transmission, ressemblances, impermanence

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transmission, ressemblances, impermanence
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Chris Ware
transmission, ressemblances, impermanence
par Thierry Groensteen
[janvier 2010]
Dans l’avion qui le conduit vers un père qu’il va rencontrer pour la première fois, Jimmy Corrigan se
fait rabrouer par sa voisine, qui conclut : « Je parie que votre père aussi est un pauvre type ».
Jimmy saura assez tôt quel genre de type est son père, mais, pour l’heure, ce qui le préoccupe, c’est
d’imaginer à quoi il peut bien ressembler, physiquement. Et notre antihéros de spéculer sur
l’apparence de son géniteur. Douze vignettes se succèdent, représentant douze hommes différents,
cadrés à l’identique : douze hommes sans regard (ils ont les yeux masqués par un bandeau noir),
avec plus ou moins de cheveux, certains pourvus de moustaches, de lunettes, et qui portent
chemise, polo, survêtement ou costume-cravate. On dirait qu’ils postulent pour le rôle. Lequel sera le
plus crédible ?
Ces hommes parlent : un même discours, fait de onze énoncés et un silence, se répartit entre eux
tous. Comme si c’était un seul et même homme qui parlait, mais au physique mutant. Et de quoi
parle-t-il ? Précisément, de ressemblance. « Tu ne me reconnais pas ? / Hé, je t’aurais reconnu à des
kilomètres, Jimbo. / Ha ha, tu as exactement la tête que j’imaginais… »
Plus loin, quand arrive l’heure des retrouvailles, quand Jimmy se trouve pour de bon face à son père,
ils se dévisagent en deux très gros plans muets, disposés en champ-contrechamp (ces deux grandes
vignettes carrées soulignent l’intensité de cet instant, car elles représentent un cadrage tout à fait
inhabituel chez Chris Ware, chez qui le gros plan va ordinairement de pair avec une vignette de
dimensions réduites). Sans doute se font-ils alors, en leur for intérieur, la même réflexion que le lecteur
: il existe entre les deux hommes une ressemblance frappante. Le même individu avec trente ans (et
à peu près autant de kilos) de plus. Déjà Jimmy a perdu l’essentiel de ses cheveux, et les cernes se
creusent sous ses yeux : il est sur le bon chemin pour devenir peu à peu le parfait sosie de ce que son
père est aujourd’hui.
Quelle(s) signification(s) devons-nous donner à cette troublante ressemblance ?
Elle constitue, en premier lieu, une sorte de preuve tangible du lien unissant les deux hommes, une
preuve par la génétique ; ayant vécu éloignés l’un de l’autre, ils sont de parfaits étrangers, sauf par
le sang qui les unit. Ce lien-là est irrécusable puisqu’il se voit.
Mais le thème de l’identité familiale sera mis à mal un peu plus tard dans le récit, quand Jimmy fera
la connaissance de sa demi-sœur adoptive, Amy, d’origine afro-américaine. À la surprise d’avoir
une sœur, dont il ignorait jusque-là l’existence, s’ajoutera donc celle de devoir considérer comme
membre de sa famille une personne qui ne lui ressemble pas. Et sans doute cet écart facilitera-t-il la
naissance des sentiments incestueux que Jimmy ne pourra se défendre d’éprouver envers elle.
Même si elle intervient assez tard dans le livre, Amy en est le seul personnage féminin de quelque
importance. Car la chronique familiale des Corrigan que dévide Chris Ware se concentre quasi
exclusivement sur la lignée mâle, parcourant quatre générations, de l’arrière-grand-père, William,
jusqu’à Jimmy. En toute logique, on pourrait s’attendre à ce que la ressemblance qui existe entre
Jimmy et son père s’étende, en amont, à leurs aïeux. Or, la réalité se révèle, à cet égard, quelque
peu complexe : il apparaît que les garçons Corrigan se ressemblent aussi longtemps qu’ils sont
enfants (le grand-père de Jimmy enfant ressemble comme deux gouttes d’eau à Jimmy enfant) ;
une photographie atteste par ailleurs que le grand-père, jeune marié à l’époque, a ressemblé à s’y
méprendre à ce qu’est Jimmy aujourd’hui. De sorte qu’à travers le visage qu’il montre, maintenant
qu’il est un vieillard, Jimmy découvre les traits qui seront vraisemblablement les siens après-demain.
