Intervention de Pierre Vidal-Naquet

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Intervention de Pierre Vidal-Naquet
Congrès de l’UNCCAS 2002
Intervention de Pierre Vidal-Naquet lors de la plénière d’
ouverture
I.
L’exclusion, nouvelle question sociale.
L’exclusion sociale aujourd’hui se caractérise par une très grande diversité des situations.
Certes, on peut parler « des exclus » comme ensemble social, mais ce qui est remarquable,
c’est que les histoires d’exclusions ne se comparent pas vraiment et qu’elles se donnent
toujours à voir comme des histoires particulières. La situation d’exclusion n’est donc pas un
état, encore moins un statut, mais plutôt une trajectoire spécifique, un itinéraire singulier.
En insistant sur la singularisation des situations d’exclusion, sur leur « atomisation »,
on met en fait en évidence l’une des spécificités importante qui caractérise la question de
l’exclusion dans la période actuelle de crise économique, sociale et culturelle prolongée.
1.1
Le temps des inégalités sociales
La nouvelle question sociale à laquelle doivent faire face les acteurs sociaux pendant
la crise, est en effet fort différente de celle qui se posait pendant la période des trente
glorieuses. A cette époque, ce qui faisait problème, ce n’était pas l’exclusion, mais bien plutôt
la question des inégalités sociales. En général, les individus étaient assignés à une place dans
la société. Certains se trouvaient en haut de l’échelle sociale, d’autres, plus nombreux, au bas
de cette échelle. Tout le projet de l’Etat-Providence était de mettre en place des systèmes
d’aide, de compensation et de transferts, susceptibles de rétablir l’égalité entre les citoyens, de
permettre aux plus démunis de bénéficier eux aussi du progrès économique et social, et
pourquoi pas, de gravir les échelons du système social. Non seulement les inégalités
pouvaient être identifiées et mesurées, mais les individus pouvaient être « classés » par
catégorie sociale, en fonction par exemple, de leur revenu, de leur appartenance
professionnelle ou de leur statut. Cette possibilité de catégorisation permettait de définir des
groupes « d’ayants droit », c’est-à-dire des ensembles de populations pouvant prétendre aux
prestations sociales et aides diverses. L’essentiel du travail social consistait donc à
redistribuer des ressources à des populations cibles, au regard d’un certain nombre de critères
d’éligibilité préalablement définis. Le cas échéant, les ayants droit, « enchâssés » dans des
systèmes de relations sociales, pouvaient s’appuyer sur des intermédiaires pour faire valoir
leurs droits ou bien encore, trouver dans leur entourage immédiat – famille, voisinage,
collègues de travail – des aides matérielles et symboliques susceptibles de compenser les
déficits de ressources.
Pour autant, pendant cette période de croissance économique et sociale, l’exclusion
n’était pas absente. Simplement, elle était relativement « résiduelle ». Elle concernait surtout
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des « indigents » c’est-à-dire des individus affectés d’un certain nombre de handicaps
clairement répertoriés. Ces « indigents » étaient d’ailleurs pris en charge par des organismes
très spécialisés ou bien encore par des structures caritatives.
1.2.
L’exclusion, un phénomène massif et individuel
La crise durable dans laquelle s’enfoncent les sociétés occidentales modifie en
profondeur les mécanismes de différentiation sociale. A la question des inégalités, qui reste
d’actualité, s’ajoute la question de l’exclusion sociale. De résiduelle, l’exclusion devient
massive. Pour reprendre les termes de Robert Castel1 , elle ne concerne plus seulement, les
« invalides », ceux qui portent en eux un handicap physique ou social. Elle concerne aussi les
« valides » que le système économique et social « invalide ». Ce sont, dit Castel, des « valides
invalidés ». Progressivement, ajoute-t-il, des personnes pourtant insérées, et insérables,
deviennent des « inutiles au monde ». Potentiellement, on le voit bien, le risque d’exclusion
s’étend à des populations qui - à priori - ne semblent pas prédisposées à un tel destin. S’ils ne
vivent pas encore dans une situation d’exclusion, ils vivent sous la menace de l’exclusion. Ils
entrent alors dans un processus de précarisation dont nul ne peut prévoir le terme.
Mais il y a plus. Cela peut paraître un paradoxe, mais si l’exclusion revêt aujourd’hui
un caractère massif, elle reste malgré tout une affaire plus ou moins individuelle. Pour
comprendre ce paradoxe il est nécessaire de rappeler que les mécanismes « d’invalidation des
valides» touche aujourd’hui une société travaillée par des processus d’individuation et de
fragmentation sociale. L’exclusion affecte des groupes sociaux, des collectifs, qui connaissent
par ailleurs des phénomènes – plus ou moins prononcés – de délitement, d’effritement ou de
déstabilisation, liés en partie à la montée et à l’exhaussement de l’individu.
