elle nous enterrera tous.qxp

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elle nous enterrera tous.qxp
FLORIANE - Je me suis levée – je l’avais –, j’ai enfilé ma robe de
chambre – je l’avais encore –, je suis descendue remonter le rideau
de fer – je l’avais toujours – et…
ABEL - Et… ?
FLORIANE - Je me suis levée – je l’avais –, j’ai enfilé ma robe de
chambre – je l’avais encore –, je suis descendue remonter le rideau
de fer – je l’avais toujours – et…
ABEL - Et… ?
FLORIANE - Et après, trou noir ! J’ai repris péniblement mes
esprits dans la douche et je ne l’avais plus ! Entre ici et la salle de
bains : le vide ! Alzheimer !
ABEL - Tout de suite les grands mots !
FLORIANE - Si, si, je deviens folle ! Je le sens ! Comme ma tante
Martine, qui a fini zinzin et qui ne se nourrissait plus que de fromage râpé !
ABEL (très calme) - Tu es en pleine forme ! Arrête !
FLORIANE (catégorique) - Non, Abel ! Je suis foutue !
Irrémédiablement foutue !
ABEL - Tu es hypocondriaque.
FLORIANE - Et après, trou noir ! J’ai repris péniblement mes
esprits dans la douche et je ne l’avais plus ! Entre ici et la salle de
bains : le vide ! Alzheimer !
ABEL - Tout de suite les grands mots !
FLORIANE - Si, si, je deviens folle ! Je le sens ! Comme ma tante
Martine, qui a fini zinzin et qui ne se nourrissait plus que de fromage râpé !
ABEL (très calme) - Tu es en pleine forme ! Arrête !
FLORIANE (catégorique) - Non, Abel ! Je suis foutue !
Irrémédiablement foutue !
ABEL - Tu es hypocondriaque.
FLORIANE - Je ne suis pas hypocondriaque : je suis tout le temps
malade, nuance !… Hier soir, tiens : en regardant mon feuilleton, je
grignotais un biscuit. Je l’avais dans la main droite depuis le début,
comme ça. (Elle montre.) Et brusquement, va savoir pourquoi, j’ai
avancé ma main gauche et crac ! je me suis mordue jusqu’au sang !
Regarde ! (Elle lui met son poing sous le nez.)
FLORIANE - Je ne suis pas hypocondriaque : je suis tout le temps
malade, nuance !… Hier soir, tiens : en regardant mon feuilleton, je
grignotais un biscuit. Je l’avais dans la main droite depuis le début,
comme ça. (Elle montre.) Et brusquement, va savoir pourquoi, j’ai
avancé ma main gauche et crac ! je me suis mordue jusqu’au sang !
Regarde ! (Elle lui met son poing sous le nez.)
ABEL (dédramatisant) - Tu étais concentrée. C’est toujours
comme ça quand tu regardes un vieux « Columbo » !
ABEL (dédramatisant) - Tu étais concentrée. C’est toujours
comme ça quand tu regardes un vieux « Columbo » !
FLORIANE (véhémente) - Mais je les ai tous vus quinze fois, les
« Columbo » ! J’ai plus besoin de me concentrer, quand même !…
Non, non : je pars en sucette…
FLORIANE (véhémente) - Mais je les ai tous vus quinze fois, les
« Columbo » ! J’ai plus besoin de me concentrer, quand même !…
Non, non : je pars en sucette…
Elle s’est avancée vers le cagibi, mais Abel lui barre la route.
Elle s’est avancée vers le cagibi, mais Abel lui barre la route.
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ABEL (inquisiteur) - Où est-ce que tu vas ?
ABEL (inquisiteur) - Où est-ce que tu vas ?
FLORIANE (un peu étonnée) - Dans le cagibi.
FLORIANE (un peu étonnée) - Dans le cagibi.
ABEL - Pour quoi faire ?
ABEL - Pour quoi faire ?
