Cours 4.2 : La société et les échanges, Autrui

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Cours 4.2 : La société et les échanges, Autrui
Cours 4.2 : La société et les échanges, Autrui
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Séquence 4 – Philosophie politique et sociale
PLAN
Introduction
(a) Problématique
I – La dimension économique des échanges
A. Le fonctionnement de l'échange marchand
B. Les limites de l'échange marchand
II - La dimension sociale des échanges
A. L'échange est créateur de lien social
B. « L'enfer, c'est les autres » (Sartre)
Introduction
(a) Problématique
Situation de départ Pourquoi offrir un cadeau plutôt que de l'argent ?
Formulation de la Que nous apportent les échanges ? À première vue, l'échange est constitutif de ce que nous appelons
problématique
l'économie : la production de richesses suppose un échange de compétences, de travail, et la
consommation des biens et des services est également une forme d'échange. Mais l'échange se réduit-il
à cette dimension économique ? N'y a-t-il pas une dimension proprement sociale des échanges ? Le lien
social n'est-il pas intrinsèquement constitué par des échanges ?
I – La dimension économique des échanges
A. Le fonctionnement de l'échange marchand
Échange et
division du
travail
Échange et
monnaie
– « [L]a cité se forme parce que chacun d'entre nous se trouve dans la situation de ne pas se suffire à luimême, mais au contraire de manquer de beaucoup de choses […] Dès lors, un homme recourt à un autre pour
un besoin particulier, puis à un autre en fonction de tel besoin, et parce qu'ils manquent d'une multitude de
choses, les hommes se rassemblent nombreux au sein d'une même fondation, s'associant pour s'entraider. »
(Platon, La République, livre II)
– « Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger, que nous attendons
notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité,
mais à leur égoïsme; et ce n'est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c'est toujours de leur avantage.
[…] Comme c’est ainsi par traité, par troc et par achat que nous obtenons des autres la plupart de ces bons
offices qui nous sont mutuellement nécessaires, c’est cette même disposition à trafiquer qui a dans l’origine
donné lieu à la division du travail. Par exemple, dans une tribu de chasseurs ou de bergers, un individu fait
des arcs et des flèches avec plus de célérité et d’adresse qu’un autre. Il troquera fréquemment ces objets
avec ses compagnons contre du bétail ou du gibier, et il ne tarde pas à s’apercevoir que, par ce moyen, il
pourra se procurer plus de bétail et de gibier que s’il allait lui-même à la chasse. Par calcul d’intérêt donc, il
fait sa principale occupation des arcs et des flèches, et le voilà devenu une espèce d’armurier. […] Ainsi, la
certitude de pouvoir troquer tout le produit de son travail qui excède sa propre consommation, contre un
pareil surplus du produit du travail des autres qui peut lui être nécessaire, encourage chaque homme à
s’adonner à une occupation particulière, et à cultiver et perfectionner tout ce qu’il peut avoir de talent et
d’intelligence pour cette espèce de travail. » (Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la
richesse des nations, livre I, chap.2).
« La monnaie est l'un des instruments les plus utilisés dans notre vie quotidienne. En effet, dans une
économie d'échange complexe et décentralisée comme la nôtre, la monnaie remplit une triple fonction de
calcul économique, de paiement et de réserve de valeur.
La monnaie sert, en premier lieu, à évaluer le prix de tous les biens, c'est une unité de compte qui permet de
mesurer la valeur de biens hétérogènes. Elle ramène les multiples évaluations possibles d'un bien en termes
d'autres biens (prix réels ou relatifs) à une seule évaluation en monnaie (prix nominal ou absolu). L'utilisation
de la monnaie permet une économie d'information et de calcul, grâce à la simplification du système de prix.
La monnaie est ensuite un bien directement échangeable contre tous les autres biens, un instrument de
paiement qui permet d'acquérir n'importe quel bien ou service, y compris le travail humain. On dit qu'elle est
un « équivalent général ». C'est, en effet, un instrument admis partout et par tout le monde, en toutes
circonstances, et dont le simple transfert entraîne de façon définitive l'extinction des dettes. Nos économies
sont monétaires dans la mesure où les produits ne s'échangent pas contre des produits, mais contre de la
monnaie qui, à son tour, s'échange contre des produits. Cela suppose évidemment qu'il existe un consensus
social et la croyance que l'on peut obtenir à tout moment n'importe quel bien en échange de monnaie. Cette
confiance peut être renforcée par l'autorité de l'Etat et de la banque centrale qui oblige l'ensemble des
acteurs économiques à accepter la monnaie en lui donnant un pouvoir libératoire et légal […].