Cette valorisation de la notion d’individu n’est pas récente. Elle est corrélative de
l’avènement de la modernité ; mais à cette époque, elle ne signale pas l’apparition d’un
phénomène de délitement social. La « société des individus » reste encore reliée au travers de
l’adhésion de chacun à un certain nombre de valeurs partagées soit par tous soit par certains
sous-groupes sociaux (l’idéal républicain par exemple, les utopies de progrès etc… ). Avec la
crise, les cadres d’insertion qui étaient porteurs de valeurs, de normes et de règles tendent à
s’effondrer. Les croyances dans les valeurs s’émoussent. Ce fléchissement n’entraîne pas
nécessairement, comme on le dit parfois, le rejet de toutes valeurs. Simplement, alors que
s’affirme de plus en plus le rôle de l’individu, de ses libertés, de son autonomie, et de sa
responsabilité, chacun est appelé à construire, à partir de son expérience personnelle, son
propre système de valeurs. Du coup, la socialisation de l’individu ne passe plus par la
reconnaissance et l’adoption des règles et des normes communes, par une intégration durable
dans des groupes sociaux stabilisés. Ce qui importe aujourd’hui, c’est moins de se conformer
« aux comportements des autres »2 que de puiser dans ses ressources et son énergie
1
Robert Castel, La métamorphose du salariat. Fayard. 1998.
Cf par exemple, le succès de l’émission télévisée « c’est mon choix » où il s’agit avant tout de surprendre par la
singularité de son choix, qui, quel qu’il soit, est légitime du moment que c’est un « choix à soi ».
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personnelle pour s’insérer. Les supports du lien social ou du rôle au sein du groupe ne sont
plus donnés : à l’individu de nouer, maintenir ou restaurer ce lien par un « travail » permanent
de construction et d’entretien de réseaux personnels plus ou moins étendus, plus ou moins
ramifiés1 ; à lui également de prouver son utilité sociale en s’efforçant d’atteindre les valeurs
de performance et d’excellence individuelles promues dans tous les champs de la vie sociale
(travail, sports, loisirs etc… ). En d’autres termes, un peu lapidaires, alors qu’il fallait
auparavant agir pour être exclu du lien social, il faut aujourd’hui agir pour ne pas en être
exclu, et pour maintenir en état le réseau relationnel qui n’est jamais donné une fois pour
toutes. La responsabilité des trajectoires se trouve aujourd’hui reportée sur l’individu qui est
en permanence soumis à l’injonction à « être soi »2 , et qui ne peut s’en sortir qu’à condition
d’être lui-même dans des itinéraires de vie et des réseaux qui sont sans cesse à composer et à
recomposer.
Dans un tel contexte, le degré de rattachement des individus au social dépend en
grande partie de leurs capacités de mobilisation, des attitudes qu’ils adoptent face aux
menaces de ruptures - professionnelle, familiale, sociale, résidentielle… - qui surgissent tout
au long des histoires personnelles, et surtout de leurs aptitudes à démultiplier les réseaux
relationnels et à les consolider. Il ne fait pas de doute que certains excellent dans ce mode
d’insertion qui consiste à naviguer entre plusieurs mondes, entre plusieurs réseaux, à
capitaliser les expériences, et à tirer parti de cette mobilité3 .
D’autres au contraire, s’y épuisent. Car il y a un autre paradoxe. Ce sont ceux qui
disposent des ressources les plus faibles – ressources économiques, familiales, sociales et
symboliques – qui doivent dépenser le plus d’énergie à la fois pour « être soi » et pour
construire leurs filières d’insertion. Vivre dans la précarité nécessite un travail à plein
temps ». Par ailleurs, une telle situation ne manque pas de produire des effets pervers
susceptibles de rétroagir sur le « moral » des personnes et d’entraver les processus d’insertion.
Car, dans une société d’individus, les échecs éventuels ne sont plus imputables à la
communauté de destins, au groupe d’appartenance. Non. Les échecs deviennent imputables à
soi-même. D’où les sentiments de honte, de culpabilité et de souffrance psychique relevés
dans plusieurs ateliers. Ainsi les échecs ne font pas l’objet d’interprétations collectives. Ils ne
donnent que très rarement lieu à des mobilisations et des revendications sociales. Souvent
ressentie comme une incapacité proprement personnelle, l’exclusion provoque chez l’individu
tantôt des sentiments d’abattement, de découragement, d’humiliation, tantôt des sentiments de
1
Le téléphone portable symbolise très bien un tel mode de socialisation. Avec un tel outils les individus peuvent
activer ou désactiver à tout moment leurs réseaux relationnels sans avoir à s’inscrire durablement dans des
groupes sociaux. Avec le portable, l’individu peut rester relié tout en s’affranchissant des contraintes du social.
L’individu peut en effet rester connecté en se jouant du temps et de l’espace. Mais on le sait, une telle mobilité a
un coût et doit faire l’objet d’une gestion soutenu faute de quoi on peut facilement être rattrapé par le social. Le
surendettement peut faire naître des obligations auxquelles justement l’individu « libre » cherche à échapper.