FLORIANE (avec humeur) - Du tricot !… Pour voir si je n’ai pas
fait tomber mon trèfle, idiot !
FLORIANE (avec humeur) - Du tricot !… Pour voir si je n’ai pas
fait tomber mon trèfle, idiot !
ABEL - Mais tu n’y es pas entrée, ce matin, tu me l’as dit !
ABEL - Mais tu n’y es pas entrée, ce matin, tu me l’as dit !
FLORIANE (rebroussant chemin) - C’est vrai. (Un temps.) À qui
est-ce que tu as ouvert tout à l’heure ?
FLORIANE (rebroussant chemin) - C’est vrai. (Un temps.) À qui
est-ce que tu as ouvert tout à l’heure ?
ABEL - Hein ?… À un représentant.
ABEL - Hein ?… À un représentant.
FLORIANE - Tu as réussi à t’en débarrasser ?
FLORIANE - Tu as réussi à t’en débarrasser ?
ABEL - Ah oui ! Ah oui !…
ABEL - Ah oui ! Ah oui !…
FLORIANE - Qu’est-ce qu’il voulait te vendre ?
FLORIANE - Qu’est-ce qu’il voulait te vendre ?
ABEL (au hasard) - Des assurances-vie.
ABEL (au hasard) - Des assurances-vie.
FLORIANE - Tu n’as pas été trop méchant avec lui, dis ? C’est pas
facile leur boulot, tu sais…
FLORIANE - Tu n’as pas été trop méchant avec lui, dis ? C’est pas
facile leur boulot, tu sais…
ABEL (grave) - J’ai fait… ce qu’il fallait faire !
FLORIANE - Parfait !… (Observant son fils.) Je vois qu’on n’est
toujours pas habillé !
FLORIANE - Parfait !… (Observant son fils.) Je vois qu’on n’est
toujours pas habillé !
ABEL (étonné) - Ah si ! Justement ! C’est pas assez élégant,
c’est ça ?
ABEL (étonné) - Ah si ! Justement ! C’est pas assez élégant,
c’est ça ?
FLORIANE - Regarde ton pantalon : il est encore plein de traces
de terre. C’est la médaille de la famille qu’on me remet aujourd’hui,
pas celle du mérite agricole !… De toute façon, si je ne retrouve pas
mon trèfle avant la cérémonie, je la refuse, cette médaille !
FLORIANE - Regarde ton pantalon : il est encore plein de traces
de terre. C’est la médaille de la famille qu’on me remet aujourd’hui,
pas celle du mérite agricole !… De toute façon, si je ne retrouve pas
mon trèfle avant la cérémonie, je la refuse, cette médaille !
ABEL - Je suis vraiment obligé de mettre un pantalon ?
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Reproduction Interdite
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ABEL (grave) - J’ai fait… ce qu’il fallait faire !
ABEL - Je suis vraiment obligé de mettre un pantalon ?
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FLORIANE - Tu peux y aller cul nu, Abel, tu feras sensation !
FLORIANE - Tu peux y aller cul nu, Abel, tu feras sensation !
ABEL - Mais non! Un vrai pantalon, je veux dire. Avec des pinces
et tout le bazar.
ABEL - Mais non! Un vrai pantalon, je veux dire. Avec des pinces
et tout le bazar.
FLORIANE - Oui, « avec des pinces et tout le bazar » !… Je t’ai
préparé le beige ; celui d’Antoine, tu sais ? Il est plié sur ton lit.
FLORIANE - Oui, « avec des pinces et tout le bazar » !… Je t’ai
préparé le beige ; celui d’Antoine, tu sais ? Il est plié sur ton lit.
ABEL - Heureusement que tu as, un jour, acheté des vêtements à
mon frère, sinon je me demande bien comment j’aurais fait pour
m’habiller… Je comprends mieux le mot « GARDE-robe », dans
cette famille !
