Le CHU de Liège, pionnier du dossier médical informatisé

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Le CHU de Liège, pionnier du dossier médical informatisé
Hospital Management
ICT
Le CHU de Liège, pionnier du
dossier médical informatisé
Interview du Pr Philippe Kolh (Chief Information Officer et Chef du Projet DMI au CHU de Liège)
par Micheline Van Migro (Rédactrice en chef)
Le CHU de Liège vise à offrir des soins de la plus haute
qualité universitaire, accessibles à tous, tout en sauvegardant
la pérennité financière de l’institution. En 2003, à l’initiative
de l’Administrateur délégué, M.P. Louis, le conseil d’administration a décidé de doter le CHU d’un contrat organisationnel
et stratégique (COS). Le plan COS couvre 22 projets, répartis
en 4 axes: l’axe finances, l’axe formation/apprentissage,
l’axe organisationnel et, last but not least, un axe prioritaire
patient/médical, qui pourrait être apparenté au service client
dans une entreprise commerciale. Healthcare Executive a
rencontré le Professeur Philippe Kolh, qui nous a parlé
des projets pionniers du CHU, en matière informatique.
Professeur Kolh, on vous a
confié la responsabilité du
dossier médical informatisé
(DMI) interconnecté sur les
six sites de l’entité. Pourriez-vous nous donner les
aspects majeurs de ce projet
complexe?
HE0102F_2008
Le DMI sécurisé est accessible, en temps
réel, partout dans tous les points de
contact patients, ce y compris dans
leurs chambres pour les malades hospitalisés. Plus de 1.500 pc fixes ou portables et plus de 800 imprimantes ont été
installés. Par ailleurs, environ cent vingt
bornes wireless sont dispersées et interconnectées dans toutes les unités de
soins, sur les trois sites hospitaliers. Pour
ce vaste projet du DMI, quelque 6 à 7
millions d’euros d’investissement ont
déjà été dépensés ou engagés.
Initié il y a plus de 4 ans, ce projet est
lui-même subdivisé en un certain nom-
Pr Philippe Kolh
bre de lots, dont certains sont complètement opérationnels aujourd’hui.
• Le serveur de résultats, dont le
déploiement est achevé depuis
plus de 2 ans, permet l’accès électronique aux protocoles de biologie clinique, d’imagerie médicale,
de médecine nucléaire et d’anatomie-pathologique. En outre, le médecin a également accès à toute
l’iconographie générée par le service d’imagerie médicale, grâce au
Radiology Information System (RIS)
Les Sites du CHU
de Liège
• C
HU Notre-Dame des Bruyères (Chênée)
• CHU Ourthe Amblève (CHUOA)
• CHU du Sart Tilman
• Policlinique Universitaire Centre Ville «Lucien Brull»
• Policlinique Urbaine «Sauvenière»
• Policlinique d’Aywaille
- Picture Archiving Communication
System (PACS), mis en place depuis
peu en imagerie médicale.
• L’ossature du dossier médical/
patient contient tous les courrier,
ayant trait à une hospitalisation, à
une consultation, à un protocole
opératoire, à un rapport d’acte
médico-technique, dont le déploiement est finalisé depuis début
2007.
• La gestion des lits est faite en
temps réel et permet de déterminer très précisément dans quelle
unité de soins et dans quel lit se
trouve le patient X, de faire la planification des pré-entrants, la gestion des admissions… Le déploie-
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ment de cette application vient
d’être terminé en octobre 2007.
Pour ces trois premières applications,
nous utilisons, avec grande satisfaction, le logiciel Omnipro, de la firme
liégeoise MIMS.
• La gestion des rendez-vous des
malades, également automatisée
grâce au logiciel UltraGenda Pro
(de la firme UltraGenda), est déjà
largement déployée et sera terminée dans les prochaines semaines.
Notons qu’UltraGenda Pro est utilisé dans la majorité des hôpitaux
universitaires belges.
