La vie différente
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La vie différente
La vie différente éditions do + JOSÉ CARLOS LLOP + LA VIE DIFFÉRENTE Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu — éditions do I LETTRE D’HIVER 11 SAMEDI D’HIVER La dernière fois que j’ai vu la neige, je l’ai associée à une mort tranquille et j’ai écrit une lente élégie qui avait le rythme des flocons qui tombent. Aujourd’hui il neigeait quand le jour s’est levé. Nous dormions. Au réveil, j’ai ouvert les persiennes et les arbres du jardin étaient des lampadaires de marbre blanc et la terre, de l’albâtre. Les plantes avaient quelque chose de palatial tels des domestiques revêtus de leur livrée neuve, et le merle noir du laurier était une sorte de majordome. Nous avons déjeuné dans une autre maison — lumière différente dans la cuisine et joie d’un autre temps qui est aussi le nôtre — et nous sommes allés voir la mer et le port, pendant que tombait la neige. Les palmiers se rendaient à leur éphémère vêture et étaient l’Afrique et le Tropique au temps des mammouths et des migrations des hommes. Les bateaux étrennaient des voiles semblables à des coussins de soie et tu étais une duchesse russe, en croisière sur la Baltique. Puis nous sommes rentrés à la maison et avons pris notre voiture, pour traverser le bois silencieux dans sa nuit blanche 20 et arriver au château, avec la ville à ses pieds qui célébrait la symphonie muette de l’hiver. La chienne faisait des bonds sur le tapis intact, et poursuivait des huppes comme des princes indolents et on n’avait pas souvenir à Palma d’avoir vu tant de neige, depuis 56, l’année de ma naissance. C’était aussi en février, comme aujourd’hui, en cette année où je vais avoir 56 ans. Un cabaliste saurait peut-être interpréter ce jeu symétrique de nombres et de neiges différentes ; moi je l’associe à l’un de ces cadeaux inattendus avec lesquels la vie nous récompense pour quelque chose de bien qu’on a fait et qu’on a oublié. Maintenant les heures ont passé et l’après-midi décline. Nous sourions encore comme des enfants. La neige couvre les toits et le jardin garde encore les restes d’une fête qui inaugure tout ce qui est vieux. Il y a une lumière pâle qui maintient le silence du jour. Tu as fait du feu dans la cheminée. La chienne somnole près de toi et moi je suis monté dans mon bureau, écrire ce poème. Les cloches de l’église sonnent.