ABEL - Heureusement que tu as, un jour, acheté des vêtements à
mon frère, sinon je me demande bien comment j’aurais fait pour
m’habiller… Je comprends mieux le mot « GARDE-robe », dans
cette famille !
FLORIANE - Il nous reste toujours la petite jupe vichy d’Adeline,
si tu préfères ! (Hurlant brusquement) Abel !!!
FLORIANE - Il nous reste toujours la petite jupe vichy d’Adeline,
si tu préfères ! (Hurlant brusquement) Abel !!!
ABEL (sursautant) - Qu’est-ce que c’est ?
FLORIANE (montrant quelque chose à ses pieds) - Il est là ! Il est
là ! (Elle se baisse et ramasse son pendentif.) Regarde… Bonjour,
toi!… Je me disais bien que j’étais pas folle! Je savais que je l’avais
posé là ! (Elle le raccroche à son collier.) Voilà ! Avec ça, il ne peut
rien nous arriver !
ABEL (nouveau coup d’œil vers le cagibi) - Si tu le dis…
Soulagée, elle va calmement arranger les fleurs à jardin.
FLORIANE - À part ça, bien dormi ?
ABEL (sursautant) - Qu’est-ce que c’est ?
FLORIANE (montrant quelque chose à ses pieds) - Il est là ! Il est
là ! (Elle se baisse et ramasse son pendentif.) Regarde… Bonjour,
toi!… Je me disais bien que j’étais pas folle! Je savais que je l’avais
posé là ! (Elle le raccroche à son collier.) Voilà ! Avec ça, il ne peut
rien nous arriver !
ABEL (nouveau coup d’œil vers le cagibi) - Si tu le dis…
Soulagée, elle va calmement arranger les fleurs à jardin.
FLORIANE - À part ça, bien dormi ?
ABEL - Je crois que j’ai perdu connaissance vers trois heures.
Et toi ?
ABEL - Je crois que j’ai perdu connaissance vers trois heures.
Et toi ?
FLORIANE - Cinq heures ! Tu te rends compte ? J’ai tout essayé,
pourtant : la tisane, les comprimés, la musique…
FLORIANE - Cinq heures ! Tu te rends compte ? J’ai tout essayé,
pourtant : la tisane, les comprimés, la musique…
ABEL - … les moutons ?
ABEL - … les moutons ?
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FLORIANE (acquiesçant) - Les moutons, aussi, oui ! Mais ils se
sont fatigués avant moi : ils se sont endormis en tas devant leur
barrière, ces lâches !
FLORIANE (acquiesçant) - Les moutons, aussi, oui ! Mais ils se
sont fatigués avant moi : ils se sont endormis en tas devant leur
barrière, ces lâches !
ABEL - Maman, fais-moi plaisir : laisse tes fleurs tranquilles ! Au
moins aujourd’hui !
ABEL - Maman, fais-moi plaisir : laisse tes fleurs tranquilles ! Au
moins aujourd’hui !
FLORIANE - Je sais bien, mais il faut que je m’occupe à tout prix!
Je suis tellement excitée! Tiens, alors : viens m’arranger ma coiffure…
FLORIANE - Je sais bien, mais il faut que je m’occupe à tout prix!
Je suis tellement excitée! Tiens, alors : viens m’arranger ma coiffure…
Elle s’assied au centre de la scène et Abel lui enlève ses
bigoudis, debout derrière elle.
Elle s’assied au centre de la scène et Abel lui enlève ses
bigoudis, debout derrière elle.
ABEL - On t’a dit comment allait se dérouler la cérémonie ?
ABEL - On t’a dit comment allait se dérouler la cérémonie ?
