
dans le système scolaire, à s'aligner sur le modèle de l'élève lambda. Un assistant
d'éducation témoigne ainsi qu'au fil des années, on voit la manière d'être des jeunes
évoluer : An. et Ai., ou encore B. « sont encore très rattachés au bled, on le sent
dans leur comportement […], avec le temps ils se nivellent, ils deviennent des jeunes
de quartier de Rennes », « ils s'occidentalisent »29. Si le phénomène ne peut être
entièrement attribué à des stratégies conscientes des JNA, les éléments d'analyse
évoqués précédemment montrent que ce processus est en partie voulu et recherché
par les jeunes.
Le collège, qu'il soit ou non investi consciemment en ce sens, représente ainsi un
lieu incontournable de socialisation et d'intégration immédiate. Il est également
l'instance perçue par les parents et leurs enfants comme la plus à même d'offrir à ces
dernier-e-s une place sociale satisfaisante à plus long terme.
b. Le collège, maillon clé de l'intégration à long terme dans
une perspective d'installation en France
Plusieurs JNA ont affirmé vouloir rester en France, et il semblerait que pour leurs
parents il en aille de même. Pour Ai., « tout est bien ici », et elle ajoute, « on est plus
28 DUBET, F., LAPEYRONNIE, D., Les quartiers d'exil, SEUIL, Paris, 1992, p. 91
29 Conversation le 31 mars 2011
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tranquille qu'en Russie, […] chez nous on juge »30. Quand à Ren., elle croit ne pas
vouloir retourner au Kosovo, et préfère rester en France car « t'as tout en fait ici,
personne te crée de problème »31. Dans cette perspective d'installation définitive en
France, l'école est alors perçue comme le passage incontournable permettant de
« normaliser » la vie des enfants et de leur permettre de se construire un avenir
meilleur que celui qui leur était promis dans leur pays d'origine. Cet avenir passe
notamment par l'accès à une situation professionnelle satisfaisante, que doit garantir
une bonne scolarité. Jean-Luc Richard32 note que « les jeunes issus de l'immigration
considèrent que leur intégration en France passe d'abord par leur scolarisation, puis
par l'accès à un emploi ». Si cette logique est plus souvent mise en avant dans des
travaux sur les jeunes « issu-e-s de l'immigration », né-e-s en France de parents
immigré-e-s, on constate qu'elle est également présente chez les jeunes primoarrivant-e-s et nourrie par une croyance peut-être plus forte encore en l'école.
A la question « à quoi sert l'école ?», les réponses sont ainsi variées. Néanmoins,
à plusieurs reprises, un lien est exprimé entre l'école et le « futur » selon les termes
d'un jeune des Hautes-Ourmes, montrant que l'utilité de l'école ne se réduit
effectivement pas à une intégration immédiate. Elle porte les espérances des jeunes
quant à une intégration à plus long terme et doit donner les outils nécessaires pour se
construire un bon avenir dans le pays d'arrivée de la migration, la France. San. estime
que l'école sert à « apprendre des choses pour plus tard »33, et pour Ab., l'école ce
n'est pas seulement pour apprendre le français comme l'a d'abord dit son frère mais
également « pour le travail »34. Spontanément, Ren. relie également l'école au fait de
pouvoir travailler plus tard, puis elle ajoute que l'école, c'est « pour apprendre des
gens, pour ma vie quoi »35 donnant ainsi à voir le rôle central occupé par l'école dans
les représentations qu'elle nourrit au sujet de sa vie. La réponse de Ki. est
intéressante dans le sens où elle résume de manière plutôt fidèle ce que beaucoup de
jeunes ont exprimé : l'école est utile « pour apprendre le français... et pour faire un
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Entretien du 31 mars 2011
Entretien du 24 mars 2011
RICHARD, J-L., op.cit, p.11
Entretien du 15 mars 2011
Entretien du 16 mars 2011
Entretien du 24 mars 2011
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métier »36. Le rôle de l'école dans l'ouverture des portes du marché du travail, et donc
de l'intégration sociale définitivement réussie, est clairement exprimé. Toutefois, est
placée au rang d'utilité première l'apprentissage du français, apprentissage dont les
conséquences sur la vie quotidienne sont immédiatement perceptibles et
conditionnent le reste de la scolarité, de la socialisation collégienne et de la vie
future. Cette hiérarchisation est loin d'invalider l'analyse précédente, elle prouve au
contraire que les jeunes sont conscient-e-s que s'ils-elles souhaitent avoir une vie
professionnelle et sociale satisfaisant leurs désirs, il leur faut comprendre et parler
correctement la langue française.
La clé de voûte de ce système de socialisation à court et long terme par l'école est
bien l'apprentissage du français et la possibilité offerte d'en acquérir rapidement une
maîtrise satisfaisante.
B. L'apprentissage du français au cœur de
la vie scolaire des jeunes nouvellement
arrivé-e-s
La représentation que se font les jeunes de l'école comme lieu à investir en
priorité dans un objectif d'intégration est loin d'être erronée. Elle rejoint en tout cas
parfaitement le rôle qui lui est assigné par la société et en premier lieu par les
représentant-e-s politiques. Jack Lang, alors Ministre de l’Éducation Nationale,
déclare ainsi en 2001 : « L'école est un lieu déterminant pour l'intégration sociale,
culturelle et à terme professionnelle des enfants et des adolescents nouvellement
arrivés en France. Leur réussite scolaire, liée à la maîtrise de la langue française,
est un facteur essentiel de cette intégration »37. L'ancien ministre laisse entendre par
là que la maîtrise de la langue française, « qui va leur permettre de s'orienter dans un
nouvel espace qui ne peut être conquis sans elle », est la condition sine qua non de la
réussite scolaire, elle-même conditionnant l'intégration à la société française. On
36 Entretien du 25 mars 2011
37 Jack LANG, discours d'ouverture du ministre de l’Éducation Nationale aux journées nationales
d'étude et de réflexion sur la scolarisation des élèves nouvellement arrivés en France, le 29 mai
2001.
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comprend alors que le dispositif des Classes d'Accueil en France s'articule à ce point
avec des problématiques linguistiques. Les critères d'admission dans ces classes sont
avant tout linguistiques et l'objectif central de la classe est l'acquisition de la langue
française, ce qui est en adéquation avec le modèle français d'intégration. Selon
Lindsay Kupferstein38, ce modèle passe en effet quasiment exclusivement par l'école
comme principal lieu de socialisation et met l'accent sur l'unité de la nation, dont la
langue française, langue de la nation, est un symbole fort.
Les jeunes sont parfaitement conscient-e-s de cette place centrale de
l'apprentissage du français dans le système scolaire qui leur est proposé, et lui
accordent d'autant plus d'importance que dans leur vie quotidienne maîtriser la
langue française se révèle extrêmement nécessaire. Si certains parents, après
plusieurs années passées en France, ne parlent que très peu français, la situation est
bien différente pour les jeunes. Du fait de leur plus jeune âge et de la multiplication
d'interactions, en grande partie au collège, avec des francophones, parler français se
révèle à la fois indispensable et plus accessible pour les JNA que pour leurs parents.
C'est sans doute en partie ce constat qui amène les jeunes à se plier de bon cœur,
malgré les difficultés, au « jeu » de l'apprentissage du français en plongeant dans une
culture scolaire au traditionnel monolinguisme. Il sera cependant intéressant de se
demander comment les enseignant-e-s se positionnent quant au « tout français » et
quelles peuvent être les conséquences des choix enseignants sur l'acquisition du
français par les jeunes, et sur leur rapport à la langue.
1. L'apprentissage du français : source de difficultés
majeures mais vécu comme indispensable
Pour les JNA l'utilité de l'école relève de l'évidence : on y apprend le français.
C'est ce que pense Ja. et il affirme d'ailleurs que s'il parlait bien français, il n'irait
peut-être pas au collège39. La journée passée dans la CLA des Hautes-Ourmes est à
38 KUPFERSTEIN, L., Un CLIN d’œil à l’Éducation Nationale : l'organisation des dispositifs
d'accueil pour les élèves nouvellement arrivés non francophones dans les départements d'Ille
et Vilaine et de Seine-Saint-Denis, mémoire réalisé au sein du master Action et Espaces
Publics en Europe, Rennes, 2009, p.97.
39 Entretien du 16 mars 2011
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cet égard révélatrice : lorsque l'enseignante leur demande à quoi sert l'école selon
eux-elles, pourquoi ils-elles y viennent, la réponse immédiate et dominante renvoie à
l'apprentissage du français40. Il est intéressant de noter que même lorsque la question
de l'utilité de l'école n'est pas évoquée, plusieurs élèves placent tout de même
l'apprentissage du français au cœur de leur description de l'école française. Ainsi,
toujours lors de cette journée d'observation, plusieurs élèves mentionnent
spontanément l'apprentissage du français comme caractéristique de l'école française.
Cette tendance s'est vérifiée en entretien individuel, par exemple Bu. décrit ses
journées au collège en disant qu'il y fait du français, et qu'en CLA, il « apprend à
écouter et à écrire du français »41.
Cette exacerbation de la place du français dans la perception de l'école peut
s'expliquer par un point de vue sur le collège qui se confond parfois avec un point de
vue sur la CLA : les élèves ayant accordé un place centrale à l'enseignement de la
langue sont pour la plupart des élèves passant la majeure partie de leur temps scolaire
en CLA. Or, nous avons vu que la mission prioritaire du dispositif d'accueil des
élèves nouvellement arrivé-e-s est l'acquisition par ces élèves d'une maîtrise
satisfaisante du français. Cela se traduit dans l'enseignement dispensé et dans les
remarques des enseignantes. Il a également été précisé que pour les JNA, parvenir à
comprendre et à parler le français est indispensable : au collège il leur est nécessaire
de comprendre ce qui est dit en classe, mais ils-elles interagissent également en
permanence avec des élèves français-es ou francophones. Leur socialisation passe en
grande partie par la maîtrise de la langue française. Au sein même de la CLA, les
élèves parlent tous différentes langues et la langue commune de communication entre
eux-elles est souvent le français, parfois l'anglais. Il s'agit d'un double enjeu comme
le formule Céline Peigne : « le double enjeu lié à la langue cible réside dans
sa double dimension d'appropriation en tant que langue de socialisation et langue
des savoirs scolaires »42. Les élèves étant déjà sorti-e-s du dispositif CLA ou n'ayant
plus que deux ou trois heures de CLA par semaine ne tissent pas un lien aussi étroit
entre le rôle de l'école et l'apprentissage du français : maîtrisant désormais le
40 Journée d'observation le 25 février 2011
41 Entretien du 24 février 2011
42 PEIGNE C. « Solliciter pour mieux intégrer ? Stratégies enseignantes et mobilisation du
répertoire pluriel d'adolescents nouvellement arrivés », Glottopol n°11, janvier 2008.
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français, leur conception du rôle de l'école se rapproche certainement plus de celles
des élèves français-es.
L'apprentissage du français n'est pas seulement cité lorsqu'il s'agit de décrire
l'école ou son rôle : il revient également assez systématiquement quand les jeunes
évoquent les difficultés majeures rencontrées à leur arrivée en France, au début de
leur scolarisation ou encore actuellement. Ab. explique qu'au début cela a été difficile
de se faire des ami-e-s, surtout à cause de la langue. Pour Ang., la question de
l'existence et de la nature des difficultés à l'arrivée n'est même pas pertinente : cela
relève d'une évidence pour elle qu'il « était difficile de parler français »43. Ai., en
France depuis quatre ans et désormais sortie de CLA, évoque désormais avec
amusement son arrivée en 6ème44 : « les profs essayaient d'expliquer, avec des
gestes, ils expliquaient plusieurs fois », tout comme les élèves. Elle ajoute : « en
6ème c'est avec les mains, les gestes, les pieds ! ». On lit facilement entre les lignes
la dépense d'énergie et les efforts qu'ont pu demander ces premiers mois de scolarité
en français.
Le processus d'acquisition de la langue française présente des degrés de
difficultés variables selon le passé et le capital linguistique des jeunes. Il est
clairement moins laborieux lorsque les jeunes arrivent en maîtrisant déjà plusieurs
langues ou une langue proche du français. Ainsi, une enseignante de CLA expose le
cas d'un élève qui parle « espagnol et catalan, et le catalan surtout ressemble
beaucoup au français. En fait il vient d'une famille originaire du Maghreb, il parle
aussi arabe. Donc à l'arrivée il avait déjà trois langues et avec ça il apprend le
français très vite »45. Trois mois après avoir intégré la CLA, cet élève de 6ème
pouvait déjà s'exprimer correctement en français. Le cas de San. est également
éclairant : angolaise, elle parle angolais et comprend le lingala, tandis que sa mère
comprend le portugais mais s'exprime en lingala. Scolarisée en CLA en avril 2010
trois mois après son arrivée en France alors qu'elle ne parlait pas un mot de français,
elle suit aujourd'hui l'ensemble des matières en classe ordinaire et parle couramment
le français. On peut supposer que l'habitude de jongler avec les langues et la maîtrise
43 Entretien du 25 mars 2011
44 Entretien du 31 mars 2011
45 Entretien du 3 décembre 2010
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d'une langue latine ont été d'une grande aide dans l'apprentissage du français, ce à
quoi l'on peu ajouter le fait que San. a appris l'angolais à l'école dans un système
scolaire très basé sur l'écrit, et le parlait dans ce cadre. L'acquisition du français
comme langue de scolarité dans un rapport à l'écrit proche de celui connu en Angola
n'en a été que favorisée. Pour d'autres élèves, le processus est plus délicat, en
témoigne leur français encore très hésitant au bout d'un an de CLA. Une enseignante
évoque plusieurs facteurs d'explication quant à la plus ou moins grande aisance dans
l'apprentissage de la langue : la durée de présence en France, la motivation,
l'immersion linguistique, les facilités à apprendre 46. On peut y ajouter, comme nous
l'avons vu, le capital linguistique mais aussi l'âge puisque l'apprentissage d'une
langue par immersion dans le pays est en règle générale plus facile à 11 ou 12 ans
que plus tard.
La notion d'immersion linguistique est essentielle lorsqu'on s'intéresse à
l'apprentissage du français par les JNA. Si elle est présentée comme la clé des
progrès par beaucoup d'enseignant-e-s et comporte des avantages, son importance
doit cependant être relativisée. De multiples autres variables peuvent influencer la
progression des jeunes et l'immersion linguistique totale n'est pas toujours une
solution adaptée. Il semble surtout nécessaire de prendre en compte la diversité des
situations, et de s'appuyer sur les ressources linguistiques personnelles des jeunes.
2. La CLA à Rennes : immersion linguistique valorisée
mais adaptation nécessaire à la diversité des situations
La CLA étant le dispositif destiné à donner aux élèves les moyens de maîtriser la
langue française, le fonctionnement de la classe est en grande partie organisé en
fonction de cet objectif. Plusieurs heures dans la journée sont consacrées à la lecture
et à la compréhension de textes, ou à des cours de français. Cependant la
préoccupation quant à la langue est présente toute la journée même en dehors des
heures qui y sont strictement dédiées, et passe par différentes remarques et stratégies
enseignantes. En témoigne par exemple cette phrase adressée par l'enseignante de
CLA à deux élèves qui discutaient entre eux en turc : « Fa. et Mi. vous savez très
46 Entretien du 21 mars 2011
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bien qu'on parle en français dans le cours »47. Lors de son entretien, Sophie48
s'exclame : « quand les bavardages sont en français c'est gagné ! ». Le fait de
bavarder en classe est relativement toléré en CLA, ce qui a pu se noter lors des
observations réalisées, en revanche, les bavardages doivent se faire en français.
Sophie explique que quand elle a commencé à enseigner en CLA, elle punissait
sévèrement les élèves bavardant dans leur langue, leur faisant copier des lignes de
« je ne dois pas bavarder dans une autre langue ». Ayant constaté le peu d'efficacité
de ces mesures, elle se contente maintenant d'essayer de leur faire prendre conscience
par eux-elles-même que ce ce n'est pas dans leur intérêt de communiquer en classe
dans une autre langue que le français. Cependant, elle indique que si elle tolère que
par moments des élèves utilisent leur langue maternelle pour aider un-e autre élève
n'ayant pas compris quelque chose, elle pense néanmoins que ce n'est pas dans leur
intérêt car « cela ne leur permet pas de rentrer dans le système de la langue ». Elle
donne l'exemple d'un élève auquel son frère traduit tout systématiquement et qui ne
progresse pas du tout en français. Pour elle, l'immersion linguistique est absolument
nécessaire à la progression et elle regrette qu'au moins 90% des jeunes ne parlent pas
français à la maison, d'abord parce que leur famille ne le parle pas.
Pourtant si l'immersion linguistique totale peut faciliter l'acquisition rapide de la
langue, il semblerait qu'elle ne soit pas exempte d'inconvénients. Selon Robert
Berthelier49, parler sa langue d'origine à la maison n'est pas un problème pour les
enfants, bien au contraire. La langue maternelle est porteuse d'une charge symbolique
et identitaire forte, et la renier provoque chez le-la jeune des conflits intérieurs
difficiles à surmonter. Par ailleurs il ne semble pas possible d'établir de corrélation
systématique entre l'utilisation de la langue française en famille et les progrès réalisés
dans cette langue. D'une part beaucoup d'autres facteurs entrent en jeu et d'autre part
la majorité des élèves ne parlent pas français chez eux-elles et on constate pourtant
des différences de progression notable entre eux-elles. A titre d'exemple, San. ne
parle pas français avec sa mère mais pour toutes les raisons que l'on a évoqué en
amont, elle a tout de même acquis très rapidement un bon niveau de français.
D'autres élèves parlent français à la maison mais un français approximatif ou mêlé à
47 Journée d'observation 25 février 2011
48 Entretien du 21 mars 2011
49 BERTHELIER R., Enfants de migrants à l'école française, 2006.
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d'autres langues, et les tentatives de certaines familles de ne parler que français chez
elles risquent d'être déstabilisantes pour les jeunes, pouvant être apparentées, comme
le montre R. Berthelier, à une négation de la langue d'origine.