La monnaie, enfin, est une réserve de valeur, elle est une des formes de la richesse - un actif de patrimoine qui présente la particularité de pouvoir à la fois être conservée et rester parfai tement liquide, c'est-à-dire de
garder sa valeur et d'être immédiatement utilisable pour l'échange de biens et services. » (Dominique Plihon,
La monnaie et ses mécanismes)
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B. Les limites de l'échange marchand
Du point de vue – Cf. le travail que nous avons fait sur le fétichisme de la marchandise (Marx) dans le cours 3.3 sur la
de l'individu technique.
– Cf. Montesquieu : « Nous voyons que, dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on
trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales: les plus petites choses, celles que
l’humanité demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent. » (De l’esprit des lois, Livre XX, chap 2)
Du point de vue – L'échange marchand est-il producteur d'une forme d'harmonie, de coordination spontanée (c'est la thèse
social
vers laquelle tend le libéralisme économique, cf. cours 4.1), ou bien est-il potentiellement producteur de
désordres et d'instabilité sociale ?
II - La dimension sociale des échanges
A. L'échange est créateur de lien social
Le cas de
l'échange
marchand
– Les échanges au sein de la division du travail semblent produire un lien d'interdépendance entre les
individus et une forme de coopération sociale pour la production des biens et services nécessaires à
l'existence d'une société (cf. le texte de Platon ci-dessus).
– Le commerce semble avoir un effet pacificateur. Cf. Montesquieu : « L’effet naturel du commerce est de
porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes: si l’une a
intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels »
(De l’esprit des lois, Livre XX, chap 2). Cf. aussi, Benjamin Constant : « La guerre est […] antérieure au
commerce. L’une est l’impulsion sauvage, l’autre le calcul civilisé. Il est clair que plus la tendance
commerciale domine, plus la tendance guerrière doit s’affaiblir. » (De l'esprit de conquête et de l'usurpation,
1ère partie, chap. 2).
Le cas de
– Le cas de la bouteille de vin dans les bistrots du sud (Lévi-Strauss) : « Dans ces petits établissements où le
l'échange
vin est compris dans le prix du repas, chaque convive trouve devant son assiette une modeste bouteille
non-marchand d’un liquide le plus souvent indigne. […] [À] la différence du plat du jour, bien personnel, le vin est bien
social. La petite bouteille peut contenir tout juste un verre, ce contenu sera versé non dans le verre du
détenteur, mais dans celui du voisin, et celui-ci accomplira aussitôt un geste correspondant de réciprocité.
[…] D’un point de vue économique, personne n’a gagné et personne n’a perdu. Mais c’est qu’il y a bien plus
dans l’échange que les choses échangées. » (Claude Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté)
; Les cadeaux de Noël
– Le cas de l'interdit de l'inceste comme moyen d'imposer des alliances (Lévi-Strauss) : « La prohibition de
l'inceste n'est pas seulement [...] une interdiction ; en même temps qu'elle défend, elle ordonne. La
prohibition de l'inceste, comme l'exogamie qui est son expression sociale élargie, est une règle de
réciprocité. La femme qu'on se refuse, et qu'on vous refuse, est par cela même offerte. […] Le contenu de la
prohibition n'est pas épuisé dans le fait de la prohibition ; celle-ci n'est instaurée que pour garantir et
fonder, directement ou indirectement, immédiatement ou médiatement, un échange. » (Claude Lévi-Strauss,
Les Structures élémentaires de la parenté).
– Les échanges linguistiques ont une dimension proprement sociale que l'on peut déjà observer dans ce
qu'on appelle la fonction phatique du langage (parler simplement pour maintenir un contact et éviter le
silence), et bien sûr, de manière plus élaborée, dans le dialogue (Cf. Merleau-Ponty : « Dans l'expérience du
dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu'un seul
tissu, mes propos et ceux de l'interlocuteur sont appelés par l'état de la discussion, ils s'insèrent dans une
opération commune dont aucun de nous n'est le créateur. »). Certains auteurs (Habermas, Karl-Otto Apel)
défendent en ce sens l'idée d'une éthique de la discussion, selon laquelle l'engagement dans une discussion
nous inscrit immédiatement dans un rapport éthique à autrui.
B. « L'enfer, c'est les autres » (Sartre)
La comédie
humaine
Le regard
d'autrui
Dans l'échange avec autrui, l'individu est-il véritablement lui-même ? Ne joue-t-il pas au contraire un certain
rôle social ? Cf. dans le cours 2.1 : le travail que nous avons fait sur l'étymologie du mot “personne” ( persona,
qui désigne le masque de l'acteur), cf. également l'analyse de la mauvaise foi par Sartre.
Dans l'échange avec autrui, l'individu ne risque-t-il pas d'être enfermé dans l'identité que les autres lui
attribuent ? Cf. dans le cours 2.1 : le travail que nous avons fait sur la réification et la critique de cette
réification (cf. l'effet Pygmalion et l'exemple de Jean Valjean et de l'évêque de Digne).