VERBATIM Elisapee Nutara Je m`appelle Elisapee Nutara. Je fais

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VERBATIM Elisapee Nutara Je m`appelle Elisapee Nutara. Je fais
 VERBATIM Elisapee Nutara Je m’appelle Elisapee Nutara. Je fais partie de la première vague de gens déplacés en 1953 alors que je n’avais que neuf ans. Aujourd’hui, je vis à Inukjuak, notre terre natale. J’y vis depuis notre retour en 1988. À l’époque, même à neuf ans, je n’avais pas encore la capacité de retenir l’information. Je ne me souviens pas de beaucoup de choses. Mon père nous racontait l’histoire et je me souviens de ce qu’il disait. On leur a demandé d’aller dans cet endroit où il y aurait beaucoup de nourriture et où personne n’aurait jamais faim. C’est ce qu’on nous avait dit. On leur a dit que c’était un endroit où personne ne serait pauvre. C’est ce que mon père m’a raconté. Question 1: Avez-­‐vous des souvenirs du bateau C.D. Howe? Je m’en souviens un petit peu; nous quittions Inukjuak à bord du C.D. Howe. Et je me souviens, je n’étais qu’une enfant, n’est-­‐ce pas? Et les enfants profitent de toutes nouvelles expériences. C’était la première fois que je mettais les pieds sur le C.D. Howe, ma première fois en bateau. Je n’étais qu’une enfant et je ne pensais pas comment nous allions survivre. Je me souviens d’avoir été enthousiaste à l’idée d’être sur un bateau pour la première fois. Je me souviens quand nous étions sur le C.D. Howe, les eaux étaient très agitées. Je pense que j’avais le mal de mer. Je me souviens qu’on nous a menés sur le premier pont du C.D Howe. Je me souviens, le bateau ballotait tellement que je voyais des objets tomber. J’avais peur cette fois-­‐là. Je me souviens que nous nous sommes arrêtés dans certains villages sur notre chemin. Je me souviens avoir reçu de la viande de baleine et nous l’avons mangé sur le bateau. Je me souviens que parfois des membres de ma famille descendaient du bateau. Ils devaient nous procurer de la nourriture de cette façon. Ils obtenaient de la nourriture dans les villages où nous nous arrêtions sur le chemin vers le Nord. Quand nous sommes arrivés à Grise... à Resolute Bay – nous sommes d’abord allés à Resolute Bay – mes parents n’avaient pas été informés : « vous serez séparés, ces gens vont à Qausuittuq et le reste, à Grise Fiord ». Quand mon père m’a raconté cela, j’étais désolé pour eux parce que le groupe a été séparé à Resolute. Nous avons été séparés alors que nous pensions rester ensemble. Quant à nous, nous étions quatre personnes dans notre maison. Mon frère n’était toujours pas marié à cette époque. Il y avait donc mon frère, mon père, ma mère et moi qui vivions ensemble. Mon père est Pilipoosie Novalinga et ma mère se nomme Annie Novalinga et Paulusie Novalunga Nungak. Question 2: Qui était à Grise Fiord à cette époque? À Grise Fiord, j’avais un oncle, le frère ainé de mon père, qui vivait au même endroit que nous. Oui, le père de Larry. Et la mère de Larry aussi. Et Elijah, Anna, Samwillie, Minnie; c’étaient les gens qui vivaient au même endroit que nous. Elijah, qui était mon mari, avait vingt-­‐deux ans. Samwillie était plus jeune; il devait avoir vingt ans. Je me souviens que nous avons d’abord arrêté à Craig Harbour où les policiers habitaient. Nous avons ensuite été emmenés à cet endroit, tout au Nord. Je me souviens que ma mère avait froid, était affamée et elle pleurait. Je ne me souviens pas de ce que nous avons mangé à Craig Harbour ni d’où nous avons dormi. Cela a peut-­‐être duré une semaine. Peut-­‐être que c’est le jour suivant que la police nous a embarqués sur un grand bateau pour nous amener dans cet endroit désertique. Effectivement, c’était effrayant; ça