2
A. Erhenberg, L’individu Incertain, Calmann Lévy. 1995.
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Ceux-là, par exemple, manient avec brio le téléphone portable et ne se laissent pas entraîner dans la voie du
surendettement.
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rage. Autant de traits psychologiques qui nuisent à la mobilisation que requiert l’insertion, et
qui, bien souvent, précipitent la chute.
II.
La personne : un sujet « considérable »
Dans un tel contexte, la focalisation des interventions sociale sur la personne est presque
« naturelle ». Certes, l’intérêt porté à la personne est dû en partie au fait que le champ de
l’exclusion est investi par des organisations confessionnelles et caritatives d’inspiration
humaniste.
2.1. Des situations « atypiques »
Mais cet impératif de centrage sur la personne, devenue « considérable »1 , résulte surtout
du mode contemporain de socialisation des individus, tel que nous l’avons décrit
précédemment. Dans une société hyperdifférenciée, il existe toujours un risque de décalage
entre des dispositifs « formatés » pour répondre à problèmes repérés comme étant
« collectifs » et « sociaux », et les demandes des personnes qui ne s’y réduisent pas
puisqu’une grande partie de ces demandes sont atypiques.
Certes, il ne s’agit pas de discréditer toute démarche « sociale ». Certains dispositifs
correspondent en effet à des besoins sociaux dûment répertoriés. Mais inévitablement, les
dispositifs manquent ceux qui ne sont pas « ayants droit » et qui pourtant traversent des
situations de grande précarité.
Ainsi, les dispositifs - en général reconnus comme nécessaires - ne peuvent être
mobilisés qu’avec une très grande précaution. Toujours présent, le risque d’une inadéquation
entre la proposition plus ou moins « normalisée » et les attentes de la personne.
2.2. L’individu global
Avant de s’interroger sur la catégorie de problèmes à laquelle appartient l’usager, il
convient donc de prendre en considération la personne dans toute sa complexité, dans toute sa
globalité. Les intervenants sociaux sont, à ce sujet, unanimes. Il s’agit là d’une question de
dignité. En effet, ne s’intéresser qu’à une partie de l’individu dans une société qui sur-valorise
la propension à « être soi », c’est d’une certaine façon dénier ce que l’individu est vraiment,
c’est négliger l’être, et finalement, c’est perpétuer la logique de l’exclusion. En d’autres
termes, c’est « ne pas voir » l’autre, ou bien n’en voir qu’une petite partie, celle qui, en
général, correspond à la réponse disponible. Par exemple, « le » toxicomane n’est pas que
toxicomane, il est aussi père de famille, étranger, ami, voisin, sujet désirant etc… En fait, son
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Au sens de « digne de considération »
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identité ne se résume pas à l’identité de toxicomane. Et c’est lui faire outrage que de
l’assigner au seul statut de toxicomane
Parce que la personne ne se « résume » pas, c’est la prise en compte de l’individu qui
devient un enjeu majeur. Celui-ci ne doit pas être pris en charge de façon fragmentée, par des
dispositifs éclatés. L’approche globale est en effet censée permettre à l’individu de renouer les
fragments d’une vie « en pointillé », en général, faite de ruptures successives. La réponse
globale est de nature à augmenter les capacités de synthèse de la personne, à l’aider à
recouvrer une identité largement corrodée par l’exclusion.
Mais un risque se profile. La confiscation de ce travail identitaire de mise en
cohérence par les intervenants sociaux. C’est pourquoi sont souvent récusées les logiques
tutélaires et assistancielles qui conduisent à faire « à la place de » au profit de démarches qui
impliquent le sujet, et qui consistent à « faire avec ». En effet, « faire avec » c’est donc
redonner une légitimité et une valeur au sujet, largement mis à mal par la négation dont il fait
l’objet en tant qu’exclu du jeu social. La revalorisation de la personne est une dimension
importante du travail de réinsertion.
2.3. Un sujet de droits
C’est donc d’abord la dignité de la personne qui doit faire l’objet d’une reconquête. Ici
l’accès aux droits est la dimension centrale d’un tel projet. Cette logique de l’accès aux droits
permet en effet de rompre avec la logique de l’assistanat. Car en rétablissant les gens dans
leurs droits - dans tous leurs droits – on renforce leurs capacités d’actions et on les reconnaît
dans leur dignité. Pour autant l’accession aux droits n’est pas toujours très simple. Soit parce
que de tels droits ne sont pas toujours reconnus. On peut, par exemple, être titulaire de la
CMU mais se heurter à certains médecins qui refusent de recevoir les bénéficiaires de la
CMU. Soit parce que parfois les droits s’opposent entre eux, qu’il y a alors une confrontation
de droit et que ce frottement limité l’accès au droit. Soit, encore, parce que la notion de droit
est parfois relativement brouillée. Nous pensons ici aux étrangers en situation irrégulière (qui
en principe n’ont plus de droits en France) mais qui peuvent cependant prétendre à une
couverture sociale au titre de l’Aide Médicale Etat et par conséquent rester titulaires un droit.