FLORIANE - Ça va être très simple : le maire va prononcer un
discours devant les élus et les gens qui seront là ; un discours dans
lequel il va dire combien je mérite cette médaille de la famille,
ayant élevé seule mes quatre enfants, et patati et patata… Puis ce
sera mon tour de remercier tout le monde et surtout mes enfants
chéris qui ont eu la délicatesse de faire cette demande de médaille…
FLORIANE - Ça va être très simple : le maire va prononcer un
discours devant les élus et les gens qui seront là ; un discours dans
lequel il va dire combien je mérite cette médaille de la famille,
ayant élevé seule mes quatre enfants, et patati et patata… Puis ce
sera mon tour de remercier tout le monde et surtout mes enfants
chéris qui ont eu la délicatesse de faire cette demande de médaille…
ABEL - Et le maire, à quel moment va-t-il te demander en mariage ?
ABEL - Et le maire, à quel moment va-t-il te demander en mariage ?
FLORIANE (coquette) - Mais qu’est-ce que tu racontes ?
FLORIANE (coquette) - Mais qu’est-ce que tu racontes ?
ABEL - Allez, Maman ! Pas à moi ! Il est raide dingue de toi, le
vieux beau !
ABEL - Allez, Maman ! Pas à moi ! Il est raide dingue de toi, le
vieux beau !
FLORIANE (outrée) - Abel !
FLORIANE (outrée) - Abel !
ABEL - C’est pas vrai ?
ABEL - C’est pas vrai ?
FLORIANE - Qu’est-ce que tu vas chercher ? Aimé Dantès est un
homme généreux qui a beaucoup d’estime pour notre famille, c’est
tout !
FLORIANE - Qu’est-ce que tu vas chercher ? Aimé Dantès est un
homme généreux qui a beaucoup d’estime pour notre famille, c’est
tout !
ABEL (riant) - Et tu la situes où son estime ? Dans le haut ou
dans le bas-ventre ?
ABEL (riant) - Et tu la situes où son estime ? Dans le haut ou
dans le bas-ventre ?
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FLORIANE - Abel, ça suffit !
FLORIANE - Abel, ça suffit !
ABEL - Attends, je trouve ça super, moi, Maman, qu’Aimé veuille
t’épouser! C’est la meilleure chose qui pourrait arriver! Mariée à un
Aimé : y a pas plus glamour !
ABEL - Attends, je trouve ça super, moi, Maman, qu’Aimé veuille
t’épouser! C’est la meilleure chose qui pourrait arriver! Mariée à un
Aimé : y a pas plus glamour !
FLORIANE - Aimé ne veut pas m’épouser, je ne sais vraiment pas
pourquoi est-ce que tu t’es inventé ça !
FLORIANE - Aimé ne veut pas m’épouser, je ne sais vraiment pas
pourquoi est-ce que tu t’es inventé ça !
ABEL - Et cette fusion de vos deux commerces, c’était pas un
sous-entendu gros comme ta médaille, peut-être ?
ABEL - Et cette fusion de vos deux commerces, c’était pas un
sous-entendu gros comme ta médaille, peut-être ?
FLORIANE - Je tiens un magasin de fleurs, et lui recycle les
déchets végétaux pour en faire des boîtes à œufs ; il n’y a pas fusion
plus logique !
FLORIANE - Je tiens un magasin de fleurs, et lui recycle les
déchets végétaux pour en faire des boîtes à œufs ; il n’y a pas fusion
plus logique !
ABEL - « Plus érotique » !
FLORIANE - De toute façon, je n’ai aucune intention de me remarier. C’est comme la vodka : j’ai été malade une fois, ça m’a servi !
(Abel rit.) Oh ! tu peux rire ! On m’y reprendra pas, je te jure ! Votre
père m’a suffi… (Abel s’est figé, comme s’il se réveillait d’un cauchemar. Elle poursuit.) Nous planter là, tous les cinq. Disparaître
comme un voleur. Pas un mot, pas une carte pour vos anniversaires.
Rien !… Je te jure que je ne l’ai pas volée, ma médaille de la mère
méritante ! Je devrais être carrément canonisée ! (Abel est retourné
vers les fleurs.) Entre ça, plus la picole, les coups et les maîtresses,
j’avais tiré le pompon avec votre père !… Si j’avais pu, je l’aurais
tué ! Je la mérite, moi, cette médaille !