n’avait rien à voir avec notre terre natale. Nous avions si froid, je m’en souviens parce qu’il faisait très froid alors que nous n’étions qu’au mois d’août. Il neigeait déjà quand nous sommes arrivés. Quand nous avons été réinstallés, nous habitions dans des tentes parce que c’est tout ce que nous avions. Nous y sommes probablement restés l’année entière. Oui, dans le froid et où le soleil ne se lève jamais! Question 3 : Comment décrieriez-­‐vous vos rapports avec les agents de la GRC? Ces agents faisaient un tour une fois de temps en temps pour voir comment nous nous portions. Ils ont pensé qu'ils étaient capables alors qu’ils ne l'étaient pas car ils n’étaient jamais allé à Aujuittuq. Lors de rude hiver, mon père et les autres ne savaient pas comment chasser dans ces conditions. Des gens comme Arpaliapik de Mittimatalik (Pond Inlet) sont venus leur enseigner comment chasser en hiver. Pour ma part, je ne me souviens pas si la police nous aidait vraiment mais nous avons essayé de les avoir comme personnel médical et comme policiers. C’est peut-­‐être ainsi qu’ils essayaient de nous aider. Question 4 : Avez-­‐vous reçu des nouvelles de votre famille restée à Inukjuak? Mes parents n’ont jamais reçu de nouvelles des membres de leur famille. Ma mère avait pourtant une sœur ainée à Inukjuak; elle n’a plus jamais eu de ses nouvelles. Mon père avait un jeune frère ici. Ils ne savaient pas comment ils allaient parce qu’il n’y avait aucun moyen de communication. Je me souviens aussi d’avoir habité une maison en tourbe (qammaq) après deux ans. C’était peut-­‐être même la troisième année que nous avons eu notre qammaq parce que mes parents ont appris d’Akpaliapik comment la construire. Je me souviens quand nous avons quitté Inukjuak, j’étais étudiante à ce moment-­‐là et je me souviens de mon enseignante. Elle était un peu âgée, mais pas trop et elle avait les cheveux blancs. J’apprenais à tricoter, j’apprenais ce qui était enseigné aux jeunes à l’école. Je l’ai regretté quand je suis devenue une jeune adulte et j’étais fâchée à cause de cela. Oui, oui! Et, je me suis mariée très jeune… j’avais quinze ans; c’était très pénible, effectivement. Je n’ai pas donné naissance à mes enfants. On m’a donné quatre petits êtres humains. Je voudrais aussi dire que nous sommes allés vivre dans un endroit où il n’y avait pas d’infirmières. Les policiers faisaient office d’infirmiers. J’ai appris qu’ils n’avaient aucune notion médicale. La mère de Louisa Elijassialuk habitait où les policiers vivaient; elle a dû partir par bateau alors je me suis occupé de son fils. C’était avant que j’adopte. J’étais mariée, mais je n’avais pas eu d’enfant. Feu Tommiapik. Tommiapik était son nom. Il a eu la scarlatine, une maladie que certains enfants ont et qui couvre la peau de plaques rouges. Quand la police est venue, il m’a dit de mettre de la poudre pour bébé. Vous savez, cette même poudre qu’on utilise pour changer les couches. Il m’a dit de lui en mettre partout. J’étais naïve parce que j’étais très jeune alors, j’ai fait ce qu’il m’a dit de faire. Il est mort. Il est décédé et ça a été très difficile. Aujourd’hui, je peux en parler. Cela est arrivé parce qu’il n’y avait pas d’infirmière où nous avons été réinstallées. Ils ne savaient pas quoi faire; pas surprenant! Ils n’avaient jamais été dans la noirceur auparavant. Il y avait des ours polaires, des morses et des phoques. Ici, à Inukjuak, il y a des lacs à proximité avec du poisson et mes parents allaient à la pêche. Puis, ils ont été envoyés dans un endroit où il n’y en avait pas; pendant très longtemps, ils désiraient avoir du poisson. Je me souviens quand leurs parents sont arrivés et qu’il n’y avait pas de maison ; seul la neige faisait office de toit. Je me souviens, leurs parents qui luttaient sachant que leurs enfants avaient froid. Mon mari voulait revenir ici. Sa mère est décédée là-­‐bas en 1978. Mary, ma défunte belle-­‐