Soit enfin parce que les filières d’accès aux droits sont « classantes » et par là même,
stigmatisantes. Exemplaire à ce sujet, les guichets spécifiques CMU qui sont visibles par tous
et peuvent gêner les bénéficiaires.
Quoi qu’il en soit, la sortie de l’exclusion passe par le rétablissement des individus
dans leurs droits. Pas simplement dans leurs droits formels, mais aussi dans leurs droits
matériels. Ce n’est qu’à cette condition que peut être atteint pleinement le statut de citoyen.
Mais endosser un tel statut n’est pas toujours aisé parce que, comme nous venons de le
signaler, une distance persiste souvent entre droits réels et droits formels. Mais il y a aussi
autre chose. Comment concilier en effet, l’aspiration à un statut – lequel distribue des droits et
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assujettit à des devoirs - quand précisément il est question de parler en termes de trajectoire
singulière, d’itinéraire particulier, de personnalisation des systèmes de valeurs.
Classiquement, on répond à ce type de question par le « contrat ». Les devoirs en échange des
droits dont on bénéficie. Mais, que se passe-t-il quand tous les droits ne sont pas effectifs ?
Ne devient-il pas alors illégitime d’exiger des devoirs à ceux qui souffrent d’un déficit de
droits. Les opérateurs de terrain soulèvent souvent cette contradiction qui s’actualise de façon
très concrète. Difficile, par exemple, de rappeler des squatters à leurs devoirs vis-à-vis du
droit de propriété, alors qu’eux-mêmes sont – de fait – privés du droit au logement. Ici la
reconnaissance de la dignité de la personne passe peut-être alors par une certaine « tolérance »
à l’égard de la façon dont les devoirs peuvent être respectés…
III. Des modes d’intervention sociale renouvelés.
Le recentrage de l’action sociale sur la personne modifie aussi largement la méthode
de l’intervention sociale. Les opérateurs ne sont pas seulement appelés à faire preuve de
compétences légales. Il ne leur est pas demandé uniquement de connaître les dispositifs, les
procédures, les réglementations. Les situations d’exclusions exigent une attention soutenue à
la personne, à ses demandes, à sa singularité.
3.1. L’accueil et l’écoute
Dans ce contexte, la qualité de l’accueil et de l’écoute des personnes devient en enjeu
majeur. Les relations entre l’usager et l’intervenant social n’ont pas seulement pour objet de
vérifier l’adéquation entre une demande et une réponse type. Ce qu’il importe en préalable,
c’est de permettre à l’usager de s’exprimer, d’explorer sans crainte d’un jugement normatif,
les ressources personnelles dont il dispose afin de pouvoir les mobiliser. D’où l’enjeu de la
création d’un environnement susceptible de rassurer, de mettre les gens en confiance. L’accès
aux services sociaux sans rendez-vous est par souvent préconisé. Il est en effet difficile de
parler de soi de façon programmée, surtout lorsqu’on est victime – en tant qu’exclu - d’un
déni d’identité. L’absence de rendez-vous est une technique qui permet au contraire de saisir
les opportunités en temps réel – parce qu’on reçoit la personne « toute affaire cessante » d’accorder une grande valeur à celui qui se présente « ici et maintenant », tel qu’il est et non
pas tel qu’il devrait être pour répondre à la norme du service.
Evidemment, il ne faudrait pas idéaliser l’absence de rendez-vous comme mode de
relation au public. D’abord parce que le rendez-vous est parfois nécessaire, soit pour des
raisons technico-administratives, soit encore parce que les délais, qui laissent un temps de
réflexion, sont parfois utiles pour la personne elle-même. Ensuite parce que l’absence de
rendez-vous n’est pas toujours gérable. Nous avons signalé que l’exclusion aujourd’hui était
un phénomène massif. Dans certain cas, le succès du libre accueil peut provoquer de longues
files d’attente, ce qui revient à réintroduire le rendez-vous de façon subreptice. Peut-être y
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aurait-il à réfléchir sur la « gestion » de ces files d’attentes afin qu’elles ne soient pas pires
que le rendez-vous.
Le cadre de l’accueil est aussi susceptible de rétablir la confiance et libérer
l’expression. Il est clair que les services qui ne respectent pas la confidentialité ou qui ne
s’emploient pas à créer un climat convivial, ne peuvent prétendre favoriser la parole de
l’individu. Par ailleurs, nous l’avons déjà dit, les accueils trop spécialisés risquent de créer des
phénomènes de stigmatisation. Si l’on ne porte pas attention à ce risque, on peut réintroduire
– encore une fois de façon subreptice – un regard normatif sur les individus. Il est clair que la
création d’espaces dédiés ainsi que les conditions strictement matérielles de l’accueil peuvent
avoir un effet de normalisation et faire ainsi violence à des personnes par ailleurs fragilisées.