D’autres projets aussi ambitieux sont-ils en cours?
L’un concerne la prescription et le
plan d’administration des médicaments. Cette application concerne à
la fois le médecin, pour le versant prescription, et l’infirmière, pour le versant
administration. Actuellement, nous
procédons à une réflexion pour intégrer à la prescription un lien en temps
réel avec le logiciel de gestion du stock
de la pharmacie hospitalière. Nous espérons pouvoir concrétiser ce projet
entre 2010 et 2012.
Par ailleurs, dans la période 2010-2012,
nous informatiserons la gestion des
soins infirmiers, ce qui consistera également un pan très important du projet, notamment eu égard au nombre
de personnes à former et à la relative
complexité fonctionnelle.
Un autre projet, avec des ramifications
importantes dans l’hôpital, et pour lequel nous sommes des précurseurs,
concerne la gestion de toutes les prescriptions hors médicament (biologie, radiographies, endoscopies, etc.)
et est en cours de déploiement. C’est
la biologie clinique qui est la première
à bénéficier du système que nous
espérons entièrement opérationnel
dans les deux années à venir.
Nous sommes le
premier hôpital en
Belgique à faire cela
à cette échelle. Il s’agit
là de l’optimalisation
de la qualité des soins.
Bientôt, ce système sera
élargi à l’ensemble des
produits sanguins.
Ainsi, le médecin prescrit une demande
de biologie pour un patient dans le logiciel Omnipro. Dans l’unité de soins, l’infirmière, identifiée au moyen de ses login et mot de passe personnels, prend
connaissance de sa liste de prélèvements à réaliser et prépare les tubes
nécessaires. En effet, le programme lui
signale exactement quels sont les tubes
qu’elle doit utiliser pour chaque prélèvement et lui permet d’imprimer les étiquettes code barrées pour les tubes
correspondants. Ce système permet
une association précise du patient et de
l’examen. Ensuite, dans la chambre du
malade, l’infirmière passe le bracelet
code barré de celui-ci ainsi que les étiquettes des tubes au scanner. S’il y a
erreur sur la personne ou sur l’examen
prescrit, le système refuse d’entériner
l’action. Au fur et à mesure qu’elle réalise ces prélèvements et scanne ces tubes, ces tâches disparaissent de sa liste.
Elle envoie ensuite ces tubes au laboratoire, où les analyses sont réalisées. Les
résultats sont ensuite envoyés au médecin prescripteur, qui peut les consulter
au fur et à mesure de leur disponibilité.
Il y a donc une transparence complète
puisque tout est interfacé.
Il y a un flux d’information intégré, de
la prescription au prélèvement, à
l’analyse et, in fine, à l’envoi des résul-
tats. Nous avons ainsi un circuit complet et une mobilité parfaite puisque
le prélèvement s’est fait au lit du patient avec matching du code barre de
son bracelet et des étiquettes des tubes. A mon avis, nous sommes le premier hôpital en Belgique à déployer
cela à cette échelle. Nous visons évidemment une qualité des soins optimale. Bientôt, ce système sera élargi à
l’ensemble des produits sanguins.
Suite à certains accidents du passé,
en France notamment, on sait que la
sécurité au niveau des transfusions
est d’importance capitale.
PDA avec scanner servant aux
infirmières à scanner le bracelet
du patient et l'étiquette du tube
lorsqu'elles gèrent les prélèvements
pour les biologies cliniques.
N’y a-t-il pas un risque
d’erreur, certaines parties de
dossiers pouvant être encore
sur papier et d’autres en
version électronique?
En parallèle avec le déploiement du
DMI, nous faisons disparaître le dossier
papier. Maintenant que le déploiement
de l’ossature du dossier électronique est
terminé, nous faisons progressivement
basculer les services médicaux en paperless. C’est déjà le cas actuellement pour
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une dizaine d’entre eux, comme la
cardiologie, la chirurgie cardiovasculaire,
la gastroentérologie, la chirurgie abdominale et l’ORL, par exemple.