mère. Et ma mère, mon père et mon frère ainé sont morts aussi et je me sentais seule. Mon mari voulait revenir ici, mais moi, j’ai refusé parce que j’y étais depuis que j’étais petite et j’ai grandi là-­‐bas. J’ai refusé. Ça a été très difficile pour moi, mais après le décès de ma mère, mon père et mon frère, j’ai arrêté de refuser. Je me suis dit : « Plusieurs personnes de ma parenté sont à Inukjuak », ça ne me dérangeait plus. Il voulait partir, mais il ne m’expliquait pas les raisons pour lesquelles il voulait quitter, je ne peux donc pas répondre à votre question. Larry vécu des moments difficiles quand ces deux frères sont partis. Larry avait des enfants là-­‐bas alors il ne voulait pas partir parce que ses enfants avaient grandi là-­‐bas. Ils sont habitués de vivre à Grise Fiord. C’était la raison pour laquelle la famille de Larry n’a pas suivi. Quand nous sommes arrivés ici en 1988, j’ai eu des épreuves. Mes enfants avaient de la difficulté à s’adapter et ça rendait les choses plus difficiles pour moi aussi. On leur disait : « Vous êtes de là-­‐bas, cette terre n’est pas la vôtre ». Les autres enfants n’étaient pas gentils à leur égard à cause de cela. Mon plus jeune, Michael n’avait que quatre ans quand nous sommes venus ici alors il s’y plaisait beaucoup. Question 5 : Qu’avez-­‐vous pensé des excuses du gouvernement? Comme j’ai subi tant d’épreuves dans ma vie, j’étais soulagée quand le gouvernement s’est excusé. Notre parenté d’ici était blessée quand nous les avons quittés. Ils ont vécu des dépressions. Ils avaient des attentes, j'ai oublié de le mentionner plus tôt; mes parents ont été informés qu'ils pourraient retourner après deux ans, mais ils ont été trompés. Cela a causé de l’inquiétude, de la tristesse et de faux espoirs aux membres de la famille qui sont restés ici. J’ai entendu dire que le village ici tiendra des séances de guérison pour ceux que nous avons quittés. Ces intervenants seront de retour cet automne. Peut-­‐être en septembre... et je pense bien que Larry y sera. Les gens qui vivent ici participeront. Je pense à ça. Le gouvernement, grâce à des contributions financières, essaye de donner son appui. Par exemple, ils nous donnent des fonds chaque année. J’en suis reconnaissante, mais il semble que ma vie reste difficile malgré tout. Mes enfants n’ont pas d’études et n’ont pas d’emploi à cause de cela. Même si l’un d’eux a fini l’école. Et moi, je ne reçois que la pension de vieillesse et je ne travaille plus. C’est difficile financièrement pour moi en ce moment. Aux jeunes? J’ai un message pour les jeunes. Nos jeunes ici, à Inukjuak n’ont pas d’opportunité d’emploi, peut-­‐être parce qu’ils ne sont pas instruits. Il y a des choses à faire, mais vu le décrochage scolaire… il ne faut surtout pas décrocher. Ces jeunes devraient rester à l’école et ainsi, ils seraient capables d’avoir de meilleures opportunités de travail. Je veux simplement leur passer ce message. Question 6 : Quel était le pire aspect de la réinstallation? Le plus dur a été d’aller dans un endroit où il n’y avait pas d’enseignants et de me marier là-­‐bas. Ce sont les deux épreuves les plus pénibles que j’ai vécues. Ne pas avoir de professeurs, d’infirmières, me marier… c’était très difficile. Vraiment difficile. De nos jours, les gens épousent les maris de leur choix. Ce n’était pas comme ça à l’époque. J’ai dû endurer cela même si je ne le voulais pas. 

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