3.2. L’accompagnement.
Au-delà de l’accueil et de l’écoute, l’accompagnement de la personne apparaît de plus
en plus comme une nécessité. Il apparaît en effet que la seule redistribution de droits – pour
importante qu’elle soit – ne suffit pas à stabiliser les individus dans les filières d’insertion. Le
recours à l’accompagnement semble aussi s’imposer dans le contexte sociétal que nous avons
décrit. Rappelons en effet, que faute d’étayage social, l’individu ne se socialise plus
aujourd’hui en « s’installant » dans une situation, dans une profession, dans un milieu social.
Il doit en permanence déployer une grande énergie pour rester intégré. Il doit en quelque sorte
opérer un certain « travail de socialisation ». Il est normal dans ces conditions que les
intervenants sociaux qui sont en relation avec des personnes en difficulté – donc moins
susceptibles que les autres de mobilisation - insistent sur l’importance de l’accompagnement.
A un premier niveau, cet accompagnement concerne le « suivi » des personnes dans les
dispositifs, dont chacun reconnaît la complexité. On sait en effet, que « l’adressage » pur et
simple est souvent insuffisant, et que faute d’accompagnement dans le labyrinthe des services
sociaux, les usagers courent le risque de nouveaux décrochages. Des no man’s land
s’insinuent entre les dispositifs. Faute d’accompagnement, les passages risquent de ne pas se
faire.
Mais à un second niveau, l’accompagnement est jugé indispensable bien au-delà des
dispositifs. Il ne s’agit pas seulement d’ouvrir l’accès des familles au logement. Non. Selon
beaucoup d’intervenants sociaux il « accompagner les familles pour qu’elles puissent
effectivement habiter leur logement et leur quartier ». Il en est de même pour l’accès au
système de soins, car ici l’enjeu n’est pas seulement l’entrée dans le système. Il est aussi de
pouvoir s’y maintenir afin que la continuité des soins soit assurée. On ne peut pas non plus se
contenter d’ouvrir aux exclus la porte des entreprises. Il est aussi nécessaire de procéder à des
accompagnements dans le cadre des CDD. Plus encore, certains insistent sur l’importance des
tutorats dans les entreprises, non seulement dans les parcours emploi-formation, mais aussi
dans le maintien au poste de travail.
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Mais celle logique d’intervention sociale soulève quand même le problème des limites
de l’accompagnement. Quand, en effet, l’objectif de suivi d’une personne est-il atteint ? A
partir de quand peut-on être sûr que la personne qui a retrouvé un emploi ou un logement n’a
plus besoin d’être soutenue ? La question est d’importance dans le contexte que nous avons
décrit, puisque l’insertion repose en grande partie sur les capacités de mobilisation des
personnes, et que les risques de rupture ne sont jamais définitivement éradiqués. Le sujet
mérite réflexion, car évidemment personne n’imagine qu’un « accompagnement à vie » sous
le prétexte que le risque de rupture est irréductible. Personne n’y pense parce qu’une telle
attitude serait au bout du compte contre performante pour la personne assistée. Mais aussi,
parce que la cible de l’intervention sociale serait alors infiniment élargie…
IV.
La personnalisation de l’action sociale
Accompagnement, accueil, écoute de la personne en danger d’exclusion constituent
donc les nouvelles modalités de l’intervention sociale. Mais ce centrage sur la personne oblige
aussi à réviser le profil même des agents qui s’investissent dans ce champ. Ce qui semble
requis aujourd’hui c’est la capacité d’établir des liens de personne à personne. En d’autres
termes, l’agent doit s’effacer devant la personne de l’intervenant, pour permettre l’élaboration
d’une relation intersubjective avec l’usager. Disons le autrement, l’opérateur qui reçoit un
usager dont on attend qu’il parle de lui-même, de ses ressources personnelles, de ses
angoisses et de ses désirs, ne peut renvoyer l’image de l’institution dont on sait qu’elle est un
ensemble de règles et de normes. Dans la relation de face à face, c’est un visage qui doit se
présenter à un autre visage, car, selon un travailleur social, « il faut du temps, de l’écoute , du
respect pour que l’autre retrouve existence dans notre regard ». Alors que l’institution ne peut
« regarder » chez l’autre que les expressions normalisées, celles qui sont adéquates aux
réponses disponibles, la personne peut – sous certaines conditions -voir l’autre dans toute sa
complexité. La démarche n’est plus anatomique et partielle. Elle aspire à devenir « globale ».
Elle passe alors chez l’intervenant, par un engagement de sa personne, avec ses affects, ses
singularités et ses sentiments, seuls à même de rétablir une relation de confiance. On sait que
bien souvent des relations privilégiées s’établissent entre des personnes en difficulté et tel ou
tel agent, personnellement désigné, avec qui des rapports d’empathie s’établissent.
Cette question de l’engagement de la personne dans l’intervention sociale mérite, elle
aussi, réflexion. Cette question est relativement nouvelle dans le champ du travail social.