Nous consacrons près
de 4 semaines à chaque
service et, en le quittant,
nous annonçons
«vous êtes maintenant paperless avec une
synchronisation optimale
du service des archives».
Qu’entendons-nous précisement par
paperless? Cela signifie qu’il n’y a plus
de dossiers créés ou conservés aux archives pour les nouveaux patients, qu’il
s’agisse d’un malade qui vient pour la
première fois dans notre institution ou
d’un malade dont le dossier est (ré)activé lors de nouveaux examens dans un
service ou lors d’une consultation pour
une nouvelle pathologie. Nous exploitons systématiquement toutes les ressources d’Omnipro et dans le cas où il
est impossible de trouver une solution
avec ce logiciel, par exemple au moyen
d’une interface, nous scannons le
document (c’est le cas pour les notes manuscrites d’un médecin traitant). Par
exemple, les ECG ne sont pas encore
interfacés; en conséquence, nous gardons tous les relevés ECG quotidiens
dans une chemise spécifique, qui se
trouve dans l’unité de soins et, une fois
par semaine, ces documents sont scannés, archivés et indexés dans le DMI, et
ensuite détruits. Lorsque le patient revient en consultation ultérieurement,
et ce dans n’importe lequel de nos sites, le médecin aura accès, dans le
DMI, à la totalité des données. D’autres
hôpitaux, comme les Cliniques Universitaires de Mont Godinne ou l’hôpital
Erasme, ont aussi opté pour le paper-
less. Notre objectif est d’être totalement paperless d’ici 2010. La mise en
place exige que nous vérifions auprès
de chaque service médical s’il y a un
besoin de paramétrisation supplémentaire et si tout l’équipement est correctement interfacé. Nous consacrons
près de 4 semaines à chaque service
et, en le quittant, nous annonçons
«vous êtes maintenant paperless
avec une synchronisation optimale du
service des archives».
La disparition du dossier papier va de
pair avec l’acquisition de nombreux pc
qui doivent être disponibles partout qu’il
s’agisse des salles de cours, des bureaux
des médecins, des secrétariats, des unités de soins etc… nous avons fait l’acquisition de 1500 pc fixes et portables.
Autre particularité, indispensable à
une perspective paperless, nous avons
doté les unités de soins de nos trois sites hospitaliers de chariots spécifiques. Il s’agit de chariots ergonomiques, légers qui peuvent pénétrer dans
les chambres. Le médecin peut donc
faire le tour de salle avec un chariot
équipé d’un portable wireless et avoir
en temps réel un accès complet à tout
le DMI du patient et ce y compris aux
images générées par le «RIS-PACS». En
fait, toutes les capacités du pc fixe sont
disponibles sur cette version portable.
un serveur de production et un serveur
de réplication en synchronisation
permanente, ainsi que des backup
disques quotidiens. En outre, par
mesure de sécurité, ces 2 serveurs
sont sur 2 sites différents.
L’aspect éthique et sécurisation de l’information n’a pas été négligé: chaque
utilisateur demandant un accès au
DMI, tant en lecture qu’en écriture,
doit signer une charte d’éthique et de
sécurisation des données, au préalable
à toute autorisation. Cette charte a été
approuvée par le Conseil provincial de
l’Ordre des Médecins. Lors de chaque
consultation du DMI, l’utilisateur doit
entrer son log-in et son mot de passe
personnels, dont il est responsable. La
charte éthique est très importante: elle
devrait être obligatoire partout, ce qui
n’est pas le cas.
Lorsqu’un membre de notre personnel
se fait soigner dans nos murs, son
Chariot pour PC portables utilisés
dans les unités de soins par les
médecins pour réaliser leur tour de
salle.
Comment répondez-vous aux
exigences de l’Ordre des
Médecins en ce qui concerne
la sécurité des données pour
l’archivage électronique des
dossiers médicaux ainsi qu’aux
différents aspects éthiques et
de confidentialité?