En revanche, l’arrière-grand-père, lui, ne s’inscrit pas dans cette belle continuité : il est représenté
avec un autre nez, un front bosselé, des sourcils épais, une moustache, bref il présente un aspect très
différent.
Ware évite donc le systématisme en ce qui concerne l’affichage physique du lien familial. Peut-être
s’agit-il pour lui de faire d’autant mieux ressortir que l’essentiel de ce qui se transmet de génération
en génération n’est pas de cet ordre-là : ce que les Corrigan ont en partage (avec quelques
nuances, toutefois, dans le détail desquelles je n’entrerai pas ici), et qui fait le sujet principal du livre,
c’est la rupture des liens familiaux, le sentiment d’abandon, la solitude, l’inaptitude à l’amitié et aux
relations amoureuses.
Et cette proximité dans le comportement, qui semble due à une sorte de déterminisme
psychologique, ou de fatalité atavique, est elle-même métaphorisée dans le récit par la répétition
des accidents corporels : Jimmy s’est fait une entorse au pied juste avant de monter dans l’avion et
se déplace pendant la quasi totalité du livre avec une béquille ; il sera, en outre, renversé par une
fourgonnette de la poste devant chez son père ; ce dernier est hospitalisé pour avoir fait un écart sur
la route afin d’éviter un cerf : côtes cassées, tibia fracturé, petit trauma crânien, risque d’hémorragie
abdominale, ces lésions entraîneront sa mort ; la mère d’Amy était déjà décédée dans le même
hôpital, et sa grand-mère morte dans un accident de voiture, dans les années trente. Quant au
grand-père, à défaut de béquille, il se déplace, pour sa part, à l’aide d’un déambulateur. Tous ces
accidents, toutes ces infirmités ne sont là que pour traduire, dans le langage du corps, les infirmités
du cœur et l’inaptitude au bonheur qui est le lot des Corrigan.
Cardinale, comme on l’a vu, dans Jimmy Corrigan, la question de la ressemblance se révèle
également centrale dans Rusty Brown. Le fils, Rusty, et le père, William K. Brown, dit « Woody », ont
trente-cinq ans d’écart et, cette fois encore, il suffit de les regarder côte à côte pour se persuader
que l’un deviendra progressivement comme l’autre. Il faut dire qu’ils sont les personnages les plus
caricaturaux que Ware ait jamais dessinés : visage rond, petit nez rond (façon Monsieur Illico) et –
curieusement – rosé, tignasse rousse. Avec, pour chacun, l’un ou l’autre attribut ridicule : deux dents
de lapin proéminentes pour le fils, des lunettes à verres épais, des moustaches désuètes et une
coiffure clownesque pour le père.
Publié dans le No.19 de l’ACME Novelty Library (ci-après : ANL), le chapitre trois de ce roman
graphique encore inachevé comporte un flash-back qui nous permet de découvrir William à un âge
intermédiaire où il était, somme toute, un peu plus à son avantage. Le même chapitre le montre
cassant ses lunettes et, des années plus tard, se rasant la moustache.
On serait donc enclin à penser que Chris Ware rejoue ici la même partition que dans Jimmy
Corrigan, qu’il nous met sous les yeux un couple père-fils affichant une ressemblance frappante, à la
fois physique et psychologique (père et fils se réfugient dans l’imaginaire pour échapper à un réel
hostile ou décevant). Et juger d’autant plus étrange la cécité de William, qui ne se reconnaît pas
dans son fils, pour lequel il n’a que désintérêt.
Le lecteur qui se reportera à l’album Quimby the Mouse publié par l’Association en 2003 trouvera, sur
la dernière garde de l’ouvrage, quinze descriptions supposées figurer au verso de cartes illustrées à
collectionner, dont – on reconnaît bien là l’ironie de Ware – les images lui seront à jamais
inaccessibles (si elles existaient, elles seraient sur la face invisible, collée sur le carton de couverture).
Le premier de ces courts textes, pour une carte intitulée Le Visiteur dans l’entrée, dit ceci : « Je n’ai
jamais vraiment rencontré mon vrai père. Je ne me rappelle l’avoir vu qu’une seule fois, je devais
avoir trois ans. Il était assis dans l’entrée du duplex où nous habitions, ma mère et moi… (…) À en
juger par les vieilles photos, je me suis bizarrement mis à lui ressembler de plus en plus en grandissant.