Céline Peigne constate que « les pratiques d'accueil et les habitudes
d'enseignement sont empreintes de la culture éducative locale qui, en France, est
forgée essentiellement selon un modèle monolingue/monoculturel qui ne favorise
pas, voire entrave, le recours au répertoire pluriel et plurilingue dans
l'appropriation du français et des contenus pédagogiques »50. Cette analyse peut être
articulée à la notion de « glottopolitique51 de l'établissement » proposée par Fabienne
Leconte et Clara Mortamet52. Les deux auteures opposent un collège A. où « on
acceptait voire on encourageait l'utilisation des langues véhiculaires53 par les élèves
lorsque cela permettait d'accueillir un nouveau, d'élucider le sens d'un mot ou d'une
situation, etc. » à un collège B. où « toute utilisation d'une langue autre que le
français était considérée comme néfaste pour l'apprentissage de celui-ci », les élèves
nouvellement arrivé-e-s n'étant pas même autorisé-e-s à suivre les cours de langues
étrangères proposés dans le collège. Il leur est apparu au cours de leur enquête que la
glottopolitique du « tout français » n'était pas très efficace, « les entretiens des
adolescents du collège B montrant des situations d'insécurité linguistique plus
forte ».
Dans aucun des deux collèges étudiés à Rennes on ne trouve de « glottopolitique
du tout français » poussée à cet extrême. Si les enseignantes perçoivent l'immersion
linguistique comme d'autant plus bénéfique qu'elle est la plus totale possible, elles
font preuve d'une certaine tolérance quant à l'usage de langues autres que le français.
En CLA, elles font parfois la sourde oreille, mais insistent plus souvent sur la
50 PEIGNE, C., art.cit, p.114
51 Selon J.-B. Marcellesi et L. Guespin (1986), la glottopolitique désigne les diverses approches
qu’une société a de l’action sur le langage, qu’elle en soit consciente ou non consciente.
52 LECONTE F., MORTAMET C., « Cultures d'apprentissage et mode d'appropriation des langues
chez des adolescents alloglottes », Glottopol n°11, janvier 2008.
53 Les auteures différencient dans leur article les langues vernaculaires, c'est à dire
communément parlées dans les limites d'une communauté, des langues véhiculaires, langues
qui permettent la communication entre des peuples ou des ethnies de langues différentes
(définitions du dictionnaire Trésor). Deux élèves de pays arabes, ayant des langues maternelles
différentes, mais maîtrisant tout-e deux partiellement l'arabe, peuvent ainsi communiquer entre
eux-elles.
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séparation entre la classe et l'extérieur. Ainsi une enseignante répond à un de ses
élèves qui s'adressait à elle en turc54 : « Non Fa., tu sais que le turc c'est pour les
problèmes dont tu veux me parler après le cours ». Ai., élève de 3ème sortie de CLA
raconte comment, lorsqu'elle était en 6ème, l'enseignante de CLA de l'époque limitait
le recours aux langues étrangères : « quand par exemple on lui disait madame on n'a
pas compris, elle demandait à ceux qui parlaient notre langue de nous expliquer.
Sinon non, dans la classe c'est le français et dans les autres langues c'est pour la
cour de récréation »55. Pour la majorité des élèves, cela est vécu sur le mode de la
normalité. Après avoir expliqué que la professeure de CLA insiste pour qu'elle ne
parle que français, Ren. affirme : « elle a raison, c'est un cours de français », avant
d'ajouter, « mais quelques fois ça sort tout seul ! »56.
Lors des observations en CLA, on a pu remarquer que plusieurs élèves s'excusent
lorsqu'ils sont pris-es par l'enseignante à parler dans leur langue. Ils-elles semblent
avoir complètement intégré que la seule langue légitime et autorisée en CLA est le
français et que c'est dans leur intérêt de respecter cette règle s'ils veulent progresser.
Le fait que des jeunes de CLA, n'ayant pas la même langue maternelle, se côtoient
tout les jours et sympathisent entre eux favorise également l'appropriation du français
et la conscience de son importance. Ainsi Sophie estime que le fait que sa classe
s'entende bien cette année est très positif car les élèves se voient à l'extérieur et
parlent français à l'extérieur. L'appropriation du français peut alors parfois se faire, au
moins transitoirement, sur un mode qui ne correspond pas complètement aux attentes
de l'école : les jeunes ont acquis des compétences en français qui leur permettent d'en
faire la langue d'échange entre eux, mais ils élaborent des « normes
sociolinguistiques » propres à leur groupe57. Ces normes fonctionnent comme des
codes plus ou moins déviants par rapport aux règles linguistiques françaises mais
compris de tou-te-s car élaborés ensemble au fil des échanges et des situations. Le
cas de Bu. reflète bien ce phénomène : malentendant et prononçant mal le français, il
sait néanmoins parfaitement se faire comprendre de ses camarades qui se sont
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Observation du 25 février 2011. L'enseignante parle couramment turc.
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Entretien du 24 mars 2011.
PEIGNE C., « Solliciter pour mieux intégrer ? Stratégies enseignantes et mobilisation du
répertoire pluriel d'adolescents nouvellement arrivés », Glottopol n°11, janvier 2008.
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habitué-e-s à sa manière de parler. Par ailleurs, on constate que lorsque les jeunes
échangent entre eux-elles, c'est globalement en français, mais avec des mots
empruntés à diverses langues et compris de tou-te-s.
Lieu de socialisation par excellence, offrant les outils nécessaires pour évoluer en
son sein et dans le reste de la société d'accueil, l'école est donc investie par les JNA et
leur famille en vue de se construire un avenir en France. Cet investissement rationnel
est une des grandes explications à la représentation positive qu'ont les jeunes de
l'école. Une autre explication relève d'un attachement plus inconscient à l'école, à cet
espace où les jeunes retrouvent une place, des repères et un cadre stable qu'ils-elles
avaient perdus.
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Chapitre 2 - L'école, cadre sécurisant
et peu questionné par des jeunes en
recherche de repères et de stabilité
L'école comme tout système social institutionnalisé, fonctionne autour d'un
ensemble de règles formalisées notamment dans le règlement intérieur et s'inscrit
dans un cadre matériel concret. Issu-e-s de différents milieux, différentes cultures,
ayant pour la plupart déjà été scolarisé-e-s dans leur pays d'origine, les jeunes
arrivent en France et au collège avec un regard différent de celui de leurs camarades
français-es et une expérience sociale et scolaire qui leur est propre. D'autre part,
ils-elles vivent depuis plusieurs mois dans une situation de moindre stabilité, de
bouleversement des repères, et de confort matériel précaire.
On aurait pu supposer que l'entrée au collège générerait une confrontation de
l'ordre de la violence symbolique par l'imposition de normes scolaires : si cette
hypothèse ne peut être complètement démentie, le début de la scolarisation en France
n'est en tout cas pas vécu sur ce mode par les JNA. Cela peut s'expliquer, comme cela
a été avancé précédemment, par une situation dans laquelle univers familial et
scolaire sont, à ce moment, complètement différenciés. Le-la jeune étant animé-e de
la même volonté d'intégration que celle que ses parents nourrissent pour lui-elle, la
cohésion familiale n'est pas remise en cause. Un autre faisceau d'interprétation
émerge autour de la valorisation par les jeunes du cadre que leur offre l'école, et dans
lequel ils-elles trouvent tout autant les nouveaux repères dont ils-elles ont
inconsciemment besoin, et un univers de sens qu'ils-elles sont en droit de demander à
comprendre.
Le dispositif CLA est un élément central de ce cadre rassurant : conçu
spécialement pour les jeunes nouvellement arrivé-e-s, il leur donne une place
légitime dans l'institution scolaire qu'ils-elles savent et peuvent s'approprier. Au sein
de cette classe, ils-elles sont supposé-e-s acquérir tout les outils nécessaires à un
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processus d'intégration réussi et sans blocage. Ces outils ne se limitent pas à des
connaissances scolaires et linguistiques mais touchent aussi à la maîtrise des codes
régissant les interactions, à commencer par le respect des règles, l'intériorisation de la
discipline. Confiant-e-s et motivé-e-s, les élèves nouvellement arrivé-e-s font preuve
d'une réceptivité sans obstacle à ces normes scolaires. Ils-elles semblent les accepter
et les intérioriser d'autant mieux qu'il leur est permis de poser des questions quant à
ces règles et de se les voir expliciter.
A. La CLA sas protecteur et porte d'entrée
vers le reste du monde collégien
Le groupe-classe des JNA et l'espace dans lequel il s'inscrit construisent un
monde propre aux élèves nouvellement arrivé-e-s où ils-elles trouvent leurs marques
et posent les bases d'un début de scolarité en France. Divers éléments viennent
nourrir cette dimension solide et rassurante de la CLA, et s'articulent essentiellement
autour d'un personnage-clé : l'enseignante de CLA, véritable pivot du système qui
incarne tout à la fois l'aspect protecteur du dispositif et la possibilité d'un passage
progressif au reste du collège.
1. Lieu de rituels et de cohésion du groupe : la CLA,
espace approprié par les JNA.
Tout lieu de vie scolaire est dans une certaine mesure marqué par des rituels, des
normes informelles. Des habitudes s'y créent et beaucoup de nouveaux-elles
lycéen-ne-s revenant au collège pour une raison ou pour une autre retrouvent un lieu
familier, où ils-elles se sentent un peu chez eux-elles. Pour les jeunes nouvellement
arrivé-e-s, le phénomène est peut-être plus marqué encore.
Même si au premier abord cela peut paraître anecdotique, les JNA apprécient le
confort matériel dont ils jouissent au collège de manière générale. « A l'école en
France, il y a la cantine » : un nombre non négligeable d'élèves a souligné en des
termes semblables cet aspect matériel que l'on oublie souvent. Les élèves s'attardent
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plus ou moins dessus, ce qui est certainement fonction de la nature de leur expérience
scolaire passée. Une collégienne nouvellement arrivée aux Hautes-Ourmes 58 explique
qu'elle aime l'école car les professeurs sont gentils mais également parce qu'il y a la
cantine, du chauffage, un ascenseur, et beaucoup de toilettes. Un autre insiste sur
l'accès à des terrains de sport et à des garages à vélo. La constante pour la majorité
des JNA reste la cantine, la possibilité de manger au collège. Parlant de l'école en
Mongolie, Bu. indique que c'était plus pauvre, et qu'il avait faim alors qu'ici, il n'a
pas faim, il mange au collège. San.59 mentionne également les « possibilités »
inexistantes en Angola et que propose l'école en France, et précise que par exemple
au collège elle peut travailler sur des ordinateurs.
La mise en valeur du confort matériel au collège relève certainement d'une
comparaison entre l'expérience scolaire de ces jeunes en France et dans leur pays. On
peut également supposer qu'elle se nourrit en partie d'une installation matérielle
sobre et parfois précaire en France. Rares sont les jeunes nouvellement arrivé-e-s
vivant dans l'abondance matérielle : une des élèves interrogée loge actuellement en
foyer avec sa famille, certain-e-s ont souffert ou souffrent encore de l'absence de
logement en dur. Au collège des Hautes-Ourmes, une famille de Mongols est logée
depuis l'hiver 2011 dans des logements de fonction du collège, après être passée par
une longue période à la rue. On comprend alors que ces jeunes valorisent le confort
matériel proposé par l'école, plus encore pour la qualité de vie que pour la qualité des
études que cela représente, et l'on est loin de considérations purement anecdotiques.
Si l'on s'attarde désormais sur le rapport des JNA à la CLA en tant que telle, on
constate que les jeunes semblent également s'y sentir à leur aise. Nombre d'entre
eux-elles en intégrant la CLA, y passent durant les premiers mois l'essentiel de leur
temps. Contrairement aux autres collégien-e-s, leur temps scolaire se déroule en
grande partie au sein d'une même classe en présence d'une même enseignante. Les
habitudes qui s'y créent sont donc d'autant plus ancrées dans le quotidien de ces
élèves qui s'approprient l'espace-classe de manière bien plus forte. La salle étant, de
plus, uniquement utilisée par la Classe d'Accueil, cela permet de faire apparaître
58 Journée d'observation le 25 février 2011
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concrètement des traces durables de lien entre les élèves et l'espace-classe. A la
manière des salles de langues, où les murs sont décorés d'affiches en langues
étrangères, faisant référence à l'enseignement donné dans cette classe, la salle de
CLA est également personnalisée. Simplement, la décoration n'est plus seulement
liée à la fonction de la classe mais aussi aux élèves qui l'habitent toute la journée. A
côté des outils pédagogiques, tels que des fiches de vocabulaire illustrées,
apparaissent des feuilles de présentation de chaque élève de la CLA réalisées par
eux-elles-même, marquant visuellement une appropriation de l'espace par les
élèves60. L'identité de l'espace-classe est construite non plus à partir de
l'enseignement dispensé au-delà des élèves le recevant mais à partir d'un groupeclasse précis y évoluant à un moment T. Pour les élèves, cela crée un certain lien
avec la salle, affirme leur place légitime dans cet espace et leur permet de s'y sentir
chez eux-elles.
Dans la salle, les tables sont disposées en U, favorisant l'échange entre les élèves.
Lors des deux journées d'observation en CLA61, se sont déroulées des activités très
axées sur l'oral et la participation des élèves, auxquelles ces dernier-e-s se sont
montré-e-s réceptif-ve-s. Les élèves échangent beaucoup entre eux-elles que ce soit
au cours d'activités organisées par l'enseignante ou par des bavardages qui, tant qu'ils
sont en français, sont tolérés et vont bon train. Au collège Clotilde Vautier plus
qu'aux Hautes-Ourmes, on a pu observer une certaine liberté dans les déplacements,
les élèves n'étant pas tenu-e-s de rester systématiquement assis-es à leur place. Ces
déplacements et les échanges verbaux relativement libres ayant lieu entre les élèves
durant la classe témoignent là aussi de leur appropriation de l'espace. L'utilisation de
tables individuelles aux Hautes-Ourmes y participe également, permettant une
réorganisation constante de l'espace par les élèves et l'enseignante.
Le groupe-classe n'est jamais tout à fait le même en classe d'accueil : chaque
élève est rattaché à une classe différente et à chaque heure, le groupe se modifie à la
marge, certain-e-s élèves quittant la CLA pour rejoindre leur classe ordinaire, d'autres
arrivant après avoir suivi un ou deux cours avec leur classe de rattachement.
60 Observation du 25 février 2011
61 25 février 2011 et 21 mars 2011
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Cependant, tou-te-s partagent nécessairement un certain nombre d'heures et
d'activités au sein de la CLA durant la semaine. Le fait d'avoir en commun
l'expérience de l'arrivée récente en France et les difficultés qui y sont liées termine de
souder ce groupe-classe.
Il apparaît clairement durant les observations que les élèves se sentent bien en
CLA et que l'ambiance y est agréable. D'ailleurs, s'il était important de relativiser la
perception positive de l'école par les jeunes, on peut en revanche affirmer sans risque
que les JNA apprécient la CLA, ce que tou-te-s ont tenu à mentionner. L'impression
de Jessica, enseignante en CLA, va dans ce sens également : « Je crois qu'ils s'y
sentent bien » indique-t-elle, « c'est très rare que quelqu'un indique qu'il aimerait ne
pas être en CLA. De temps en temps surtout pas le passé, quand ils passaient un peu
plus de temps en CLA62, c'est arrivé qu'un élève dise moi je suis prêt à ne plus venir
en CLA. […] Mais je crois que c'est simplement parce qu'il se sentait prêt, et c'est
pas parce qu'il n'était pas bien en CLA »63.
Comme cela a déjà été évoqué, les élèves de CLA interrogé-e-s dans le cadre de
cette enquête ont très souvent fait état des liens forts se forgeant entre eux, tel Bu.
affirmant qu'en CLA, tout le monde est ami. Ki. insiste sur l'entraide qui existe entre
les élèves de CLA, les élèves ayant compris expliquant aux autres. Ainsi, Jessica
témoigne : « cette année j'ai un groupe très sympa où les grands qui ne sont pas en
difficulté aident volontiers les jeunes s'ils sont en difficulté »64. Pour elle comme pour
Sophie, l'hétérogénéité du groupe-classe tant en termes d'âge que de niveau scolaire
ou linguistique n'est pas réellement un problème et peut même être exploitée – ce qui
demande cependant une certaine organisation – de manière avantageuse pour créer
une vraie dynamique d'entraide. Les CLA fonctionnent en effectif restreint, avec en
moyenne une quinzaine d'élèves présent-e-s par heure, nombre d'élèves qui peut
monter jusqu'à 18 ou 19 ou descendre à moins de 10 selon les heures de la journée.
Lorsque les effectifs tournent plutôt autour de 10, les conditions sont optimales pour
favoriser l'échange et l'entraide, et permettent de renforcer la cohésion du groupe.
62 Nous reviendrons en chapitre 3 sur l'évolution du cadre législatif de la CLA, et le passage à une
durée de présence en CLA limitée à un an.
63 Entretien du 3 décembre 2010
64 Ibid.
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Cette cohésion s'observe non seulement en classe mais également hors de la salle de
classe : même une fois sorti-e-s de la CLA, de nombreux-ses jeunes y étant passé-e-s
ensemble restent amis jusqu'à la fin du collège, comme An. et Ai.. Jessica confirme :
« Des élèves que j'ai reçu en 6ème par exemple arrivent en 3ème avec encore leur
meilleur ami qui est quelqu'un d'autre qui est passé par la CLA »65.
Cette cohésion du groupe-classe se construit autour d'un pilier central
indispensable : l'enseignante de CLA.
2. L'enseignante de CLA adulte référente et point de
repère fort
L'enseignante de CLA joue un rôle central dans la vie scolaire des jeunes. La
relation de confiance qui se noue entre elle et les élèves est en effet déterminante
dans leur perception de l'école, et l'enseignante est également un maillon
fondamental du triangle parents-jeune-professeur-e-s.
a. La construction d'une relation de confiance entre les jeunes
et leur enseignante
« Dans ma classe j'ai l'impression qu'on est une grande famille, chaque année
c'est comme ça », confie Jessica 66.
