Un soir de neige - Ensemble vocal Qu` Artz

Transcription

Un soir de neige - Ensemble vocal Qu` Artz
Un soir de neige
Petite cantate de chambre. Texte : Paul Éluard.
Paris, 1944. Le dernier hiver particulièrement dur de la guerre, dans Paris occupé. Les troupes
d'occupation allemandes semblaient avoir la situation bien en main. Tous les résistants avaient
été repoussés dans des régions impraticables. Ce que l'occupant ne pouvait toutefois pas
empêcher : même en plein cœur de Paris, la flamme patriotique ne s'était pas éteinte, il y
circulait par exemple des tracts dactylographiés avec des poèmes de Paul Éluard, attisant
l'esprit de la résistance. L'un d'eux, intitulé Liberté connut une diffusion particulière lorsqu'il
fut lancé par les bombardiers de l'armée de l'air britannique. Éluard avait toujours été un
individualiste dérangeant: il avait rompu depuis longtemps avec ses anciens compagnons de
route, les surréalistes, et le parti communiste l'avait lui aussi rejeté.
Parmi les destinataires des écrits d'Éluard, il y avait son vieil ami, le compositeur Francis
Poulenc. Dès 1935, Poulenc avait mis en musique des poèmes d'Éluard, attiré par son
sarcasme surréaliste. Mais il avait désormais en main un texte qui parlait dans des métaphores
glacées de la désolation hivernale : abattement, solitude et froidure des nuits. Si la neige fut
pour Poulenc le symbole de la répression, elle fut aussi celui de la résistance imperceptible, de
la foi en la résurrection et en la force d'un être humain qui finalement triomphera.
Lorsque Poulenc s'attaqua à la composition de ce texte patriotique, il n'ignorait pas que sa
musique n'était tout d'abord destinée qu'à son tiroir. Mais il y associait en même temps un
espoir ardent : qu'elle soit bientôt représentée à Londres et Paris après la libération.
Comme si Poulenc avait en même temps composé le dénuement d'une existence sous
l'occupation, il renonça à toute instrumentation pour sa Cantate. D'autant plus solitaires les
pauvres voix de soprano au début, d'autant plus incisives ses harmonies hagardes.
En 1946 le poète rendra hommage au musicien : « Francis, je ne m'écoutais pas / Francis, je te
dois de m'entendre... » Le secret de cette collaboration ? « À un sens prosodique exceptionnel,
Poulenc a su allier une manière intuitive d'écrire sur la poésie surréaliste où il s'agit plus de
sentir que de comprendre » (Hervé Lacombe).
De grandes cuillères de neige
De grandes cuillères de neige
Ramassent nos pieds glacés
Et d'une dure parole
Nous heurtons l'hiver têtu.
Chaque arbre a sa place en l'air
Chaque roc son poids sur terre
Chaque ruisseau son eau vive
Nous, nous n'avons pas de feu.
La bonne neige
La bonne neige le ciel noir
Les branches mortes la détresse
De la forêt pleine de pièges
Honte à la bête pourchassée
La fuite en flèche dans le cœur
Les traces d'une proie atroce
Hardi au loup et c'est toujours
Le plus beau loup et c'est toujours
Le dernier vivant que menace
La masse absolue de la mort
La bonne neige, le ciel noir
Les branches mortes, la détresse
De la forêt pleine de pièges
Honte à la bête pourchassée
La fuite en flèche dans le cœur.
Bois meurtri
Bois meurtri, bois perdu d'un voyage en hiver
Navire où la neige prend pied
Bois d'asile bois mort où sans espoir je rêve
De la mer aux miroirs crevés
Un grand moment d'eau froide a saisi les noyés
La foule de mon corps en souffre
Je m'affaiblis je me disperse
J'avoue ma vie j'avoue ma mort j'avoue autrui
Bois meurtri bois perdu
Bois d'asile bois mort
La nuit le froid la solitude
La nuit, le froid, la solitude
On m'enferma soigneusement
Mais les branches cherchaient
Leur voie dans la prison.
Autour de moi l'herbe trouva le ciel.
(On verrouilla le ciel)
Ma prison s'écroula
Le froid vivant le froid brûlant
M'eut bien en main.