Traditionnellement en effet, c’est un rapport distancié avec l’usager qui était requis. On se
méfiait plutôt de l’empathie et d’une trop grande proximité avec l’usager. Ce qui se comprend
d’ailleurs, puisqu’en principe, l’intervenant était plus face à un « ayant droit » que face à une
« personne ». L’empathie et la proximité, nous l’avons vu, sont aujourd’hui valorisées. Il reste
néanmoins à s’interroger sur les limites et les risques de ce mode de relation.
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Mais, la question mérite aussi d’être soumise au débat, car elle interroge les modalités
de professionnalisation de l’intervention sociale. Il est souvent question de professionnaliser
le secteur de l’urgence sociale. On sait aussi qu’un bon nombre d’agents qui travaillent dans
ce secteur sont des bénévoles engagés dans une perspective humanitaire. Ces bénévoles sont
en général assez adaptés à cette personnalisation de l’action sociale. D’ailleurs, bien souvent,
l’essentiel de leurs compétences réside dans cette capacité d’engagement de soi. Mais la
professionnalisation s’accommode mal de la personne. En effet, professionnaliser, c’est, en
grande partie, définir des comportements types, des compétences et des savoirs normalisés,
des profils de carrière etc… Or, la notion de personne résiste inévitablement à ce genre
d’opérations. Peut-être, pour conduire la réflexion, pourrait-on s’inspirer des professions où
les rapports intersubjectifs jouent un rôle important, comme celle de psychologue.
V. De la personne aux réseaux.
Toute la configuration actuelle plaide en faveur de la promotion d’un travail en réseau.
La massification de l’exclusion, la particularité des trajectoires individuelles, l’approche
globale de l’usager, la personnalisation de l’action sociale sont autant d’arguments qui
justifient le développement d’une problématique réticulaire.
Dans la mesure où il est devenu quasiment impossible de déterminer au préalable les
populations cibles, de définir de façon anticipée le contenu de l’intervention sociale, la seule
position acceptable est d’ouvrir les possibilités d’accès aux services sociaux sans préjuger de
la réponse possible. Toutefois s’ils restent isolés, les opérateurs sociaux s’exposent alors au
risque de ne pouvoir traiter les situations atypiques et les problèmes qui ne sont pas forcément
de leur ressort. Bien souvent, ils sont condamnés à renvoyer de service en service, de
dispositif en dispositif, des usagers qui sont souvent isolés, qui ne sont pas soutenus par leur
famille par leurs voisins, par leurs collègues de travail et qui ne disposent donc pas de relais
dans la société civile, susceptibles de les soutenir. Ce système d’adressage ne peut être retenu
car il renforçe les exclusions. Dans ce cadre, le travail en réseau devient un impératif.
1.1.
Les « réseaux pratiques » ou « réseaux primaires »
Sur le terrain les acteurs sociaux expriment cette nécessité, et soulignent la pertinence
de ce que nous appellerons ici, « des réseaux pratiques » ou « réseaux primaires ». De telles
organisations relient en effet les intervenants, sur un territoire donné, afin d’augmenter les
capacités de traitement de cas, en général, individuels et concrets. Puisque l’individu est
appréhendé dans sa globalité, il s’agit de pouvoir répondre à ses différentes attentes quelque
soit par ailleurs le champ d’intervention considéré. Le réseau est même requis lorsque
l’intervenant dispose de la réponse dans son propre domaine. Faute de quoi, l’offre de service
peut être totalement ruinée. Citons l’exemple - mais ils sont légions - du médecin qui propose
une thérapeutique que le patient ne pourra jamais suivre car ce dernier ne dispose pas de
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domicile fixe. Ou bien celui du ménage qui propose un échéancier de paiement à un bailleur,
alors que par ailleurs il est dans une situation de surendettement à l’égard de bien d’autres
créanciers.
L’intervention en réseau apparaît aussi comme une nécessité parce qu’elle favorise la
rapidité de l’action sociale. Les réponses normatives en effet, sont longues à mettre en place.
Elles supposent que les problèmes émergents soient analysés et que les réponses appropriées
soient étudiées. Un tel système d’action, qui présente une certaine inertie, est surtout adapté à
des sociétés relativement stabilisées, dont les questions sociales ne se renouvellent pas sans
cesse. Avec la montée de l’exclusion, on entre dans l’ère de l’urgence. Il s’agit en effet de
faire face en permanence à de nouvelles questions toujours inédites, et qui ne se laissent pas
facilement et immédiatement répertorier et classer1 . Dans ces conditions, s’il est suffisamment
ramifié et mobile, le réseau est à même « d’inventer » des solutions appropriées.
Bref, ces « réseaux primaires » semblent incontournables, même si certaines
difficultés les rendent souvent insuffisamment denses, et si leur fonctionnement n’est pas
toujours satisfaisant. Les acteurs du social manquent souvent de lisibilité en raison de leur
diversité. Mais cette opacité touche parfois les acteurs d’un même champ d’intervention.