Entre l'enseignante et ses élèves, la relation est quelque peu différente de ce
qu'elle peut être dans une classe ordinaire. La dimension humaine du métier
d'enseignant-e est toujours fondamentale et celui-ci se cantonne rarement à un rôle de
transmission de savoirs stricto senso. Dans la relation entre les enseignantes de CLA
et les JNA, l'accompagnement plus personnel au-delà du strict domaine scolaire
semble prendre une place plus importante encore que dans une classe ordinaire, ce
qui n'est pas surprenant. Si aux yeux de l'école républicaine, un jeune passant le
portail devient un élève libéré de toute attache sociale, il est dans le cas des JNA
65 Entretien du 3 décembre 2010
66 Entretien du 3 décembre 2010
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impossible de faire abstraction de ce qui fait désormais partie de leur identité, à
savoir leur parcours migratoire et leur qualité de jeunes primo-migrant-e-s. Les
perturbations psychologiques qui peuvent être liées à ce parcours et à l'arrivée
récente en France, avec toute l'adaptation que cela implique, affleurent
nécessairement à l'école et peuvent influer sur la progression linguistique et scolaire
des jeunes. Cette dimension psychologique est donc prise en compte et en charge à
l'école, les jeunes pouvant rencontrer une assistante sociale. Quant à l'enseignante de
CLA, adulte que les jeunes côtoient le plus au sein de l'établissement, elle devient
souvent pour eux-elles le point de repère par excellence. Sa disponibilité et sa
proximité peuvent amener les jeunes à se confier spontanément. Dès l'arrivée ils-elles
vont passer un nombre d'heures non-négligeable avec elle, et celle-ci va se constituer
en intermédiaire avec le reste du monde collégien, ne serait-ce que parce qu'elle est la
personne qui, petit à petit, permet aux jeunes d'interagir dans une langue commune
avec leur entourage.
Les deux enseignantes interrogées insistent cependant sur le fait qu'elles évitent
toute intrusion dans la vie personnelle de leurs élèves, les laissant libres de se
raconter ou non. Ainsi Jessica
67
estime « qu'il y a une bonne relation dès le départ »
qui ne se traduit pas nécessairement par des confidences : « personnellement je ne
vais jamais chercher à savoir des choses sur eux. […] Je trouve que ce n'est pas à
moi de questionner, surtout que je sais que souvent derrière il y a de la souffrance.
Donc s'ils veulent dire des choses ils disent, et s'ils ne veulent pas ils ne les disent
pas ». Sophie68 se positionne de manière relativement semblable : elle explique qu'au
départ, les jeunes, freiné-e-s par la barrière de la langue et peu enclins à se confier à
une inconnue, ne lui parlent pas de leur histoire personnelle. D'autant que certaines
histoires sont vraiment difficiles. Ne voulant surtout pas provoquer de mal-être chez
les jeunes, elle a tendance à se mettre plutôt en retrait sur ce plan, tout en restant à
l'écoute. Avoir connaissance de ce qu'ils-elles ont vécu peut parfois aider à
comprendre certains blocages, mais elle ne recherche pas à savoir à tout prix. Il faut
simplement que les jeunes sachent qu'elle ou l'assistante sociale seront à l'écoute
s'ils-elles le souhaitent.
67 Entretien du 3 décembre 2010
68 Entretien du 21 mars 2011
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Ainsi, entre les élèves nouvellement arrivé-e-s et l'enseignante de CLA, se
construit peut à peu une relation de confiance durable. Sans s'imposer, les
enseignantes sont extrêmement présentes et attentives aux JNA. Lors de l'observation
aux Hautes-Ourmes69, l'une d'elle demande à un élève entrant en classe s'il n'est plus
malade, à un autre, handicapé moteur, si son pied va mieux. Plus tard, elle prend cinq
minutes avec un élève pour commenter le bulletin trimestriel qu'il vient de recevoir.
Bu., malentendant, témoigne que Jessica a rencontré plusieurs fois sa mère pour
trouver ensemble une solution à ce problème, et fait en sorte qu'il obtienne un
appareil auditif. Malgré la dispersion de leurs élèves dans de multiples classes, les
enseignantes de CLA disent tenter de se rendre au maximum de conseils de classe
possible. Quant aux conseils auxquels elle ne peut pas assister, Sophie y intervient
tout de même par transmission de messages à ses collègues. Parfois, même si cela
reste rare, l'investissement va plus loin, comme dans le cas de cette mobilisation pour
une élève sous le coup d'une Obligation à Quitter le Territoire Français (OQTF) ou
pour l’octroi de logements de fonction du collège à des élèves nouvellement
arrivé-e-s et à leur famille, sans logement jusque là.
Ce genre de mobilisations, au même titre que l'attention et la disponibilité dont
font preuve les enseignantes de CLA, sont autant d'éléments contribuant à en faire
pour les JNA des adultes sur lesquels ils-elles savent pouvoir compter. La relation
privilégiée existant entre les JNA et les enseignantes de CLA fait de ces dernières des
intermédiaires entre les jeunes et le reste du corps enseignant, intermédiaire autant
sollicité par un groupe que par l'autre.
b. L'enseignante de CLA, un rôle d'intermédiaire dans le
triangle élèves-professeurs-famille
Il est fréquent que l'enseignante de CLA assure la liaison entre les autres
professeurs et les élèves nouvellement arrivé-e-s. En cas de problème dans une
discipline, ceux-celles-ci se tournent quasiment systématiquement vers leur
enseignante de CLA. « Dès les premiers jours en général, quand ils ont un problème
au collège, ils viennent me voir, ils attendent de moi que je fasse l'intermédiaire »,
69 Observation du 25 février 2011
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raconte Jessica , « ça peut continuer même l'année d'après ou même deux ans après
quand ils ne sont plus dans ma classe qu'ils continuent à venir me demander de
temps en temps d'intervenir »70. On observe la même situation à Clotilde Vautier :
Sophie cite ainsi l'exemple d'une élève, intégrée en cours de mathématiques depuis
peu, venue lui demander si elle pouvait se contenter pour le moment d'assister aux
cours de calcul, la géométrie étant trop compliquée pour elle 71. En ma présence, une
autre élève vient la voir à la fin d'un cours de CLA pour l'informer qu'elle a perdu un
manuel, attendant visiblement une solution de la part de l'enseignante.
Tous ces détails sont extrêmement révélateurs de la place qu'occupe l’enseignante
de CLA dans l'univers de référence des élèves. Elle est la personne adulte qui les
connaît le mieux dans le collège, celle qui les a vu arriver et dont l'objectif premier
est de faciliter leur intégration. Durant les premiers mois, les JNA passent
énormément de temps en CLA et ont donc tout le loisir de développer avec leur
enseignante une relation plus approfondie. L'enseignante de CLA symbolise
également ce petit monde de la CLA qui, bien qu'ouvert sur l'extérieur, reste
rassurant car construit par et pour les JNA. Il est cependant important pour Sophie
que les élèves s'autonomisent et il lui arrive régulièrement d'expliquer à ceux-celles
venant demander son aide qu'elle ne peut, dans ce cas précis, rien faire pour eux-elles
et qu'il leur faut s'adresser directement au professeur concerné.
Elle n'est en réalité pas seulement sollicitée dans son rôle d'intermédiaire par les
élèves mais également par les autres enseignant-e-s. Lorsque se pose un problème
avec un JNA, l'enseignant-e concerné-e semble souvent en référer à l'enseignante de
CLA. Sa meilleure connaissance de l'élève et de sa situation peuvent en effet éclairer
certaines difficultés. Les professeur-e-s peuvent également faire appel à l'enseignante
de CLA quand il s'agit de rencontrer les parents. Là encore, l'enseignante de CLA est
souvent plus proche de l'élève, plus à même de comprendre certaines choses, et est
peut-être plus habituée à l'interaction avec des personnes peu francophones. Une
enseignante est ainsi venue demander à Sophie si elle accepterait de rencontrer les
parents d'un élève avec elle. Malgré le temps et l'énergie que cela représente, cette
70 Entretien du 3 décembre 2010
71 Entretien 21 mars 2011
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communication constante avec les autres enseignant-e-s semblent être une des clés de
la réussite du processus d'intégration des élèves dans leur classe de rattachement.
3. Le système CLA au cœur d'un processus d'intégration
progressive au monde collégien
Le principe de fonctionnement des classes d'accueil de Rennes est en effet celui
d'une intégration progressive, matière par matière en fonction de la progression
linguistique et scolaire de l'élève. Dès les premières semaines, les jeunes sont
intégré-e-s en cours de musique ou d’Éducation Physique et Sportive (EPS), dans
lesquels une moindre connaissance du français est peut-être moins problématique.
L'objectif de la CLA est de permettre aux jeunes de pouvoir intégrer leur classe de
rattachement dans l'ensemble des matières, rapidement et dans les meilleures
conditions possibles. Les enseignantes doivent alors gérer l'hétérogénéité du groupeclasse afin que chacun bénéficie d'un enseignement adapté à son niveau linguistique
et scolaire initial et qui favorise une progression rapide. Elles peuvent s'appuyer sur
l'entraide existant entre les élèves, et mettent également en place des stratégies
pédagogiques adaptées. Au sein de la CLA des Hautes Ourmes, l'enseignante
travaille beaucoup par groupes de niveau, menant parfois plusieurs activités de front
au cours de la même heure afin de proposer des cours les plus adaptés possibles au
niveau de chacun, à leurs besoins pour être intégré-e-s dans de nouvelles matières ou
pour ne pas éprouver trop de difficultés dans celles qu'ils-elles suivent déjà. Sophie a
moins d'élèves que sa collègue ce qui lui permet d'individualiser plus facilement le
travail et le suivi.
Si en CLA l'enseignement est adapté au mieux à chaque élève ou groupe d'élèves,
l'intégration en classe de rattachement se fait également au cas par cas. L'enseignante
décide avec l'élève dans quelle matière il-elle va être intégré-e, matière par matière.
Les élèves composent ainsi leur emploi du temps en fonction des heures passées en
classe ordinaire et des heures qu'ils continuent à suivre en CLA. Beaucoup d'élèves,
bien que suivant l'ensemble des cours avec leur classe, continuent de venir une ou
deux heures par semaine en CLA, pour du soutien par exemple. Sophie72 constate
72 Entretien du 21 mars 2011
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que l'intégration des élèves en classe ordinaire se passe d'autant mieux qu'elle est
progressive et qu'ils-elles ont encore quelques heures en CLA, même lorsqu'ils-elles
maîtrisent bien le français. Elle suppose que sans cela les élèves se sentent un peu
perdu-e-s ce qui semble tout à fait plausible compte-tenu des repères que représente
la CLA pour eux-elles. Il ne faut pas oublier que ces jeunes dont l'adolescence a été
bouleversée par une entreprise migratoire sont en recherche de stabilité. En entrant
au collège, ils-elles trouvent dans la CLA des repères solides et une porte d'entrée sur
le reste du collège, un sas où ils-elles découvrent en toute sécurité les codes
nécessaires pour évoluer dans le monde collégien. Couper brutalement tout lien avec
la CLA, même lorsque l'élève semble objectivement capable de se débrouiller en
classe ordinaire reviendrait à ordonner à un-e gamin-e qui vient tout juste
d'apprendre à nager de se jeter au milieu du grand bassin plutôt que de nager près du
bord : situation déstabilisante et angoissante. Le maintien d'une ou deux heures de
CLA dans l'emploi du temps des JNA leur permet de vivre plus sereinement leur
scolarité une fois complètement intégré-e-s. Cela permet dans un même temps de
continuer un suivi régulier afin de s'assurer que les jeunes ne lâchent pas subitement
prise en classe ordinaire.
Se sentir officiellement rattaché-e-s à la CLA, et ce dès le début de l'intégration,
est également rassurant pour les jeunes en ce que cela fonctionne comme une sorte
de protection, de droit à l'erreur. Ils-elles se sentent bien plus autorisé-e-s à poser des
questions, à exprimer leur difficultés, à faire des erreurs, du fait qu'ils-elles soient en
CLA. Ki. exprime cela en toute honnêteté lors de son entretien73 : il passe 9h par
semaine en CLA, et le reste du temps suit les cours avec sa classe de 5ème mais il a
beaucoup de devoirs qu'il ne comprend pas tout le temps. Je lui demande ce que
disent les professeur-e-s dans ce cas : « que c'est pas grave, parce que je vais en CLA
donc c'est normal ».
Aux Hautes-Ourmes, les élèves avaient même l'habitude de se présenter
spontanément en CLA lorsqu'ils-elles avaient des heures de permanence, même
quand cela ne faisait pas partie des heures prévues. Jessica a néanmoins dû poser des
limites à ce genre de libertés : « s'ils ont une heure de permanence ils demandent
73 Entretien du 25 mars 2011
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s'ils peuvent venir, ce que maintenant je ne peux plus accepter parce que le groupe
devient trop nombreux. Ceux qui ont quelques heures de soutien chez moi arrivent
dans les heures qu'on a décidées ensemble, et sinon je dois dire non »74. Quoi qu'il en
soit, l'intégration se fait progressivement et Sophie explique que des « allersretours »75 sont même envisageables lorsque le jeune le demande comme dans le cas
de l'élève revenue en CLA pour les cours de géométrie. Cela nécessite une bonne
communication entre professeur-e-s et une certaine volonté de coopération, qui
semble exister dans les deux collèges étudiés.
A la fois sécurisante et ouverte sur le reste du monde collégien 76, la CLA favorise
une transition progressive vers celui-ci, non seulement en termes purement scolaires
mais aussi concernant les règles régissant la « société » collégienne. Source de
repères et de stabilité comme nous l'avons montré, elle place les jeunes dans de
bonnes dispositions pour s'adapter au mieux aux règles du collège. Elle permet aux
élèves de s'y confronter dans un premier temps dans un cadre qui leur est devenu
familier et agréable, et où ils-elles peuvent questionner ses règles afin de les
comprendre. C'est certainement ce qui mène également les jeunes à valoriser la
discipline au collège, ou du moins à l'accepter sans manifester de réticences.
B. Une discipline acceptée voire valorisée :
contexte propice à une intériorisation fluide
des normes scolaires
Par le biais de l'acquisition de méthodes, de compétences et de connaissances,
l'institution scolaire a pour but de mener les élèves vers une autonomie croissante
leur permettant d'évoluer sans souci dans la société. En réalité, elle fait effectivement
en sorte que les jeunes maîtrisent les codes en vigueur dans la société qui les entoure,
qu'ils-elles y trouvent une place, mais en guise d'autonomie c'est surtout une autodiscipline qu'elle leur enseigne. Selon Charlotte Nordmann, « l'injonction perpétuelle
74 Entretien du 3 décembre 2010
75 Entretien du 21 mars 2011
76 Dans certaines académies, les CLA fonctionnent comme des classes fermées, mais ce n'est
pas le cas des deux CLA rennaises étudiées.
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à l'autonomie a surtout le sens d'un rappel à l'auto-discipline, tandis que l'objectif de
parvenir à la maîtrise des outils nécessaires à l'autonomie intellectuelle reste tout à
fait mineur »77. L'auteure étudie ici le système scolaire classique mais ses réflexions
sont en grande partie applicables au dispositif d'accueil des primo-arrivants. Si C.
Nordmann se penche plus spécialement sur la pédagogie, le mode d'enseignement et
de transmission des savoirs78, il sera plus question ici d'étudier un vecteur autodisciplinant complémentaire: le rapport aux normes et à la discipline scolaire qui se
construit dans les interactions quotidiennes. Il s'agit à l'école d'intégrer au plus vite
les hiérarchies sociales, la place que l'on peut y occuper, et la manière dont il faut s'y
comporter. Motivé-e-s par un projet d'intégration dans lequel l'école tient un rôle
central et acceptant des règles scolaires qui pour eux-elles s'apparentent à de
nouveaux repères, les JNA sont à cet égard des élèves idéaux-les.
1. Interrogations et acceptation : des règles
interpellent mais sont décrites comme légitimes
qui
Découvrant la discipline en vigueur au collège, les JNA font preuve d'une
certaine distance et s'interrogent au sujet de ces règles, de leur raison d'être.
Cependant leurs interrogations semblent nourries par une curiosité et une soif de
comprendre, plus que par des réticences à se plier aux normes. Une fois expliquées et
comprises, ces règles leur apparaissent bien souvent comme légitimes et c'est ainsi
qu'ils-elles les présentent.
a. « d'un côté c'est sévère ici, mais d'un autre côté c'est bien »
L'exercice proposé par l'enseignante de la CLA des Hautes-Ourmes 79 a révélé à
quel point les règles disciplinaires en vigueur au collège interpellent les JNA.
Ceux-celles-ci sont en effet loin d'être passif-ve-s par rapport aux règles et normes
77 NORDMANN, C., La Fabrique de l'impuissance 2, L'école, entre domination et émancipation,
Éditions Amsterdam, Paris, 2007, p.51.
78 Elle affirme ainsi que « l'institution scolaire se soutient tout entière de la croyance qu'il est
impossible d'apprendre correctement par soi-même, sans les maîtres et leurs méthodes. On y
apprend donc d'abord sa dépendance foncière à des spécialistes et la nécessité de respecter la
hiérarchie stricte des apprentissages, du plus simple au plus complexe, selon une progression
infinie ». p.49
79 Se reporter à la note de bas de page n°15
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qu'il leur est enjoint de respecter. Même si cela ne s'inscrit visiblement pas dans une
volonté de remise en cause de ces règles, les jeunes s'interrogent et réclament des
explications.
Plusieurs élèves ont abordé dans leur description de l'école des éléments relevant
de la discipline scolaire. Ainsi, un élève turc affirme que l'école française est
différente de l'école turque puisqu'en Turquie, « il n'y a pas de discipline », les élèves
peuvent par exemple sortir du collège sans en demander l'autorisation. Au contraire,
cet élève valorise la discipline exercée au collège en France. Il est intéressant de
remarquer que ce jeune est qualifié d'élève perturbateur par ses enseignants, et donc
en marge de la discipline, ce qui ne l'empêche pas de considérer légitimes et utiles
(ou de décrire comme telles) les règles qui lui sont imposées. Un jeune marocain
exprime son étonnement face à l'existence des carnets de correspondance et du
système des « maisons » : au collège des Hautes-Ourmes, les élèves sont répartis en
maisons sur le modèle des établissements anglais. Au long du semestre, ils apportent
bons ou mauvais points à leur maison. Au cours de la conversation suivant l'exercice,
ce même élève interroge l'enseignante sur l'utilité des carnets de correspondance et
l'ensemble de la classe réfléchit ensemble à la question. Très rapidement il apparaît
que les jeunes savent parfaitement à quoi sert le carnet – communiquer avec les
parents, avoir son emploi du temps sur soi, permettre aux assistant-e-s d'éducation de
connaître l'identité de l'élève – et le perçoivent comme légitime.