Pendant toute la tirade de Floriane, Abel ne s’est pas départi
de son air préoccupé et n’a pas cessé de fixer la porte du
cagibi.
Pendant toute la tirade de Floriane, Abel ne s’est pas départi
de son air préoccupé et n’a pas cessé de fixer la porte du
cagibi.
ABEL (plus pour lui) - Qu’est-ce que je vais en faire ?… Mais
qu’est-ce que je vais bien pouvoir en faire ?
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Reproduction Interdite
FLORIANE - De toute façon, je n’ai aucune intention de me remarier. C’est comme la vodka : j’ai été malade une fois, ça m’a servi !
(Abel rit.) Oh ! tu peux rire ! On m’y reprendra pas, je te jure ! Votre
père m’a suffi… (Abel s’est figé, comme s’il se réveillait d’un cauchemar. Elle poursuit.) Nous planter là, tous les cinq. Disparaître
comme un voleur. Pas un mot, pas une carte pour vos anniversaires.
Rien !… Je te jure que je ne l’ai pas volée, ma médaille de la mère
méritante ! Je devrais être carrément canonisée ! (Abel est retourné
vers les fleurs.) Entre ça, plus la picole, les coups et les maîtresses,
j’avais tiré le pompon avec votre père !… Si j’avais pu, je l’aurais
tué ! Je la mérite, moi, cette médaille !
ABEL (plus pour lui) - Qu’est-ce que je vais en faire ?… Mais
qu’est-ce que je vais bien pouvoir en faire ?
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ABEL - « Plus érotique » !
FLORIANE (se méprenant) - Je pensais l’accrocher dans le salon…
FLORIANE (se méprenant) - Je pensais l’accrocher dans le salon…
ABEL - Pardon ?!
ABEL - Pardon ?!
FLORIANE - Ben oui. Ou alors, au-dessus de mon lit : comme les
chasseurs avec leurs trophées, quoi !
ABEL (perdu) - De quoi tu parles, Maman ?
FLORIANE - De la médaille, voyons ! Qu’est-ce que tu as, Abel ?
Tu as l’air tout chose…
ABEL (s’asseyant) - Ça va, ça va…
FLORIANE - Ben oui. Ou alors, au-dessus de mon lit : comme les
chasseurs avec leurs trophées, quoi !
ABEL (perdu) - De quoi tu parles, Maman ?
FLORIANE - De la médaille, voyons ! Qu’est-ce que tu as, Abel ?
Tu as l’air tout chose…
ABEL (s’asseyant) - Ça va, ça va…
FLORIANE - Chéri, pas à moi ! Si l’un de vous soupirait à
Melbourne, ça me décoifferait jusqu’ici !… Alors ?
FLORIANE - Chéri, pas à moi ! Si l’un de vous soupirait à
Melbourne, ça me décoifferait jusqu’ici !… Alors ?
ABEL (allant ouvrir la porte vitrée) - Rien ! C’est que… C’est
que c’est une grosse journée qui se prépare, quand même !
ABEL (allant ouvrir la porte vitrée) - Rien ! C’est que… C’est
que c’est une grosse journée qui se prépare, quand même !
FLORIANE - Tout va bien se passer, ne t’inquiète pas ! Le traiteur
est prêt pour dix heures. J’enverrai ta sœur chercher les plateaux
quand elle arrivera de l’aéroport…
FLORIANE - Tout va bien se passer, ne t’inquiète pas ! Le traiteur
est prêt pour dix heures. J’enverrai ta sœur chercher les plateaux
quand elle arrivera de l’aéroport…
ABEL (prenant deux pots sous le comptoir et les sortant) - Je te
rappelle qu’Adeline est enceinte de huit mois, Maman. Déjà que,
d’habitude, elle n’en fout pas une rame !