» Nous ignorons jusqu’à quel point cette confession, cohérente avec ce que nous savons de la
biographie de Chris Ware, doit être prise pour argent comptant. Si tel était le cas, elle ne serait pas
sans éclairer les points constatés et commentés plus haut.
Mais, au sein de son œuvre, la ressemblance n’est pas nécessairement l’indice d’une consanguinité.
Car, tout autant qu’à son père, Rusty Brown ressemble à son nouveau camarade de classe, qui
deviendra son indéfectible et probablement seul ami, Chalky White. Non contents d’avoir des noms
qui se répondent (« brun rouille » vs « blanc crayeux »), les deux garçons ont exactement la même
taille, ils s’habillent de façon presque identique, ils arborent tous deux une bouille ronde (Rusty est
toutefois un peu plus gros), le même petit nez caractéristique, le même genre de tignasse en forme
de casque. Bref, ces deux-là semblent prédestinés à se rencontrer, à se reconnaître comme
semblables et à fraterniser.
Détail troublant : les lunettes de Chalky le distinguent de son copain, mais comme elles semblent
tout à fait pareilles à celles de William, le père de Rusty, ces lunettes viennent troubler le jeu des
ressemblances et inscrire comme une filiation implicite là où il n’y en a pas. N’était la couleur de ses
cheveux (qui sont noirs), Chalky ressemble encore plus à William Brown que son propre fils !
Cet effet de brouillage semble obéir à une stratégie concertée. Pour une raison qui nous demeure
mystérieuse, la sœur aînée de Chalky, Alice White, est dessinée, quant à elle, à l’identique de la
jeune femme sans nom, fleuriste et infirme, qui est à ce jour la protagoniste principale des Building
Stories. Seule une nuance dans la couleur de leur chevelure respective permet de les distinguer. Il est
pour le moins curieux que Chris Ware, chez qui les personnages féminins ne sont pas si nombreux, ait
conçu ces deux figures de jeunes femmes à l’identique l’une de l’autre.
Vers la fin de l’ANL No.16 figure en tout cas une page de transition entre le premier chapitre de Rusty
Brown et les premières pages des Building Stories, page dans laquelle Ware se représente sous une
forme très schématique [1] et se pose expressément la question : « Je me demande si je devrais
expliquer que si les filles dans Rusty Brown et dans ce Building paraissent semblables, il ne s’agit pas
du même personnage… »
Quant à la couverture de ce No.16, elle présente les visages des sept personnages principaux de
Rusty Brown disposés en colonne, chacune de ces têtes s’inscrivant dans un cercle parfait. Au prix
de légères déformations et d’une dose variable de caricature, un rapport de filiation semble ainsi,
d’entrée de jeu, relier ces sept figures circulaires ; elles forment une constellation graphique et
inscrivent la question de la ressemblance en exergue de la fiction à laquelle cette couverture a pour
fonction de nous introduire.
Si le rapport entre père et fils, qu’il s’agisse des Brown ou des Corrigan, fait advenir la problématique
de la ressemblance à soi-même à travers les différents âges de la vie [2], cette question est traitée
de manière beaucoup plus directe dans le quatrième chapitre de Rusty Brown (cf. ANL No.20, 2010),
qui dévide la biographie complète de l’un des sept protagonistes de ce récit choral, le dénommé
Jordan (dit « Jason ») Lint – l’un des élèves de William Brown –, de ses premières perceptions
enfantines jusqu’à l’extrême vieillesse. Ce récit de vie, tel que les affectionne Chris Ware, ici
développé sur quelque trente grandes planches, est ponctué par des gros plans sur le visage de
Jason, de plus en plus nombreux et insistants à mesure que celui-ci avance en âge.
On a le sentiment que le dessinateur scrute, non sans une certaine cruauté, les signes du
vieillissement sur la face de son personnage. D’un stade à l’autre, la continuité est perceptible, mais
entre les traits du jeune homme rebelle que fut Jason et ceux du vieillard défait, ruiné, qu’il devient in
fine, il n’y a que des dissemblances. Du point de vue de sa psychologie, de son comportement, de
ses valeurs, Jason a été plusieurs personnes successives au cours de sa vie, très différentes les unes
des autres. La dernière phrase de lui que rapporte Ware, « How did all this happen, anyway ? » («
Mais au fond, comment tout cela est-il arrivé ? »), est pour s’étonner de ce parcours qu’aura été sa
vie d’homme. Et les gros plans frontaux, dans des cadres de grande dimension, véritables
interpellations du lecteur, attestent de cette versatilité [3].