Mais ce genre de difficulté semble pouvoir être assez facilement résolue. Du moins en
principe. Il arrive en effet que les acteurs réalisent des « annuaires » qui recensent, sur un
espace donné, tous les partenaires, avec leurs coordonnées et surtout le détail de leurs
missions. Mis à jour périodiquement, l’annuaire peur ainsi servir de support concret aux
réseaux. Reste à savoir, quelles est la ou les instances susceptibles « d’animer » un tel
annuaire, et quel est le bon niveau territorial de réalisation de ce document (le quartier ? La
ville ? le bassin d’emploi, de vie ? le Département ?).
Cela dit, les réseaux présentent d’autres difficultés qu’il convient de mentionner. Ne
nous attardons pas sur les habitudes sectorielles ou les conflits de pouvoirs qui sont un frein à
la coopération entre les partenaires. D’une part, ces difficultés sont bien connues, et d’autre
part, elles se régulent en général avec le temps.
Plus fondamentalement, la problématique réticulaire se heurte – paradoxalement – à
la personnalisation de l’action sociale. Du moins, disons que la personnalisation fragilise le
réseau, et peut mettre en cause sa pérennité. Les réseaux se constituent bien souvent à partir
des connaissances et des affinités personnelles. Ce mode de constitution des réseaux a
plusieurs conséquences : il fait dépendre le service rendu de l’affinité des partenaires, ce qui
peut laisser penser aux usagers – aux bénéficiaires comme au non bénéficiaires – que ce
service est le produit d’un certain arbitraire, voire d’un certain arrangement. On mesure ici,
comment peut être entamée la notion de citoyenneté quand le service rendu paraît
1
La question des étrangers en situation irrégulière est, à ce titre exemplaire. Les flux migratoires se succèdent,
de nouveaux problèmes sociaux émergent continuellement (selon les pays d’origine, les contextes locaux, la
question des migrations et de l’insertion des étrangers se pose très différemment) sans que soient mises en place
des réponses adaptées.
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proportionnel au réseau relationnel de l’intervenant et n’est pas présenté comme un droit1 .
Autre conséquence, très proche de la précédente : l’absence de pérennisation des mesures qui
sont prises en partenariat, puisque là encore, les dites mesures peuvent dépendre des
circonstances et des rapports affinitaires des opérateurs de terrain. Dernière conséquence
enfin : à partir du moment où le réseau rassemble des personnes, et qu’il repose sur des
préférences, le « turn-over » des intervenants peut considérablement affaiblir le réseau et son
dynamisme. Certes, certains pensent contrer ces risques d’affaiblissement par l’engagement
formel des institutions dans les réseaux, par le conventionnement ou le contrat. Mais il s’avère
que le partenariat institutionnel n’a pas la même portée que le réseau de personnes.
L’implication des institutions dans les réseaux, et celle des personnes n’ont pas
nécessairement la même signification. Nous avons pu d’ailleurs constater que certains
responsables d’institutions pouvaient parfaitement tolérer la participation de leurs agents dans
les réseaux, sans pour autant vouloir nécessairement impliquer leurs institutions. Plus encore,
réseaux et institutions peuvent s’opposer dans la mesure où se croisent aussi des logiques
horizontales (les réseaux) et des logiques verticales (les institutions).
Ajoutons aussi, que sur un territoire donné, tous les acteurs ne sont pas aptes à
coopérer de la même façon. Certains réseaux se constituent presque naturellement, d’autres
sont plus difficiles à constituer, soit en raison des habitudes institutionnelles soit, plus
profondément, en raison de l’incompatibilité des déontologies professionnelles ou encore
parce que les finalités des uns et des autres sont trop contradictoires. Ainsi la collaboration
entre les acteurs du champ social et du champ médical n’est pas toujours facile à engager. En
effet, le code de déontologie des médecins limite parfois les échanges entre professionnels.
Mais ce problème du secret professionnels ne se pose pas que dans le champ du médicosocial. Dès lors qu’un réseau se constitue, les partenaires s’interrogent toujours sur les
conditions de la circulation des informations.
Cette question de la circulation de l’information se pose avec encore plus de vigueur
lorsque les acteurs qui envisagent une mise en réseau poursuivre en fait des finalités
contradictoires. Par exemple, tel est le cas des collaborations avec la police et la justice. Il est
évident que les institutions qui ont, entre autres, des missions de préservation de l’ordre public
et qui fonctionne « à la norme » auront du mal à coopérer avec des acteurs qui cherchent à
maintenir le lien avec des individus en déshérence, en faisant preuve d’une certaine tolérance
à leur endroit. Difficile aussi de promouvoir une posture qui évite le jugement normatif, et de
tisser un lien opérationnel étroit avec la justice. Mais là encore, les réseaux ne sont pas
impossibles. Il s’agit simplement – ce qui n’est pas toujours facile – de bien définir au
préalable les règles de fonctionnement ainsi que les buts poursuivis.