ABEL (prenant deux pots sous le comptoir et les sortant) - Je te
rappelle qu’Adeline est enceinte de huit mois, Maman. Déjà que,
d’habitude, elle n’en fout pas une rame !
FLORIANE - J’enverrai Michel, alors…
FLORIANE - J’enverrai Michel, alors…
ABEL (de dehors) - C’est un ventre, son mari !
ABEL (de dehors) - C’est un ventre, son mari !
FLORIANE - Pas autant qu’elle!… Mais tu as raison : il est capable
de nous torpiller tous les petits fours sur le trajet !
FLORIANE - Pas autant qu’elle!… Mais tu as raison : il est capable
de nous torpiller tous les petits fours sur le trajet !
ABEL (revenant dans la boutique) - Et le frère de Papa, il arrive
à quelle heure ?
ABEL (revenant dans la boutique) - Et le frère de Papa, il arrive
à quelle heure ?
FLORIANE - Maurizio ? Par le train de neuf heures.
14
FLORIANE - Maurizio ? Par le train de neuf heures.
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ABEL (passant à jardin) - Tu es sûre que tu étais obligée de
l’inviter, celui-là ? On le connaît même pas !
ABEL (passant à jardin) - Tu es sûre que tu étais obligée de
l’inviter, celui-là ? On le connaît même pas !
FLORIANE - Justement ! C’est la seule personne qui est encore
vivante du côté de votre père, c’est important que vous le rencontriez au moins une fois.
FLORIANE - Justement ! C’est la seule personne qui est encore
vivante du côté de votre père, c’est important que vous le rencontriez au moins une fois.
ABEL - Et alors ? Ils sont vraiment jumeaux avec Papa ?
ABEL - Et alors ? Ils sont vraiment jumeaux avec Papa ?
FLORIANE (catégorique) - Des clowns !
FLORIANE (catégorique) - Des clowns !
ABEL - Des clowns ?!… Ah non ! « Des clones », Maman !
ABEL - Des clowns ?!… Ah non ! « Des clones », Maman !
FLORIANE - C’est pareil !… Sauf qu’y en a un qui a viré curé et
l’autre bandit ! Bien entendu, je me suis payé le bandit ! Si j’avais
su, j’aurais épousé le curé !
ABEL - Et donc tu as réellement gardé le contact avec lui ?
FLORIANE - C’est pareil !… Sauf qu’y en a un qui a viré curé et
l’autre bandit ! Bien entendu, je me suis payé le bandit ! Si j’avais
su, j’aurais épousé le curé !
ABEL - Et donc tu as réellement gardé le contact avec lui ?
FLORIANE - On s’est écrit à chaque Noël. Et j’ai fait, chaque
année, des dons à sa paroisse.
FLORIANE - On s’est écrit à chaque Noël. Et j’ai fait, chaque
année, des dons à sa paroisse.
ABEL (retournant vers la porte vitrée avec deux autres pots) C’est parce qu’il vient nous voir que tu as raccroché ce portrait
infâme de lui, en soutane, au-dessus du bahut ? J’ai failli avoir un
arrêt cardiaque en me levant !
ABEL (retournant vers la porte vitrée avec deux autres pots) C’est parce qu’il vient nous voir que tu as raccroché ce portrait
infâme de lui, en soutane, au-dessus du bahut ? J’ai failli avoir un
arrêt cardiaque en me levant !
FLORIANE - Il est très bien sur ce portrait : il ressemble à
Richard Chamberlain dans « Les oiseaux se cachent pour mourir ».
FLORIANE - Il est très bien sur ce portrait : il ressemble à
Richard Chamberlain dans « Les oiseaux se cachent pour mourir ».
ABEL (ressortant) - Moi, j’aurais plus dit Fernandel dans « Don
Camillo » !
ABEL (ressortant) - Moi, j’aurais plus dit Fernandel dans « Don
Camillo » !
FLORIANE - Un peu de respect, s’il te plaît ! C’est ton oncle !