La question qui préoccupe Ware semble bien, au bout du compte, pouvoir être résumée (en termes
bouddhistes) comme celle de la permanence et de l’impermanence des êtres et des choses. À la
fois, tout change et tout demeure. Ou, comme le disait déjà Héraclite, rien n’est permanent sauf le
changement.
Le phénomène affecte les êtres vivants mais aussi, Chris Ware ne l’ignore pas, les choses et les lieux.
Et c’est le sujet même de plusieurs planches remarquables. Tout d’abord, aux pages 6, 7 et 9 de
l’anthologie ACME (Delcourt, 2007 [4]), ces trois grands dessins représentants des dessinateurs au
temps de la Préhistoire, à l’âge des Lumières et dans un futur indéterminé : d’une époque à l’autre,
décor et costume ont changé du tout au tout, mais l’artiste a le même visage, est figé dans la
même posture faite de raideur et, à ce qu’il nous semble, d’impuissance – comme s’il s’agissait du
même homme. (Non sans ironie, Ware pousse la démonstration jusqu’à illustrer l’hypothèse
improbable que les instruments et supports utilisés par les dessinateurs n’ont eux-mêmes pas varié au
cours des siècles et des millénaires ! Tout change, et rien ne change… [5])
On méditera aussi sur la page 40 de la même anthologie, qui réussit le tour de force de synthétiser,
en douze vignettes formant un carroyage régulier, les différents âges de la maison de Big Tex. Toutes
les saisons de l’année sont représentées, ce qui se traduit par des images chromatiquement très
différenciées. Le passage des années est symbolisé par un arbrisseau qui grandit jusqu’à s’élever
jusqu’au faîte de la maison, mais la chronologie est bouleversée : la plantation de l’arbre a lieu dans
le bas de la planche (avant-dernière vignette), et les tombes des parents de Tex apparaissent dans
le deuxième strip alors que leurs voix continuent de nous parvenir dans les images suivantes. Un plan
fixe, un seul décor, une surface d’inscription unique (celle de la page), mais des états successifs de
ce lieu qui se télescopent, dessinant le puzzle d’un récit de vie à reconstituer. Et c’est un toit déjà en
ruines, à la charpente disloquée, qui surmonte et parachève une maison neuve et habitée. Tout
change, sous le regard d’un observateur fixe, impassible.
Mentionnons encore cette autre page exemplaire, reprise dans l’album Quimby the Mouse
(L’Association, 2005), où l’histoire d’une famille est évoquée métonymiquement à travers le destin
d’une lampe, dont l’abat-jour est remplacé à quatre reprises et dont les propriétaires ont quelquefois
la tentation de se débarrasser, mais qui finalement les accompagne toujours. Les membres de la
famille sont maintenus hors-champ, on ne capte que des bribes décousues de leurs conversations, le
cadrage restant obstinément et obsessionnellement focalisé sur la lampe, témoin muet du temps qui
passe, des modes qui se succèdent, des comportements qui se transforment. Tout change, mais elle,
du moins, demeure, telle une vigie de la mémoire familiale [6].
Pour un dessinateur, il existe une façon simple de dénoncer la notion d’identité et de ressemblance
à soi-même, qui consiste tout simplement à changer de code graphique. À cet égard, la diversité
des autoportraits semés par Ware dans toute son œuvre est impressionnante. Le professeur de dessin
de l’école où enseigne William Brown le représente assez fidèlement et porte son nom. Ailleurs, et
par exemple dans cette page de transition déjà mentionnée qui figure dans l’ANL No.16, Ware se
prête un schéma corporel ultra-simplifié : un cercle pour la tête, un autre, plus gros, pour le corps, et
de simples baguettes pour les membres (conformément au canon du style diagrammatique évoqué
dans notre note 1). Mais c’est évidemment dans ses carnets (Acme Novelty Datebooks, vol. 1 et 2),
que les autoportraits foisonnent : tentative de captation réaliste de l’image renvoyée par le miroir,
innombrables « portraits de l’artiste au travail » dans un style pastichant celui des funnies d’autrefois
ou les mini-comics autoproduits d’aujourd’hui, et projections fantasmatiques les plus diverses : Ware
en homme volant, en infirme, en pénis géant, en personnage de Schulz, etc. Chez l’auteur de Jimmy
Corrigan, autoreprésentation rime généralement avec autodépréciation, mais ce qui intéresse notre
propos est la multiplicité de ces images du Moi.