En entretien individuel, Ab.80 revient sur le carnet comme différence existant
entre l'école au Maroc et en France : il explique que cela l'a surpris au début mais que
maintenant il trouve ça bien pour la communication avec les parents, les réunions. Il
est bien entendu difficile de savoir si Ab. a construit sa réponse en fonction de ce
qu'il a pu penser qui était attendu de lui ou s'il a réellement exprimé ce qu'il pense de
ces carnets. Cependant, il a semblé, dans sa manière même d'aborder le sujet,
éprouver plus d'étonnement que d'animosité face au dispositif. Ai. et An. 81 évoquent
elles-aussi spontanément la discipline comme caractéristique de l'école française les
ayant surprises à leur arrivée : « ici t'as pas le droit de sortir », il n'y a pas non plus le
80 Entretien du 16 mars 2011
81 Entretien du 31 mars 2011
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droit au portable dans l'enceinte de l'établissement alors que, selon Ai., « chez nous
on est plus tranquille par rapport à ça ». An. confirme que chez elle les élèves
sortent quand ils le souhaitent, et répondent à leur portable en cours. Cependant, pour
Ai., « d'un côté c'est sévère ici, mais d'un autre côté c'est bien, tout le monde écoute,
tout le monde fait son travail ».
La discipline n'est pas unanimement valorisée par les jeunes interrogé-e-s.
Beaucoup n'en parlent pas, et pour San. par exemple, il est étrange de ne pas pouvoir
quitter le cours pour aller au toilette par exemple. Elle considère qu'ici « c'est moins
libre »82, et ne le présente pas sous un jour spécialement positif. Néanmoins, le
simple fait que trois élèves aient spontanément évoqué les règles en vigueur dans le
collège comme un aspect sinon plaisant du moins accepté traduit une relation apaisée
à la discipline.
Ce phénomène se rapproche fortement de ce qui peut être observé chez des
enfants dont l'univers est subitement bousculé, comme dans le cas d'un divorce
parental par exemple. Ces jeunes, comme les JNA, perdent soudain les repères qui
ont jusque là structuré leur vie quotidienne et recherchent alors un nouveau cadre,
des limites, des repères. Pour les jeunes nouvellement scolarisé-e-s en France, la
découverte de règles de discipline, définies et immuables est certainement
rassurantes. Ils-Elles entrent de nouveau dans un univers dont les règles sont certes
nouvelles et inconnues pour eux, mais dont ils-elles savent que leur est donnée
l'opportunité de les connaître et de les maîtriser. Ceci peut expliquer qu'à cette étape
de la scolarisation83, on observe très peu de remise en cause de la discipline imposée
et plutôt une acceptation et parfois même, une valorisation de celle-ci. Cette
acceptation passe grandement par la possibilité qui est donnée aux jeunes de poser
des questions au sujet de ces règles et de les comprendre, qui semble s'inscrire dans
un désir de compréhension plus général.
82 Entretien du 15 mars 2011
83 On peut supposer, sans être par cette étude en mesure de le confirmer, que la sortie
progressive de la phase de découverte et d'adaptation au monde scolaire et au monde social
français entraîne une prise de distance avec les normes qui y sont liées. Des prises de
positions plus critiques apparaîtraient alors, à l'instar de celles d'une partie des élèves
scolarisé-e-s en France depuis plus longtemps ou depuis toujours.
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b. Le droit de poser des questions et d'avoir des réponses : des
règles expliquées, dans une école satisfaisant le désir de
comprendre
A plusieurs reprises des jeunes ont mis en exergue la possibilité qui leur était
donnée de poser des questions en classe ou au collège et d'obtenir des réponses. Ce
qui peut sembler un phénomène complètement anodin et normal, est retenu et
valorisé par les JNA. Ainsi Ren.84 illustre sa bonne relation avec les professeur-e-s
par le fait que ceux-celles-ci soient toujours disponibles pour répondre à ses
questions : « parfois je ne comprend pas quelque chose mais je demande et voilà ».
Quand à l'enseignante de CLA, elle est « super sympa, elle explique tout ». Dans ces
deux affirmations, l'élève exprime clairement l'importance qu'elle accorde à la
possibilité de poser des questions, et d'obtenir des réponses. Ce qui peut paraître
paradoxal au premier abord prend alors tout son sens : le collège représente certes un
univers nouveau, où les codes d'interaction sont méconnus, où tout est à apprendre,
mais c'est également un lieu où il est légitime de vouloir comprendre et de poser des
questions en attendant des réponses. Les enseignant-e-s ayant tout intérêt à ce que les
élèves nouvellement arrivé-e-s intègrent au plus vite les règles du collège semblent
être de bonne volonté dans ce jeu de questions-réponses et satisfaire les attentes des
élèves. Cette situation tranche visiblement avec l'expérience migratoire vécue par les
jeunes, durant laquelle ils-elles sont grandement dépossédé-e-s de la maîtrise des
événements mais également de la possibilité d'en comprendre les tenants et les
aboutissants. Les parents et adultes partageant l'expérience n'ont en effet pas toujours
l'envie ni la possibilité d'expliquer le déroulement des choses aux adolescent-e-s,
eux-elles-même étant parfois dépassés par la succession d'événements et de
situations auxquelles il s'agit de faire face.
Cela explique ainsi que, bien que s'interrogeant et demandant beaucoup
d'explications quant aux règles notamment disciplinaires, les JNA se montrent très
rarement vindicatif-ve-s à ce sujet. J'ai ainsi pu assister à une discussion entre
l'enseignante de CLA de Clotilde Vautier et ses élèves, à un début de cours 85 : une
84 Entretien du 24 mars 2011
85 Observation du 21 mars 2011
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élève interpelle la professeure en lui demandant pourquoi dans certains cours il faut
attendre l'autorisation du professeur avant de s'asseoir alors qu'en CLA ce n'est pas
nécessaire. L'enseignante explique qu'il n'y a pas une méthode meilleure qu'une autre
et que certain-e-s professeur-e-s estiment que c'est une question de respect mais
qu'elle-même pense que les élèves n'ont pas besoin de cela pour la respecter. Comme
lors de l'épisode des carnets de correspondance, on ne sent pas de remise en cause du
côté des élèves, mais bien plutôt de la curiosité, une envie de comprendre ces règles
qui existent au collège.
2. Les JNA, parfaits sujets d'un apprentissage de « ce
que c'est d'être à l'école »
Cette réceptivité des JNA face à la discipline et aux règles scolaires facilite
grandement la tâche de l'école en ce qui concerne la transmission des codes et
normes de l'établissement mais aussi plus généralement la transmission d'une culture
propre à l'institution scolaire dans son ensemble.
Il n'y a encore pas si longtemps, il était courant de commencer la journée scolaire
par l'inscription au tableau d'une maxime générale, s'apparentant à un enseignement
moral devant guider les comportements des élèves. Aujourd'hui, la dimension morale
de l'enseignement a cédé place au civisme, notamment par les cours d'éducation
civique où on trouve l'idée d'enseigner aux élèves des règles de citoyenneté
nécessaires à la vie en société. La CLA s'inscrit partiellement dans cette démarche
pour les ENA : c'est un espace dans lequel les élèves se familiarisent avec les normes
en vigueur au collège, et qui reflètent des règles sociales plus générales. Mais cet
apprentissage passe en majeure partie par les interactions quotidiennes plus que par
le contenu de l'enseignement. Les exemples de l'apprentissage du français ou de
l'intériorisation d'un rapport individualisé aux notes permettront de l'illustrer.
2011
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a.
Des interactions quotidiennes à l'intériorisation des
normes : transmission d'une culture scolaire non neutre
Selon Marlaine Cacouault-Bitaud et Françoise Oeuvrard, la scolarisation en
maternelle favorise la réussite des apprentissage par la suite. Elles l'expliquent en
grande partie par le fait que la fréquentation de la maternelle, « ce contact précoce
avec l'école », « [facilite] l'adaptation et la familiarisation avec les exigences
scolaires »86. Or les JNA, même lorsqu'ils-elles ont été scolarisé-e-s dans leur pays
d'origine, n'ont pas connu la même école ni été baigné-e-s dans la même socialisation
scolaire. Il leur faut en arrivant au collège en France, s'adapter à tout un ensemble de
normes officielles et implicites qu'ils-elles ne peuvent deviner à partir de leur seule
expérience de scolarisation chez eux. Parlant des CLIN (Classes d'Initiation)87,
Jessica affirme ainsi que « si un élève n'a jamais été à la maternelle c'est pas la
même chose que s'il a été à la maternelle. Surtout par rapport à son attitude, à sa
compréhension de ce que c'est d'être à l'école, à son acceptation des règles de vie »88.
On peut élargir cette remarque à la situation de l'ensemble des jeunes nouvellement
arrivé-e-s, bien que le fossé à franchir dans l'adaptation à un nouveau système soit
plus ou moins large selon le passé des jeunes. Les CLA comme les CLIN sont alors
non seulement des classes de mise à niveau en langue française et dans les diverses
disciplines enseignées au collège, mais également des instances d'apprentissage et
d'intériorisation des exigences scolaires de quelque type qu'elles soient.
Le déroulement des interactions au sein de la CLA, du moins tel qu'il s'est
présenté lors de mes deux observations, est à cet égard riche d'enseignements. En
témoignent les nombreux rappels à l'ordre, plus fréquents dans une des deux CLA
que dans l'autre : il faut lever la main pour parler, on reste à sa place pendant le
cours, on ne tutoie pas l'enseignante, on ne prend pas la parole n'importe quand ni
n'importe comment. Émises dans une ambiance détendue, par des enseignantes
faisant preuve de tolérance et de souplesse, ces remarques n'empêchent pas la
valorisation des interventions des élèves. Cependant elles posent un cadre large qui
86 CACOUAULT-BITAUD, M., OEUVRARD, F., Sociologie de l'éducation, quatrième édition, La
Découverte, Paris, 2009, p. 20.
87 Ces classes, au nombre de quatre réparties sur deux collèges de Rennes, accueillent les
enfants de moins de douze ans nouvellement arrivés en France et s'installant à Rennes.
88 Entretien du 3 décembre 2010
2011
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Camille Giraudon
doit, à force d'être rappelé, se fixer dans l'esprit des élèves et modeler leur
comportement en classe. Ainsi, c'est bien plus les interactions quotidiennes que le
programme scolaire en soi qui enseigne « ce que c'est d'être à l'école ».
Bien entendu, le programme de CLA, inspiré du programme scolaire des classes
de la 6ème à la 3ème, mériterait à lui seul d'être étudié. On peut d'ores et déjà
avancer que ce programme reflète la domination à l'école d'une « culture
française des classes moyennes » si tant est qu'il en existe une. Cependant, il
semblerait que les enseignantes de CLA ne s'attachent pas à la transmission explicite
d'une « culture française » dans le contenu de leur enseignement. Jessica explique
ainsi qu'elle aime faire étudier des textes africains à ses élèves et cite en exemple un
livre de Tahar Ben Jelloun sur le travail des enfants, concluant : « c'est pas vraiment
la culture française qu'on fait là, mais c'est de l'éducation civique quand même »89.
b. L'apprentissage du français et le rapport aux notes : deux
exemples de l’intériorisation des exigences et hiérarchies
propres au monde scolaire
L'apprentissage du français participe pleinement de cette acceptation des règles
non seulement scolaires mais également sociales. Selon Henri Lacour, reprenant dans
son mémoire les analyses de Bourdieu, l'apprentissage d'une langue est vecteur de
l'intériorisation d'une structure sociale : « à travers l'enseignement au jour le jour de
la langue, l'enfant n'apprend pas que le code du langage mais intériorise la structure
sociale du milieu »90. En effet, une langue est à l'image de la structure de la société
qui la parle, et reflète les modes de perception du monde, les modes d'interaction.
D'autre part, Bourdieu affirme que « les échanges linguistiques sont aussi des
rapports de pouvoir symboliques où s'actualisent les rapports de force entre les
locuteurs ou leurs groupes respectifs »91.
89 Entretien du 3 décembre 2010
90 LACOUR, H., Itinéraires et perspectives scolaires des jeunes issus de l'immigration turque,
Trajectoires plurielles des franco-turcs de Rennes, mémoire IEP de Rennes, 2007, p. 60
91 Ibid
2011
56/95
Camille Giraudon
Ainsi, lorsque un-e élève s'exclame « Madame ! Tu... » et est corrigé-e par
l'enseignante en « Madame, vous... »92, se déroulent en réalité une multitude de
micro-phénomènes : l'élève se voit enseigner la règle du vouvoiement, indispensable
à la compréhension et à la gestion de nombreuses interactions tant dans l'enceinte
scolaire qu'au dehors. La correction traduit également un rappel volontaire ou non de
la hiérarchie existant entre les différents groupes de personnes qui interagissent au
collège. Enfin, et cela échappe bien entendu à l'action consciente des enseignant-e-s,
l'échange verbal entre les JNA et les enseignant-e-s est nécessairement déséquilibré :
les jeunes y subissent une domination symbolique forte du simple fait qu'ils-elles ne
maîtrisent pas complètement la langue de l'échange. Ils-Elles peuvent être repris-es,
et sont condamné-e-s à exprimer de manière simplifiée ce qui dans leur tête peut être
très subtil, subtilité qu'ils-elles ne sont pas capables de traduire en mots français.
Cette situation et l'impossibilité dans laquelle ils-elles sont d'avoir recours à leur
langue d'origine, les place en position de faiblesse par rapport aux enseignant-e-s et à
l'institution éducative dans son ensemble. On peut supposer que cela renforce le désir
de s'adapter au plus vite et le sentiment d'être illégitime à remettre en cause quoi que
ce soit.
Un second exemple frappant de l'intériorisation et l'acceptation des exigences
scolaires est celui de la construction d'un rapport individualisé à la « réussite » et à
« l'échec scolaire » que l'on peut notamment cerner à travers le regard porté par les
jeunes sur leurs notes. François Dubet93 propose une analyse de ce qu'il appelle
l’internalisation, le fait que l'échec soit accepté comme personnel et sans aucun lien
avec des mécanismes sociaux et scolaires qu'il n'y aurait pas lieu de questionner :
« chacun est tenu de se percevoir comme le responsable de son action au prix d'un
désocialisation radicale des problèmes sociaux dont il peut être la victime » et « les
enjeux collectifs deviennent alors des épreuves individuelles ». Les mots mis par
Ren. sur son rapport aux notes illustrent parfaitement cette analyse : quand elle a une
bonne note, « [elle] se sent bien » alors que quand elle a une mauvaise note, elle se
dit « bah voilà, faut travailler encore »94. Le simple fait de comprendre ce qui se dit
92 Observation du 25 février 2011
93 DUBET, F., Faits d'école, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris,
2008, p.46
94 Entretien du 24 mars 2011
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Camille Giraudon
en cours ou de faire ses devoirs, demande de réels efforts aux jeunes nouvellement
arrivé-e-s. Et pourtant, Ren., lorsqu'elle obtient une mauvaise note en conclue qu'elle
n'a pas assez travaillé, et qu'il faut continuer les efforts : la mauvaise note, l'échec,
sont vécu-e-s comme personnel-le-s, venant uniquement d'un manquement de sa part,
et la solution doit donc également venir d'elle, de l'élève, et dans ce cas précis, du
travail fourni. Quant à Ang., lorsqu'elle reçoit une mauvaise note elle se dit
simplement : « il faut que je me débrouille »95. Là encore, on sent qu'Ang. n'attend la
solution de personne d'autre qu'elle même, ne remet pas en cause la note qui lui est
attribuée et considère simplement que si elle n'est pas satisfaite de sa note, il faut
qu'elle mobilise ses ressources disponibles afin que cela ne se reproduise pas.
Intégrant complètement cette responsabilité individuelle, les jeunes n'ont pas
conscience que leur parcours scolaire se construit pourtant au sein d'un système qui
influe sur celui-ci, et les dépossèdent en partie de leur capacité à peser sur leur propre
parcours.
95 Entretien du 25 mars 2011
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Camille Giraudon
Chapitre 3 - Entre
facteurs
extrascolaires déstabilisants et limites
du système scolaire : des adolescent-e-s
confronté-e-s à un parcours scolaire
complexifié
En dépit du discours plutôt positif des jeunes sur l'école et des faits avec lesquels
ils sont corrélés, force est de constater que les conditions de scolarisation des jeunes
sont loin d'être évidentes. En un sens, cela donne plus de poids encore à leur
discours : au-delà de toutes les difficultés qu'ils peuvent rencontrer à l'école, les JNA
restent confiant-e-s et motivé-e-s, en tout cas les premières années. Il faut néanmoins
relativiser et constater que même si les jeunes ne s'étendent pas sur la question,
ils-elles vivent des situations sociales, familiales, difficiles, qui ont nécessairement
des répercussions sur leur scolarité. Tout un pan des entretiens avec les personnes
travaillant en contact avec les jeunes permet de mettre en lumière cet aspect des
choses. Ce chapitre s'appuiera également sur des anecdotes racontées par les jeunes
d'une manière parfois anodine mais qui restent révélatrices.
Avant de développer les éléments propres à la situation des jeunes nouvellement
arrivé-e-s qui, malgré les dispositions positives des jeunes vis-à-vis de l'école,
contribuent à complexifier leur scolarité, il apparaît essentiel de rappeler que les JNA
sont également confronté-e-s à tout un ensemble de problématiques caractérisant ce
que l'on nomme généralement l'adolescence. Jessica y tient : « Ce que parfois les
gens oublient, c'est que déjà au départ les élèves sont des jeunes comme les autres
donc déjà au départ ils sont sujets à tous les problèmes auxquels sont sujets les
jeunes et après en plus, il y a le problème d'avoir quitté son pays, d'avoir à
apprendre une langue, de ne peut-être pas avoir de logement, et tout ça, ça vient en
plus. J'ai des dyslexiques parce que à peu près un jeune sur dix est dyslexique. En ce
moment j'ai deux élèves en fauteuil. J'en ai un autre qui est malentendant, qui
2011
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n'entend rien d'un côté et qui a un appareil de l'autre »96. Si ces problèmes auxquels
sont confronté-e-s les adolescent-e-s ont peut-être plus de répercussions chez les JNA
du fait de la plus grande difficulté de prise en charge, ils n'en restent pas moins des
réalités parfois partagées par beaucoup de jeunes de leur âge.
Il en va de même dans les relations sociales qu'entretiennent les jeunes entre
eux-elles. J-M de Queiroz97, reprenant le concept de François Dubet, estime que pour
la majorité des collégiens, le « métier de collégien » consiste à trouver un équilibre
entre la culture juvénile et la culture scolaire. Si ce mémoire fut plutôt l'occasion
d'insister sur l'intériorisation des normes scolaires, il n'en reste pas moins que les
jeunes nouvellement arrivé-e-s, comme les autres adolescent-e-s, apprennent à
évoluer dans un monde juvénile possédant lui aussi ses propres codes, afin de
parvenir à concilier ces deux logiques. Il s'agit d'un défi commun à tou-te-s les
jeunes, bien qu'il prenne peut-être des dimensions supplémentaires et se résolve
différemment de part le récent passé migratoire des JNA et leurs ressources sociales
propres.