FLORIANE - Un peu de respect, s’il te plaît ! C’est ton oncle !
ABEL - Voilà, j’ai fini. (Regardant par la porte vitrée.) Tiens, j’ai
l’impression que ta grande amie vient te féliciter avant tout le monde !
ABEL - Voilà, j’ai fini. (Regardant par la porte vitrée.) Tiens, j’ai
l’impression que ta grande amie vient te féliciter avant tout le monde !
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FLORIANE (regardant à son tour) - Principauté Trite ? Même
aujourd’hui, il faut qu’elle vienne m’empoisonner l’air, celle-là !…
Regarde-la avec son chapeau et ses plumes ! On dirait une autruche !
FLORIANE (regardant à son tour) - Principauté Trite ? Même
aujourd’hui, il faut qu’elle vienne m’empoisonner l’air, celle-là !…
Regarde-la avec son chapeau et ses plumes ! On dirait une autruche !
ABEL - Pourquoi est-ce qu’elle s’appelle Principauté ?
ABEL - Pourquoi est-ce qu’elle s’appelle Principauté ?
FLORIANE - Ses parents étaient Monégasques…
FLORIANE - Ses parents étaient Monégasques…
ABEL (riant) - Tu ne l’aimes pas, hein ?
ABEL (riant) - Tu ne l’aimes pas, hein ?
FLORIANE (de mauvaise foi) - Pas du tout : j’ai simplement la
froide lucidité du chirurgien devant la tumeur !
FLORIANE (de mauvaise foi) - Pas du tout : j’ai simplement la
froide lucidité du chirurgien devant la tumeur !
Principauté est entrée, coiffée d’un minuscule chapeau orné
de grandes plumes.
Principauté est entrée, coiffée d’un minuscule chapeau orné
de grandes plumes.
PRINCIPAUTÉ (faux-cul) - Ah ! Floflo !
PRINCIPAUTÉ (faux-cul) - Ah ! Floflo !
FLORIANE (idem) - Ah ! Principauté !
FLORIANE (idem) - Ah ! Principauté !
PRINCIPAUTÉ - Comment allez-vous, chérie ? C’est le grand jour,
n’est-ce pas ?
PRINCIPAUTÉ - Comment allez-vous, chérie ? C’est le grand jour,
n’est-ce pas ?
FLORIANE (désignant le chapeau) - Vous parlez de l’ouverture
de la chasse, chère amie ? Gare à vos plumes !
FLORIANE (désignant le chapeau) - Vous parlez de l’ouverture
de la chasse, chère amie ? Gare à vos plumes !
PRINCIPAUTÉ - Toujours cet humour ravageur, n’est-ce pas ?…
(Apercevant Abel.) Et le grand fils est là, aussi ! C’est merveilleux !
PRINCIPAUTÉ - Toujours cet humour ravageur, n’est-ce pas ?…
(Apercevant Abel.) Et le grand fils est là, aussi ! C’est merveilleux !
FLORIANE - Que puis-je faire pour vous ?
FLORIANE - Que puis-je faire pour vous ?
FLORIANE - Et… ?
PRINCIPAUTÉ - Et… vous n’avez besoin de rien ?
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PRINCIPAUTÉ - Rien du tout, vous pensez ! Je passais sur la
Grande Place, par hasard, alors je me suis dit : « Principauté, n’est-ce
pas aujourd’hui que le conseil municipal distingue ta vieille, vieille
amie ? » (Elle a évidemment bien appuyé sur le « vieille ».) « Va
donc voir si elle n’a besoin de rien ! »
Reproduction Interdite
Reproduction Interdite
PRINCIPAUTÉ - Rien du tout, vous pensez ! Je passais sur la
Grande Place, par hasard, alors je me suis dit : « Principauté, n’est-ce
pas aujourd’hui que le conseil municipal distingue ta vieille, vieille
amie ? » (Elle a évidemment bien appuyé sur le « vieille ».) « Va
donc voir si elle n’a besoin de rien ! »
FLORIANE - Et… ?