On peut y lire la tentation de produire une bande dessinée authentiquement autobiographique, en
même temps qu’un questionnement lancinant sur sa propre identité, une propension à se cacher
derrière des masques et, peut-être, quelque difficulté à accéder à sa propre vérité.
Si, comme nous avons tenté de le montrer, la question de l’identité et de la ressemblance hante
toute l’œuvre de Chris Ware, il convient sans doute de la mettre en relation avec la spécificité
même du langage de la bande dessinée. Peut-être toutes ces variations narratives sur la
permanence et l’impermanence ne font-elles, finalement, que métaphoriser ce processus
élémentaire : dans une bande dessinée, le discours progresse en organisant une tension féconde,
de case en case, entre ce qui se conserve et ce qui change. Cette dialectique est particulièrement
visible chez Ware, qui, plus qu’aucun de ses confrères, se plaît à répéter de manière systématique les
mêmes cadrages, les mêmes angles de vue, et chez qui tout changement dans l’énonciation fait
immédiatement sens.
Thierry Groentseen
iconacheter les livres de Chris Ware.
Notes
[1] Le style schématique, ou diagrammatique, utilisé pour cette page, et que l’artiste s’est plu à
réutiliser depuis (par exemple sur la jaquette de McSweeney’s Quarterly Concern No.13, ou pour
les aventures de Branford l’abeille), ne peut manquer d’être comparé à celui qu’a
progressivement adopté le dessinateur Ivan Brunetti, qui est l’un de ses plus proches complices
dans la profession. Il est difficile de savoir lequel des deux a influencé l’autre. Mais Brunetti a placé
en exergue de son petit manuel Cartooning, Philosophy and Practice (publié sous la forme d’un
supplément à Comic Art No.9), cette citation de Ware : « En vérité, le dessin de bande dessinée
ne consiste pas en un dessin mais en un langage pictographique compliqué conçu pour être lu,
pas vraiment regardé ».
[2] Cette question faisait en 1906 le sujet de l’un des vaudeville acts de Winsor McCay, ces
performances exécutées en direct sur la scène des music-halls. En quelques coups de craie, sur
un tableau noir, le créateur de Little Nemo illustrait les différents âges de la vie en modifiant
progressivement les visages d’un petit garçon et d’une petite fille.
[3] Il est intéressant de rapprocher ces pages de telle réflexion peu connue de Rodolphe Töpffer :
« Les portraits bons ressemblent toute la vie, ou plutôt toute leur vie les gens ressemblent à leur
portrait s’il a saisi le fin de l’affaire, l’essence, la substance de l’individu, s’il a attrapé plus que le
masque, c’est-à-dire cette bougrerie insaisissable et indéfinissable qui est dessous, et qui est l’être
véritable ». (Lettre du 21 nov. 1835 à David Munier, Correspondance complète, vol. III, Genève,
Droz, 2007, p. 176.)
[4] L’ouvrage rassemble les histoires courtes parues dans différents numéros de l’Acme Novelty
Library (principalement les No.7 et No.15, intitulés Joke Books), augmentées de nombreuses pages
inédites.
[5] Les illustrations conçues par Ware pour le New Yorker en 2006, à l’occasion de Thanksgiving,
qui représentent des repas de famille à des époques différentes, obéissent à la même dialectique
d’analogie et de différence.
[6] Les deux dernières pages que nous venons de commenter témoignent de façon frappante de
l’influence décisive qu’a eue sur Chris Ware la désormais célèbre bande dessinée en six pages de
Richard McGuire, Here, initialement parue dans Raw en 1989, et reprise dans Neuvième Art No.12,
avec une introduction de Ware soi-même, où ce dernier déclare qu’aucune autre bande
dessinée n’a eu sur lui un impact aussi fort.

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