Il est désormais envisageable d'interroger plus précisément les défis spécifiques
aux JNA, qui viennent s'ajouter à ces problématiques. Dans un premier temps il
s'agira d'explorer les ambivalences de la relation entre l'école et les familles, les
ressorts de cette interaction et les conséquences pour les jeunes. Au-delà de la stricte
interaction école-familles, nous verrons que les jeunes doivent mener leur scolarité
dans des conditions loin d'être optimales, où la précarité est reine. Enfin, il sera
indispensable de constater que le système scolaire, tant dans sa globalité que dans le
dispositif d'accueil, est loin d'être parfait et présente de sérieuses lacunes. Les
difficultés et échecs scolaires auxquels se confrontent les jeunes au cours de leur
scolarité et dans leur orientation trahissent cet état de fait.
96 Entretien du 3 décembre 2010
97 DE QUEIROZ, J-M, L'école et ses sociologies, Armand Colin, 2006, p.89
2011
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Camille Giraudon
A. École et famille, entre cloisonnement et
immenses attentes
« Le piège pour eux est de croire qu'il suffise
de jouer le jeu de l'école pour gagner »98
Jean-Michel Berthelot
La relation des familles à l'école ne se conjugue pas seulement sur le mode de
l'idéalisation. Espoir, incompréhension, sentiment d'illégitimité et parfois aussi
d'invasion du monde scolaire construisent bien souvent une perception familiale de
l'école ambivalente. D'autant que si les familles ne sont pas toujours à même de
comprendre l'institution scolaire, celle-ci se révèle à maintes reprise incapable de
s'adapter aux familles nouvellement arrivées et de s'inscrire dans une démarche
compréhensive et volontariste envers elles. Les interactions concrètes demeurent
alors limitées et école et familles évoluent comme deux univers relativement
imperméables avec pourtant un point de contact : les jeunes.
Les travaux traitant de la question de la relation des familles à l'école étudient
majoritairement les familles d'origine immigrée dont les enfants sont né-e-s en
France, ou la relation des familles populaires à l'école. Si elles ne peuvent être
entièrement assimilé-e-s aux familles nouvellement arrivées, émergent néanmoins
des problématiques communes. Cela débouche sur des similitudes dans la manière
qu'ont ces familles d'appréhender l'école, mais également dans la relation
qu'entretient l'institution scolaire vis-à-vis d'elles. Il s'agira alors ici d'articuler les
travaux publiés par des sociologues sur ces questions voisines, avec les entretiens des
jeunes, des enseignantes et du président de l'Union des Associations Interculturelles
de Rennes.
98 BERTHELOT, J-M., Le piège scolaire, PUF, 1983, p.293
2011
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1. Des familles peinant à trouver une place dans la
scolarité de leurs enfants : entre sur-investissement et
implication concrète limitée
Comme nous l'avons évoqué dans le chapitre 1, les familles nouvellement
arrivées fondent d'immenses espoirs sur l'école : elle est l'institution qui doit
permettre à leurs enfants de s'intégrer au mieux dans la société d'accueil, de s'y faire
une place, et de ne pas connaître la même précarité qu'eux.
Lorsqu'est demandé à Jessica si les familles s'impliquent dans la scolarité de leur
enfant, elle répond : « Pour la majorité oui. Oui, en général elles sont impliquées,
parfois elles vont même avoir des attentes malheureusement exagérées. C'est bien
triste. Puisqu'on est en France, leur enfant va devenir médecin, ingénieur, avocat,
professeur... Et parfois c'est vrai ! Mais pas toujours bien sûr. Parce qu'ils pensent,
parfois à tort, que le système éducatif dans leur pays marche moins bien. On a un
bon système ici mais c'est quand même pas parfait »99. Pour illustrer le fait qu'on
puisse suivre une scolarité de très bonne qualité dans bien des pays hors d'Europe,
elle donne l'exemple de la Turquie où dans les villes est dispensée une très bonne
éducation, dans n'importe quel collège ou lycée. Et pourtant, comme la majorité des
parents nouvellement arrivé-e-s, les parents turc-que-s arrivent en France
convaincu-e-s que le système éducatif français est bien plus performant que chez
eux-elles et portera leur enfant jusqu'à la situation sociale espérée. Sophie confirme :
les familles attendent « tout » de l'école. Beaucoup « voudraient que l'école règle
tout »100.
Malgré cela, l'implication des parents nouvellement arrivé-e-s dans la scolarité de
leurs enfants est variable, tant en terme d'interaction avec les membres de l'équipe
éducative qu'en terme de présence de l'univers scolaire à la maison.
Jessica estime voir beaucoup les familles : celles-ci sont reçues au départ en
présence de la principale et en général d'un-e traducteur-trice. Puis, comme toutes les
99 Entretien du 3 décembre 2010
100 Entretien du 21 mars 2011
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familles, elles se voient aussi remettre les bulletins en main propre au moins une fois
par an. Enfin, elle rencontre les parents chaque fois que cela lui paraît nécessaire, ou
que les parents le demandent. Sophie évoque une situation un peu plus compliquée :
elle ne voit pas beaucoup les parents, à cause de la barrière de la langue notamment.
Elle les reçoit en principe au premier et deuxième trimestre pour leur donner les
bulletins, mais « ça demande beaucoup d'énergie pour avoir un rendez-vous avec les
parents, […] il faut relancer dix fois », et pourtant, elle considère que c'est important,
que quand elle réussit à les voir, « ça a toujours un effet, ça vaut le coup »101.
Si les parents sont très peu présent-e-s physiquement au collège, l'univers scolaire
pénètre également assez peu l'enceinte familiale. Le collège est un thème plus ou
moins présent dans les discussions familiales. Si Ren. affirme parler souvent du
collège à la maison, les JNA estiment plus souvent parler seulement un peu du
collège, comme Ki. qui avoue en parler très peu avec ses parents puisque
ceux-celles-ci ne comprennent pas. Ai. est très lucide quand à cela : « Avec mon père
je parle surtout de mes notes, pas de ce que je fais. [relance : et il dit quoi?] Bah, je
lui dis que les bonnes notes, et puis après quand le bulletin arrive il regarde et il dit :
« c'est quoi cette note, je l'avais pas su ?! » Alors je dis que je sais pas, je sais pas
d'où elle vient cette note. Et il rigole. De toutes façons, comme il ne comprend pas, il
ne peut rien faire. Si c'était en Russie, il ferait quelque chose mais là il peut pas
aider pour les devoirs, tout ça, du coup il dit rien »102.
Cette absence d'accompagnement parental sur le plan scolaire ne peut être mise
sur le compte du désintérêt, bien au contraire. Couplée aux espoirs placés en l'école,
elle peut alors sembler relever du paradoxe. En réalité cela s'inscrit plus
probablement dans une logique d'entière confiance en l'école renforcée par un
sentiment parental d'incapacité ou d'illégitimité à intervenir. Le fonctionnement
complexe de l'école les dépasse, d'autant qu'il ne leur a sans doute jamais été
expliqué. Confiant-e-s dans le monde scolaire, se jugeant inaptes à y pénétrer, et
ayant bien d'autres préoccupations encore – situation juridique par exemple, les
101 Entretien du 31 mars 2011
102 Entretien du 31 mars 2011
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parents préfèrent limiter au maximum les interactions avec l'école et laisser
l'institution faire son travail.
Cette « remise de soi »103 à l'école, selon le terme d'Agnès Van Zanten, est donc le
résultat d'une méconnaissance du système couplée à « une reconnaissance de la
légitimité et de la supériorité des enseignants dans leur domaine, celui des savoirs
savants »104. Il est alors nécessaire de s'interroger plus précisément sur cette
combinaison d'un sentiment d'infériorité par rapport à des enseignant-e-s dont le
statut assure la légitimité, et d'une incompréhension qui n'est pas seulement le fait
des familles.
2. Incompréhension mutuelle et sentiment d'illégitimité
Un fossé d'incompréhension explique les apparentes contradictions observables
dans le comportement des familles vis-à-vis de l'institution. Les espoirs démesurés
placés en l'école s'accompagnent d'une méconnaissance du fonctionnement du
système scolaire et de la manière de s'y investir en tant que parents. Ainsi Sophie
estime que les parents « sont toujours très respectueux » mais sont souvent « pas
décalés mais... en marge, ils ont du mal à comprendre le système »105. Le système
éducatif et son fonctionnement sont loin d'être évidents à cerner pour quelque famille
que ce soit. La tâche est plus ardue encore pour des familles nouvellement arrivées
en France.
Le premier obstacle est sans doute le manque de maîtrise de la langue française.
Les enseignant-e-s font parfois appel à un-e traducteur-trice ou demandent à l'élève
de traduire. Ki. confirme que lorsque ses parents viennent au collège, il reste pour
traduire, ou bien c'est son oncle, qui vit depuis 27 ans en France et parle très bien
français, qui les accompagne106. Ces arrangements permettent ou facilitent l'échange
entre enseignant-e-s et parents mais ne remplacent pas l'interaction directe dans une
103 VAN ZANTEN, A., L'école et l'espace local. Les enjeux des zones d'éducation prioritaire, Lyon,
PUL, 1990, cité dans DE QUEIROZ, op.cit.
104 DE QUEIROZ, J-M., op.cit, p.73, s'appuyant sur la typologie des familles d'Agnès Van Zanten.
105 Entretien du 21 mars 2011
106 Entretien du 25 mars 2011
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langue commune et maîtrisée des deux parties. D'autant que la présence d'une tierce
personne ou du jeune modifie nécessairement la rencontre et ce qui s'y dit.
Par ailleurs, certain-e-s parents n'ont pas été à l'école, et même lorsqu'ils-elles y
ont été, l'institution scolaire dans leur pays ne fonctionne pas nécessairement sur le
même mode qu'en France. Les attentes de l'école quant au rôle des parents varient
d'une institution à l'autre, et ne sont à peu près jamais formulées explicitement. Les
parents tâtonnent au gré des interactions avec l'institution scolaire, et la manière dont
ils endossent leur rôle de parents d'élèves dépend largement de leur milieu social, du
rapport qu'eux-elles-même ont entretenu à l'école en tant qu'élève, de la légitimité
qu'ils-elles se donnent à intervenir. De ce point de vue, on peut aisément rapprocher
le cas des familles nouvellement arrivées de celui des familles populaires. Daniel
Thin considère ainsi que « les familles populaires sont prises dans un faisceau de
contradictions entre le souhait que les enfants tirent bénéfice de leur scolarité et la
difficulté à saisir non les enjeux mais la manière adéquate de jouer le jeu, entre les
tentatives et le sentiment d'avoir des pratiques profitables à la scolarité des enfants
et des pratiques de fait toujours retravaillées par des logiques contraires aux
logiques scolaires d'apprentissage […]. Ces contradictions sont certainement au
principe des changements toujours possibles des pratiques dans les familles
populaires, du sur-investissement de la scolarité au suivi distant, des espoirs au
renoncement, etc »107. Bien que parfaitement conscientes des enjeux liés à la scolarité
de leurs enfants, les familles nouvellement arrivées n'ont aucune idée du
comportement qui est attendu d'elles, de la manière dont elles peuvent s'intégrer à ce
système en apportant un soutien adéquat à leurs enfants.
Ahmed Chatmi108, président de l'UAIR, précise ainsi que beaucoup de familles
viennent de pays où l'institution scolaire exige une confiance totale de la part des
parents : ceux-ci n'ont pas à s'y impliquer, école et familles fonctionnent comme deux
mondes séparés. Les parents reproduisent logiquement ce schéma en France où l'on
attend d'eux-elles au contraire qu'ils-elles s'impliquent, accompagnent les enfants
dans leur scolarité. Or, ces attentes de l'institution pas plus que la manière dont les
107 THIN, D., Quartiers Populaires : l'école et les familles, Presses Universitaires de Lyon, 1998,
p.167.
108 Entretien du 9 décembre 2010
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parents peuvent effectivement coopérer ne sont explicitées et les parents ne peuvent
les deviner. Pour les membres de l'institution scolaire, la venue des parents à l'école
est capitale, et ce concernant toutes les familles : « les enseignants insistent dans leur
discours sur la « nécessité » que les parents viennent les voir et « participent à la vie
de l'école », les visites aux enseignants, la présence aux réunions étant considérées
comme des signes de l'attention qu'ils portent à la scolarité de leurs enfants ».109Mais
cette conception enseignante du rôle des parents ne relève pas de l'évidence et dans le
cas des familles nouvellement arrivées, cela revient à négliger leur expérience
précédente et différente de parents d'élève mais aussi toute la violence symbolique
que peut contenir l'interaction école-familles et qui complique leur intervention dans
l'univers scolaire.
En effet, au-delà des obstacles qu'ils représentent à eux-seuls, la faible maîtrise
linguistique, le fait de ne pas avoir été à l'école et la complexité du système scolaire
sont autant de freins à l'investissement des parents dans l'école parce qu'ils placent
les parents nouvellement arrivé-e-s dans une position d’infériorité symbolique dans
l'interaction avec l'institution éducative. Les parents nouvellement arrivé-e-s, comme
les parents de familles populaires, ont conscience de ne pas maîtriser les codes
d'interaction et d'intervention en vigueur dans le milieu scolaire. D'où cette
contradiction que note Daniel Thin entre un sur-investissement de l'école – on en
attend tout ou presque – et une absence, « un suivi distant ». Sophie110 note que
certain-e-s parents sont effrayé-e-s par l'école, car ils-elles n'y ont jamais été, ou sont
illettré-e-s. Là encore, un rapprochement avec la situation des familles populaires est
éclairant : « les rencontres avec les enseignants mettent directement les parents des
familles populaires dans une situation de communication inégale et sont
sociologiquement des interactions dissymétriques. […] Des parents peu ou pas
scolarisés, maîtrisant guère ou mal la langue scolaire et dont les pratiques sont
tenues pour inadéquates à une éducation correcte des enfants […] sont
physiquement confrontés aux enseignants, être sociaux porteurs de logiques
pédagogiques qui sont dominantes, par définition, dans l'espace scolaire et dans le
domaine éducatif. Ils sont en même temps confrontés à un espace possédant ses
109 THIN, D., op.cit, p.171
110 Entretien du 21 mars 2011
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Camille Giraudon
propres règles »111. Il est effectivement systématiquement demandé aux familles de se
déplacer, ce qui en soi demande un effort important aux familles, non du fait du
déplacement mais parce que l'interaction se déroule alors entièrement dans un espace
et selon des normes que les parents ne maîtrisent pas et qui leur sont imposées. Ils
vivent alors un échange dans lequel ils-elles se sentent mal à l'aise : du fait de leur
faible maîtrise du français, ou de leur méconnaissance du système scolaire, il leur est
compliqué de donner leur avis et ils-elles subissent l'interaction. Convaincu-e-s que
l'école fait bien son travail, ils-elles voient d'autant moins en quoi ils-elles seraient
légitimes à émettre un avis, ou à intervenir de quelque manière que ce soit dans la
scolarité de leurs enfants. Les jeunes doivent alors apprendre à mener leur
scolarisation de manière plus autonome du fait du peu d'implication parentale
concrète : ils-elles savent ne pouvoir compter que de manière limitée sur l'aide aux
devoirs, les conseils en matière scolaire ou l'intermédiation avec le ou la professeur-e
en cas de problème quelconque dans une discipline.
L'incompréhension de part et d'autre perpétue un rapport de domination entre
l'école et les familles, dont certain-e-s auteur-e-s expliquent qu'elle peut provoquer à
terme un rejet de la part des familles : l'école apparaissant comme une machine
intouchable et envahissante devient une menace pour les familles, qui réagissent en
conséquence. Selon Robert Berthelier, l'école « engendre une certaine méfiance des
parents qui craignent qu'elle ne porte atteinte aux normes et au patrimoine culturel
de la famille »112. Je n'ai pas pu observer ce phénomène comme quelque chose de
réellement présent dans le cas des jeunes nouvellement arrivé-e-s de Rennes : cela ne
signifie pas qu'il soit inexistant, mais on peut supposer, comme nous l'avons évoqué
dans l'introduction à ce mémoire, que ce sentiment est peut-être moins présent dans
les familles nouvellement arrivées que dans les familles installées en France de
longue date. Un exemple isolé peut néanmoins illustrer une certaine défiance
parentale : Ai., en France depuis 4 ans, raconte que lorsqu'elle parle français à son
père, celui-ci lui rétorque parfois : « soit tu te tais, soit tu me parles en russe »113.
Cette réaction peut s'interpréter comme un rejet de la langue française, langue de la
société d'accueil et de l'école, qui envahit l'espace privé et qui place le père ne la
111 THIN D., op.cit, p.171
112 BERTHELIER, R., Enfants de migrants à l'école française, Paris, l'Harmattan, 2006, p.143
113 Entretien du 31 mars 2011
2011
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maîtrisant pas, en situation d'infériorité par rapport à sa fille. Que cela soit lié à
l'école en soi ou à la situation générale, la position du père montre à quel point l'école
modifie également la place des jeunes dans leur famille, ce qu'ils-elles doivent gérer
comme ils-elles le peuvent.
B. Situation
migratoire
et
familiale :
conséquences sur le statut de jeune et d'élève
La précarité de la situation sociale et juridique des jeunes ne les mène pas
seulement à valoriser l'école : elle complique également leur scolarité, les
préoccupation qui y sont liées venant parfois faire obstacle à la concentration en
cours mais aussi à l'assiduité. Les jeunes doivent en effet mener diverses démarches,
seul-e-s ou avec leur famille, et peuvent alors être contraint-e-s de multiplier les
absences. La maîtrise linguistique des JNA ne fait qu'amplifier le phénomène
puisqu'elle contribue, dans de nombreuses situations, à rendre leur présence
indispensable au côté des parents. Si cela a des incidences sur la scolarité, à moyen
terme ce sont surtout les rapports au sein de la famille qui s'en trouvent bousculés, le
statut du jeune et ses repères familiaux étant fortement modifiés.