PRINCIPAUTÉ - Et… vous n’avez besoin de rien ?
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FLORIANE - Non, tout se prépare à merveille ! C’est un petit peu
la course, vous vous en doutez aussi, votre « vieille, vieille amie »
ne vous retient pas !
FLORIANE - Non, tout se prépare à merveille ! C’est un petit peu
la course, vous vous en doutez aussi, votre « vieille, vieille amie »
ne vous retient pas !
Elle a ouvert la porte vitrée, mais Principauté a réussi à se
glisser jusqu’au comptoir sur lequel elle s’appuie nonchalamment.
Elle a ouvert la porte vitrée, mais Principauté a réussi à se
glisser jusqu’au comptoir sur lequel elle s’appuie nonchalamment.
PRINCIPAUTÉ - Sachez, « dear » Flo, que je suis sincèrement,
sincèrement ravie pour vous ! Personne ne méritait plus que vous
cette médaille ! Vous qui avez renoncé à tout, votre jeunesse, vos
ambitions, votre féminité même ; vous qui avez élevé vos enfants
avec cette abnégation, cet oubli total de soi, qui font les meilleures
mères – et grand-mères. Je vous trouve vraiment ad-mi-rable !
PRINCIPAUTÉ - Sachez, « dear » Flo, que je suis sincèrement,
sincèrement ravie pour vous ! Personne ne méritait plus que vous
cette médaille ! Vous qui avez renoncé à tout, votre jeunesse, vos
ambitions, votre féminité même ; vous qui avez élevé vos enfants
avec cette abnégation, cet oubli total de soi, qui font les meilleures
mères – et grand-mères. Je vous trouve vraiment ad-mi-rable !
FLORIANE (sur le même ton qu’elle) - Et moi, je vous trouve
a-do-rable ! (Bas.) Je vais me la tuer !
FLORIANE (sur le même ton qu’elle) - Et moi, je vous trouve
a-do-rable ! (Bas.) Je vais me la tuer !
PRINCIPAUTÉ - Votre fille n’est pas encore arrivée ?
PRINCIPAUTÉ - Votre fille n’est pas encore arrivée ?
FLORIANE - Non, mais elle et son mari ne devraient plus tarder…
FLORIANE - Non, mais elle et son mari ne devraient plus tarder…
PRINCIPAUTÉ - Son mari sera également de la « party » ? Oh !
c’est bien, ça ! Les filles-mères ne sont donc pas une fatalité, alors !
Je craignais un gène familial…
PRINCIPAUTÉ - Son mari sera également de la « party » ? Oh !
c’est bien, ça ! Les filles-mères ne sont donc pas une fatalité, alors !
Je craignais un gène familial…
FLORIANE (bas) - Je vais me l’emplâtrer, la perruche ! (Haut, à
Principauté.) Rassurez-vous, tout va bien ! J’ai rarement vu deux
futurs parents roucouler autant qu’eux !… Et vous, à propos : les
amours ?
FLORIANE (bas) - Je vais me l’emplâtrer, la perruche ! (Haut, à
Principauté.) Rassurez-vous, tout va bien ! J’ai rarement vu deux
futurs parents roucouler autant qu’eux !… Et vous, à propos : les
amours ?
PRINCIPAUTÉ (lyrique) - Hélas ! Comme vous : le néant !… Mon
âme cherche toujours sa sœur !
PRINCIPAUTÉ (lyrique) - Hélas ! Comme vous : le néant !… Mon
âme cherche toujours sa sœur !
FLORIANE (bas) - Et ma main va trouver sa gueule ! (Haut.)
Dites-moi, ce ne sont pas les propositions qui manquent, au moins ?
FLORIANE (bas) - Et ma main va trouver sa gueule ! (Haut.)
Dites-moi, ce ne sont pas les propositions qui manquent, au moins ?
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