1
En ce qui nous concerne, nous avons constaté que les usagers étaient bien souvent très sensible à cette
question. Certains n’hésitent pas à faire des kilomètres ou programmer dans le temps un rendez-vous pour éviter
telle assistante sociale, ou au contraire pour rencontrer celle qui leur paraît le plus efficace.
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5.2. Les « réseaux généralistes » ou « réseaux secondaires »
Les « réseaux pratiques » que nous avons décrits sont surtout aptes à régler dans de
meilleures conditions, les questions de nature individuelle. Parce qu’ils se déploient souvent
sur une échelle restreinte, ils ne sont pas vraiment adaptés au traitement des questions sociales
qui sont en général des questions d’ordre général. Certes, nous l’avons vu, la configuration de
l’exclusion aujourd’hui, les problématiques d’insertion, obligent à des interventions
individuelles et personnalisées. Cependant, ce type d’intervention peut aussi se perdre dans le
singulier, et devenir peu lisible en termes de politique publique. Nous touchons là à une
tension structurelle qui existe entre l’intervention humanitaire et l’intervention politique. Le
centrage sur l’individu, qui prend en compte la souffrance de la personne quelqu’en soient les
causes, relève plutôt de l’humanitaire. A une petite échelle, ce type d’action ne paraît très
problématique car il ne bouscule pas véritablement le fonctionnement social. En revanche, il
peut le perturber s’il est mené à grande échelle. Il devient alors impératif de s’interroger sur la
portée, cette fois-ci politique de ce type d’intervention.
On peut donner comme exemple celui des étrangers en situation irrégulière, puisqu’il a
été évoqué lors de la réunion du 15 octobre. Pour des raisons humanitaires, les hébergements
d’urgence sont laissés, un moment, accessibles aux sans papiers. Puis devant l’afflux de la
demande, l’accès devient contingenté. On passe alors d’une pratique humanitaire (dérogatoire
d’un certain point de vue) à une pratique beaucoup plus politique. Il est clair que les enjeux
sont suffisamment importants pour que les opérateurs réfléchissent aussi à la portée politique
de leurs interventions singulières, dans des réseaux que nous proposons d’appeler « réseaux
généralistes » ou « réseaux secondaires », et dont l’échelle territoriale, la composition et le
fonctionnement ne sont pas nécessairement ceux des « réseaux primaires».
Conclusion : l’enjeu des chartes.
Ainsi « réseaux primaires » et « réseaux secondaires» sont deux formes d’actions
collectives émergentes, dans le cadre de la lutte contre les exclusions. Dans les deux cas, ils
témoignent de la volonté de prendre en compte les situations de précarité dans le contexte
actuel de personnalisation du social. D’un côté, nous l’avons vu, les interventions sociales
prennent acte de la singularisation des trajectoires individuelles et s’efforcent de dépasser les
catégories de groupes cibles ou d’ayants droit pour se centrer sur l’individu. Celui-ci tend
alors à être pris en compte, à la fois dans sa globalité et dans sa particularité, autrement dit en
tant que personne. D’un autre côté, cette attention accordée à l’individu singulier sollicite
l’engagement personnel des agents de l’action sociale qui sont, alors, incités à mobiliser leurs
propres capacités de jugement pour ajuster les normes institutionnelles à la singularité des
situations sociales qu’ils ont à traiter.
Les réseaux sont des modes d’organisation adapté à ce genre de configuration du
social. Les réseaux tendent de répondre aux demandes individuelles des personnes. En même
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temps, ils rassemblent plus des personnes que des institutions1 . Ce faisant, les réseaux sont en
général des organisations relativement précaires. Ils sont souples, ce qui fait leur force. Ils
reposent sur des personnes, ce qui en fait aussi bien leur force que leur faiblesse. En d’autres
termes, les réseaux souffrent d’un déficit d’institutionnalisation. Mais chacun sait aussi, que
l’institutionnalisation, par ses lourdeurs, peut ruiner l’opérationnalité des réseaux.
Peut-être, les chartes pourraient être envisagées comme des formes souples
d’institutionnalisation. En effet, les chartes consacrent en général, des coopérations entre
acteurs hétérogènes, du point de vue de leur compétence et de leur statut. Elles sanctionnent
aussi des mises en connexions qui n’ont que rarement un statut institutionnel mais qui
reposent, pour une grande part, sur des expériences partagées et des relations
interpersonnelles. Les chartes sont des mises en mots, et ce faisant, des mises en
représentation de quelque chose qui s’est déjà expérimenté dans la pratique. Elles sont ainsi,
une occasion de donner une certaine consistance à des relations nouées de manière quasispontanée, de les consolider en leur conférant une certaine visibilité.
Les réseaux de lutte contre les exclusions qui se sont tissés de façon le plus souvent
informelle dans le département de la Loire gagneraient peut-être en consolidation « à mettre
en mot » et formaliser ce qui les rassemble au travers de l’élaboration de chartes.
1
Bien souvent d’ailleurs (mais pas toujours), quand une institution participe à un réseau, c’est au travers d’une
personne nommément désignée (ou un groupe de personnes).
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