1. « Ils ont tellement de trucs dans la tête autre que le
scolaire... »
Situation juridique instable, logement précaire, parents dans l'impossibilité
d'exercer une profession... : outre les problèmes classiques que peut être amené à
rencontrer tout-e adolescent-e, les jeunes nouvellement arrivé-e-s doivent composer
avec les complications liées à leur situation migratoire.
Un cas relativement peu fréquent – dans la CLA des Hautes-Ourmes par exemple
cela concerne 3 des 23 élèves – mais qui mérite d'être abordé est celui des mineur-e-s
isolé-e-s : arrivés seul-e-s en France, ces jeunes sont jusqu'à maintenant pris en
charge, au même titre que tout-e mineur-e isolé-e, par l'Aide Sociale à l'Enfance
(ASE), dispositif dépendant du Conseil Général d'Ille et Vilaine. Il faut cependant
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préciser que le Conseil Général a décidé de mettre en place un dispositif spécifique
pour les mineur-e-s isolé-e-s étranger-e-s, fonctionnant à budget restreint, et dans
lequel les jeunes resteraient un temps limité. Les tests médicaux 114 déjà existants,
visant à vérifier leur âge et le fait qu'ils-elles soient réellement mineur-e-s, y seraient
systématisés : déclaré-e-s mineur-e-s, les jeunes intégreraient l'ASE, dans le cas
contraire ils-elles en seraient écartés. Si ces soupçons quant à leur âge pèsent plus
souvent sur les dires des jeunes déclarant avoir entre 16 et 18 ans et n'étant donc a
priori pas scolarisé-e-s en collège, il arrive que cela concerne également des
collégien-e-s. Le quotidien de jeune isolé-e, déjà difficile, risque d'être encore
assombri par la mise en place de ce nouveau système. Quoi qu'il en soit, bien que
généralement aidé-e-s par le Conseil Général et suivi-e-s par un éducateur, ces jeunes
sont contraint-e-s de mener leur scolarité dans une grande autonomie et dans des
conditions a priori peu favorables.
La majorité des jeunes arrivent plutôt avec leur famille, notamment dans l'espoir
de demander et obtenir l'asile. Répondant à une question sur les situations sociales et
migratoires des jeunes, Jessica s'attarde ainsi sur le cas des « familles de demandeurs
d'asile » : « en ce moment à Rennes, il y a beaucoup de demandeurs d'asile. La
préfecture qui est dans l'obligation légale de les loger ne les loge pas tous, disons
que les logements qu'ils ont sont déjà remplis... Là il fait très froid depuis quelques
jours et ils ont quand même trouvé des places en hôtel pour tout le monde, mais
jusque là, jusqu'à cette vague de froid, il y en avait dans des squats. Et beaucoup,
beaucoup de familles dans des squats à Rennes dans des conditions vraiment
insalubres. [...] Bien sûr pour ces élèves là c'est quand même dur. En fait on vient de
trouver des logements de fonction au collège pour deux familles. C'est la première
fois qu'on fait une telle chose. Le Conseil Général a donné son accord au collège
mais j'ai encore une jeune qui vient d'arriver qui est dans la même situation mais
voilà, les logements qui étaient libres ne le sont plus maintenant... »115. Les
demandeur-se-s d'asile sont supposé-e-s être logé-e-s en CADA (Centre d'Accueil de
Demandeurs d'Asile) : comme le souligne Jessica, certain-e-s n'obtiennent pas de
114 Il s'agit de tests le plus souvent osseux, parfois pileux ou génitaux, dont la valeur scientifique
est remise en cause par l'Académie de Médecine et la pratique dénoncée par les associations
de soutien aux personnes étrangères.
115 Entretien du 3 décembre 2010
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place, malgré leur droit au logement. Et quand les demandeur-se-s d'asile se voient
attribuer des places en CADA, rien n'assure que cela sera dans la ville dans laquelle
ils-elles mènent leurs démarches administratives. Ainsi un jeune bosniaque des
Hautes-Ourmes a été scolarisé quelques mois à Rennes avant de devoir partir sur
Brest avec sa famille, pour ensuite revenir à Rennes quelques mois plus tard. Lorsque
ces familles n'obtiennent pas de logement, elles sont contraintes d'appeler le 115
régulièrement, et en obtiennent parfois un pour quelques jours, ou s'entendent dire
qu'il n'y a plus de place.
Pour les jeunes, qui ne savent pas d'un jour sur l'autre où ils-elles seront logé-e-s
et s'ils seront logé-e-s, la situation n'est pas évidente d'autant qu'elle ne s'arrête pas là.
Aux problèmes de logement s'ajoutent bien souvent les questions de papier. Le statut
de réfugiées a été refusé pour la deuxième fois à An. et sa mère tandis qu'Ai. indique
qu'elle et sa famille sont actuellement sous le coup d'une Obligation à Quitter le
Territoire Français (OQTF)116. Selon Sophie, jusque là personne n'a dû quitter le
collège pour une reconduite à la frontière. Mais beaucoup ont reçu des OQTF qui ne
sont pas arrivées à leur terme. Encore une fois, cette situation ne peut être que
déstabilisante.
Plusieurs jeunes ont, au cours de leurs entretiens, évoqué le fait que leurs parents,
sans papiers ou demandeurs d'asile, étaient dans l'impossibilité de travailler, n'en
ayant pas l'autorisation légale. Dans d'autres familles, seul-e un-e des deux parents,
plus fréquemment le père, travaille. Les familles ne vivent en tout cas pas dans
l'abondance. Un étudiant bénévole à l'AFEV confie qu'il a du mal à voir le jeune qu'il
accompagne car celui-ci, dès la journée scolaire terminée, rejoint son père sur le
chantier. Ce n'est là qu'un exemple qui ne peut certainement pas être généralisé mais
qui reste éclairant.
Confronté-e-s à des problèmes quotidiens, les jeunes nouvellement arrivé-e-s
doivent donc mener leur scolarité dans des conditions loin d'être optimales. Sophie,
évoquant leur manque de concentration parfois surprenant, ajoute immédiatement :
116 Entretien du 31 mars 2011
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« ils ont tellement de trucs dans la tête autres que le scolaire que... »117. De retour à la
maison, au foyer ou à l'hôtel, il semble évident que les jeunes ne sont pas non plus
dans les meilleures conditions pour étudier. D'autant que, maîtrisant souvent mieux le
français que leurs parents, ils-elles sont régulièrement sollicité-e-s par leur famille
pour diverses démarches.
2. Lourdes responsabilités et absentéisme
La précarité juridique et matérielle dans laquelle vivent les familles nouvellement
arrivées complique inévitablement la scolarité de jeunes, multipliant leurs sujet de
préoccupations et leur offrant des conditions matérielles d'études peu enviables.
Paradoxalement, le fait qu'ils-elles soient scolarisé-e-s rend dans un premier temps
les jeunes nouvellement arrivé-e-s peut-être plus vulnérables encore à cette précarité.
En effet, de part leur scolarisation et leur jeune âge,ils-elles acquièrent très
rapidement une maîtrise du français supérieure à celle de leurs parents et sont alors
logiquement sollicités par ceux-celles-ci pour les accompagner dans diverses
démarches et jouer le rôle de traducteur-trice. Les conséquences pour les jeunes sont
alors loin d'être négligeables.
Malgré le fait que ses parents suivent des cours de français, Ren. reconnaît les
aider régulièrement pour traduire, notamment lorsque viennent chez eux-elles des
gens ne parlant que français. Jessica confirme : « après une année en général, les
enfants ont appris beaucoup plus de français que leurs parents. Ce qui donne lieu à
des situations où les enfants traduisent pour leurs parents y compris dans des
situations officielles »118.
Concrètement, les conséquences s'observent immédiatement en termes de
présence en cours : le jeune doit sacrifier son assiduité pour accompagner ses parents
dans diverses démarches. Parfois, la présence de toute la famille est de toutes façons
requise. Dans d'autres cas, le jeune ne vient que pour servir d'intermédiaire entre les
locuteur-trice-s et ses parents. Ainsi, Ai. explique : « en 4ème à cause des problèmes
117 Entretien du 21 mars 2011
118 Entretien du 3 décembre 2010
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de papiers j'étais presque jamais à l'école. [parce que tu aidais tes parents dans
leurs démarches ?] Oui, et puis à la préfecture il faut que toute la famille aille »119.
Même dans la vie quotidienne, les jeunes peuvent être sollicité-e-s par leurs parents :
« Il y a des jeunes parfois qui ne viennent pas en cours parce qu'ils sont allés avec
maman chez le médecin pour traduire pour maman »120 relate Jessica. Une
professeure d'EPS interrogée déplore également l'absentéisme. Bien qu'elle pense
qu'il s'agisse parfois d'une question de motivation, elle reconnaît que les jeunes ont
aussi des raisons, comme lorsqu'ils-elles accompagnent les parents dans leurs
démarches121.
A moyen terme, des effets se font sentir sur la structure même de la famille : du
simple fait de leur meilleur niveau de français, les jeunes se retrouvent subitement au
cœur de problématiques jusque là du ressort de leurs parents. Symboliquement,
l'organisation familiale s'en trouve passablement modifiée : les positions dans la
famille s'inversent en partie, les parents devenant dépendant-e-s de l'aide de leurs
enfants. Déjà tenu-e-s de faire face à une situation qui n'a rien de stable ni rassurant,
ces adolescent-e-s doivent alors supporter une charge de responsabilités que leurs
parents ne peuvent assumer entièrement. Henri Lacour, étudiant ce phénomène chez
les jeunes franco-turcs de Rennes, constate que le « blocage va devenir de plus en
plus grand au fur et à mesure que les adolescents vont incorporer des connaissances
sur la société d'accueil […] et intégrer de nouvelles normes et de nouvelles
valeurs »122. Jessica estime clairement que ce genre de situations, « c'est pas bien,
c'est dur, pour plusieurs raisons. Parce qu'ils ratent les cours bien sûr, mais aussi
parce que la structure de la famille est perturbée : quand c'est le jeune qui traduit
pour ses parents, son statut change. Ça lui donne plus de responsabilités que ça ne
devrait, et parfois après les parents perdent en autorité. C'est selon, il y a des
familles ou non, mais ça arrive »123.
Le fait que l'enfant se charge d'assurer le lien entre l'école et la famille par
exemple peut être préjudiciable. Ahmed Chatmi considère que cela diminue
119 Entretien du 31 mars 2011
120 Entretien du 3 décembre 2010
121 Conversation informelle, 21 mars 2010
122 LACOUR, H., op.cit, p.23
123 Entretien du 3 décembre 2010
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effectivement l'autorité parentale, octroie un rôle et une responsabilité anormale et
déstabilisante aux jeunes, et fausse la relation entre les jeune et les enseignant-e-s
puisque ceux-celles-ci se retrouve tout à la fois porte-parole des messages des
l'enseignant-e-s à ses parents et sujet principal de ces messages.
C. Limites d'un dispositif d'accueil qui
s'inscrit dans un système scolaire imparfait
« La sur-motivation engendrée par la migration et le rapport globalement positif
que les élèves nouvellement arrivés entretiennent vis-à-vis de l'école sont des
phénomènes avérés par nombre de travaux effectués dans des contextes nationaux
différents. Pour autant, les modalités d'accueil, d'évaluation et d'intégration des
élèves migrants ne permettent pas toujours de tirer profit de ces comportements afin
de favoriser la réussite des jeunes nouvellement arrivés dans le pays d'accueil »124.
L'application du dispositif CLA sur le terrain est très inégale : elle dépent des
académies et des établissements, mais également des initiatives enseignantes
individuelles. Le cadre large posé par la circulaire n°2002-100 du 25 avril 2002
laisse d'importantes marges de manœuvres au niveau local qui sont investies très
différemment d'une académie à l'autre. Si à Rennes il semblerait que le système soit
plutôt satisfaisant, il comporte néanmoins limites et imperfections, et s'inscrit dans la
globalité d'un système éducatif français perpétuant, malgré sa croyance en l'égalité
républicaine, les inégalités.
1. Cadre national peu précis, applications locales plus
ou moins adaptées et rigides
« Force est de constater sur le terrain que, à l'image de l'hétérogénéité de la
population primo-migrante elle-même, les politiques et les pratiques de scolarisation
de ces élèves se déclinent en autant de façons de faire plus ou moins adaptées et
124 SCHIFF, C., « La course des jeunes migrants contre les effets de seuil scolaires et législatifs »,
Écarts d'identité, n°110/2007, p.7
2011
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réfléchies selon les académies, les départements et les classes »125. Cet état de fait
s'explique notamment par le cadre légal dans lequel s'inscrit le dispositif d'accueil des
JNA, qui se contente de donner les grandes lignes et laisse aux départements le soin
de les décliner concrètement au niveau local.
Un petit retour historique s'impose : la circulaire du 13 janvier 1970 crée
officiellement les CLIN/CLA et les CRI (Cours de Rattrapage Intégré), afin que
l'accueil des JNA ne se fasse plus de manière informelle mais dans un cadre légal et
prévu à cet effet. En 1975 sont créés les CEFISEM (Centres régionaux de Formation
et d'Information pour la Scolarisation des Enfants de Migrants) pour la formation de
l'ensemble des personnels intervenant auprès de ces élèves. Ces centres sont
remplacés par les CASNAV (Centres Académiques pour la Scolarisation des
Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage) suite à la circulaire du 25 avril 2002,
née de la nécessité de réadapter le dispositif d'accueil des JNA : « ces dernières
années, des données nouvelles (arrivées plus nombreuses de jeunes souvent plus
âgés que par le passé, et peu ou pas scolarisés antérieurement) ont nécessité de
renforcer les moyens liés à la scolarisation ainsi que les actions d'intégration qui
accompagnent et facilitent celle-ci »126.
Il revient alors à chaque département d'appliquer concrètement le dispositif
CLA avec les moyens qui lui sont octroyés au niveau national et dans le cadre de la
circulaire nationale. On peut lire dans le B.O du 25 avril 2002 : « Dans chaque
académie, une circulaire et des instructions départementales préciseront à chaque
rentrée les modalités d'intervention concertée des différents acteurs des dispositifs
d'accueil et de scolarisation. Là où l'éducation nationale met en place des cellules
d'accueil, l'ensemble du système éducatif doit pouvoir contribuer à leur
fonctionnement : personnels des écoles, des établissements secondaires, des
inspections académiques, des équipes de circonscriptions, des centres académiques
pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage - CASNAV
(voir circulaire n° 2002-102 du 25 avril 2002, page 21) ou des centres d'information
125 SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire », Hommes et
Migrations, septembre-octobre 2004, n°1251.
126 Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale n°10 du 25 avril 2002 reprenant la circulaire n°2002100 du 25 avril 2002.
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et d'orientation (CIO) ». La région Bretagne n'ayant pas créé de CASNAV en 2002,
la prise en charge des ENA ne s'inscrit pas dans une structure rectorale officielle, ce
qui n'empêche pas l'existence d'une réflexion autour du public et des CLA et de
dispositifs de prise en charge, tels que la Coordination Migrant. Si le système
d'accueil des JNA en Bretagne est à de nombreux égards plus satisfaisant que dans
d'autres régions, il n'en est pas moins nécessaire d'en soulever les limites, ainsi que
celles auxquelles il semble pour le moment avoir échappé.
Avant d'intégrer une classe d'accueil, les jeunes doivent satisfaire à une
évaluation de compétences, se déroulant en principe dans le cas de Rennes à la
Coordination Migrant. Le-La jeune est d'abord accueilli-e par l'inspection
académique ou une cellule d'accueil qui en dépend (CIO, Coordination Migrant...) 127.
S'y déroule un premier entretien suite auquel est organisée l'évaluation des
compétences. Il s'agit d'évaluer niveau scolaire et niveau de français afin de
déterminer la nécessité ou non pour le-la jeune de passer par une CLA. Je me base ici
spécifiquement sur les documents produits dans le Guide de Scolarisation des ENA
2010 de l'Académie de Rennes128 et sur les conclusions de Claire Schiff qui note que
de manière générale ces procédures sont relativement inégales et inadaptées. On note
clairement une volonté de faire preuve de précision, d'introduire une dimension
qualitative avec un entretien préalable et d'inclure la famille dans le processus
d'évaluation. Cependant, Claire Schiff129 remarque que souvent, les personnes qui se
chargent de faire passer les tests ne sont pas spécifiquement formées à l'évaluation du
niveau des jeunes. D'autre part, une confusion s'opère fréquemment entre le niveau
scolaire et linguistique diminuant la pertinence et la précision des tests. Par ailleurs,
« les outils à la disposition des services chargés de l'évaluation à l'entrée, bien
qu'étant de plus en plus nombreux, reposent, pour la plupart, sur un modèle de test
élaboré en fonction des normes du système scolaire français »130. L'auteure donne
ainsi l'exemple d'un exercice destiné à évaluer la compréhension écrite d'un texte
littéraire : traduit littéralement du français écrit, dans un arabe qui n'était pas celui
127 Guide de scolarisation des ENA 2010, publié par l'Académie de Rennes.
128 Annexe 3, L'évaluation des JNA à leur arrivée
129 SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire », Hommes et
Migrations, n°1251, Septembre-Octobre 2004
130 Ibid, p.79
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employé dans les établissements du Maghreb, le texte se révèle donc difficilement
compréhensible pour les jeunes nouvellement arrivé-e-s arabophones, et ne reflète
pas le niveau des jeunes dans la matière. Ainsi, « la sous-évaluation des capacités est
beaucoup plus fréquente que l'inverse, et cela nécessite parfois des réorientations
par la suite »131.
Le dispositif CLA en lui-même s'inscrit également dans un cadre qui se rigidifie.
Ainsi, Jessica132 remarque « avant on était plus souple. Maintenant l'inspection
académique insiste sur un objectif de 80% de passage par an », c'est-à-dire de
passage en classe ordinaire. Elle explique qu'elle a donc été convoquée à l'inspection
académique à la fin de l'année passée : « L'inspectrice d'académie adjointe a
parcouru la liste de mes élèves au cas par cas pour demander ce qu'ils allaient
devenir l'année d'après, et on s'est mis d'accord pour que deux élèves restent en CLA
une année de plus, les élèves qui avaient appris vraiment très peu de français par
rapport aux autres ». Il n'appartient donc plus seulement à l'enseignante de CLA et à
la principale du collège de déterminer quel-le-s élèves peuvent ou non rester en CLA
mais cette décision est partagée avec l'inspection académique. Là où la décision était
uniquement motivée par la progression de l'élève, son bien-être et la volonté de lui
assurer les meilleures conditions de poursuite de sa scolarité, on peut supposer
qu'entrent désormais en compte des motivations d'ordre budgétaires et matérielles
(effectifs en classe).