En Belgique, les dossiers médicaux
doivent être conservés pendant 30
ans. La conservation avec le système
informatique est plus sûre que les
systèmes papiers. En effet, nous avons
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dossier est signalé à l’écran en rouge et
il faut pouvoir justifier la raison pour
laquelle on consulte son dossier. Chaque
membre du personnel a le droit de
vérifier qui a consulté ses données. Ce
système est basé sur la confiance et le
respect. Le risque d’un acte indélicat
reste toujours possible – mais c’est le
cas aussi pour les dossiers papier.
De tels changements dans
le travail n’ont pas dû
se faire sans heurts?
A la base, cela demande un effort du
personnel, qui doit accepter de revoir ses
manières de procéder et digérer un manuel d’utilisateur important. Il faut pouvoir leur démontrer tous les avantages
qu’ils pourront retirer du système. Outre
la formation, il faut les accompagner et
les convaincre que c’est un outil formidable. Nous avons une cellule spécifique
de 6 personnes chargées d’assurer toutes les paramétrisations nécessaires, ainsi
que les formations au système,et surtout
le soutien/support des utilisateurs.
Nous avons acquis une certaine expérience que nous serions prêts à faire
partager, notamment dans l’utilisation
du PDA pour les activités de prélèvement, qui ont nécessité une étroite
collaboration avec le nursing, de nombreuses formations et un accompagnement important.
La plupart des médecins dictent
selon une procédure précise afin de
standardiser la manière dont les
données seront entrées dans le système
lorsqu’elles seront dactylographiées par
la secrétaire.
La charte éthique est
très importante:
elle devrait être
obligatoire partout,
ce qui n’est pas le cas.
Pour les tours de salle – qui sont généralement fait par des jeunes médecins
– nous exigeons qu’ils mettent leurs
notes quotidiennes dans une case
ad hoc qui remplace le dossier papier.
Tout doit être d’emblée dans le
dossier électronique, afin d’éviter tout
scanning à posteriori.
Je suppose que vous préservez votre avancée technologique e-health à l’avenir…
Fin 2003, le CHU avait un retard
informatique certain, mais celui-ci est
résorbé et nous nous trouvons maintenant dans le peloton de tête, notamment avec nos perspectives sans papier
et sans fil. Nous devenons maintenant
aussi éditeur dans l’e-prescribing et
nous envisageons d’aller visiter les pays
scandinaves, qui ont des systèmes
assez développés d’e-prescribing doté
d’un lien avec une base de données de
médicaments nationale qui est mise à
jour chaque semaine. Cette base de
données est accessible non seulement
par l’hôpital, les médecins traitants
et les pharmacies. Ce qui permet de
disposer d’un système optimal en
termes de liens, de flux, d’accès à
l’historique des prescriptions des
patients.
Pour maintenir notre avance, nous ne
manquerons pas d’aller voir ailleurs
quelles sont les expériences en cours
et d’en tirer les enseignements pour
l’avenir.

Nominé parmi 19 institutions de soins belges, le CHU
de Liège a remporté le prix Covidien ex-aequo avec le
BZIO d’Ostende (voir l’article à ce sujet dans notre
précédent numéro d’Healthcare Executive: HE39,
p.34-8), en présentant son plan multisite.
Faisant partie des 22 projets du plan stratégique du
CHU (plan COS), le plan multisite vise à:
- réussir la fusion avec les hôpitaux de Chênée et
d’Esneux en les intégrant dans un ensemble pluraliste
harmonieux. La nouvelle entité doit maintenir ses
missions d’hôpital universitaire et conserver son
rôle d’hôpital de proximité;
- redistribuer l’activité médicale entre les trois sites
en tenant compte des exigences de qualité
universitaire, des seuils légaux nécessaires pour
l’agrément et des conséquences du numerus
clausus.
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