A l'objectif de 80% de passage par an, s'ajoute une limitation de la durée de
scolarisation en CLA à un an maximum, que Jessica déplore également en ce qu'elle
ne permet pas autant de souplesse que ce qu'il serait souhaitable : avant « il n'y avait
pas de limite, mais ce n'était pas nécessaire d'imposer une limite pour que ça
marche. Quand l'élève était prêt pour être intégré, il était intégré »133. Les élèves
n'abusaient pas du système puisque l'on a vu que la plupart accordaient beaucoup
d'importance au fait de s'aligner sur le parcours des autres collégien-ne-s, et
certain-e-s élèves, se sentant prêt-e-s, demandaient même à quitter la CLA plus tôt
que prévu. Mais l'absence de limite permettait également de s'adapter aux élèves
131 SCHIFF, C., art.cit, p.79
132 Entretien du 3 décembre 2010
133 Entretien du 3 décembre 2010
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ayant besoin de plus de temps. Sophie 134 partage le même avis et avoue que si le
système CLA limite officiellement à un an maximum le temps passé en CLA, « en
réalité ça ne se passe pas comme ça ». Certain-e-s élèves ont besoin de moins de
temps, ce qui ne pose pas de problème, quand d'autres ont besoin de plus de temps, et
ceux-celles-là, « je ne veux pas les lâcher dans la nature » affirme l'enseignante.
Dans ce cas, ils deviennent des « élèves clandestins ». Sachant très bien qu'ils-elles
ne peuvent pas encore s'en sortir en classe ordinaire sans heure de CLA, elle continue
à prendre ces élèves en CLA alors même qu'ils-elles n'apparaissent pas sur la liste
officielle. L'enseignante remédie ainsi aux insuffisances du système, mais ce
contournement du système en faveur des élèves n'est pas toujours possible et dépend
du soutien accordé par l'établissement.
Claire Schiff remarque par ailleurs que « l'intégration des nouveaux arrivants
directement en classe ordinaire dès leur arrivée est une pratique plus ou moins
répandue selon les académies et les départements. Elle n'implique pas forcément la
mise en place de mesure de soutien ou une meilleure articulation entre structure
d'accueil et classe ordinaire »135. A Rennes, les conditions d'intégration des élèves en
classe ordinaire semblent cependant être plutôt satisfaisantes, l'intégration étant
progressive et débutant dès l'arrivée dans le collège. Les deux CLA observées
fonctionnent comme des structures ouvertes sur le reste du collège et en coopération
avec le reste de l'équipe éducative pour favoriser la meilleure transition possible. Le
maintien, dans un collège, de quelques heures en CLA pour un certain temps même
une fois l'intégration complètement réalisée permet là aussi une transition en
douceur. Cependant, on a évoqué les limites de cette astuce, qui ne peut être
systématiquement mise en place. Le fait que l'articulation entre CLA et classe
ordinaire commence à Rennes dès l'arrivée du-de la jeune permet d'éviter en grande
partie l’écueil de la marginalisation des élèves nouvellement arrivé-e-s, qui seraient
maintenu-e-s dans un cocon sans contact avec le reste du monde collégien et auraient
ensuite du mal à trouver leur place dans le système ordinaire. Ce risque existe plutôt
dans des classes telles que la CLA-NSA, les jeunes qui y sont scolarisé-e-s n'étant
pas rattaché-e-s à une classe ordinaire, ce qui s'explique d'un point de vue purement
134 Entretien du 21 mars 2011
135 SCHIFF, C., art.cit, p.83
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scolaire, par le fait que, non-scolarisé-e-s antérieurement, il leur serait difficile de
suivre l'enseignement dans quelque matière que ce soit.
Une limite du dispositif d'accueil pris dans son ensemble réside dans
l'insuffisance de classes d'accueil dans le département. Il n'en existe que quatre (sans
compter la CLA-NSA) sur Rennes, dans lesquelles sont donc également scolarisé-e-s
des jeunes résidant dans des communes alentours. Lindsay Kupferstein souligne ainsi
que « la prise en charge du public ENAF en Ille-et-Vilaine est confrontée à l'obstacle
de la ruralité. […] en dehors de Rennes, il existe des dispositifs plus flexibles tels
qu'à Redon, Vitré, Fougères et Saint-Malo. Il s'agit de blocs de moyens provisoires
ciblés sur le français langue étrangère (FLE) ou le français langue seconde (FLS),
[…] ces enveloppes d'heures sont reconduites tous les ans. Mais, aucun poste n'y est
spécifiquement affecté »136.
Outre le manque de dispositif CLA en tant que tel dans les communes de taille
moyenne, ce faible nombre de CLA augmente les effectifs dans chacune des classes
d'accueil de Rennes, puisqu'y viennent les JNA de Rennes et certain-e-s résidant en
périphérie. Le bulletin officiel précise que « l'effectif des classes d'accueil doit être
comparable à celui des classes du cursus ordinaire de l'établissement dans lequel
elles sont implantées ; toutefois leur fonctionnement souple en structure ouverte doit
permettre aux enseignants de n'avoir pas plus de 15 élèves en charge à la fois »137.
L'observation en CLA et l'entretien avec une des deux enseignantes interrogées
démontre que plus de 15 élèves sont parfois amené-e-s à être présent-e-s en même
temps en classe. Le nombre d'élèves scolarisé-e-s dans la CLA des Hautes-Ourmes
en décembre 2010 s'élève à 23 mais Jessica
précise « on n'est qu'au mois de
décembre, avant la fin de l'année, j'en aurai beaucoup plus. Selon les instructions
officielles je ne suis pas sensée avoir présents en même temps plus que 15 élèves à la
fois. Mais dans les faits, ça arrive assez souvent que j'en ai plus que quinze
présents... »138.
136 KUPFERSTEIN, L., Un CLIN d’œil à l’Éducation Nationale : l'organisation des dispositifs
d'accueil pour les élèves nouvellement arrivés non francophones dans les départements d'Ille
et Vilaine et de Seine-Saint-Denis, mémoire réalisé au sein du master Action et Espaces
Publics en Europe, Rennes, 2009, p.19
137 B.O op.cit
138 Entretien du 3 décembre 2010
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En réalité, beaucoup des limites du système CLA sont à relier à un manque
d'investissement de moyens de la part de l’Éducation Nationale. C'est notamment ce
que regrette Jessica, affirmant en réponse à une question sur les évolutions
consécutives aux directives gouvernementales : « ce qui est sûr c'est qu'on supprime
des postes, on essaie de dépenser moins d'argent, donc du coup voilà on demande à
ce que les élèves passent plus vite par la CLA, c'est surtout ça qui a changé ». Les
conséquences de cette réduction de moyen se font sentir non seulement au niveau
matériel comme on l'a vu, mais également dans la formation et l'accompagnement
proposé aux enseignants.
2. Un fonctionnement dépendant des volontés et des
initiatives individuelles des enseignants
L'essentiel du dispositif d'accueil des jeunes nouvellement arrivé-e-s repose sur
les enseignant-e-s et sur leur volonté de s'impliquer, avec les moyens dont ils-elles
disposent et l'expérience qu'ils-elles accumulent peu à peu. En effet, « en l'absence
de véritable formation initiale spécifique offerte dans le cadre des Instituts
universitaires de formation des maîtres (IUFM), les enseignants affectés à ces
structures sont contraints de bricoler avec les moyens du bord »139. Interrogée au
sujet de sa formation pour devenir professeure de CLA, Jessica confirme :
« Jusqu'ici il n'y en a pas. Moi je suis professeure des écoles […] et la plupart de
mes collègues c'est pareil. […] Il y a des formations FLE Français Langue
Étrangère, c'est une spécialité dans les universités maintenant, et il y a des
professeurs de français dans les collèges qui donnent des heures de soutien dans les
collèges où il n'y a pas de CLA et donc qui ont eu une formation pour faire ça. Mais
pour le moment ce n'est pas mon cas. Mais donc on est professeur des écoles mais
c'est des postes avec entretien, […] on appelle ça des postes à profil »140.
Il ne s'agit absolument pas ici de questionner les compétences des enseignant-e-s,
bien au contraire, mais de remarquer que ceux-celles-ci doivent faire preuve d'un
139SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire », Hommes et
Migrations, septembre-octobre 2004, n°1251, p.82
140 Entretien du 3 décembre 2010
2011
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investissement et d'une volonté décuplé-e-s, notamment lorsqu'ils-elles entrent en
poste, puisqu'il leur faut en grande partie se former par la pratique. La formation
FLE, si elle est adéquate en termes d'enseignement du français à des étranger-e-s,
n'est en revanche spécifiquement orientée ni vers l'enseignement à des jeunes, ni vers
l'enseignement en collège dans le cadre d'une politique d'intégration progressive.
A la demande des enseignant-e-s de CLIN et de CLA de la ville de Rennes, la
Coordination Migrant organisait jusqu'à récemment des réunions une fois par
trimestre, en présence des inspecteurs chargés du dossier ENAF et de la directrice du
CIO de Rennes. Comme l'analyse Lindsay Kupferstein, ces réunions permettaient
« d'harmoniser les pratiques de la salle de classe. Les enseignants [bénéficiaient]
alors de conseils par leurs pairs et [n'étaient] pas isolés pour résoudre les
problèmes qui se posent à eux »141. Ces espaces d'échange et de mise en commun ont
disparu l'an passé, ce qui est est très regrettable aux yeux de Jessica : « on était
convoqué officiellement pour être ensemble, pour mettre ensemble nos pratiques,
pour parler des élèves d'une classe qui étaient passé dans une autre par exemple
dans le cas de la CLA-NSA, parfois on invitait des conférenciers à venir nous parler
de méthode. C'était très bien. Et l'an dernier on n'a plus eu ça. Maintenant, on nous
dit que si on veut se retrouver comme ça, il faudrait que ce soit en dehors des heures
de cours »142. Cela sous-entend d'une part des heures supplémentaires de travail pour
ces enseignant-e-s et des réunions devant être organisées par et à l'initiative des
enseignant-e-s.
Pour que le dispositif d'accueil des JNA fonctionne il faut donc compter sur
l'implication des enseignant-e-s de CLA mais également sur la cohésion et la
coopération au sein de l'équipe pédagogique et administrative des collèges. Claire
Schiff exprime de manière concise le défi que doivent relever les enseignants de
CLA : « il s'agit à la fois d'adapter sa pratique pédagogique à la diversité des cas
rencontrés, de tenir compte de l'ensemble des disciplines auxquelles sont confrontés
les élèves et qui ont chacune leur vocabulaire particulier, et de se faire le défenseur
des migrants auprès des enseignants ordinaires, souvent réticents à accueillir ces
141 KUPFERSTEIN, L., op.cit, p.39
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élèves et à adapter leurs modes d'évaluation à leurs difficultés »143. Les deux
enseignantes interrogées semblent satisfaites du travail collectif qui s'opère dans leur
collège autour de la prise en charge des JNA, mais il semblerait que cela ne soit pas
le cas partout. Sophie précise que si elle peut s'arranger pour continuer à prendre en
cours certains élèves qui le nécessitent même s'ils devraient officiellement ne plus
être en CLA, c'est parce qu'elle a le soutien du collège et aussi des profs, ce qui n'est
pas le cas dans tous les établissements. Jessica pense elle aussi que « la façon dont
la classe est perçue à l'intérieur de l'établissement varie un peu d'un établissement à
l'autre. Moi j'ai de la chance, j'ai l'impression que chez moi il n'y a personne qui
préférerait ne pas avoir de CLA dans le collège, je suis membre de l'équipe comme
n'importe quel autre professeur de l'établissement »144.
La collaboration et la communication entre enseignant-e-s sont indispensables
pour assurer une bonne transition pour l'élève, de la CLA à sa classe ordinaire, dans
l'ensemble des matières. D'autant que, ne bénéficiant d'absolument aucune formation
à la prise en charge des JNA, les enseignant-e-s de matières ordinaires ne disposent
que des conseils de l'enseignante de CLA pour prendre en charge ce public
particulier. Au collège Clotilde Vautier, une enseignante d'EPS confie lors d'une
conversation informelle que les enseignant-e-s du collège ont demandé une
formation à l'académie, mais que pour l'instant, ils-elles n'obtiennent rien. Cela lui
semble vraiment dommage, car même s'il est très bien à son avis d'intégrer
rapidement les élèves en cours ordinaires, cela reste parfois compliqué. Lorsque les
élèves parlent très peu français ou arrivent nombreux-ses dans son cours, elle ne peut
leur expliquer les choses individuellement et se retrouve dans l'obligation de les
délaisser quelque peu, comptant sur les autres élèves pour s'occuper d'eux-elles.
Cette enseignante apparaît un peu démunie face aux jeunes peu ou pas francophones,
et si cette situation d'enseignement n'est de toutes façons pas évidente, une formation
favorisant la décentration des enseignant-e-s face à leurs références éducatives et à
leur répertoire ne pourrait être que bénéfique145.
143 SCHIFF, C., art.cit, p.78
144 Entretien du 3 décembre 2010
145 PEIGNE, C., « Solliciter pour mieux intégrer ? Stratégies enseignantes et mobilisations du
répertoire pluriel d'adolescents nouvellement arrivés », Glottopol n°11, janvier 2008.
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Ainsi, on constate que l’Éducation Nationale fait preuve, au sujet de la
scolarisation des jeunes nouvellement arrivé-e-s, d'une certaine inertie, laissant le
bon fonctionnement du dispositif aux soins d'enseignant-e-s de CLA qui y consacrent
effectivement, nous l'avons vu, une grande énergie, sans être particulièrement
soutenu-e-s. On pourrait même avancer que les enseignant-e-s le sont de moins en
moins puisqu'un objectif d'efficacité leur est de plus en plus opposé, même lorsqu'il
rentre en contradiction avec une intégration des jeunes dans les meilleures
conditions. C'est ce que l'on a pu déduire de l'entretien de Jessica déjà cité, et qui
ressort également d'un entretien réalisé par Lindsay Kupferstein avec un enseignant
de CLA : « On nous dit d'être efficace : j'ai déjà 16 élèves. Ils disent que ma classe
serait moins pleine si on était plus efficace et si on intégrait plus rapidement les
élèves dans d'autres classes, mais c'est impossible. On a toujours l'impression qu'on
nous soupçonne »146.
3. Le désir d'école des jeunes souvent contrarié par une
sélection aiguë et une orientation partiellement subie
Les collèges étudiés sur Rennes semblent plutôt à l'abri de plusieurs dérives
observables dans certaines académies telles que le refus de scolarisation des jeunes
pour cause de situation irrégulière ou la mise en place de classes d'accueil fermées en
contradiction avec les recommandations d'intégration progressive au système scolaire
classique. Cependant, le dispositif d'accueil, reflet partiel du système éducatif dans
son ensemble, présente comme ailleurs certains dysfonctionnements.
Les conclusions de cette partie se fondent majoritairement sur les travaux de
Claire Schiff sur la question de la scolarisation des JNA. Elle constate en effet que
les jeunes nouvellement arrivé-e-s sont de manière générale plus vulnérables à la
relégation scolaire, par le biais de la sur-orientation en SEGPA ou de leur sortie
précoce du système scolaire147. Si l'origine nationale ou sociale des jeunes n'apparaît
pas comme un facteur pertinent d'explication de cette relégation scolaire, l'âge
146 KUPFERSTEIN, L., op.cit, p.39
147 SCHIFF, C., art.cit p.78
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d'arrivée en France en revanche, semble déterminant148. Ainsi, avoir passé plus de
trois ans de leur scolarité hors de France se révèle plutôt défavorable aux jeunes, ce
qui est d'autant plus probable qu'ils-elles arrivent plus âgés en France. « L'entrée en
France au cours de l'enfance a, dans un premier temps, une incidence plutôt
négative sur le déroulement de la scolarité de ces élèves, entraînant davantage de
redoublements, d'orientation en filières professionnelles ou de scolarités écourtées ».
Ces effets s'atténuent au fil des années, et l'entrée en France en cours de scolarité est
donc d'autant moins défavorable aux jeunes que ceux-celles-ci arrive jeunes en
France. « L'âge de 12-13 ans apparaît ainsi comme un seuil critique au-delà duquel
les chances de poursuivre une scolarité ordinaire se réduisent sensiblement ». On
observe pour ces populations un taux massif de sortie précoce du système.
Claire Schiff s'appuie sur plusieurs enquêtes pour démontrer que la plupart des
phénomènes de non-scolarisation, déscolarisation ou orientation en filières courtes
des jeunes primo-migrant-e-s relèvent « du fonctionnement ou plutôt des
dysfonctionnements de l'institution elle-même »149.
L'auteure évoque la rigidité du système qui exige des jeunes qu'ils-elles
s’intègrent en classe ordinaire après seulement un an passé en classe d'accueil,
caractéristique de l'espace et du temps d'adaptation restreint qui sont réservés à ces
élèves. « Ces jeunes vivent ainsi une tension particulièrement forte entre un « désir
d'école » et les contraintes d'un mode d'intégration qui les soumet à une sélection
encore plus sévère que les autres élèves »150. Là encore, les jeunes arrivé-e-s à un âge
relativement tardif en sont les premières victimes, étant très rapidement confronté-e-s
aux échéances de l'orientation (à la fin de la 3 ème par exemple). Jessica illustre cela
par le cas d'un élève de 3ème scolarisé en SEGPA : « C'est parce qu'il est en 3ème qu'il
n'aura pas le temps de joindre une classe ordinaire avant de quitter le collège. A
l'âge qu'il a, il ne sera plus au collège l'année prochaine. Donc il faut l'orienter vers
un CAP par exemple, et les ateliers de SEGPA, et les stages aussi des élèves de
148 SCHIFF, C., « La course des jeunes migrants contre les effets de seuil scolaires et législatifs »,
Écarts d'identité, n°110, 2007, p.8
149 SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire », Hommes et
Migrations, n°1251, septembre-octobre 2004, p.78
150 SCHIFF, C., « La course des jeunes migrants contre les effets de seuil scolaires et législatifs »,
Écarts d'identité, n°110, 2007, p.7
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SEGPA, le préparent mieux ». Elle résume : « c'est sûr que quelqu'un que je reçois
en 6ème et quelqu'un que je reçois en 3 ème ce serait différent. Il y a beaucoup plus de
temps quand on arrive en 6ème pour finir intégré avec les autres »151.
Parmi les jeunes interrogé-e-s et indépendamment de leur âge d'arrivée, plusieurs
étaient ainsi déjà scolarisé-e-s en section spécialisée ou devaient être orienté-e-s
l'année suivante vers une filière professionnelle ou spécialisée. San., actuellement en
3ème, souhaite intégrer une seconde professionnelle secrétariat. An. et Ai. postulent
également en lycée professionnel, en comptabilité. Ren., en 4ème, pense que l'année
prochaine elle entrera en SEGPA, que c'est peut-être mieux pour elle sans pour autant
sembler particulièrement convaincue. Aucun-e n'a répondu vouloir entrer en lycée
général. Il est difficile de démêler ce qui relève d'une véritable motivation pour telle
ou telle filière, d'une auto-censure de l'ambition personnelle, ou d'une orientation
plus ou moins imposée par l'établissement, tout ceci influant certainement dans
l'orientation finale. Par ailleurs, il est probable que les jeunes acceptent d'autant
mieux les propositions d'orientation faites par les enseignant-e-s qu'ils-elles
maîtrisent eux-elles-même assez peu le système et que leurs parents sont bien
souvent dans l'incapacité de les accompagner dans ce processus. Les jeunes et leurs
familles seraient alors en partie dépossédé-e-s des choix d'orientation.
Jessica avoue qu'en général « il est très rare que quelqu'un arrive en CLA en 3 ème
et passe directement au lycée l'année d'après. […] En général, une année de CLA ne
suffit pas pour pouvoir aller au lycée. La grande majorité de mes élèves vont dans un
lycée professionnel, faire un CAP ou maintenant de plus en plus des bacs pros »152,
souvent après avoir redoublé s'ils-elles étaient arrivés en 3ème. Jessica précise que l'on
appelle alors pas cela redoublement puisqu'ils-elles n'étaient pas intégré-e-s dans
toutes les matières la première année. Cependant, le système d'orientation ne
s'interroge que rarement par rapport à la signification des « années de retard » des
jeunes, et il arrive fréquemment que ceux-celles-ci soient pénalisé-e-s dans leur
orientation du fait d'un trop grand écart avec l'âge « normal » des élèves de 3ème.
Claire Schiff inclut ainsi la « rigidité d'un système d'orientation qui défavorise
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fortement ceux qui ont un retard d'âge supérieur à un an »153 dans les facteurs
expliquant les orientations vers des filières peu valorisées. Elle remarque également
que le personnel enseignant se sent en général plus autorisé à contester les décisions
d'orientation concernant des élèves primo-arrivant-e-s, phénomène observable
notamment quand il s'agit de recevoir en lycée des élèves sortant d'une classe
d'accueil en collège.
Outre la forte probabilité d'être orienté-e-s vers des filières relativement
dévalorisées, les jeunes nouvellement arrivé-e-s sont également soumis à un plus
grand risque de déscolarisation précoce, conséquence possible du phénomène
précédent. Là encore, les jeunes arrivant après 12-13 ans sont d'autant plus
concerné-e-s par ces sorties précoces du système scolaire. « Très demandeurs d'école
à leur arrivée, lorsqu'ils dérogent à l'obligation scolaire, cela est la conséquence soit
d'une impossibilité formelle pour eux d'accéder à un établissement suite à leur
installation, soit d'une sortie précoce résultant le plus souvent d'une orientation non
souhaitée comme le redoublement de la classe d'accueil, le placement en section
d'éducation spécialisée ou le placement dans une filière professionnelle offrant peu
de débouchés »154 et l'on pourrait ajouter, une filière ne correspondant pas aux centres
d'intérêt du jeune.
Toujours selon Claire Schiff, « le décalage entre les efforts et la progression
d'une part, les performances relatives à une norme scolaire de l'autre, est
particulièrement important pour ces élèves et inévitablement source de
découragement »155. Lorsque ce décalage se solde par l'accumulation « d'années de
retard » (toujours en rapport à une norme scolaire) ou une orientation trop éloignée
des attentes des jeunes, ceux-celles-ci préfèrent parfois quitter l'école pour s'engager
directement dans la vie active, d'autant qu'ils-elles ont le souci de contribuer
rapidement aux revenus de leurs parents. La sélection que subissent de fait les jeunes
nouvellement arrivé-e-s par l'hégémonie d'une culture éducative française
153 SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire », Hommes et
Migrations, n°1251, septembre-octobre 2004, p.81
154 SCHIFF, C., « La course des jeunes migrants contre les effets de seuil scolaires et législatifs »,
Écarts d'identité, n°110, 2007, p.9
155 SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire », Hommes et
Migrations, n°1251, septembre-octobre 2004, p.84
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monolingue, monoculturelle, et dans le culte de l'écrit, participe de ce découragement
qui vient parfois remplacer la motivation initiale. Comme pour beaucoup d'élèves,
mais dans des proportions plus importantes encore, les efforts considérables et la
progression rapide des jeunes ne sont pas toujours ni récompensé-e-s ni valorisé-e-s,
de même que leurs compétences au-delà des difficultés linguistiques. Cette
démotivation n'a pas été observée dans les entretiens avec les jeunes des deux
collèges rennais, mais encore une fois, les jeunes ayant accepté de répondre et le
contexte de l'interaction peuvent expliquer que certains phénomènes n'aient pas
émergé, sans pour autant qu'ils soient complètement absents du cadre rennais.
D'autres jeunes, motivé-e-s par une formation en apprentissage, ne peuvent pas y
accéder de par leur statut. Et les refus de candidatures du simple fait de la qualité de
migrant-e-s des jeunes, ne sont pas éradiqués bien qu'ils soient illégaux. En janvier
2010 a ainsi éclaté un scandale autour du site « Admission Post-Bac » interdisant
l'inscription en formation par apprentissage aux élèves n'étant pas de nationalité
française par cette phrase : « Seuls les candidats de nationalité française peuvent
s'inscrire dans une formation en apprentissage sur APB »156. Les inscriptions se
faisant uniquement via cette plate-forme internet, les jeunes étranger-e-s se
retrouvaient de fait privé-e-s du droit à poursuivre leurs études en IUT, malgré leur
possession d'une carte de séjour adéquate. Le Ministère de l'Enseignement et de la
Recherche a finalement répondu favorablement aux revendications des élèves et de
leurs enseignant-e-s mobilisés, mais ces discriminations restent inquiétantes et
peuvent avoir lieu sous d'autres formes. Enfin, il convient de préciser que si les
jeunes étranger-e-s possédant une carte de séjour ont obtenu gain de cause, il n'en va
pas de même pour les jeunes en situation irrégulière, qui, à partir du moment où
ils-elles ne sont plus soumis à l'obligation de scolarisation, rencontrent des difficultés
parfois insurmontables à poursuivre leurs études.
156 Dépêche de l'AFP du 27 janvier 2011 et article publié dans l'Humanité du 27 janvier 2011.
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Conclusion
Au terme de ce mémoire, l'expérience scolaire des jeunes nouvellement arrivé-e-s
apparaît complexe. La perception positive de l'école qu'expriment les jeunes semble
ne traduire que partiellement cette expérience. Les jeunes rennais-es interrogé-e-s
investissent énormément d'attentes dans l'école, et semblent, au stade du collège,
vivre sereinement leur scolarisation : celle-ci leur apporte visiblement une stabilité et
un confort qui tranchent avec les précarités matérielle, sociale et psychologique,
connues au cours de leur parcours migratoire et qui se poursuivent à l'arrivée en
France. Cela est loin d'être négligeable, et le discours des jeunes est ici d'autant plus
positif qu'ils-elles bénéficient d'un dispositif d'accueil rennais plutôt satisfaisant et
semblant échapper à certains écueils évoqués par Claire Schiff concernant d'autres
académies. Cependant, leur parcours scolaire n'est pas nécessairement simplifié par
leur motivation : les obstacles attachés à leur situation sociale ou inhérents au
système scolaire viennent souvent décevoir les espoirs initiaux nourris par les JNA.
Par ailleurs, l'enquête portait uniquement sur des collégien-ne-s, toujours
soumis-es à l'obligation scolaire, ce qui leur garantit en réalité le droit d'être
scolarisé-e-s. Il ne faut cependant pas oublier la réalité « des jeunes migrants qui
n’accèdent jamais à l'école. Pour les élèves âgés qui arrivent sans maîtrise du
français, l'obligation scolaire fixée à 16 ans n'agit pas tant comme une obligation
faite aux parents de les scolariser au moins jusqu'à cet âge, que comme une liberté
laissée aux établissements de ne pas les recevoir pour peu que les dispositifs adaptés
soient insuffisants ou les classes d'accueil déjà saturées »157. Ces « grands
adolescents primo-migrants », notamment s'ils ne maîtrisent pas le français, sont bien
souvent perçus comme non scolarisables, d'autant que, la scolarisation en classe
d'accueil représentant un coût supérieur à celle en classe ordinaire, les acteurs
institutionnels font souvent preuve de réticences par rapport à des élèves qu'ils ne
sont pas légalement obligés de recevoir. Pour Claire Schiff, « l'absence de solution
offerte à un nombre croissant de jeunes migrants approchant ou ayant dépassé l'âge
157 SCHIFF, C., « La course des jeunes migrants contre les effets de seuil scolaires et législatifs »,
Écarts d'identité, n°110, 2007, p.8
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de l'obligation scolaire, mais qui étaient le plus souvent correctement scolarisés
dans leur pays d'origine, est ainsi particulièrement inquiétante »158. Leurs besoins ne
correspondent pas à ceux couverts par les cours d'alphabétisation destinés à un public
d'adultes et si la formation linguistique attachée au Contrat d'Accueil et
d'Intégration159 est depuis 2006 accessible aux jeunes entre 16 et 18 ans, ce contrat ne
fait pas l'unanimité dans les associations intervenant auprès des personnes étrangères.
Il ne s'adresse qu'aux nouveaux-elles arrivant-e-s régulier-e-s, et son respect sera
déterminant dans le renouvellement d'un titre de séjour ou l'obtention d'une carte de
résident : « la stabilité du séjour, sanctionnée par l’obtention automatique de la
carte de résident après un délai de présence régulière, était considérée comme un
facteur favorisant l’intégration ; il faudra désormais s’intégrer (et le prouver) avant
même d’avoir la garantie d’un séjour stable »160.
La question de la scolarisation d'adolescent-e-s nouvellement arrivé-e-s est ainsi
amenée à se poser de plus en plus sérieusement : les restrictions au regroupement
familial introduites par la loi du 24 juillet 2006 rendent en effet le processus plus
compliqué et « la conséquence sera sans aucun doute d'orienter à la hausse l'âge
moyen des enfants entrant dans le cadre du regroupement familial ce qui ne
manquera pas de réduire davantage leurs chances d'accéder à une scolarité
ordinaire, de compléter une formation qualifiante et d'obtenir un diplôme compte
tenu des effets importants de l'âge à l'arrivée sur le déroulement de la scolarité »161.
On peut aussi imaginer que les parents optent plutôt pour faire entrer leurs enfants en
dehors du regroupement familial et tentent de les faire régulariser a posteriori.
158 SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire », Hommes et
Migrations, n°1251, septembre-octobre 2004, p.85
159 Contrat mis en œuvre dans quelques académies depuis 2003, rendu obligatoire pour tout
nouvel arrivant régulier par la loi du 24 juillet 2006, et développé aux articles R311-19 et
suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, consulté le 12 mai
2011.
160 www.vie-publique.fr Dossier « Le contrat d'accueil et d'intégration : un parcours obligatoire,
condition d'une installation durable », 3 juillet 2007, consulté le 12 mai 2011.
161 SCHIFF, C., « La course des jeunes migrants contre les effets de seuil scolaires et législatifs »,
Écarts d'identité, n°110, 2007, p.11
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Bibliographie
Ouvrages imprimés
BERTHELIER, R., Enfants de migrants à l'école française, Paris, l'Harmattan,
2006.
CACOUAULT-BITAUD, M., et OEUVRARD, F., Sociologie de l’Éducation,
Paris, La Découverte, 4ème édition 2009.
DUBET, F., et LAPEYRONNIE, D., Les quartiers d'exil, Paris, Éditions du
Seuil, 1992.
DUBET, F., Faits d'école, Paris, Éditions de l'École des Hautes Études en
Sciences Sociales, 2008.
KUPFERSTEIN, L., Un CLIN d’œil à l’Éducation nationale : l'organisation des
dispositifs d'accueil pour les élèves nouvellement arrivés non francophones dans
les départements d'Ille et Vilaine et de Seine-Saint-Denis, Institut d’Études
Politiques de Rennes, 2009, mémoire de Master 2 sous la direction de C. Le Bart.
LACOUR, H., Itinéraires et perspectives scolaires des jeunes issus de
l'immigration turque. Trajectoires plurielles des franco-turcs de Rennes, Institut
d'Etudes Politiques de Rennes, 2007, mémoire de quatrième année sous la
direction de J-F Polo.
NORDMANN, C., La fabrique de l'impuissance 2. L'école, entre domination et
émancipation, Paris, Éditions Amsterdam, 2007.
DE QUEIROZ, J-M., L'école et ses sociologies, Paris, Armand Colin, 2ème
édition 2006.
RICHARD, J-L, Partir ou rester ? Destinées des jeunes issus de l'immigration,
Paris, Presses Universitaires de France, 2004.
THIN, D., Quartiers populaires. L'école et les familles, Lyon, Presses
Universitaires de Lyon, 1998.
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Articles de revues et périodiques
LECONTE F., MORTAMET C., « Cultures d'apprentissage et mode
d'appropriation des langues chez des adolescents alloglottes », Glottopol n°11,
janvier 2008.
PEIGNE, C., « Solliciter pour mieux intégrer ? Stratégies enseignantes et
mobilisations du répertoire pluriel d'adolescents nouvellement arrivés »,
Glottopol n°11, janvier 2008.
SCHIFF, C., « L'institution scolaire et les élèves migrants : peut mieux faire »,
Hommes et Migrations, septembre-octobre 2004, n°1251.
SCHIFF, C., « La course des jeunes migrants contre les effets de seuil scolaires et
législatifs », Écarts d'identité, n°110/2007.
XAVIER de BRITO, A., et VASQUEZ, A., « L'intégration... mais qu'est-ce
donc ? » Revue française de pédagogie, volume 117, 1996.
Sources primaires
Guide de scolarisation des ENA, élèves nouvellement arrivés en France, réalisé
par les membres d'un cercle de réflexion autour de thématique de scolarisation
des ENA en Bretagne (enseignant-e-s, formateurs-trices, proviseure de lycée et
principaux de collèges, directeurs-trices de CIO, Inspecteur d'Académie),
Rennes, Éditeur Rectorat SAFOR, octobre 2010.
Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), articles
R311-19 et suivants, consulté le 12 mai 2011.
Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale n°10 du 25 avril 2002 reprenant la
circulaire n°2002-100 du 25 avril 2002.
Support numérique
www.vie-publique.fr Dossier « Le contrat d'accueil et d'intégration : un parcours
obligatoire, condition d'une installation durable », 3 juillet 2007, consulté le 12
mai 2011.
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Annexes
Annexe 1 - Entretiens et observations réalisé-e-s
•
Jeunes Nouvellement Arrivé-e-s
Les entretiens avec les jeunes n'ayant pas été enregistrés, la durée ne peut en être
indiquée précisément mais elle était en moyenne de trente minutes.
◦ Bu., 15 ans, en 4ème, arrivé de Mongolie début 2010, scolarisé en CLA depuis
mars 2010. Entretien réalisé le 24 février 2011, chez la bénévole de l'AFEV
l'accompagnant.
◦ San., 14 ans, en 3ème, arrivée d'Angola début 2010, scolarisée en CLA depuis
avril 2010, n'a plus que 2h de CLA par semaine. Entretien réalisé le 15 mars
2011 chez elle, en présence de la bénévole de l'AFEV.
◦ Ja., 12 ans, en 6ème, et Ab., 15 ans, 4ème, arrivés du Maroc en 2009 et
scolarisés en CLA depuis mars 2010. Entretien réalisé chez eux le 16 mars
2011, en présence du bénévole de l'AFEV.
◦ Ren., 14 ans, 4ème, arrivée du Kosovo en 2008, scolarisée en CLA depuis
septembre 2010, après être passée par la CLA-NSA. Entretien réalisé le 24 mars
2011 au CDI du collège.
◦ Ang., 15 ans ?, 5ème, arrivée du Rwanda en 2010, scolarisée en CLA depuis le
printemps 2010. Entretien réalisé le 25 mars 2011 au foyer du collège.
◦ Ki., 14 ans, 5ème, arrivé du Cambodge en 2009 et scolarisé en CLA depuis
octobre ou novembre 2009. Entretien réalisé le 25 mars 2011 au foyer du
collège.
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◦ An., 15 ans, 3ème, arrivée d'Arménie en 2008, scolarisée en CLA et en 5ème en
juin 2008 et actuellement sortie de CLA. Ai., 16 ans, 3ème, arrivée du Dagestan
(Russie) en mars 2007, scolarisée en CLA et en 6ème en avril 2007 et
actuellement sortie de CLA. Entretien réalisé le 31 mars 2011 dans la cour du
collège.
•
Enseignantes et personnes travaillant au contact des JNA
◦ Jessica Gaines, enseignante en CLA au collège des Hautes-Ourmes, entretien
réalisé le 3 décembre 2010 à son domicile, enregistré, 1h12.
◦ Sophie Delvallez, enseignante en CLA au collège Clotilde Vautier, entretien
réalisé le 21 mars 2011, en salle des professeur-e-s au collège, environ
quarante-cinq minutes.
◦ Ahmed Chatmi, président de l'Union des Associations Interculturelles de
Rennes, entretien informel réalisé le 9 décembre 2010 dans les locaux de
l'association, vingt minutes environ.
•
Observations en CLA
◦ CLA du collège des Hautes-Ourmes le 25 février 2010, une journée.
◦ CLA du collège Clotilde Vautier le 21 mars 2011, un après-midi.
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Annexe 2 - Localisation des collèges accueillant une CLA
à Rennes
A : Collège Clotilde Vautier
B : Collège des Hautes-Ourmes
C : Collège Les Chalais
D : Collège Montbarrot
E : Collège Echange
La présente étude porte sur les collèges Clotilde Vautier et Hautes-Ourmes.
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Annexe 3 - Procédure d'évaluation des JNA à leur arrivée
Extrait du guide de scolarisation des ENA 2010, publié par l'académie de Rennes, p.6.
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